Exploration discographique d’Hippolyte et Aricie de Rameau de 1950 à 1996…

Alors qu’il est déjà un compositeur reconnu en France, Jean-Philippe Rameau se lance à cinquante ans dans un nouveau défi : conquérir la scène de l’Académie Royale de Musique ! En effet, malgré un catalogue d’œuvres important déjà en 1733, il n’avait encore jamais écrit d’opéra. Il se lance donc dans le registre noble avec une tragédie lyrique qui reprend la structure lullyste : cinq actes, un prologue, une alternance de drame et de divertissements… mais il apporte aussi une composition bien différente par rapport à son illustre prédécesseur. Il faut dire qu’Armide, la dernière tragédie du surintendant de la musique de Louis XIV, avait été créée en 1686, soit cinquante-cinq ans auparavant. Des compositeurs ont fait évoluer le modèle parmi lesquels Charpentier ou Campra bien sûr, mais il y a aussi le public dont les goûts ont changé. Ce sera donc une adaptation de la tragédie Phèdre de Racine qui sera adaptée par l’abbé Simon-Joseph Pellegrin qui collaborera souvent par la suite avec le musicien. Bien sûr on ne retrouvera pas la fusion parfaite entre Lully et Quinault, mais le résultat sera souvent magnifique musicalement au moins !

Hippolyte et Aricie a été créé le 1er octobre 1733 à l’Académie Royale de Musique mais le compositeur en avait réservé la primeur à son protecteur Alexandre Le Riche de La Pouplinière quelques mois auparavant. On peut donc supposer que le compositeur avait déjà retravaillé sa partition lors de la création, comme il le fera pour les reprises suivantes mais aussi sur presque toutes ses œuvres dramatiques. L’histoire a été souvent adaptée pour l’opéra et notamment dans la splendide Phèdre de Lemoyne (1786) récemment dévoilée par György Vashegyi et la Palazetto Bru Zane. Nous retrouvons donc les relations tumultueuse entre deux couples : Hippolyte aime Aricie mais Phèdre voudrait que cette dernière soit consacrée à Diane car elle est jalouse de l’amour que lui porte Hippolyte. Ce dernier n’est autre que le fils de Thésée, marié à Phèdre. Lorsque Thésée descend aux Enfers pour essayer de sauver son ami cher Pirithoüs, Phèdre le croit mort et en déduit qu’elle peut avouer son amour à son beau-fils. Mais celui-ci est terrorisé par cette réponse et lorsque Thésée revient il découvre sa femme et son fils en courroux. Œnone, suivante de Phèdre, ment à Thésée en lui révélant qu’Hippolyte aurait voulu porter atteinte à l’honneur de sa femme. Le Roi veut donc tuer son fils. Les deux jeunes amoureux se réfugient dans un lieu solitaire mais la colère du roi est plus forte et une tempête amène un monstre marin qui englouti Hippolyte. Apprenant cela, Phèdre avoue son crime au roi qui aura donc perdu son fils à cause d’un mensonge. Mais Neptune vient lui révéler qu’Hippolyte et Aricie ont été sauvés par Diane et vivront maintenant loin de lui pour le punir de son manque de foi envers son fils.

Les actes sont variés et montrent de nombreuses situations différentes. Rameau compose une partition particulièrement riche alternant des moments d’une grande tendresse à la violence des tempêtes. On notera bien sûr la modernité de l’écriture dans le fameux trio des Parques du deuxième acte. Il n’en oublie pas de composer des divertissements rayonnants avec des ariettes particulièrement virtuoses et splendides, mais aussi des grands moments dramatiques portés par Phèdre et Thésée. Car si le couple qui subit le drame est principalement Hippolyte et Aricie, ils restent assez ternes et l’on tremble plus pour le drame intérieur de Phèdre qui comprend finalement son crime, ou pour Thésée qui se retrouve trahi par sa propre chaire. On retiendra ainsi les superbes airs de Phèdre qui restent des sommets d’expressivité. C’est une partition donc qui permet au chef comme aux chanteurs de donner toute la mesure de leurs talents tant par les qualités musicales que dramatiques au moins pour Phèdre et Thésée.

