Maître Pierre, dernier projet inachevé de Gounod en attente de révélation

Edmund Blair Leighton, Abélard et son élève Héloïse (1882)

Quand il n’y en a plus… il y en a encore pourrait-on dire! Ou presque. Alors que je ne pensais pas pouvoir écrire quoi que ce soit sur un ouvrage inachevé de Gounod, voici qu’une généreuse bonne fée m’a fait parvenir un scan de la partition autographe de Maître Pierre! Alors si certaines partitions manuscrites étaient complexes à lire suite aux diverses coupures notées, celle-ci l’est encore plus étant donné son état! Un acte qui n’est composé que partiellement, des numéros complets mais avec quelques trous… et une partition non pas d’un seul tenant mais en plusieurs feuillets parfois pas dans le bon ordre il semblerait. Il faut donc écouter la version existante en jonglant avec cette partition mais aussi la description qu’en fait Gérard Condé dans son ouvrage consacré à Charles Gounod. Cette exploration d’un enregistrement et d’une œuvre jamais terminée est assez passionnante et montre aussi toutes les limites de l’enregistrement qui ne rend pas justice à la partition. Mais il a déjà le mérite d’exister et permet de découvrir des pages souvent superbes avec un sujet assez original et finalement assez peu théâtral : l’histoire d’Héloïse et Abélard! Continuer…

L’ultime partition de Charles Gounod : le Requiem en Ut majeur.

Il a souvent été dit que le Requiem en Ut majeur de Charles Gounod a été son premier et dernier requiem au milieu de toutes les messes qu’il a composées. Mais il n’en est rien. En 1842 déjà, il présentait un premier Requiem en Ré mineur à Vienne. Puis il commence à en écrire un en 1856 sans le terminer. Le 8 février 1873 est créée la Messe pour les morts qui est en partie un requiem aussi… Puis viendra la première partie de Mors et Vita bien sûr. Et enfin le fameux Requiem en Ut majeur qui est sans doute le plus connu. Légende ou réalité, Henri Büsser nous raconte que Gounod le joua et le chanta avec sa fille pour lui quelques heures avant une attaque cérébrale qui lui sera fatale trois jours plus tard. Composé en mémoire de l’un de ses petits-fils, ce Requiem était particulièrement important pour Charles Gounod. Il le fait mûrir durant de nombreuses années avant d’en terminer l’instrumentation en 1893 alors qu’il avait été commencé sûrement en 1889 sous le coup de la mort de son petit-fils. Nous sommes quatre ans après Mors et Vita, alors que le compositeur d’opéra s’est retiré depuis maintenant huit ans et qu’il consacre ses dernières années à des compositions plus religieuses. Continuer…

Mors et Vita, deuxième grand oratorio de Charles Gounod

Dès la composition de La Rédemption, Gounod avait prévu une deuxième partie. Cette deuxième partie sera donc Mors et Vita. Composé a priori entre l’été 1882 et le printemps 1884, l’oratorio est finalisé à l’automne suite à la commande pour une création à Birmingham en août 1885. Mais l’idée devait être beaucoup plus ancienne que ces années 1880… Déjà Georgina Weldon s’arroge une partie de l’idée de la troisième partie… mais sans que cela ne soit confirmé vraiment. Donc peut-être des idées en 1873. Mais encore avant, en 1865 il écrivait à sa femme au sujet de cette “dissolution” avant le renaissance pour la vie éternelle. Oratorio en trois parties comme La Rédemption, la partition n’en est pas moins très différente comme nous pourrons le voir par la suite. Elle commence par un grand Requiem (la mort), puis s’ensuivent deux parties plus courtes : le jugement et enfin la vie dans la Jérusalem Céleste. La création le 26 août 1885 à Birmingham fut un très beau succès et la partition eut les honneurs d’être reprise à Bruxelles le 30 janvier 1886, puis à Londres le 26 février de la même année suite à la volonté de la Reine Victoria de faire entendre cet oratorio dans sa capitale. Enfin, le 2 mai, c’est Paris qui pouvait entendre cette nouvelle trilogie sacrée. Continuer…

La Rédemption, premier grand oratorio de Gounod laissé dans l’oubli.

