Gounod, le Faust nouveau est arrivé!

Avec Carmen, Faust est sans nul doute l’un des opéras français les plus connus. Tous deux ont été créés avec des dialogues parlés, puis ont été modifiés au cours des représentations ainsi que lors des reprises dans d’autres salles que celles de leurs créations. Ainsi, des récitatifs ont été composés, des passages coupés… ou des passages ajoutés pour Faust. Il est donc extrêmement difficile actuellement de retrouver la forme originale de l’ouvrage tel qu’il a été créé en 1859. Bien sûr l’on connaît quelques aspects comme les dialogues ou des scènes qui furent coupées par la suite, mais il nous manque tout de même de la matière pour être sûr de retrouver l’état d’origine. C’est donc plutôt un autre Faust qui a été présenté au Théâtre des Champs-Élysées avec une partition et un style sans doute plus proche de l’original mais sans être certain de sa totale authenticité. Il serait encore plus difficile de réussir à retrouver l’œuvre telle que Charles Gounod l’avait pensée tant les coupures ont été nombreuses avant même la première… et nombre de ces passages ont été perdus depuis, comme la scène de folie de Marguerite qui ouvrait le dernier acte. Mais nous avons ici un ouvrage nouveau, ou du moins différent et il est particulièrement intéressant de voir des musicologues se pencher enfin sur les partitions connues de Gounod.

Le programme du Palazzetto Bru Zane annonçait donc un Faust original… mais au final, l’on comprend vite qu’il est très difficile de retrouver cette forme. La perte de partitions, le manque d’informations fiables, les distorsions de la tradition, les contradictions entre différentes sources… tout cela fait que l’objet qui a été présenté est vraiment une version qui peut être discutée sans perdre de son intérêt. Elle repose avant tout sur le retour à des dialogues parlés, souvent accompagnés de musique. On retrouve aussi des passages coupés comme le trio Faust/Wagner/Siebel ou le duo entre Marguerite et son frère. On peut ajouter à cela les passages régulièrement coupés tels que la scène de la chambre de Marguerite ou encore la scène de Walpurgis (avec son chœur d’introduction et de conclusion). Et puis l’on a l’air original de Valentin à la place du chœur des soldats, ainsi qu’une scène de l’église légèrement différente (des répliques de Méphistophélès sont chantées par le chœur et l’on ajoute quelques répliques), de même qu’un final différent où apparaissent des cloches solennelle pour marquer l’élévation de Marguerite. Des passages « nouveaux », beaucoup avaient déjà été enregistrés par Michel Plasson (dans sa version chantée par Cheryl Studer, Richard Leech et José van Dam) ou par Carlo Rizzi (avec Cecilia Gasdia, Jerry Hadley et Samuel Ramey) et il n’y a au final que l’air de Valentin qui est totalement inédit. Mais l’on retrouve ces passages dans leur cadre et donc cela nous montre la cohésion cherchée par Gounod dans sa construction de l’ouvrage. On découvre des personnages plus complexes ou différents par la façon dont le texte est écrit ou par ces ajouts de passages chantés. Tout cela est passionnant !

Les deux Marguerites de Faust (1869), par Valentin Achille Lemot (1847-1909).
Caricature de Caroline Félix-Miolan-Carvalho (1827-1895) etChristine Nilsson (1843-1921)
Publié dans “Le monde pour rire” N° 54.

Mais c’est avant tout les dialogues parlés qui changent l’approche de la partition. En effet, le fait d’avoir ces moments non chantés fait gagner en épaisseur les personnages voir même les change. Ainsi, Dame Marthe est la grande gagnante ici avec de grands dialogues qui montrent ce que la version traditionnelle semble uniquement suggérer : le côté comique de la dame. Truculente et pleine de contradictions, elle anime l’intrigue de belle manière là où elle ne sert qu’à participer à un beau quatuor dans la version habituelle. De même, Méphistophélès gagne en humour dans cette version. Loin du grand diable qui fait trembler, il est vraiment ici pour s’amuser des humains, non pas pour les terroriser mais bien pour jouer avec eux. Les dialogues rajoutent dans la répartie du personnage. Seuls les personnages sérieux restent donc dans la même optique. On peut noter une plus grande partie pour Siebel bien sûr, mais surtout pour Wagner (et l’apparition d’un mendiant lors de la kermesse) qui perd son côté totalement épisodique avec le trio du premier acte. On aura d’ailleurs la confirmation de sa mort lors du retour de Valentin alors que dans la version traditionnelle il disparaît totalement de l’histoire après la kermesse.