La discographie de cette tragédie est plutôt nombreuse si l’on compare à d’autres ouvrages du même Rameau. Il y a deux DVD récents (qui ne rentreront pas ici dans la comparaison) dirigés par Emmanuelle Haïm et William Christie, mais aussi six versions plus ou moins complètes et officielles ainsi qu’un disque d’extraits. Un enregistrement n’a jamais été reporté en CD et est donc difficilement trouvable : Jean-Claude Malgoire en 1978 proposait la première version historiquement informée. Mais il y a aussi deux témoignages historiques publiés par des labels spécialisés dans ces bandes plus ou moins officielles. Le premier date de 1966 et rassemble Beverly Sills et Placido Domingo dans le couple de jeunes héros. Le second est beaucoup plus important historiquement puisqu’il s’agit du témoignage des représentations d’Aix-en-Provence en 1983 dirigées par Sir John Eliot Gardiner avec entre autre Jessye Norman en Phèdre et José van Dam en Thésée. Il restera donc pour ce comparatifs les enregistrements « officiels » qui sont accessibles à l’écoute : des extraits de 1950 dirigés par Roger Desormière, la première intégrale en studio de 1966 de Anthony Lewis… et bien sûr les versions de Marc Minkowski et de William Christie gravées dans les années quatre-vingt-dix…

Le premier enregistrement date de 1950… mais est-ce vraiment Hippolyte et Aricie de Rameau ? En effet à cette époque il semblait assez impossible de jouer du baroque sans réécrire une partie au moins de la partition. Ainsi, c’est Vincent d’Indy qui reprit cette tragédie lyrique pour en faire une édition jouable pour l’époque. Nous n’avons qu’une vision assez réduite puisqu’il n’y a que des extraits des actes III à V sur environ quarante-cinq minutes. Le style n’est donc pas vraiment du Rameau, mais se rapproche plus dans les moments légers vers une pastorale d’opéra-comique, les bois particulièrement mis en avant dans certaines danses alors que les cordes proposent de grands aplats. On reconnaît la trame principale de la partition de Rameau mais comme adoucie et enrobée d’un léger vernis romantique. Et pourtant la direction de Roger Desormière est plutôt vive par rapport à ce qui se faisait à l’époque dans ce répertoire. Il donne beaucoup de vie et d’énergie à une partition qui reste un peu trop uniforme sinon. Pour les chanteurs, nous n’avons ici que quatre personnages : Aricie, Hippolyte, Phèdre et la Chasseresse. Les quatre chanteurs réunis ici se montrent d’un beau style noble et offrent une diction parfaite. Mais c’est surtout Geneviève Moizan qui impressionne par la qualité de son chant et son style. Car si elle n’a pas tout à fait un style baroque, elle possède par contre cette prestance de tragédienne qui est nécessaire à Phèdre. Quelques années plus tard et un chef plus baroque aurait sans fait d’elle une grande tragédienne baroque ! Ces premiers extraits nous montrent avant tout de l’idée que l’on se faisait de cette musique durant la première moitié du XXème siècle.

  • Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Hippolyte et Aricie, Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes
  • Extraits
  • Aricie, Claudine Verneuil ; Hippolyte, Raymond Amade ; Phèdre, Geneviève Moizan ; Une Matelote / Une Chasseresse, Flore Wend
  • ChÅ“ur et Orchestre Symphonique
  • Roger Desormière, Direction
  • 1 33 tours, Editions de l’Oiseau-Lyre, numérisé et mis à disposition par la Bibliothèque Nationale de France. Enregistré en 1950 à Paris.

