En 1987, le monde de l’opéra baroque assistait à un bouleversement avec la re-création d’Atys de Jean-Baptiste Lully par Les Arts Florissants. Le tricentenaire de la mort du compositeur était un bon prétexte pour remonter enfin dans de bonnes conditions un de ses opéras. Il y avait bien eu un enregistrement d’une version de concert d’Armide en 1983 par Philippe Herreweghe (enregistrement dont il fera tout par la suite pour éviter la diffusion) mais ici nous avons un autre projet : monter une version scénique d’une tragédie lyrique de Lully dans plusieurs villes. Le choix s’est fait entre plusieurs ouvrages et c’est un accord entre metteur en scène et chef d’orchestre qui a fait pencher pour cet Atys qui sera une pierre angulaire dans le renouveau du baroque français. Pourtant, ce n’est pas forcément la partition qui était le plus resté dans les mémoires, ce n’était ni la première ni la dernière… Mais c’était l’Opéra du Roi comme il était surnommé à l’époque tant Louis XIV adorait cet opéra. Après Hippolyte et Aricie de Rameau, on retrouve donc Lully pour une note discographique qui se résumera à un duel non équitable : trois enregistrements de William Christie contre un seul d’Hugo Reyne.
Si certains ouvrages de Lully sont restés dans les mémoires par quelques extraits chanté encore par des artistes curieux (Cesare Siepi par exemple chante en 1954 à Salzbourg deux airs de Lully extraits d’Amadis et d’Alceste), Atys semble avoir été lui vraiment remis dans l’ombre peu après la mort de Louis XIV. Aucune reprise ancienne avant les représentations de décembre 1986 à Prato en Italie, mais surtout en janvier 1987 à l’Opéra-Comique de Paris. L’ouvrage fut alors remis sur le devant de la scène montrant non seulement comment Lully pouvait être joué, mais aussi comme cette tragédie pouvait être magnifiée et toucher le cœur du public contemporain. William Christie et Jean-Marie Villégier ont choisis cet opéra pour son livret de Quinault mais aussi pour sa teneur dramatique, le préférant alors à Thésée et Bellérophon.
En 1676, le duo entre Jean-Baptiste Lully et Philippe Quinault avait déjà donné naissance à trois tragédies lyriques : Cadmus et Hermione en 1673, Alceste ou le Triomphe d’Alcide en 1674 et Thésée en 1675. La forme avait déjà évolué depuis les débuts et si la part comique d’Alceste est encore assez forte, elle est beaucoup plus réduite pour Atys au dénouement si tragique. On sent ici combien les deux artistes ont réussi à fusionner totalement leur art. Le livret de Quinault est un sommet de poésie et de tragique, rivalisant par la beauté du texte et des situations avec les grandes tragédies classiques. Lully quant à lui nous offre une partition plus complexe et à l’orchestration plus souple qu’avant, et surtout en accord total avec le texte. Nous sommes ici peut-être dans l’un des meilleurs opéras de ce duo, avec Armide en fin de carrière. Dès le Prologue on est charmé non seulement par la ligne musicale mais aussi par le texte. Et comment résister à ces mélodies magnifiques qui semblent si naturelles pour le texte ? Comment rester insensible en écoutant l’hypnotique scène du sommeil ? Comment ne pas être touché par la déploration d’une déesse qui comprend que son amour n’est pas partagé ? Il y a certes ainsi des moments qui même isolés sont des purs miracles, mais c’est aussi dans la continuité, la construction dramatique comme musicale que l’on entend combien cette tragédie lyrique est un bijou parfaitement taillé et imaginé.
