Polyeucte, l’opéra d’une vie pour Gounod mais malheureusement un échec public.

Voici donc le fameux Polyeucte dont nous avons déjà parlé dans l’article précédent consacré à Cinq-Mars. La composition ayant été antérieure mais la création postérieure, il y avait forcément à dire aussi sur cet opéra chrétien qui tenait tant à cœur à notre Charles Gounod. L’idée lui serait venue durant l’hiver 1868-1869 à Rome. Si son ami Charles Gay aurait vu Gounod en extase mystique dans une église se relevant soudain et criant “Ah! mon Dieu, oui, je sens que vous le voulez! J’obéirai. Votre nom sera glorifié sur la scène comme il doit l’être en tous lieux”, on peut imaginer qu’il a légèrement enjolivé la situation, le compositeur (toujours selon Charles Gay) en expliquant même qu’il a eu une vision de la partition. Si tel était le cas, cela voulait dire que tout était déjà fait et prêt dans son esprit. La suite de la composition montrera bien qu’il n’en était rien. Il ne faut pas oublier que Gay était un évêque français et a peut-être un petit peu trop brodé sur les paroles de son ami. La composition sera difficile, subissant de nombreux retards… et l’ouvrage sera finalement proposé au public en 1878 seulement, sur la scène du nouvel Opéra Garnier. Malheureusement pour le compositeur, le public ne sera pas réceptif à son ouvrage qui ne restera que 29 soirs à l’affiche.

L’histoire reprend dans les grandes lignes la tragédie de Corneille tout en s’en éloignant pour montrer ce qui n’est que raconté dans la tragédie et qui fait normalement de bonnes scènes d’opéra. La partition s’ouvre sur un chœur de femmes parmi lesquelles se trouve Pauline, fille du gouverneur romain d’Arménie, Félix. Un songe funeste lui fait craindre pour la vie de son époux Polyeucte, descendant des rois d’Arménie. L’arrivée de ce dernier ne fait rien pour la rassurer puisqu’il lui avoue toute sa compassion pour les chrétiens persécutés sur ordre de Rome. L’arrivée de Sévère (général envoyé de Rome) n’est pas pour le rassurer alors que cette arrivée trouble Pauline. Elle avoue à Polyeucte qu’elle était auparavant promise au romain avant qu’il ne soit cru mort. Mais Polyeucte, presque détaché, lui affirme qu’il n’est aucunement troublé et lui offre toute sa confiance. Après le triomphe de Sévère, ce dernier découvre que celle qu’il aime toujours est mariée et semble fidèle à son mari. Le deuxième acte s’ouvre sur un chœur provenant d’une fête en l’honneur de Sévère, mais ce dernier est toujours abasourdi par la perte de Pauline qu’il espérait pouvoir épouser. Cette dernière arrive pour aller prier Vesta et face à Sévère, lui indique qu’il n’a aucun espoir à avoir : elle aime Polyeucte et lui sera fidèle. Mais avant de se séparer, elle supplie le romain de protéger son mari en cas de malheur. Grande âme, Sévère accepte. Après une barcarolle qui ouvre le deuxième tableau du deuxième acte, les chrétiens arrivent non loin du lieu où est célébrée l’arrivée de Sévère. Après une prière, Polyeucte arrive pour se faire baptiser, sous les yeux de Sévère qui les observe au loin. Extatique, ce dernier semble illuminé par sa foi. Le troisième acte s’ouvre sur un échange entre les grands d’Arménie : sont réunis Polyeucte, Félix (le gouverneur), Albin (le grand prêtre) et Sévère. Albin annonce que de nombreux chrétiens se sont rassemblés la nuit dernière et qu’ils doivent être punis. Sévère cherche à les dissuader, ne comprenant pas la raison de cette haine et annonçant même que parmi les croyants, des nobles arméniens se trouvaient. Félix reste inflexible et Albin annonce aller demander à l’oracle la conduite à tenir. Restés seuls, Polyeucte remercie Sévère pour l’avoir protégé alors que ce dernier ne comprend pas sa préférence pour la religion alors qu’il est aimé de Pauline. Néarque arrive et Polyeucte le pousse à un coup d’éclat face à la foule rassemblée devant le temple. Le tableau suivant montre toute la foule attendant que l’oracle soit rendu. Un grand divertissement est proposé puis Albin sort du temple : les dieux ont parlé, les chrétiens doivent être châtiés. Polyeucte et Néarque sortent alors de la foule et bravent les dieux en renversant leurs statues. Sans la protection de Sévère et Pauline, la foule aurait tué Polyeucte alors qu’Albin a déjà frappé à mort Néarque. Le quatrième acte s’ouvre sur Polyeucte en pleine méditation en prison (les fameuses Stances!). Pauline arrive pour l’enjoindre à renier sa foi pour qu’il soit sauvé mais ferme, Polyeucte refuse. Sévère arrive ensuite pour l’aider à s’échapper mais un centurion annonce la sentence et Polyeucte se réjouit de mourir en martyre. Le premier tableau du cinquième acte nous montre la foule haineuse attendant la mise à mort de Polyeucte alors que ce dernier chante un credo. Pauline arrive sur ces faits et se déclare chrétienne afin de suivre son époux dans la mort. Malgré les suppliques de Sévère, Félix refuse de faire grâce à sa fille et son gendre. Les deux époux reprennent le credo ensemble alors que le deuxième tableau les montre dans l’arène, prêts à être mis à mort face à la foule réclamant leur mort.