À l’automne 1868, alors qu’il n’avait que peu écrit depuis le succès de Roméo et Juliette, Gounod pense à composer un oratorio sur Sainte-Cécile. Il se rend alors à Rome pour essayer d’y trouver l’inspiration. Mais malgré sa visite à l’église Santa Cecilia, l’inspiration ne vient pas et à le début du mois de janvier 1869, il abandonne le projet alors qu’une tout autre jaillit dans son esprit : toujours un oratorio, mais oubliant la sainte patronne des musiciens, il imagine un projet autour de La Rédemption. On connaît la religiosité de Gounod et l’on ne s’étonne pas que ce sujet puisse lui faire venir de nombreuses idées tant musicales que sur le texte qu’il décide d’écrire lui-même. Il débute la composition le 9 janvier et le 13 voici qu’un grand morceau est déjà écrit sur un calepin. Le 6 février, tout le livret est écrit. Puis, le retour à Paris l’oblige à passer à d’autres sujets comme les répétitions de Faust pour son entrée à l’Opéra. Viennent ensuite d’autres projets d’opéra, l’exil en Angleterre… et il faudra attendre 1880 pour qu’il se remette à la tâche alors que Le Tribut de Zamora ne rencontre pas le succès qu’il espérait. La composition se fait rapidement, pouvant enfin écrire “une œuvre toute selon mon cœur” (lettre à sa femme du 19 janvier 1869). Au printemps 1881, l’ouvrage est achevé, relu et corrigé en septembre 1881. La Rédemption sera créée le 30 août 1882 à Birmingham dans une traduction anglaise avec 400 choristes et un orchestre de 140 musiciens. La création aura été un grand succès et l’œuvre sera d’ailleurs reprise régulièrement en Angleterre. Le 22 avril, Bruxelles peut l’entendre… et l’oratorio sera créé le 3 avril 1884 au Trocadéro alors que l’Opéra ainsi que l’Opéra-Comique réclamaient cette création. Continuer…

Le Tribut de Zamora, ultime opéra de Gounod.

Le dernier opéra de Charles Gounod est Le Tribut de Zamora. Alors que Polyeucte est en cours de répétition en cet été 1878, le directeur de l’Opéra de Paris de l’époque lui propose ce livret d’Adolphe d’Ennery écrit en collaboration avec Jules-Henri Brésil. Il semble qu’il avait déjà été proposé auparavant à Verdi qui l’avait refusé. Dès la première lecture, Gounod peut comprendre pourquoi et il s’en plaint d’ailleurs à ses anciens librettistes : la qualité des vers n’est pas forcément au rendez-vous et le compositeur devra retravailler le livret un certain temps avant de pouvoir commencer sa composition. L’opéra doit être joué en fin d’année 1879, mais Gounod demande finalement un nouveau délai et l’ouvrage sera finalement créé le 1er avril 1881 sur la scène du Palais Garnier. Si les premières représentations furent assez réussies, l’œuvre ne resta pas très longtemps à l’affiche avec seulement 47 représentations en 1881, puis trois autres en 1885 afin que la 50e soit atteinte et permette donc aux auteurs de toucher une prime. Aucune reprise par la suite et en dehors d’un air de Xaïma enregistré par Joan Sutherland dans son disque French Romantic Arias, difficile de se faire une idée de la partition. Et la lecture de retours était plutôt mauvaise. Mais en janvier 2018, le Palazzetto Bru Zane enregistre enfin cet ultime opéra de Gounod pour que chacun puisse se faire une idée. Continuer…

Polyeucte, l’opéra d’une vie pour Gounod mais malheureusement un échec public.

Voici donc le fameux Polyeucte dont nous avons déjà parlé dans l’article précédent consacré à Cinq-Mars. La composition ayant été antérieure mais la création postérieure, il y avait forcément à dire aussi sur cet opéra chrétien qui tenait tant à cœur à notre Charles Gounod. L’idée lui serait venue durant l’hiver 1868-1869 à Rome. Si son ami Charles Gay aurait vu Gounod en extase mystique dans une église se relevant soudain et criant “Ah! mon Dieu, oui, je sens que vous le voulez! J’obéirai. Votre nom sera glorifié sur la scène comme il doit l’être en tous lieux”, on peut imaginer qu’il a légèrement enjolivé la situation, le compositeur (toujours selon Charles Gay) en expliquant même qu’il a eu une vision de la partition. Si tel était le cas, cela voulait dire que tout était déjà fait et prêt dans son esprit. La suite de la composition montrera bien qu’il n’en était rien. Il ne faut pas oublier que Gay était un évêque français et a peut-être un petit peu trop brodé sur les paroles de son ami. La composition sera difficile, subissant de nombreux retards… et l’ouvrage sera finalement proposé au public en 1878 seulement, sur la scène du nouvel Opéra Garnier. Malheureusement pour le compositeur, le public ne sera pas réceptif à son ouvrage qui ne restera que 29 soirs à l’affiche. Continuer…