L’argument se base sur un extrait des Fastes d’Ovide et raconte comment Atys se voit transformé en pin par la déesse Cybèle. Mais bien sûr, tout cela a été modifié par les artistes de Louis XIV. Le Prologue nous prépare à l’écoute d’une tragédie en musique que Melpomène propose à Louis XIV. Nous découvrons donc Atys qui doit préparer avec Sangaride une fête en l’honneur de la déesse Cybèle. Mais sous des dehors amicaux, les deux jeunes gens s’aiment finissent par se l’avouer. Et cela même si Sangaride, fille du fleuve Sangar, doit épouser le roi Célénus. La déesse descend et annonce son souhait d’être aimée mais aussi le prochain choix d’un nouveau Grand Sacrificateur. Plus tard dans son temple, Cybèle dévoile à Célénus son projet d’honorer Atys du titre, puis elle avoue à sa suivante qu’elle n’est pas insensible à la beauté du jeune homme. Elle veut par un songe lui déclarer son amour. L’acte suivant voit Atys entrer dans sa nouvelle fonction alors que la confidente de Sangaride vient lui dire que cette dernière est résolue à annuler son mariage avec Célénus et demander la protection de la déesse. Malgré le trouble causé par cette annonce, il est endormi par l’arrivée du dieu Sommeil venant lui faire connaître l’amour divin qui veille sur lui. Au réveil, il se trouve en présence de Cybèle qui confirme les songes mais voit un Atys bien respectueux. Sangaride arrive par la suite pour plaider la cause de leur amour devant la grande déesse mais Atys l’empêche de parler, craignant trop la colère de Cybèle. Mais cette dernière a compris qu’elle n’était pas aimée et décide de se venger. Troublée par la scène à laquelle elle vient d’assister, Sangaride ne croit plus en l’amour d’Atys et décide de renouveler sa promesse à Célénus. Les deux amants se retrouvent et le jeune homme ne comprend pas les reproches que lui adresse Sangaride. Enfin ils s’expliquent avant de se jurer un amour éternel malgré le mariage prochain. Lors de la cérémonie, Atys annonce que la jeune femme est réservée au culte de la déesse et qu’elle ne peut donc pas être donnée comme épouse au roi. Devant le choc de tous, ils sont emmenés par les Zéphyrs. Après ce coup d’éclat, Célénus vient demander une explication à Cybèle qui lui révèle l’amour que se portent Atys et Sangaride, avant de lui révéler l’amour qu’elle portait aussi à Atys. Elle va donc se venger et par la même venger le roi. À l’arrivée des deux amoureux, les reproches tombent et Cybèle rend Atys fou. Croyant voir une bête affreuse en la personne de Sangaride, il la tue, pensant sauver son amour. Cybèle lui rend alors la raison et devant l’effroyable acte accompli, Atys se poignarde. Comprenant combien sa vengeance était trop forte, la déesse décide de transformer le jeune homme en pin pour qu’il soit vénéré comme sacré jusqu’à la fin des temps.
Le point de départ de cette discographie est forcément liée à la re-découverte de l’œuvre, mais non pas par un enregistrement en direct mais au travers d’un studio réalisé en janvier 1987, soit après les représentations italiennes et avant la triomphale tournée en France. Cet enregistrement est mythique car il a longtemps été le seul enregistrement officiel bien sûr… mais aussi par l’équipe qui est enregistrée ici. Il y a les chanteurs, il y a le chef… mais il y aussi ces musiciens et choristes dont on repère le nom sur le disque : Le clavecin est bien sûr tenu par William Christie, mais le second claveciniste n’est autre que Christophe Rousset qui fondra douze ans plus tard Les Talens Lyriques (qui œuvreront pour enregistrer de nombreuses autres tragédies de Lully !). Pour le luth, c’est Stephan Stubbs qui lui dirigera et enregistrera Thésée et Psychée avec le Boston Early Music Festival. Parmi les flûtes, rien de moins que Hugo Reyne, fondateur la même année de La Symphonie du Marais qui enregistrera justement par la suite Atys entre autre. Au basson, Marc Minkowski, créateur des Musiciens du Louvre en 1982, qui lui aussi enregistrera Phaëton. Le chef des chœurs est encore connu avec Olivier Schneebeli qui dirige depuis 1991 Les Pages et les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles. Chez les sopranos, on retrouve aussi Véronique Gens qui aura la carrière que l’on sait par la suite alors qu’elle n’est ici que membre du chœur et du trio. Enfin, voici Hervé Niquet en ténor, lui qui crée en 1987 aussi le Concert Spirituel et enregistrera Proserpine. On voit combien l’orchestre des Arts Florissants était alors riche, comptant sur des musiciens qui auront tous un rôle à jouer dans l’enregistrement ou la représentation d’ouvrages de Lully! On n’ose imaginer les conséquences d’un échec de cet Atys.