Georgina Weldon en 1884.

Même s’il avait prévu d’aller composer à Rome, Gounod restera finalement en France et c’est chez des amis à Morainville qu’il s’installe à la mi-juillet 1869 alors que ses acolytes de toujours Barber et Carré se font une joie de travailler sur le livret en adaptant la tragédie de Corneille (et en conservant de celle-ci quelques vers!). Quinze jours de création font bien avancer son ouvrage, mais après son départ fin juillet, Gounod perd l’inspiration, allant travailler sur d’autres ouvrages pendant quelques mois avant de s’y atteler de nouveau en allant s’installer chez sa belle-sœur près de Rouen pour l’automne. Tous ces tracas et ce stress pour avancer dans son opéra font qu’il fait une crise d’angoisse fin décembre l’empêchant de rentrer à Paris pour Noël. Le désespoir le tient : “Je me débats contre le vide; je crois faire quelque chose de passable, et puis, quand je relis, je trouve cela détestable…” ou encore “Ah! ma chère amie! Je me croyais quelque chose! Je ne voulais pas être petit, et je suis misérable; je sens combien la part excessive et maladive l’emporte en moi sur le calme et l’équilibre” (25 mai 1870). Alors que la première est prévue pour le 30 septembre 1871, la composition est au point mort. Il se plonge dans une scène chorale sur le même thème pour essayer de raviver l’inspiration et elle sera de retour en juillet alors qu’il revient à Morainville. Mais en ce même mois de juillet 1870, la France de Napoléon III entre en guerre contre la Prusse. Gounod fuit avec sa famille en Angleterre où il fait la connaissance de Georgina Weldon qu’il pense être parfaite pour chanter le rôle de Pauline. L’inspiration lui revient alors et l’opéra semble bien avancé en juillet 1871 puisqu’il commence à orchestrer sa partition le mois suivant. Alors qu’il était revenu à Paris en cette fin juillet, voilà qu’il retourne à Londres en 1871 où il tombe malade. Georgina Weldon et son mari vont l’accueillir jusqu’en juin 1874, le pressant de composer pour la fondation de la dame… La composition de Polyeucte n’avance plus de part les autres occupations et le fait qu’aucune date pour sa création n’a été fixée. Épuisé et malade, il se fait “exfiltrer” de chez Georgina Weldon par son ami le docteur Blanche, y laissant de nombreuses partitions dont celle de Polyeucte que la dame refuse de lui rendre alors qu’elle est quasiment achevée. Au début de l’année 1875, voilà qu’il réécrit de mémoire son Polyeucte. En septembre, il reçoit enfin l’originale de sa partition sur laquelle Georgina Weldon a eu le bon goût de signer en pleine page sur toutes les pages de la partition. De nombreuses différences existent entre ces deux partitions, celle de Londres étant plus concise mais aussi moins aboutie. Gounod avait l’habitude quand il composait de ne noter dans un premier temps que les lignes de chant et des extraits de l’accompagnement pour laisser ensuite les idées se décanter. Là, il aura eu une année complète pour véritablement faire mûrir son travail.