Seize ans plus tard, c’est au Royaume-Uni que nous devons le premier enregistrement qu’on pourra dire complet de cet Hippolyte et Aricie. Alors bien sûr il y a des coupures avec entre autres le prologue qui est purement et simplement supprimé. En 1966 nous sommes loin de la recherche d’interprétation historique qui sera la norme par la suite, mais cet enregistrement reste tout de même à connaître. On l’a dit, la partition est coupée, mais plus que ça, elle a été encore légèrement adaptée avec par exemple le trio des Parques qui se trouve renforcé par un chœur. Mais surtout, c’est la pâte orchestrale qui perturbe ici. Peut-être encore plus que chez Desormière on est frappé par l’épaisseur de l’orchestre qui sonne plus mozartien que ramiste par certains moments. Les cordes sont très larges et mises en avant en oubliant souvent les détails qu’elles doivent montrer ou les autres instruments qui offrent des contre-chants. Si Anthony Lewis réussit à tenir l’auditeur en haleine, c’est avant tout par sa construction dramatique, les coupures et la distribution qu’il a réuni. Car il nous manque beaucoup de l’ouvrage de Rameau pour être totalement satisfait. Et puis il reste des choix assez étranges à nos oreilles dont le plus important est cette habitude de faire des variations vers le haut, toujours les mêmes, pour chacun des chanteurs comme si il était obligatoire de montrer que l’on peut monter. Le chant baroque actuel est totalement différent dans ce domaine et même si des variations sont effectuées parfois, elles sont beaucoup plus construite et ne se résument pas à juste une note montée sur une phrase.

On l’a dit, un des intérêts vient de la distribution. Entière anglophone, elle est déjà digne d’éloges pour la qualité du français. Presque tous les chanteurs sont parfaitement intelligibles et semblent savoir ce qu’ils chantent, ce qui est déjà un exploit. Certes les petits rôles ont un accent plus marqués, tout comme le chœur, mais ce ne sont que des détails. Ces petits rôles justement tiennent parfaitement leur place, sans éblouir mais sans non plus être indignes. Et étant donné que les coupures resserrent l’histoire autour des quatre héros, on a peu de moments où l’on entend sur de longues durées ces chanteurs. Le couple amoureux réunit Angela Hickey et Robert Tear. Si la première est assez inconnue, elle tient bien son rôle malgré une voix un peu trop sombre qui ne la différencie pas assez de sa rivale Phèdre. Pour Hippolyte, Robert Tear se montre impressionnant d’aisance dans une tessiture si élevée. Le ténor est connu pour les rôles de caractère où il excelle. Mais tout comme Michel Sénéchal avec qui il partageait ce répertoire, la tessiture de haute-contre semble lui convenir. Son Hippolyte est très beau et le timbre est à l’époque magnifique. Face à ces deux amoureux, le Thésée de John Shirley-Quirk est encore au-dessus. Sa prestance et la noblesse de son chant en font un roi malheureux parfait. Il se coule avec aisance non seulement dans la tessiture, mais aussi dans le style. Le chant est parfaitement sobre mais en aucun cas plat, toujours vivant et plein de sentiments. Enfin, il faut saluer la grandeur de Dame Janet Baker qui montre elle aussi une très belle adéquation avec Rameau pour une Phèdre tragique. On sait que la chanteuse était particulièrement à l’aise dans ce répertoire des grandes tragédiennes, mais elle l’a plus exploré chez Haendel, Gluck ou Mozart que dans le baroque français. Ici chez Rameau, on entend certes quelques petits accros dans le style, mais on entend surtout une femme déchirée, tourmentée par la puissance de ses sentiments.

Alors certes cet enregistrement ne peut pas être considéré comme une référence (elles viendront par la suite!), mais il est intéressant d’entendre un témoignage là encore de ce qu’on faisait de cette musique au milieu des années soixante. Quelle courageuse idée d’enregistrer un tel ouvrage en réunissant une si belle distribution ! On peut rien que pour ça saluer le travail d’Anthony Lewis et lui pardonner quelques choix peu habiles !

  • Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Hippolyte et Aricie, Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes
  • Aricie, Angela Hickey ; Hippolyte, Robert Tear ; Phèdre, Janet Baker ; Thésée, John Shirley-Quirk, Diane, Ray Woodland ; Pluton, Roger Stalman ; Neptune, Christopher Keyte ; Å’none, Patricia Blans ; Mercure, Nigel Rogers ; Arcas, Edgar Fleet ; Tisiphone, Gerald English ; Parques, John Withworth / Keith Erwen / John Noble ; La Grande Prêtresse, Sylvia Rhys-Thomas ; Une Prêtresse, Jill Gomez
  • St. Anthony Singers
  • English Chamber Orchestra
  • Anthony Lewis, Direction
  • 2 CD DECCA Eloquence. Enregistré en 1965.

On fait maintenant un bond de près de trente ans dans l’histoire pour arriver à 1994 et l’enregistrement dirigé par Marc Minkowski. Si la version Malgoire aurait pu nous montrer l’évolution, elle n’est malheureusement pas disponible à l’écoute. Le chef Marc Minkowski était en 1983 dans la fausse d’orchestre (il jouait du basson) sous la direction de William Christie pour la résurrection d’Atys, premier coup d’éclat de la renaissance baroque française. Après avoir fondé son ensemble Les Musiciens du Louvre, Minkowski a beaucoup dirigé Rameau et le dirige encore de manière épisodique. Et à chaque fois il y a comme une évidence tant le chef sait faire danser cette musique, lui donner vie et caractère pour en exhaler toute sa fraîcheur. Tout au long de l’ouvrage, il mène de main de maître le drame comme les divertissements, sachant apporter son expérience au service de Rameau. Son orchestre lui répond bien sûr immédiatement et si les Musiciens du Louvre ne sont pas forcément très prodigues en couleurs, ils offrent par contre un jeu particulièrement dynamique. Et l’apport du direct n’est sans doute pas pour rien dans la qualité de cette interprétation orchestrale qui bouscule un peu la partition dans le bon sens du terme.

Comme souvent quand on regarde de près un enregistrement de cette époque, on découvre dans les petits rôles de futurs grands. Ainsi, parmi les Parques nous avons Jérôme Varnier et Loiseleur des Longchamps (qui continue à œuvrer pour faire renaître des partitions tombées dans l’oubli), les trois dieux sont chantés par Laurent Naouri, trois petits rôles virtuoses sont données à Annick Massis… Rien que ces exemples montrent la richesse de la distribution. Mais pourtant… Laurent Naouri manque un peu de poids pour camper les trois dieux Jupiter, Pluton et Neptune. La voix est certes autoritaire mais le grave manque un peu d’assise. De même Annick Massis est parfaite vocalement mais il lui manque à elle un peu de la jeunesse et de la folie qui devrait vivre chez l’Amour, une Bergère ou encore une Mattelote. Tous chantent parfaitement il faut encore le redire, mais on reste légèrement sur sa faim quand on a entendu d’autres artistes dans ces rôles. Mais tout de même, c’est faire la fine bouche tant l’ensemble des rôles secondaires est de qualité. De même que le chœur qui se montre parfaitement intelligible.

En ce qui concerne les rôles principaux, ils sont fort bien tenus, à quelques réserves près pour certains. Ainsi, Véronique Gens est une Aricie très noble et aristocratique, chaque mot est pensé et chanté avec un goût parfait. Mais il nous manque par moments un petit peu de fragilité, de jeunesse. Car si le chant et l’interprétation sont idéaux, la voix elle est un peu trop sombre et mûre pour cette princesse qu’on suppose très jeune. Au contraire, Jean-Paul Fouchécourt lui est un Hippolyte presque trop jeune et trop fragile. La voix est superbe et le chanteur est un maître en matière de style. Mais le jeune prince doit aussi pouvoir montrer sa vaillance à certains moments et nous entendons surtout un jeune homme écrasé par la puissance de son père. Justement, Russell Smythe est un Thésée magnifique et d’une noblesse qui ne peut être remise en cause. Son personnage est finement créé avec beaucoup de nuances et un grand sens du texte. Il lui manquerait peut-être juste une petite fêlure à certains moments pour que l’on soit totalement convaincu. Enfin, Bernarda Fink se montre une Phèdre impressionnante de style et de conviction. Le rôle est particulièrement porteur, mais elle sait y apporter tout son art. La chanteuse n’a que très peu abordé ce répertoire et pourtant elle semble en être une spécialiste au même titre que les autres chanteurs. Elle trace un portrait puissant de la reine amoureuse et ne tombe jamais dans une violence facile et gratuite.