Mais revenons sur cet enregistrement studio de 1987. Édité chez Harmonia Mundi, il a longtemps été la seule possibilité d’écouter l’ouvrage dans de bonnes conditions mais a aussi beaucoup pâli pour certains face au témoignage en direct qui existe de la même époque. Avouons-le tout de suite, ce n’est pas le meilleur de tous car il semble que le studio ait comme affadi le propos, avec un orchestre moins mobile et vivant, une direction plus lente et cérémoniale… bref il lui manque la vie du direct. Pourtant il y avait eu quelques représentations avant. Mais alors, pourquoi l’écouter ? Et bien tout simplement parce que malgré ce côté un peu raide et terne, il y a une grande beauté formelle. William Christie nous propose une lecture certes moins dramatique, mais en tout point « parfaite », c’est-à -dire où l’on entend chaque note, chaque intention avec une espèce de retenue, comme si le chef avait voulu se démarquer de la scène en donnant une vision neutre. Et puis il y a la qualité de la prise de son qui permet de distinguer chaque détail de la partition, chaque alliage orchestral miraculeux. Nous sommes ici peut-être devant une vision glacée, mais tout de même splendide musicalement parlant. Bien sûr Les Arts Florissants sont en tous points parfaits avec un orchestre d’une justesse immaculée et un chœur aussi parfait formellement. Il ne manque donc juste qu’un peu plus de vie pour la partie musicale pour que cet enregistrement soit totalement convaincant.
Du point de vue de la distribution, on lit bien sûr la liste des noms avec une certaine admiration et l’écoute confirme la perfection des chanteurs. Ainsi, la scène du sommeil par Gilles Ragon et Jean-Paul Fouchécourt est un moment hypnotique impressionnant avec ces voix droites qui s’élèvent avec douceur mais raideur sur les flûtes superbes. On découvre aussi Bernard Deletré qui sera encore présent trente-quatre ans après pour une reprise qui nous offre un Sangar certes gouailleur mais qui nous aura montré auparavant dans le rôle du Temps combien sa basse peut être noble. L’ensemble des petits rôles est en fait chanté par des artistes de très haut niveau qui tous semblent respirer cette partition ou du moins en respecter toutes les règles. Car comme pour l’orchestre et le chœur, on a ici une petite retenue, quelque chose de parfaitement en style mais sans que ne soit totalement présente la tragédie.
Dans les trois rôles principaux, comment bien sûr résister à la candeur d’Agnès Mellon ? Elle est une Sangaride fragile et lumineuse, au chant pur comme du cristal. La chanteuse était déjà présente en 1983 pour une Créuse frémissante dans Médée de Charpentier et on retrouve cette victime magnifique au style admirable. Face à elle se trouve l’immense stature de Guillemette Laurens. La chanteuse possède avec Cybèle un rôle totalement à sa mesure, royale et glaciale, aux emportements furieux mais toujours contenus. Elle dresse un portrait tout en majesté avec une voix qui sait épouser le moindre méandre de la mélodie mais aussi de la psychologie du personnage tour à tour amoureuse puis furie. Et par quelques appogiatures, par quelques nuances, elle apporte une vie superbe pour ce rôle. Enfin, le rôle-titre a longtemps subi la comparaison de ceux qui lui succèderont. En effet, Guy de Mey semble être à certains moments une parodie de haute-contre avec un timbre qui manque de séduction et une voix régulièrement plaintive. Face à certains Atys plein de noblesse, il était donc bien en peine pour convaincre. Mais quand on écoute plusieurs fois sa prestation, on découvre que si le chanteur n’a pas une séduction immédiate, il démontre tout de même un art assez impeccable et une interprétation pleine de nuances et de fragilité sans pour autant rendre niais le personnage principal. Sans doute pas le chanteur parfait pour ce rôle mais il n’en reste pas moins parfaitement à sa place et ne mérite pas ces comparaisons peu flatteuses.
Voici donc une version qui est certes un peu glacée et qui manque du feu qu’on pouvait attendre sachant qu’il a été réalisé durant la période où la production mythique de Villégier tournait, mais qui permet tout de même une approche fidèle et de très bonne qualité. Et puis malgré tous les petits défauts, il reste le premier et restera pour longtemps le seul enregistrement d’Atys.
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Atys, Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes
- Atys, Guy de Mey ; Sangaride, Agnès Mellon ; Cybèle, Guillemette Laurens ; Doris, Françoise Semellaz ; Idas, Jacques Bona ; Célénus, Jean-François Gardell ; Sangar, Bernard Deletré ; Mélisse, Noémi Rime ; Le Sommeil, Gilles Ragon ; Morphée, Jean-Paul Fouchécourt ; Phobétor, Bernard Deletré ; Phantase, Michel Laplénie ; Un Songe Funeste, Stephan Maciejewski ; Trio, Isabelle Desrochers / Jean-Paul Fouchécourt / Véronique Gens ; Le Temps, Bernard Deletré ; Flore, Monique Zanetti ; Zéphirs, Jean-Paul Fouchécourt / Gilles Ragon ; Melpomène, Arlette Steyer ; Iris, Agnès Mellon
- Les Arts Florissants
- William Christie, Direction
- 3 CD Harmonia Mundi, HML 5901257.59. Enregistré au Studio 103 de la Maison de Radio-France, en janvier 1987.
