Un Requiem de Verdi à grands effets à la Philharmonie de Paris

Il y a tout juste trois ans, Gianandrea Noseda avait bouleversé le public de la Philharmonie de Paris avec un Requiem de Verdi impressionnant de profondeur et de passion. Il pouvait compter sur des chanteurs habités et les forces de l’Orchestre de Paris et de son Chœur. Les murs de la salle avaient alors résonné comme rarement ! Depuis, d’autres sont venus comme Riccardo Chailly avec la Scala par exemple. Forcément, le nom de Teodor Currentzis avec son ensemble MusicAeterna semble étrange après ces grands spécialistes du répertoire verdien ! D’autant plus que les chanteurs sont globalement inconnus à l’exception de René Barbera étant donné que Varduhi Abrahamyan remplace Hermine May initialement programmée. Habitué des lectures radicales du chef avec son orchestre jouant sur instruments d’époques et souvent en s’inspirant des pratiques plus baroques que romantiques, l’attente était grande. En effet, on ne savait si l’on allait assister à une véritable révélation ou au contraire à une chose plus qu’étrange. Le chef avait donné par exemple à l’Opéra Bastille des Don Carlo et Macbeth bien peu convaincants mais depuis il a montré qu’il pouvait donner des choses impressionnantes dans le répertoire romantique avec son ensemble. Soirée qui ne devait donc a priori pas laisser indifférent !

Et pourtant… on en ressort avec une impression étrange. Bien sûr, il faut rappeler la force et la beauté de ce Requiem de Verdi qui est à la jonction d’une pièce religieuse et d’un grand oratorio dramatique. Aucun personnage bien sûr, mais une fougue lyrique de tous les instants, une passion chez les chanteurs et dans le chœur qui font que l’on n’est pas tout à fait à l’église ici. Difficile de citer les moments les plus marquants tant ils sont nombreux. Mais peut-être bien sûr le grand Libera Me final qui semble être une sorte de condensé de l’ouvrage, où le splendide Ingesmisco lancé par le ténor comme une illumination au milieu des ténèbres. S’ouvrant sur un chœur murmurant, le Requiem se referme aussi sur un grand calme après avoir montré la terreur, la passion ou la foi. La partition demande par contre des forces imposantes et pouvant assumer des parties très exigeantes. Les quatre solistes bien sûr avec en particulier la soprano qui est très sollicitée, mais aussi le chœur qui doit montrer non seulement des qualités de dynamique, mais aussi une mise en place parfaite comme dans le Sanctus quasi fugué.

MusicAeterna

La personnalité de Teodor Currentzis est assez connue : ses déclarations fracassantes, sa très grande estime de lui-même, son exigence (qui lui a fait refaire entière l’enregistrement studio de Don Giovanni par exemple)… et cette envie de révolutionner voir même de choquer. Et là il a voulu nous montrer combien cette partition est religieuse. Dès l’entrée des intervenants, on comprend qu’il veut imprimer sa touche personnelle : chœur et orchestre sont vêtus d’une sorte de robe de bure noire… et la majorité des musiciens n’a pas de chaise pour s’assoir. Nous sommes vraiment ici dans la représentation et il en sera de même à la fin avec un immense silence maintenu par le chef (plus de vingt secondes) de façon très artificielle (il est difficile de rester dans l’ambiance tant voir les musiciens figés dans des postures étranges enlève le sérieux du moment !). Il faut aussi ajouter le « visuel » de sa direction, violente et directive, semblant tenir les solistes d’une poigne de fer, tapant du pied pour lancer un effet, balayant de tout son bras l’étendue de l’orchestre… cette gesticulation brusque et cassante en vient presque à parasiter le son si on le regarde trop. Là où des chefs agités comme Noseda par exemple bougent beaucoup et semblent accompagner et insuffler de l’énergie, les gestes de Currentzis semble beaucoup plus directifs et secs, voir même surdimensionnés pour l’effet qui suit. Toute cette mise en scène, que ce soit du chœur ou de l’orchestre mais aussi du chef lui-même, en viendrait presque à gâcher le plaisir de l’écoute.