Gabrielle Krauss lors de la création en 1878 dans le rôle de Pauline.

Après bien des reprises dans la composition et des péripéties, Polyeucte est enfin créé le 7 octobre 1878 sur la scène du Palais Garnier. Les grands moyens ont été déployés avec une mise en scène magistrale et une distribution de haut niveau, dominée par Gabrielle Krauss en Pauline et Jean-Louis Lassalle en Sévère. Malheureusement, Marius Salomon qui chantait le rôle titre n’était pas au niveau de la partition et dû rapidement partager son rôle avec Henri Sellier. Pour le ballet, là encore beaucoup de moyens avec vingt-trois danseuses et six danseurs! Malgré tout ce décorum, la salle ne fut pas conquise et la presse ne fit qu’un tiède accueil à l’œuvre. Le côté religieux et sobre de l’ouvrage ne touche pas les spectateurs qui au contraire vont saluer les moments païens comme bien sûr le ballet ou les interventions qui n’ont rien à voir avec l’histoire (l’air de Sextus qui ouvre le deuxième acte par exemple). Gounod voulait montrer la différence entre la démonstration ostentatoire des païens et la religiosité retenue des chrétiens. Il y arrivera peut-être trop bien malheureusement pour lui. Beaucoup vont lui reprocher au final d’avoir fait un ouvrage hybride entre opéra et oratorio et lui même dira par la suite à Ernest Reyer : “Mon opéra pourrait être exécuté sur une estrade de concert, par des acteurs en habit noir”. Voilà sans doute résumé le principal défaut de cet opéra : si certains passages sont des grands moments d’opéras (les duo entre Pauline et Sévère, puis entre Pauline et Polyeucte, les grands moments de pompe romaine), les autres sont particulièrement sobres avec des mélodies très simples et un accompagnement plus religieux qu’opératique. Voilà qui ne pouvait pas être apprécié par le public de l’époque!

Décors de différents tableaux lors de la création en 1878.

En 1887 paraît une nouvelle version de ce Polyeucte, sans doute dans le but de motiver une prochaine reprise. Malheureusement il n’en sera rien. Cette version nouvelle est maintenant en quatre actes seulement et tout le final autour des arènes a été supprimé. Les deux partitions piano-chant trouvées ne montrent aucune différence jusqu’à la fin du trio entre Pauline, Polyeucte et Sévère. Alors que son arrêt est confirmé par Félix (le centurion disparaît!) et que Polyeucte s’exclame “À la gloire!”, Pauline se déclare chrétienne et Polyeucte lui apprend le credo qu’elle reprend phrase par phrase alors que Sévère plaide leur cause à un Félix inflexible. Chantant leur foi, les deux époux culminent sur un contre-ut (optionnel!) alors que le chœur céleste leur promet le bonheur éternel dans les cieux.

Gravure des décors du deuxième tableau du premier acte en 1878.