Au mois de mars de cette même année, la télévision publique se déplace à Montpellier pour immortaliser la mise en scène de Jean-Marie Villégier et une distribution légèrement différente. Bien sûr cela n’a jamais été commercialisé et il faut se rabattre sur des enregistrements VHS numérisés pour voir cette production, mais c’est déjà un miracle de penser qu’en 1987 un opéra de Lully ait été capté pour une diffusion à la télévision alors que de nos jours des recréations sont totalement ignorées malgré des moyens de captation beaucoup plus légers qu’à l’époque. Et il faut aussi remercier grandement les téléspectateurs qui ont eu la grande idée d’enregistrer ce programme et de par la suite le partager sur Internet. Car même s’il faut se contenter parfois d’une image grise et sombre ou alors légèrement tremblotante, les bandes qui sont disponibles nous offrent une très belle vision de cette production.
Loin de la montagne phrygienne, Jean-Marie Villégier nous transporte dans le Château de Versailles, mais non pas au temps de son apogée, plutôt dans la deuxième moitié du règne de Louis XIV, alors que les plaisirs étaient passés pour rentrer dans la règle et le poids de la religion… et que l’affaire des poisons était encore fraiche dans les mémoires. Le décor tout en marbre et le mobilier d’argent donnent un aspect particulièrement austère et cérémonial à l’action. Bien sûr, chaque personnage est habillé avec beaucoup d’art et nous n’avons que des couleurs assez sombres avec seulement quelques touches de blanc et de beige. Le but ici n’est pas de détailler la mise en scène, mais il est tout de même fascinant de voir cette production imaginée autour d’Atys qui fonctionne parfaitement et aura été pendant longtemps un modèle d’intelligence et aura marqué des générations de spectateurs !
Mais trois mois après l’enregistrement en studio, quelle différence pourra-t-on trouver dans l’interprétation ? Un certain nombre ! Dès les premières notes de l’ouverture, on entend un orchestre beaucoup plus vif, nerveux et animé. Le geste de William Christie semble beaucoup plus dramatique et on entend l’orchestre qui gronde. Difficile de dire si c’est la fréquentation de la scène qui a permis cette évolution ou le studio qui avait bridé l’interprétation, mais toujours est-il qu’on découvre une profusion de détails ajoutés dans le continuo, un clavecin beaucoup plus volubile, des nuances plus marquées, des tempi plus acérés à bien des moments. Mais nous ne perdons pas la qualité de l’interprétation, la beauté de l’ensemble malgré le léger souffle de la prise de son et l’obligatoire éloignement des micros pour certaines choses. Si l’enregistrement studio semblait atteindre une certaine perfection plastique, nous avons ici une vie beaucoup plus marquée, un engagement bien plus manifeste. Et voici donc ce qu’ont entendus les spectateurs lors des représentations. On comprend alors pourquoi le studio a pu être accueilli fraichement à sa sortie si le public avait cette interprétation dans les oreilles. Les Arts Florissants sont ici à leur sommet et offrent une interprétation de très haute volée tant musicale que dramatique.
Dans la distribution, on retrouve les mêmes qualités à bien des artistes déjà présents dans le disque mais comme pour l’orchestre ils semblent beaucoup plus impliqués par l’effet du théâtre. Au nombre des changements, on notera le splendide Célénus de Nicolas Rivenq qui offre un roi jeune et noble, à la diction toujours aussi magnifique et à la prestance remarquable. Bernard Deletré marque encore plus son Sangar pour en faire un jouisseur impénitent plus qu’un grand dieu du fleuve. Mais même dans les grandes réussites du disque, on retrouve des interprétations plus intenses. Ainsi, Agnès Mellon trouve chez Sangaride un frémissement qu’elle n’avait pas en studio. Son chant est toujours aussi beau et captivant mais il y a en plus une fragilité humaine qui nous touche particulièrement dans son désespoir comme dans son amour. Guillemette Laurens aussi semble avoir encore creusé un personnage pourtant très bien construit. Les nuances se multiplient, les détails dans le chant donnent un sens à chaque moi et on ne peut rester insensible à la détresse de Cybèle qu’elle sait exprimer après la mort d’Atys. Elle était grande dans le studio, elle est ici terrassée par la douleur et le montre par de subtils moyens. Et puis un autre point extrêmement positif est bien sûr la présence d’Howard Crook en Atys. Le ténor semble être taillé pour ce rôle tant il allie la noblesse, la tendresse et la vaillance. Jamais forcé, il réussit à alterner les différents états d’âme du personnage avec beaucoup d’aisance et de force. Le timbre est en plus de toute beauté et il se dégage de ce chant à la fois robuste mais aussi particulièrement détaillé une noblesse magnifique. On est ici face à une interprétation assez parfaite, tout comme l’étaient celles d’Agnès Mellon en Sangaride mais aussi Guillemette Laurens en Cybèle.