Les Talens Lyriques et Christophe Rousset

Mais il y a aussi l’approche dans la réalisation qui fait évoluer la perception de l’ouvrage. Déjà, le fait de jouer sur instruments d’époques donne une sonorité différente. Les équilibres changent, les textures se complexifient et l’on a une partition plus contrastée. Avec Les Talens Lyriques, Christophe Rousset nous offre une lecture très vive mais aussi profonde. Ainsi les passages qui peuvent rapidement être défigurés par une grande lourdeur, comme la kermesse, sont menés avec une grande énergie alors qu’au contraire, le duo du jardin s’alanguit de belle manière. Le seul souci à l’orchestre est l’équilibre entre les percussions et le reste de l’orchestre. Peut-être est-ce le manque d’habitude de jouer sur des instruments aussi modernes mais les cordes se retrouvent régulièrement écrasées par les percussions de même que les chanteurs. Mais Christophe Rousset anime parfaitement la partition et soigne l’ouvrage et y insufflant de l’énergie, enlevant tout côté pompier qui peut parfois arriver. Dès l’ouverture nous avons une couleur différente et pas seulement par les instruments et les tempi, mais aussi sur le travail d’équilibre entre les pupitres. Saluons aussi la magnifique prestation du chœur de la Radio Flamande. La diction est magnifique bien sûr, et l’on entend chacune des nuances, chacune des voix… et l’on ne sacrifie en rien sur la puissance à certains moments comme lors du retour des soldats et de la scène de Walpurgis.

Jean-Sébastien Bou (Valentin)

Dans le double rôle du Mendiant et de Wagner, Anas Séguin montre un vrai caractère et le fait de distribuer le rôle à un baryton donne une vision beaucoup plus légère et jeune du personnage. Si l’on rajoute à cela le trio du premier acte qui donne plus d’épaisseur au personnage, voici une belle découverte pour ce chanteur charismatique qui manque juste d’un peu de projection pour s’affirmer. Son ami Valentin est campé par Jean-Sébastien Bou qui est un habitué de l’opéra-comique. Lui qui a triomphé dans Fantasio ou Mârouf se trouve parfaitement dans son élément ici. La facilité avec laquelle il donne vie aux dialogues parlés ainsi que l’aisance qu’il a pour composer un personnage plutôt simple à la base est saisissant. Le chant est puissant mais jamais en force, la diction est un modèle du genre et il sait parfaitement faire vivre le texte qu’il soit chanté ou parlé. Là où il aurait peut-être été un peu léger pour Valentin dans sa version traditionnelle, ici il offre toute une palette de nuances très bienvenue et son air du troisième acte lui permet de briller (même si la partition n’est pas particulièrement saisissante).

Ingrid Perruche (Dame Marthe)

Du côté féminin, c’est un petit peu le même cas. Juliette Mars est un Siebel de belle facture, mais qui manque un peu de puissance et d’aisance dans les dialogues parlés. Mais elle campe un jeune homme plein de grâce tout au long de l’ouvrage. L’on notera le très bel air alternatif qui est ici donné lors de la scène de la chambre… rarement entendu il est ici enfin donné dans une version complète de l’ouvrage. Par contre, face à elle se dresse le personnage haut en couleur de la Dame Marthe d’Ingrid Perruche ! Si elle n’a finalement pas plus à chanter que dans le cas traditionnel, elle a par contre beaucoup plus d’importance dans le dialogue parlé. Et elle sait parfaitement offrir toutes les outrances du personnage, à la fois dame patronnesse mais aussi prête à se marier avec le diable. Les dialogues sont parfaitement dits et vécus, alors que la partie chantée est sonore et plus légère qu’à l’habitude où l’on donne le rôle à une mezzo-soprano. Mais son grand moment reste le dialogue avec Méphistophélès. Elle a beaucoup de réparti et sait faire face au grandiose personnage créé par son confrère.

Andrew Foster-Williams (Méphistophélès)

En effet, Andrew Foster-Williams est un diable particulièrement impressionnant ! Non pas dans le sens où il domine tout le monde, mais justement parce qu’il joue la comédie, parce qu’il joue sur le texte et évite les grands effets pour de nombreuses petites touches d’humour ou d’ironie. Seul non francophone de la distribution, la basse se montre très sensible sur le sens du texte et aussi les sous-entendus qu’il cache. Loin du diable noir et charbonneux, il est au contraire le diable qui sort de sa boîte pour faire une farce. La voix n’a pas ce bronze de certains, mais elle dévoile de nombreuses couleurs et sait se faire comique comme particulièrement sonore et sombre. Et à ce titre, retrouver l’air de Maître Scarabée à la place du Veau d’Or est parfaitement logique tant le chanteur est à l’aise dans cet passage par la verve qu’il y met. La diction est assez bonne, en particulier dans le chant. Les dialogues le mettent plus en difficulté pour rendre totalement le texte compréhensible, mais il y met tellement de nuances et de vie, qu’il est finalement celui, avec Ingrid Perruche, qui donne le plus de relief au dialogues. Ce Méphistophélès est loin des habitudes mais se rapproche finalement plus du diable qui est à l’origine de l’ouvrage. Car n’oublions pas que ce n’est pas directement le Faust de Goethe qui est ici adapté, mais plutôt un adaptation de celui-ci par Michel Carré pour un drame fantastique intitulé Faust et Marguerite. C’est donc une vision beaucoup plus comique et légère. Et ici, Andrew Foster-Williams fait diablement mouche !