Le regard contemporain est différent de celui porté par les spectateurs de l’époque. En effet, l’écoute permet de moins se focaliser sur l’action dramatique et surtout nous n’avons plus les mêmes exigences de grand spectacle. Et du coup, les grandes scènes qui avaient été saluées par le public ne sont pas forcément les plus saisissantes. Ainsi, l’arrivée triomphale de Sévère s’avère au final peu impressionnante, retrouvant les formules déjà entendues pour ce genre de scènes dans d’autres opéras de Gounod. Les duos et trios sont toujours aussi bien construits et vivants par contre, Gounod trouvant ce ton juste entre récitatif et forme plus lyrique pour que l’action avance sans pour autant que la ligne vocale ne soit trop simple. Le duo entre Pauline et Sévère au deuxième acte puis celui entre Pauline et Polyeucte au quatrième acte restent des grands moments d’opéra! On retiendra aussi les très beaux moments purement païens que sont le petit chœur en coulisse au début du deuxième acte, à l’orchestration superbe et délicate qui n’est pas sans rappeler le chœur des bacchantes de Philémon et Baucis ainsi que la barcarolle pleine de grâce de Sextus. Le ballet aussi montre un grand raffinement dans la composition alors que l’on sait combien cette partie était souvent peu goûtée par Gounod. Dans les moments religieux, la grande scène du baptême de Polyeucte n’est pas sans impact avec le début d’une grande religiosité austère puis la voix de Polyeucte transfiguré s’ouvre et se déploie vers un chant exalté : l’évolution et la manière dont l’orchestre et la voix sont traités ici est superbe. Ensuite, il y a bien sûr ces stances au début du quatrième acte (sur le texte de Corneille pour le coup!) à la fois exaltées et délicates. Il y a quelques moments moins prenants mais globalement, si l’on accepte l’alternance entre moments religieux où on entend le Gounod compositeur de messe et les moments plus opératiques, l’œuvre reste assez fascinante par les ambiances et les inspirations du compositeur pour nous montrer les différentes facettes de l’humain. Comme dans la tragédie, le personnage de Polyeucte peine à émouvoir et au final, les grands gagnants sont Pauline et Sévère qui de plus ont des lignes vocales magnifiques : elle avec son rêve et ses ensembles, alors que lui se voit gratifié de deux airs splendides au deuxième puis troisième acte.

Décors du premier tableau du cinquième acte en 1878.

Comme pour Cinq-Mars, il n’est pas difficile de faire une écoute comparée puisqu’il n’existe qu’une seule version de cet opéra de Gounod. On peut remercier le Festival della Valle d’Itria (Martina Franca) pour son travail puisqu’en 2001 ils donnaient La Reine de Saba déjà publiée par Dynamic à l’époque. Donc si l’on peut se réjouir que Polyeucte ait été capté et diffusé, on sait aussi qu’il y aura des limites dans le rendu de cet opéra : comme toujours chez Dynamic la prise de son est assez mauvaise, comme trop souvent chœur et orchestre au Festival della Valle d’Itria sont de qualité discutables… mais par contre, on se réjouira de l’état de la partition pour cette captation. En se référant sur l’édition piano-chant de 1887 en quatre actes, on retrouve la partition quasiment à l’identique dans ce disque. On peut noter quelques coupures dans le duo entre Polyeucte et Néarque à la fin du premier tableau du troisième acte, mais en lisant les témoignages de l’époque, on se demande si ce n’est pas plutôt l’éditeur Lemoine qui aurait repris par facilité la partition de 1878 en ne changeant finalement que la fin alors que la révision de Gounod voulait cette réduction du duo. Il faudra pour se faire regarder dans la partition manuscrite. Le ballet a été réduit lui aussi : de sept entrées il n’en reste plus que trois. On peut comprendre que le ballet était trop long et au final ce genre de coupure est moins dommageable qu’une coupure plus abrupte sur tout un numéro. Mais sinon, ce qui est joué et enregistré est totalement conforme avec la partition piano-chant de 1887.

Décors du premier tableau du cinquième acte en 1878.