Voilà … c’est cette version qui était admirée par de nombreux adorateur d’Atys et l’on comprend pourquoi. Malgré un confort d’écoute moindre, il y a une vie supérieure qui se dégage à la fois des Arts Florissants, mais aussi des chanteurs qui sont totalement imprégnés de leurs rôles qu’ils vivent en même temps sur scène.
Et voici un lien vidéo qui fonctionne au moment de la publication de cet {Atys} de 1987.
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Atys, Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes
- Mise en scène, Jean-Marie Villégier ; Costumes, Patrice Cauchetier ; Chorégraphie, Francine Lancelot
- Atys, Howard Crook ; Sangaride, Agnès Mellon ; Cybèle, Guillemette Laurens ; Doris, Françoise Semellaz ; Idas, Daniel Salas ; Célénus, Nicolas Rivenq ; Sangar, Bernard Deletré ; Mélisse, Noémi Rime ; Le Sommeil, Gilles Ragon ; Morphée, Jean-Paul Fouchécourt ; Phobétor, Bernard Deletré ; Phantase, Michel Laplénie ; Un Songe Funeste, Stephan Maciejewski ; Trio, Isabelle Desrochers / Jean-Paul Fouchécourt / Véronique Gens ; Le Temps, Bernard Deletré ; Flore, Monique Zanetti ; Zéphirs, Jean-Paul Fouchécourt / Gilles Ragon ; Melpomène, Brigitte Lafon ; Iris, Anne Crabbe-Pulcini
- Les Arts Florissants
- William Christie, Direction
- Enregistré à l’Opéra de Montpellier, le 10 mars 1987.
Voici qu’en 2009 un concurrent arrive. Après cette unique production dirigée par William Christie (disque studio et captation directe sont certes différentes mais les personnages et la conception de la direction restent assez proches), Hugo Reyne décide d’enregistrer sa version d’Atys. Bien sûr, il a fait partie de la recréation et il y a donc une sorte de filiation entre ces deux chefs. Pourtant, le rendu est assez différent. Là où William Christie créait une grande cérémonie en cohérence avec la mise en scène, Hugo Reyne cherche à alléger et simplifier l’ouvrage. Il cherche à lui enlever le surplus, à aller à l’essentiel et à donner une vision plus sobre de cette tragédie lyrique. En effet, dès que l’on entend la Symphonie du Marais, on découvre un orchestre certes moins coloré que les Arts Florissants, mais surtout une texture plus légère, évitant de doubler certains instruments, cherchant à faire ressortir les récitatifs avec un continuo très léger (souvent uniquement clavecin et viole de gambe). On est plus proche à certains moments de la pastorale avec une couleur plus champêtre dans les passages légers. De même, le Chœur du Marais se montre plus aérien et moins massifs. Les choix d’Hugo Reyne, comme indiqué dans le livret, ont pour but de rendre Lully à lui-même en supprimant les ajouts par rapport à la partition, en évitant de surcharger la ligne par des décorations certes d’époques mais qui pour lui alourdissent la ligne de chant. On obtient donc un enregistrement assez passionnant car il offre un tout autre point de vue pour l’orchestre et l’on peut goûter en plus aux textures un peu plus âpres de la Symphonie du Marais. L’ouvrage avait été donné en version de concert puis enregistré en studio. Nous avons donc une qualité parfaite de prise de son. Et puis il y a la conception des rôles aussi qui a évolué. Contraints si l’on peut dire par la mise en scène de Villégier, les personnages chez Christie retrouvent toujours ces mêmes caractères. Ici on tranche pour par exemple Sangar beaucoup plus noble et sombre que ce père bouffon présenté en 1987.