Cinq-Mars, un grand succès de Gounod malheureusement tombé dans l’oubli

Comme souvent après une grande période créative, Charles Gounod doit se reposer après la création de Roméo et Juliette en 1867. Pour se faire, il quitte Paris et part s’installer à Rome où sa ferveur religieuse le fait travailler sur un projet d’opéra chrétien : Polyeucte. Cette composition va l’occuper dans les années qui suivent mais en 1870 la guerre le fait quitter la France pour aller se réfugier en Angleterre où il terminera Polyeucte. Quatre ans après le début de son exil, il retourne en France. Certes il n’avait pas chômé entre temps avec de nombreuses compositions comme les musiques de scène pour Les Deux Reines de France de Legouvé, ou Jeanne d’Arc de Barbier. À son retour en 1874, des soucis d’ordre judiciaire l’empêchent sûrement de chercher une salle pour la création de Polyeucte (ou alors l’incendie de la Lepelletier en 1873 empêche la création à l’Opéra de Paris) et il ne compose pas de musique dramatique. En 1876, Léon Carvalho reprend la direction de l’Opéra-Comique et demande à Gounod un opéra pour sa première saison. Il n’y a donc que peu de temps pour travailler et étonnamment, il va composer son Cinq-Mars en cinquante-neuf jours seulement! Lui qui d’habitude prenait beaucoup de temps pour faire son métier de compositeur dramatique semble avoir été particulièrement inspiré ici car malgré le délai très court, la partition regorge de merveilles et d’inventivité. Même si l’ouvrage a été composé après Polyeucte, il sera créé le 5 avril 1877 alors que Polyeucte sera créé l’année suivante. Continuer…

Mireille de Gounod : Difficile carrière d’une provençale à Paris.

Après le relatif échec de La Reine de Saba en début d’année 1862, Gounod se tourne vers un sujet qui n’est pas du tout comparable, mais qui ne risque pas de s’attirer les bonnes grâces du public. Il découvre en effet durant l’hiver 1862-1863 le poème Mirèio de Frédéric Mistral et lui demande immédiatement s’ il peut en tirer un opéra. La réponse sera positive et Gounod ira s’installer à Saint-Rémy-de-Provence pour s’imprégner de la Provence et être juste à côté du père de Mireille avec qui il échange très régulièrement durant des longues promenades dans divers lieux. Si pour Sapho quelques petits moments musicaux pouvaient faire penser à la méditerranée, ici il va noter des mélodies entendues, des impressions sur les lieux… tout cela pour essayer de les transcrire dans sa musique, non pas seulement “faire” couleur local mais bien mettre des touches mélodiques et des rythmes qui nous plongent dans cette histoire tragique. On peut bien se douter que le parisien qui avait lu le poème et celui qui devait aller découvrir l’opéra de Gounod n’étaient pas les mêmes et surtout n’avaient pas les mêmes attentes. Alors que triomphait à Paris La Belle Hélène d’Offenbach, que Paris était le centre du monde… Proposer une intrigue si éloignée et de plus tragique n’était pas une garantie de succès. Et en effet, le succès ne fut pas au rendez-vous. Continuer…

Premier Grand-Opéra pour Gounod avec La Reine de Saba et échec cuisant.

Durant l’automne 1860, encore tout auréolé de ses récents succès, Charles Gounod se plonge dans une nouvelle composition : La Reine de Saba. Basé sur un extrait de la traduction par Gérard de Nerval des 1001 Nuits, le sujet semblait parfaitement calibré pour l’Opéra de Paris. Pourtant à l’origine il devait être créé au Théâtre Lyrique. Mais ce sera finalement à l’Opéra de Paris le 28 février 1862 que l’œuvre prit vie… malheureusement seulement pour quinze représentations. Depuis, cet opéra a vu quelques retours sur scènes (très rares) et surtout reste parmi les partitions du compositeur les moins appréciées dans la littérature qui lui est consacrée. La version de concert de Marseille en 2019 avait donné lieu à un article ici-même où un historique de la création avait été fait. Il ne sera donc pas nécessaire de refaire le même travail. Grâce à une analyse très fouillée de Gérard Condé dans son livre consacré à Charles Gounod, on mettra en avant les fameux motifs récurrents de la partition et surtout il faut reparler de la beauté de cette partition certes inégale mais foisonnante et fascinante. Et le but principal de cet article : un retour et une comparaison des trois versions officiellement disponibles de cet opéra. Continuer…

Philémon et Baucis, délicate fable lyrique mais au succès mesuré pour Gounod.

Après les succès de Faust et du Médecin Malgré Lui, le directeur du Théâtre-Lyrique souhaitait continuer à miser sur le compositeur français populaire qu’était devenu Charles Gounod. Léon Carvalho lui demande donc un nouvel opéra. Mais voilà, en 1859 notre compositeur est déjà occupé à répondre à une commande pour le théâtre du Casino de Bade : Philémon et Baucis (adapté d’une fable de La Fontaine) devait y être créé avec dans le rôle titre Caroline Miolan-Carvalho, la propre femme du directeur du théâtre parisien. Après un arrangement, le projet est donc récupéré par le Théâtre-Lyrique et Gounod composera pour Bade La Colombe en dédommagement. Bien sûr il fallait pour ce faire adapter la pièce en l’agrémentant d’un acte central avec chœur comme il sera créé en 1860, avant de retrouver la scène en 1876 dans sa version en deux originelle. Malheureusement pour Léon Carvalho, le succès attendu ne sera pas au rendez-vous et l’ouvrage ne restera que pour treize représentations sur scène lors de la création. Continuer…