Malgré les quelques légères réserves, nous avons ici une version majeure de l’ouvrage, considérée par beaucoup comme la version de référence. J’avoue préférer la dernière qui sera détaillée par la suite. Peut-être les critiques ici formulées sont avant tout des approches différentes des personnages entre Minkowski et Christie. Mais on ne peut nier la qualité du travail et la puissance dramatique qui se dégage de cette lecture, enregistrée sur le vif à l’Opéra Royal de Versailles tout de même !

  • Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Hippolyte et Aricie, Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes
  • Aricie, Véronique Gens ; Hippolyte, Jean-Paul Fouchécourt ; Phèdre, Bernarda Fink ; Thésée, Russell Smythe ; Diane, Thérèse Feighan ; L’Amour / Une Bergère / Une Matelote, Annick Massis ; Pluton / Neptune / Jupiter, Laurent Naouri ; Å’none, Florence Katz ; Mercure / Arcas, Jean-Louis Georgel ; Tisiphone, Luc Coadou ; Parques, Jean-Louis Meunier / Jacques-François Loiseleur des Longchamps / Jérôme Varnier ; La Grande-Prêtresse, Monique Simon ; Un Suivant de l’Amour, Stephan van Dyck ; Une Prêtresse, Kiyoko Okada ; Une Chasseresse, Meredith Hall
  • Ensemble Vocal Sagittarius
  • Les Musiciens du Louvre
  • Marc Minkowski, Direction
  • 3 CD Archiv Production, 477 9393. Enregistré en direct à l’Opéra Royal de Versailles, en juin 1994

Enfin c’est en 1996 que William Christie grave une version pour Erato en studio. Le chef dirige bien sûr son ensemble Les Arts Florissants. Chef et orchestre sont toujours un gage de qualité pour ce répertoire (tout comme l’étaient Minkowski et les Musiciens du Louvre!). Et en effet dès les premières notes on est frappé par la beauté des pupitres et la qualité de l’orchestre. Durant toute la partition, William Christie montre tout son talent pour mettre en avant les détails de l’orchestre et pour donner toutes les couleurs à ce chef d’œuvre de Rameau. Que ce soit les délicates danses ou le tréfonds des enfers, il sait trouver la couleur nécessaire, creuser l’orchestre pour mettre en avant la beauté de la composition avec des instruments splendides. De même on reste frappé par la justesse et la beauté du chœur, totalement compréhensible d’un bout à l’autre.

Peut-être plus encore que chez Marc Minkowski, la qualité des petits rôles est particulièrement marquante ! François Piolino est une Tisiphone glaçante et dérangeante, Yann Beuron se montre comme toujours royal dans les petits rôles de Mercure et Arcas, Mireille Delunsch est splendide pour la Grande Prêtresse et surtout la Chasseresse (quel impact !), Paul Agnew nous propose un suivant de l’Amour d’une délicatesse sans rival, les trois dieux disposent de la voix de basse puissante de Nathan Berg, Patricia Petibon offre toute sa fraicheur pour deux petits rôles et enfin Gaëlle Mechaly est un Amour frais et piquant ! Alors bien sûr, quelques noms ne sont pas parmi les plus connus… mais ce sont tous tout de même des chanteurs ayant par la suite chantés des premiers rôles sur des grandes scènes dans le baroque au moins !