La distribution réunie par Hugo Reyne se veut neuve et jeune. En effet, que des chanteurs qui font leurs débuts et qui ne sont que peu connus ici… et surtout qui chantent à huit seulement pas moins de dix-huit rôles ! Il est intéressant d’entendre les différences de choix en termes de couleurs de voix pour certains rôles. On est séduit par le timbre plus noir par exemple d’Aimery Lefèvre qui offre un Célénus d’une grande stature, au verbe magnifiquement déclamé. De même, il est singulier d’entendre un Idas aussi sombre puisque Matthieu Heim chante non seulement le confident d’Atys, mais aussi Le Temps ou même Sangar avec cette même belle voix de basse ! Amaya Dominguez a sans conteste le caractère de la déesse Cybèle et si le timbre n’est pas forcément des plus beaux, elle sait donner vie au personnage avec un jeu sur le texte assez saisissant, la poussant presque vers la magicienne par moments en en faisant un peu trop. Mais il y a le vibrato qui vient troubler la fête. En effet, la mezzo n’arrive pas à dompter un vibrato qui gâche la ligne de chant dès qu’elle passe au-dessus du mezzo-forte et enlève encore une partie de cette noblesse que doit posséder Cybèle. Pourtant dans les passages doux, on est séduit par un chant superbe. La chanteuse connaît le style, mais sa voix semble plus la porter vers un autre répertoire là où tous les autres semblent chez eux chez Lully. Pour Sangaride, il semble qu’Hugo Reyne avait choisi Céline Scheen mais un problème de dernière minute l’a faite remplacer par Bénédicte Tauran. Il faut saluer le travail pour ce remplacement car Bénédicte Tauran est assez impressionnante d’implication et de style, sachant créer un personnage charismatique loin d’une unique victime. Il manque juste un timbre un petit peu plus clair. En effet, la voix assez corsée de la soprano ne tranche pas assez avec le mezzo de Cybèle et l’on a parfois quelques secondes de surprises à entendre la douce Sangaride s’exprimer avec autant de force et presque de violence. Enfin Atys est chanté avec beaucoup de douceur et de charme par Romain Champion. Si le léger manque de présence vocale fait de ce personnage une victime plus qu’un acteur, le chant est splendide et d’une délicatesse rare. Un petit peu emprunté au début, on découvre par la suite le ténor particulièrement à son aise et naturel pour la suite de l’ouvrage. Cet Atys est moins hautain, moins noble aussi, mais particulièrement touchant dans sa mort.
Au final, que dire de cet Atys ? Il est déjà passionnant car différent. Face à trois versions dirigées par William Christie et avec la conception de Jean-Marie Villégier, nous avons un autre Atys, plus sobre, mais aussi moins dramatique par contre. Mais la délicatesse de l’orchestre, la finesse des choix réalisés par Hugo Reyne font que l’on reste fasciné par la beauté de la musique et le naturel qui se dégage non seulement de l’orchestre mais aussi du texte exprimé avec beaucoup de soin mais sans manières par les chanteurs. Une belle distribution vocale qui manque peut-être juste un petit peu de charisme vocal par moments mais qui soigne son Lully. Voici donc un bel enregistrement qui ne remplace pas, mais vient compléter les versions plus connues et luxueuses.
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Atys, Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes
- Atys, Romain Champion ; Sangaride, Bénédicte Tauran ; Cybèle, Amaya Dominguez ; Doris, Maud Ryaux ; Idas, Matthieu Heim ; Célénus, Aimery Lefèvre ; Sangar, Matthieu Heim ; Mélisse, Maïlys de Villoutreys ; Le Sommeil, Romain Champion ; Morphée, Vincent Lièvre-Picard ; Phobétor, Matthieu Heim ; Phantase, Aimery Lefèvre ; Le Temps, Matthieu Heim ; Flore, Bénédicte Tauran ; Zéphir, Vincent Lièvre Picard ; Melpomène, Amaya Dominguez ; Iris, Maud Ryaux
- Le Chœur du Marais
- La Symphonie du Marais
- Hugo Reyne, Direction
- 3 CD Musique à la Chabotterie, 605008. Enregistré les 17 et 18 août 2009 au studio Akustika, Paris XIII.
