Callas en direct – 3/5, 1953-1954 : Medea, Alceste et La Vestale

Voici une facette assez rarement donnée de Maria Callas : son implication dans le répertoire classique. Bien sûr, on la connaît pour sa remise sur le devant de la scène du bel-canto, son implication pour donner ce répertoire dans des conditions les plus conformes à l’époque de la création. C’est elle qui sera la base permettant au couple Bonynge et Sutherland de révéler toutes ces partitions de Bellini ou Donizetti par exemple. Ici, nous aurons Cherubini, Gluck et Spontini. Dans deux cas, des ouvrages écrits pour l’Opéra de Paris et traduits en italien… et un troisième qui sera par la suite adapté pour la capitale dans le cadre de la tragédie lyrique telles qu’elle se donnait en cette fin de royauté en France. Après le répertoire romantique en diable de la précédente partie, voici donc un changement total de répertoire qui demande avant tout de la déclamation et une personnalité de tragédienne. Cette période chroniquée est aussi le moment où le physique de la chanteuse se métamorphose : d’une Médée déjà gracieuse mais encore un peu forte, voici une Julia de La Vestale fragile et fine. Période de mutation donc pour la chanteuse mais pour nous ce sont surtout des rôles qui étrangement ne marqueront pas sa carrière dans l’histoire alors que l’un d’eux au moins était très important pour elle. Ce rapport au drame par contre est totalement en accord avec sa volonté de pouvoir montrer aussi sur scène des personnages le plus crédibles possible.

Les autres parties de ce coffret sont commentés ici :

Le rôle de Médée reste marqué par Maria Callas et elle-même aura été marquée dans le sens où c’est l’un des rôles qu’elle portera très tardivement dans sa carrière. Elle aimait tant ce rôle et sa composante dramatique, qu’elle aura fini par jouer ce personnage au cinéma pour Pasolini. Sur scène, elle s’identifiait à cette magicienne terrassée par la traîtrise. L’ouvrage de Cherubini était à l’origine en français avec de grandes tirades parlées. La version ici présentée est en italien et avec des récitatifs… mais l’on conserve la musique du compositeur. Et surtout le portrait de Médée. Déjà mis en musique (par Marc-Antoine Charpentier bien sûr!), la légende prenait vie et se devait de pouvoir affronter des adversaires sur scènes. Callas trouvera son Giasone en la personne de Jon Vickers en 1958, à tel point qu’avant d’accepter une nouvelle production, elle demandait au préalable à Vickers s’il était libre pour chanter avec elle.

Il est donc étrange que Warner ait décidé de présenter une soirée si tôt dans sa fréquentation du rôle. Ce n’est que la quatrième fois qu’elle chante le rôle, la prise de son est un peu frustre… et l’entourage n’est pas totalement à la hauteur de Maria Callas. La Glauce de Maria Luisa Nache est certes assez souple mais elle manque de cette jeunesse brillante qui doit trancher et montrer son innocence. De même pour le Créon de Giuseppe Modesti qui n’a pas un grand charisme. Le Gisaone de Gino Penno a un beau sens de la nuance mais reste un peu terne. Et enfin, Fedora Barbieri a certes une belle présence mais la voix semble bien lourde et peu gracieuse avec des effets poussés.

Restent deux artistes… Leonard Bernstein bien sûr qui apporte une grande vie à l’orchestre qui rugit et se déploie. La sonorité n’est pas trop large mais plutôt pleine d’énergie et de tension. Et puis bien sûr Maria Callas… Elle est ici sidérante de passion et d’incarnation. D’un bout à l’autre de sa prestation elle se donne sans compter, osant les effets expressifs les plus exaltants sans pour autant verser dans le vérisme. On sent la déclamatrice à l’œuvre même si le texte n’est pas en français. L’organe est d’une arrogance folle encore à cette époque et c’est peut-être la raison du choix de cette représentation. En effet, les représentations de 1962 le trouvent beaucoup mieux entourée (Vickers, Simionato et Ghiaurov!) mais avec une voix déjà usée. Le personnage est toujours aussi saisissant mais sans cette possibilité de varier les dynamiques comme elle le fait en 1953. Medea est bien un de ses rôles les plus importants et la cantatrice est majestueuse. Un grand témoignage de l’art de Maria Callas. Dommage qu’elle n’ait pas eu droit à un entourage plus vaillant et musicien… ainsi que d’une version française.

  • Luigi Cherubini (1760-1842), Medea, Opéra-comique en trois actes
  • Medea, Maria Callas ; Neris, Fedora Barbieri ; Glauce, Maria Luisa Nache ; Giasone, Gino Penno ; Creonte, Giuseppe Modesti ; Creonte, Giuseppe Modesti ; Prima ancella, Angela Vercelli ; Seconda ancella, Maria Amadini ; Capo delle guardie, Enrico Campi
  • ChÅ“ur du Théâtre de La Scala de Milan
  • Orchestre du Théâtre de La Scala de Milan
  • Leonard Bernstein, direction
  • 2 CD Warner Classics, 0190295844608. Enregistré en direct à La Scala de Milan, le 10 décembre 1953.

Après une Medea finalement importante, on se demande bien ce qu’apporte cet Alceste. Non pas que la prestation de Maria Callas soit mauvaise, mais déjà, la qualité de l’enregistrement est assez affreuse. Dès que l’on dépasse le mezzo-forte, la saturation devient plus que pénible. On en vient à souffrir tant le chœur est inaudible, noyé sous la saturation mais aussi par le souffle très fort qui pose souci. Le document est donc plus que précaire. À cela s’ajoute le fait que si dans Cherubini le personnage convient parfaitement à notre cantatrice grec par son tempérament et sa vaillance, ici l’on découvre une chanteuse qui force un peu le trait pour jouer cette femme éplorée. Rien de mauvais, mais si certains enregistrements de très mauvaise qualité sont compensés par la prestation magistrale et grandiose de Maria Callas, rien ici n’est historique dans l’interprétation.