Lorraine Hunt en 1996 dans le rôle de Phèdre au Palais Garnier sous la direction de William Christie

Pour le quatuor de tête, c’est sans doute Anna-Maria Panzarella qui est la moins connue mais son Aricie est tout de même un petit miracle de finesse et de jeunesse. Le style est bien sûr totalement intégré et la diction est superbe. Mais il y a en plus dans ce timbre une fraicheur et une certaine candeur qui conviennent parfaitement à la jeune femme amoureuse. Martyre ou amante elle dose parfaitement les effets. Mark Padmore n’est pas en reste dans le rôle d’Hippolyte. Il possède la douceur de l’amoureux comme l’héroïsme du prince, lui encore donnant une leçon de diction et de chant. Mais ce sont sans doute les deux derniers personnages qui frappent le plus. Laurent Naouri est passé en deux ans des trois dieux à Thésée et il faut avouer que c’est sans doute une très bonne chose tant le rôle semble être taillé pour lui. La tessiture lui convient parfaitement, à la fois à l’aise dans les aigus comme dans les graves, avec une voix noire, ferme et noble qui ne masque pas totalement le drame de cet homme qui perd tout. Sa prestation est remarquable et assez parfaite ! Lorraine Hunt est ici Phèdre, après avoir été Médée pour Christie deux ans auparavant. Si sa magicienne était un peu sur-interprétée par moments, sacrifiant diction et style à la caractérisation du personnage, il n’en est rien ici où elle trouve parfaitement le juste milieu entre jouer et chanter. Sa Phèdre est toute de colère rentrée, on sent toute la frustration qui l’habite et au lieu de l’exprimer par des cris, ce sont les mots qui claquent. C’est une caractérisation magistrale pour un timbre qui a déjà sa part d’ombre et auquel il n’est donc pas besoin d’ajouter de violence pour rendre cette reine à la fois détestable mais aussi touchante.

Une version donc assez idéale par la beauté du chant et de l’orchestre, ainsi que le soin apporté par tous pour faire chanter et vivre la musique de Rameau.

  • Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Hippolyte et Aricie, Tragédie lyrique en un prologue et cinq actes
  • Aricie, Anna-Maria Panzarella ; Hippolyte, Mark Padmore ; Phèdre, Lorraine Hunt ; Thésée, Laurent Naouri ; Diane, Eirian James ; L’Amour / Une Matelote, Gaëlle Mechaly ; Pluton / Neptune / Jupiter, Nathan Berg ; Un Amour, Paul Agnew ; Une Prêtresse / Une Bergère, Patricia Petibon ; La Grande Prêtresse / Une Chasseresse, Mireille Delunsch ; Å’none, Katalin Kàrolyi ; Arcas / Mercure, Yann Beuron ; Tisiphone, François Piolino ; Parques, Christopher Josey / Matthieu Lécroart / Bertrand Bontoux ; Un Chasseur, David Le Monnier
  • Les Arts Florissants
  • William Christie, Direction
  • 3 CD Erato, 2564 66305-2. Enregistré Salle Wagram à Paris, du 6 au 13 octobre 1996

À l’origine, je pensais faire uniquement un comparatif des deux versions Minkowski et Christie… mais voilà, des choses moins avouables et plus anciennes ont été découvertes et écoutées… Alors même si les deux versions anciennes ont un intérêt documentaire (voir plus pour Lewis), c’est bien sûr entre Minkowski et Christie que tout se joue. On l’aura deviné par rapport aux paragraphes ci-dessus, c’est vers Christie que se porte ma préférence pour la beauté naturelle de l’ensemble et un choix vocal qui me semble assez imbattable. Après elle n’a pas l’urgence que donne Marc Minkowski à la partition, nous sommes plus dans une lecture hédoniste et splendide même si le théâtre est bien apporté par les chanteurs. S’il ne fallait en choisir qu’une seule ce serait donc celle de William Christie, mais peut-être que la solution est de ne pas choisir et d’écouter les deux ! Après tout, une œuvre telle qu’Hippolyte et Aricie mérite bien des écoutes différentes !

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