On pensait ne jamais revoir cette production, mais grâce à la ténacité d’un riche mécène américain qui souhaitait pouvoir revoir cette mise en scène, voici qu’en 2011 l’Opéra-Comique et quelques autres scènes retrouvent les fastes de l’Atys de William Christie et Jean-Marie Villégier. La chose n’a pas été simple car il fallait se confronter à un souvenir mythique pour beaucoup et d’un point plus bassement matériel, refaire l’ensemble des décors et costumes ! Mais grâce à ce fameux mécène, voici qu’une autre génération pouvait découvrir les yeux émerveillés cette production partiellement renouvelée.
La vidéo de 1987 donnait bien sûr une idée de la mise en scène, de ses beautés et de son caractère sombre. Mais il fallait se battre contre le grain de la bande, contre le voile gris qui unifiait toutes les couleurs. Avec ce DVD nous avons tout le brillant et les détails de la mise en scène avec un prologue lumineux et brillant de milles couleurs alors que la tragédie elle se montre certes brillantes par les milles détails et les matières nobles employées pour les décors ou les costumes… mais aussi sombre et oppressante par cette étiquette qui contraint tout le monde, par ce monde clôt et écrasant qui rend les personnages comme prisonniers. On note quelques changements dans les choix de costume avec par exemple la perruque blanche de Cybèle qui disparait, laissant les cheveux au naturel noirs de Stéphanie d’Oustrac, mais sinon bien peu de changements et une grande fidélité à l’original. Mais surtout on bénéficie de tous ces gestes précis, de ces éclairages magnifiques, de ce jeu théâtral porté au plus haut par une direction d’acteurs bien sûr mais aussi par des chanteurs impliqués totalement dans ce qui devait être pour eux un rêve éveillé !
On retrouve bien sûr les Arts Florissants et William Christie dans la fosse d’orchestre ! Comment cela aurait-il pu en être autrement tant il avait marqué la recréation de l’ouvrage ? Dès l’ouverture, on découvre un orchestre somptueux, des couleurs magnifiques et un son qui s’est un peu élargi sans perdre de sa finesse… car le chef ne joue pas plus fort ou plus large, il a juste enrichi encore son orchestre par une présence accrue du clavecin, du luth et de nombreuses autres interventions orchestrales. Nous avons ici un Lully peut-être plus brillant et bavard, mais d’une beauté sans comparaison. La richesse du continuo est sidérante, toujours juste mais d’une virtuosité folle avec un accompagnement magnifique des récitatifs comme des airs. On atteint un degré de sophistication impressionnant mais qui n’empêche jamais l’orchestre de dire quelque chose. Ainsi on conserve la puissance évocatrice et le tranchant nécessaire à certains passages comme l’entrée des Songes Funestes. On comprend que William Christie s’est replongé dans la partition, a recherché ce qu’il pouvait améliorer, modifier, compléter… et il est aidé en cela par des musiciens qui répondent immédiatement à ses gestes. Les Arts Florissants sont un ensemble sidérant de réactivité et de beauté sonore, surtout quand ils accueillent en plus des solistes comme Thomas Dunford au théorbe en leur sein. De même pour le chœur toujours parfait avec lui aussi des solistes qui s’y intègrent parfaitement.
La distribution réunie en 2011 fait côtoyer passé, présent et future. Au futur la majorité des petits rôles issus du Jardin des Voix parmi lesquels Reinoud Van Mechelen par exemple en Zéphir, mais aussi Anna Reinhold en Melpomène par exemple ! Au passé le retour dans des rôles qu’ils avaient créés de Nicolas Rivenq et Bernard Deletré. Célénus semble toujours être aussi noble dans la voix si particulière de Nicolas Rivenq. Il est droit, fier… mais aussi particulièrement touchant dans le dernier acte. Bernard Deletré lui impressionne dans son entrée pour chanter Le Temps : la voix a conservé une belle assise et un beau charisme. Puis vient Sangar et là on entend toujours une voix, mais elle est parasitée par une interprétation encore plus gouailleuse qu’en 1987. Il en fait beaucoup trop et cela dépare avec le reste de la distribution. Pour les anciens, on notera aussi la présence de Paul Agnew en Sommeil et de Sophie Daneman en Doris. Les deux chanteurs font partie de l’ADN des Arts Florissants et tiennent parfaitement leurs rôles ici alors qu’ils sont sur la fin de leur carrière de chanteur (ou du moins