La prise de son semble s’être légèrement améliorée en trois ans puisque le confort d’écoute est meilleur pour Polyeucte que pour La Reine de Saba. Le son manque toujours un peu d’épaisseur et de définition, mais le rendu est beaucoup plus agréable. De même, il semble que l’Orchestre International d’Italie ait fait quelques progrès. Bien sûr on est loin de la qualité qu’on peut souhaiter mais le rendu est beaucoup plus propre. On conserve un petit peu le côté fanfare à certains moments bien sûr, particulièrement dans les grandes scènes de triomphe. Mais les pupitres sont globalement en place. Manlio Benzi dirige avec une certaine idée du style, mettant bien en valeur la différence entre les deux mondes. Mais on pourrait espérer des moments plus poétiques. Le Chœur de Chambre de Bratislava est lui aussi de la partie et semble lui aussi avoir progressé. On conserve une diction slave assez désagréable mais le fondu des pupitres est plus soigné.

Maquette de costume pour Néarque en 1878.

Parmi les petits rôles, on passera vite sur Tiziana Porthoghese qui joue les utilisés en Stratonice (qui disparaît après le premier tableau!). Par contre, le Sextus de Nicola Amodio est assez curieux. La voix très nasale du ténor est étrange mais convient finalement assez bien à ce personnage qu’on imagine très jeune faisant une sérénade aux nobles romains. Et puis il faut avouer que la tessiture est assez haute allant très régulièrement au si. La diction est affectée d’un accent mais pour un rôle aussi court, le choix était judicieux. Venons maintenant aux trois basses de l’opéra : Siméon, Albin et Félix… Emil Zhelev propose un Siméon assez sobre avec un timbre noble. Le personnage est assez épisodique mais il réussit à se faire remarquer. On notera juste un aigu problématique et une diction assez aléatoire. Dans le rôle d’Albin, Fernando Blanco impose une voix de basse qui pourrait sortir directement des années 80 de l’URSS : large et légèrement tubée, la voix là aussi impose le respect même si le style n’est pas parfait. Par contre, la diction est meilleure que la moyenne. Enfin, on retrouve Pietro Naviglio en Félix (il chantait Méthousaël dans La Reine de Saba). La basse semble un petit peu terne par rapport à ses collègues et se trouve affligée d’un vibrato assez désagréable. Enfin, il faut saluer la prestation de Vincenzo Taormina en Néarque. Le baryton propose non seulement une très belle diction, mais aussi un très beau timbre clair pour un rôle assez court.

Maquette de costume pour Sévère en 1878.

Autre survivant de La Reine de Saba, Luca Grassi campe un très beau Sévère. Le rôle a été créé par Jean Lassalle qui, à la vue de ses rôles, semblait avoir un aigu aisé. Il faut dire que comme dans de nombreux rôles de baryton chez Gounod, les fa sont nombreux dans le rôle de Sévère. Et Luca Grassi s’en tire avec facilité. Lui qui a longtemps triomphé dans le rôle d’Enrico de Lucia di Lammermoor a eu très longtemps cet aigu brillant et facile. Le personnage qu’il compose est la noblesse incarnée et avec beaucoup de nuances il chante ses deux airs avec un superbe legato. Le rôle semble lui convenir beaucoup mieux que Soliman qui était un petit peu grave. On remarquera d’ailleurs qui termine son premier air en interpolant un aigu assez brillant. Le duo avec Pauline sera un autre moment où il peut montrer toute sa personnalité et le chanteur sait montrer toutes les évolutions de Sévère depuis la colère jusqu’à la grandeur d’âme.

Maquette de costume pour Pauline en 1878.