Véronique Gens (Marguerite)

Dans le rôle de Marguerite, Véronique Gens est assez inédite. Elle a avoué n’avoir jamais imaginé chanter un jour ce rôle… et c’est uniquement suite à la proposition de Christophe Rousset qu’elle a accepté. Ensuite, sa voix est actuellement plutôt dramatique par rapport au standard. Bien sûr, la créatrice du rôle Caroline Miolan-Carvalho était loin d’avoir ce drame dans la voix, elle qui était avant tout une chanteuse à roulade. Mais Gounod semble-t-il poussait les théâtres de province à engager non pas une chanteuse légère, mais bien un soprano de grand opéra. C’est ici la justification pour avoir proposé le rôle à Véronique Gens. Et après tout, pourquoi pas ! La chanteuse relève ici un très beau défit et malgré un stress évident elle offre un très beau portrait de la jeune fille. Si le timbre interpelle au début, on s’habitue et même cela convient parfaitement aux deux derniers actes. La tension dans les aigus est manifeste à certains moments (à d’autres, elle opte pour une ligne moins haute) mais l’on profite par contre d’un chant splendide et d’une grande intelligence musicale. À ce propos, son air des bijoux est un vrai petit miracle tant elle en offre une vision différente. Loin de la diva, la chanteuse nous donne une leçon de nuances et d’intelligence malgré la tension que lui provoque le fait de chanter cet air si connu. Par la suite, l’air de la chambre ou la scène de l’église sont des passages où elle est parfaitement à son aise, avant un trio final au lyrisme splendide. Le défi est parfaitement relevé et l’on entend une jeune fille magnifique. Reste un texte parlé qui manque peut-être un peu de vie, mais le personnage est superbe.

Benjamin Bernheim (Faust)

Enfin, dans le rôle titre, Benjamin Bernheim montre un style français assez étonnant. Le jeune ténor semble voir sa carrière décoller depuis quelques mois et il démontre ici tout son talent dans le rôle de Faust. La voix est superbe et d’une très belle projection, la diction parfaite et l’aisance stylistique impressionnante. Il chante avec beaucoup de facilité et n’hésite pas à alléger beaucoup à certains moments pour vraiment rendre toute la délicatesse du rôle. Ainsi, le contre-ut de sa cavatine sera émise en voix de tête légèrement soutenue du plus bel effet. Le seul reproche que l’on peut lui faire vient des dialogues parlés où il semble totalement absent. Si le chant est splendide et rayonne, la texte lui reste en retrait et manque de vie. Mais ce souci est vraiment compensé par un chant d’excellente facture qui nous donne un docteur parfait d’un bout à l’autre de son chant. Il surpasse les difficultés sans aucun problème, assurant les couplets bachiques par exemple avec insolence. Une plus grande implication aurait donné un Faust parfait. Mais le rendu est tout de même fort bon !

Si l’on pouvait espérer quelques surprises de plus dans cette reconstitution, il n’en est pas moins que le rendu de ce Faust est passionnant. On peut se rendre compte de toute la différence entre ce qui est traditionnellement donné actuellement et ce que devait être l’ouvrage au tout début de sa vie lyrique. La troupe rassemblée ici est de très haute tenue et l’on admire les choix dans la distribution qui donne vraiment une couleur particulière à l’opéra. Heureusement, un enregistrement doit avoir lieu et sera publié dans les mois qui viennent, fixant ainsi dans le confort du studio ce superbe travail sur la partition la plus connue de Charles Gounod.

  • Paris
  • Théâtre des Champs-Élysées
  • 14 juin 2018
  • Charles Gounod (1818-1893), Faust (version de 1859), opéra en quatre actes
  • Version de concert
  • Faust, Benjamin Bernheim ; Marguerite, Véronique Gens ; Siebel, Juliette Mars ; Dame Marthe, Ingrid Perruche ; Méphistophélès, Andrew Foster-Williams ; Valentin, Jean-Sébastien Bou ; Wagner / un mendiant, Anas Séguin
  • Chœur de la Radio Flamande
  • Les Talens Lyriques
  • Christophe Rousset, direction

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