que ce ne sera bientôt plus leur activité principale). Pour le présent, on notera Cyril Auvity qui joue les utilités en Morphée (là où il aurait pu chanter le rôle-titre) et Marc Mauillon en Idas légèrement ambigu. Mais surtout, on a un trio de tête assez magnifique. Il était difficile de reprendre Cybèle alors que Guillemette Laurens l’avait aussi fortement marqué. Pourtant, Stéphanie d’Oustrac se montre au même niveau d’excellence mais avec d’autres caractéristiques. La noblesse est bien présente, mais on sent aussi beaucoup plus d’humanité dans cette déesse qui module habilement la puissance et les couleurs pour jouer avec le texte. Et surtout c’est une déesse qui une fois seule montre toute sa fragilité comme lors du final de l’acte III où elle est tout simplement bluffante, passant de la supplique à la violence pour terminer les yeux baignés de larme tant elle est impliquée. Stéphanie d’Oustrac avait déjà montré de grands talents, mais cette Cybèle est saisissante d’intelligence et de puissance théâtrale (et il faut la voir sur scène aussi…). Face à elle, Emmanuelle de Negri compose une Sangaride magnifique. La chanteuse crée un personnage certes fragile, mais non pas transparent. Elle nous offre des moments de pure magie vocale, mais aussi un texte magnifiquement mis en lumière. S’élevant devant le destin, elle sait trouver des accents déchirants et réussit à exister face à des collègues qui brûlent les planches dans des rôles plus porteurs Et puis il y a le cas de Bernard Richter. C’est sans doute le seul qui est si peu habitué au répertoire baroque (presque tous les autres chanteurs sont passés par le Jardin des Voix ou au moins ont beaucoup travaillé ce répertoire avant), mais il semble avoir magnifiquement intégré style et grammaire ! C’est un Atys vaillant qui nous est offert avec une voix légèrement claironnante qui a quelques emportements dans les moments les plus dramatiques, mais qui sait aussi donner toute la poésie nécessaire dans le sommeil ou dans ses duos avec Sangaride. Et puis encore une fois, quelle diction, quelle style ! Réussir à se fondre ainsi dans un répertoire aussi particulier surtout entouré d’autant de spécialiste est un vrai miracle. Il nous donne donc un Atys magistrale et scéniquement fascinant.
Une version splendide donc non seulement pour la mise en scène bien sûr, mais aussi pour les choix musicaux réalisés par William Christie. Allant plus loin dans l’investissement, il donne une version d’une beauté rare mais aussi d’une grande intensité.
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Atys, Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes
- Mise en scène, Jean-Marie Villégier ; Mise en scène associée, Christophe Galland Costumes, Patrice Cauchetier ; Chorégraphie, Francine Lancelot / Béatrice Massin ; Décors, Carlo Tommasi ; Lumières, Patrick Méeüs ; Perruques, Daniel Blanc ; Maquillage, Suzanne Pisteur
- Atys, Bernard Richter ; Sangaride, Emmanuelle de Negri ; Cybèle, Stéphanie d’Oustrac ; Doris, Sophie Daneman ; Idas, Marc Mauillon ; Célénus, Nicolas Rivenq ; Sangar, Bernard Deletré ; Mélisse, Jaël Azzaretti ; Le Sommeil, Paul Agnew ; Morphée, Cyril Auvity ; Phobétor, Callum Thorpe ; Phantase, Benjamin Alunni ; Un Songe Funeste, Arnaud Richard ; Le Temps, Bernard Deletré ; Flore, Elodie Fonnard ; Zéphirs, Francisco Fernandez-Rueda / Reinoud Van Mechelen ; Melpomène, Anna Reinhold ; Iris, Rachel Redmond
- Les Arts Florissants
- William Christie, Direction
- 2 DVD Fra Musica. Enregistré à l’Opéra-Comique en mai 2011.
Alors voilà … nous avons donc quatre versions d'{Atys}… une n’est pas commerciale mais ne peut être laissée de côté tant elle est splendide. Trois fois William Christie dans des conceptions légèrement différentes et puis Hugo Reyne. Difficile de choisir. Peut-être que c’est la version studio de Christie qui sera la moins passionnante malgré ses qualités… après impossible de faire un choix entre Christie 1987 et 2011… et difficile de laisser de côté Reyne qui apporte une vision différente de l’ouvrage. Donc voilà , il faut se décider à ne pas choisir ici !
LULLY !
(En effet, Richter, c’était vraiment pour choisir une grande voix, que Christie n’avait pas sous la main… et la façon dont il s’est coulé dans le style impressionne.)
Oui LULLY! (j’ai résisté tout l’article pour ne pas l’écrire en majuscule… là je peux me lâcher!)