Et l’entourage n’est pas non plus de nature à justifier la parution de cette intégrale. Là encore les chanteurs ne sont pas indignes mais jamais vraiment passionnants que ce soit par le style ou la cohérence stylistique. De même, Giulini se montre très romantique et manque grandement de drame pour sa direction.

Au final, voici sans doute pour le moment l’enregistrement le moins digne d’être présent dans ce coffret. Et il fait encore plus regretter l’absence de certaines captations comme le Ballo in Maschera historique qui réunissait Giuseppe Di Stefano, Ettore Bastianini et Gianandrea Gavazzeni.

  • Christoph Willibald Gluck (1714-1787), Alceste, Drame lyrique en trois actes
  • Alceste, Maria Callas ; Admeto, Renato Gavarini ; Il Sommo Sacertote, Paolo Silveri ; Apollo, Rolando Panerai ; Tanato, Silvio Maionica ; Evandro, Giuseppe Zampieri ; L’Araldo, Enrico Campi ; La voce dell’Oracolo, Nicola Zaccaria
  • ChÅ“ur du Théâtre de La Scala de Milan
  • Orchestre du Théâtre de La Scala de Milan
  • Carlo Maria Giulini, direction
  • 2 CD Warner Classics, 0190295844554. Enregistré en direct à La Scala de Milan, le 4 avril 1954.

Comme pour Alceste, cette Vestale est déjà très grandement handicapée par la prise de son et peut-être même encore plus que le précédent. En effet, on en vient par moment à ne pas reconnaître la voix de Maria Callas pour cet ouvrage où elle joue le rôle principal, surtout vu les coupures réalisées. Saturations, distorsions, changement de niveau… difficile de pouvoir écouter ce document tant la technique de captation est défaillante. Et l’on se demande là encore pourquoi Warner a décidé de proposer cet enregistrement. Que l’on montre que Maria Callas a chanté aussi du répertoire classique avec un ou deux opéras, bien sûr… mais l’on a eu Alceste, l’on aura Iphigénie en Tauride… peut-être qu’au moins l’un des deux opéras ici présentés auraient pu être évités pour le confort de l’auditeur… et particulièrement Alceste qui n’apporte pas beaucoup à la carrière de la chanteuse.

La Vestale est un opéra français de l’époque de Napoléon, où il fallait revoir le répertoire en donnant un parallèle avec l’Empereur en place. Et l’on retrouve un peu l’histoire de Norma mais sans la jeune Adalgisa. Au contraire, c’est la Grande Prêtresse qui sera l’autre voix féminine de cet opéra. Bien sûr, à l’époque il était impensable de proposer cet ouvrage dans sa version originale à Milan et c’est donc une traduction italienne. Les coupures et ce changement de langue fait que l’on peine à reconnaître le style du classique finissant à Paris. Nous sommes plus ici dans un répertoire purement lyrique surtout vu la distribution proposée.

On retrouve quelques grands noms mais aussi de petits qui tiennent plutôt bien leur partie. Forcément, pour la Saint-Ambroise à Milan, il fallait frapper un grand coup et donc l’entourage de la diva est au niveau. Nicola Rossi-Lemeni bien sûr avec sa belle voix de basse… mais surtout Franco Corelli dans le rôle de l’amoureux. Il chante plus ici Verdi que Spontini tant sa verve est flamboyante… mais le timbre et l’engagement du chanteur font que l’on accepte cette façon de chanter. On retrouve aussi Ebe Stignani qui chante le rôle de la Grande Prêtresse, un personnage qui se coule beaucoup mieux dans sa voix mature que la jeune Adalgisa en 1952. L’autorité de la sa prestation offre un beau contraste avec la flamme de la jeune Julia. Et puis la direction d’Antonino Votto est pleine de fougue qui tranche avec la romantisation extrême de certaines partitions classique de l’époque.

Et puis bien sûr Maria Callas qui trouve ici un rôle qui lui offre la possibilité de donner toute l’étendue de son talent dramatique. Contrairement à Médée qui se montre monstrueuse, c’est ici tout le doute de la jeune vestale qui est traduit, toute la violence de ses émotions contraires. La voix est glorieuse et particulièrement dramatique pour nous offrir une Julia déchirée et qui frappe par sa générosité.

On regrettera que la prise de son soit si mauvaise, mais aussi que ce soit une traduction italienne qui nous est donnée. Nul doute que Maria Callas aurait été encore plus majestueuse dans la version originale… un peu comme pour la Médée de Cherubini qu’elle aurait dû chanter à Paris avant d’annuler pour être remplacée par Rita Gorr…

  • Gaspare Spontini (1774-1851), La Vestale, Tragédie-lyrique en trois actes
  • Giulia, Maria Callas ; La Gran Vestale, Ebe Stignani ; Licinio, Franco Corelli ; Cinna, Enro Sordello ; Il Sommo Sacerdote, Nicola Rossi-Lemeni ; Un console, Vittorio Tatozzi ; Il capo degli aruspici, Nicola Zaccaria
  • ChÅ“ur du Théâtre de La Scala de Milan
  • Orchestre du Théâtre de La Scala de Milan
  • Antonino Votto, direction
  • 2 CD Warner Classics, 0190295844523. Enregistré en direct à La Scala de Milan, le 7 décembre 1954.

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