Gabrielle Krauss semblait être de ces chanteuses à la voix assez longue capable de chanter des rôles dramatiques comme des rôles plus lyriques. Elle semble avoir fait sensation dans ce rôle lors de la création et il faut avouer que l’on peut comprendre pour une voix telle que l’on peut se l’imaginer : le rôle demande déclamation, belle assise dramatique, puissance et des aigus dardés (des si, et un contre-ut à la fin!). Celle qui reprendra par la suite le rôle de Sapho en 1884 créera aussi Sélika dans L’Africaine de Meyerbeer en 1877, Hermosa dans Le Tribut de Zamora en 1881, ou encore Catherine d’Aragon dans Henry VIII de Saint-Saëns en 1883. A chaque fois ces rôles de soprano dramatique français qui demandent une grande prestance et un charisme véritable. Nadia Vezzù ne peut malheureusement pas proposer une diction à la hauteur de son personnage. Mais en dehors de cela, il faut saluer la prestation de la soprano qui assume toute la tessiture et surtout propose un chant d’une belle noblesse. L’aigu est solide et la voix bien projetée sur toute la tessiture. On regrette donc juste une diction plus nette. Mais on entend tout au long de l’opéra une patricienne torturée par l’attitude du mari qu’elle aime.

Maquette de costume pour Polyeucte en 1878.

Enfin, le rôle-titre… il a été créé par Marius Salomon mais il semble que la tessiture demandant des aigus puissants ait fatigué sa voix car il sera rapidement rejoint pour tenir le rôle par un autre ténor. Créateur d’Alim dans Le Roi de Lahor de Massenet en 1877, il chanta aussi Arnold dans Guillaume Tell de Rossini ou encore Jean dans Le Prophète de Meyerbeer. C’était donc sans doute un ténor plutôt dramatique avec de beaux aigus. Giorgio Casciarri possède ces aigus de trompette et les donne avec une certaine aisance. La voix est un peu frustre et on aurait espéré plus de poésie ou de sentiments dans ce rôle déjà un peu trop uniquement dirigé vers la religion. On sent que dès qu’il allège, la voix perd de sa stabilité, comme au début des Stances. Le ténor a l’avantage d’avoir la vaillance de l’exaltation mais il n’a pas l’introspection religieuse qui fait aussi partie de la partition. On peut donc rêver d’une interprétation plus nuancée et fine pour un tel rôle!

Voilà donc… pour conclure, on peut déjà dire que si cet enregistrement de Polyeucte dirigé par Benzi n’est pas sans défaut, il a l’avantage d’exister et de donner une vision de cet opéra de Gounod. Sur la partition en elle-même, ce n’est pas la plus facile d’accès de Gounod. Il a cherché à tellement bien faire, il a sans doute été un petit peu écrasé par son sujet et si l’on entend bien ce qu’il a voulu faire, certains passages manquent d’inspiration alors que d’autres sont très inspirés mais pas forcément à leur place dans un opéra. Gounod tenait Polyeucte pour un de ses plus grands opéras… Il dira non seulement “Périsse mon œuvre, périsse même Faust, mais que Polyeucte soit repris et vive!”… mais il aurait aussi dit : “Peut-être que Polyeucte, quand les autres opéras écrits par moi paraîtront vieillots et démodés, sera-t-il encore goûté”. Il avait conscience de la singularité de son ouvrage… mais pour le moment, Polyeucte reste dans l’ombre. On attend une résurrection dans les meilleures des conditions pour pouvoir profiter de toutes les richesses qui sont sans doute encore invisibles avec cette interprétation largement imparfaite.

  • Charles Gounod (1818-1893), Polyeucte, Opéra en 4 actes
  • Polyeucte, Giorgio Casciarri ; Sévère, Luca Grassi ; Félix, Pietro Naviglio ; Néarque, Vincenzo Taormina ; Albin, Fernando Blanco ; Siméon, Emil Zhelev ; Sextus, Nicola Amodio ; Pauline, Nadia Vezzù ; Stratonice, Tiziana Portoghese
  • Chœur de Chambre de Bratislava
  • Orchestre International d’Italie
  • Manlio Benzi, direction
  • 2CD Dynamic, CDS 474/1-2. Enregistré en août 2004 à Martina Franca, Italie

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