Teodor Currentzis

Car même si l’interprétation n’est pas aussi radicale (pour le meilleur ou pour le pire !) que ce que l’on pouvait attendre, la soirée est très bonne. Déjà par la qualité de l’ensemble MusicAeterna. Dès les premières notes a capella, le chœur se montre magnifique. Après le chœur du Bolchoï il y a peu, on retrouvait cette même qualité d’ensemble, mais avec un peu plus de rudesse dans l’attaque grave, quelque chose de rocailleux et de profond. Et tout au long du Requiem, on a toujours des pupitres d’une grande homogénéité mais aussi d’une grande clarté et précision. Ces petits crescendo/decrescendo qu’ils peuvent faire sur un mot, ces murmures enchaînés à des grands éclats… loin d’être juste de l’esbroufe, c’est surtout la marque des grands ensembles. L’orchestre est peut-être plus traditionnel dans ses sonorités, mais on ne peut nier qu’il est engagé d’un bout à l’autre, les musiciens des pupitres les plus lointains se donnant tout autant que la première rangée, chacun toujours en attente, près à réagir. Il faut reconnaître à Teodor Currentzis qu’il a donné naissance et formé un ensemble qui est de très haut niveau. Après, d’un point de vue interprétation, on reste sur quelque chose d’assez standard dans le bon sens du terme. Là où on pouvait attendre de lui une grande inventivité sur les textures, les contre chants, les couleurs… nous avons finalement un Requiem très bien exécuté mais sans grande innovation. Quelques petites touches par moments, mais rien de révolutionnaire. Par contre, il y a aussi une grande rigueur qui bride un peu l’émotion. Cette partition de Verdi a beau être nommée par un nom de pièce religieuse, elle transpire l’émotion et le drame. Or la direction implacable et un peu sèche du chef ne donne pas toutes les nuances qu’on pourrait attendre, les explosions ou les tremblements. Tout ceci est parfaitement calibré et tenu, mais il manque un petit quelque chose pour totalement faire frissonner l’auditeur. On admire la maîtrise et la beauté sonore, mais voilà… on pouvait attendre un peu plus de lui, surtout aux vues de ses déclarations et de toute cette mise en scène.

Tareq Nazmi

Les solistes réunis ici ne sont pas des grandes stars internationales et même parfois plutôt des grands inconnus… Au final, le quatuor se montre de belle qualité sans tout de même se hisser au niveau de certains grands noms. Tareq Nazmi par exemple a de nombreuses qualités dont la puissance et la projection qui lui permettent de se faire entendre sans souci dans la grande salle de la Philharmonie. La basse est à l’aise dans la partition mais manque peut-être d’un timbre plus brillant : légèrement rocailleux, avec une couleur un peu grise, sa prestation frappe avant tout par le volume et non par les nuances qui restent un peu sommaires, de même que l’émotion. Au contraire, René Barbera est un vrai rayon de soleil dans ce Requiem. Le ténor commence à ouvrir son répertoire qui était au début principalement réservé au bel-canto dans des rôles plutôt légers. Même si la projection est très satisfaisante, il lui manque un peu de métal pour réussir à s’imposer dans les grands ensembles ou dans les passages avec chœur. C’est donc dans le recueillement solitaire qu’il irradie avec par exemple un Ingemisco qui émerge avec une douceur magnifique, un timbre plein de lumière et de douceur. Le phrasé est superbe, la couleur de la voix admirable… c’est dans ces passages qu’il montre tout son talent alors qu’il pâlit dans les ensembles.

René Barbera

Varduhi Abrahamyan

Du côté des dames, Varduhi Abrahamyan remplaçait la mezzo-soprano initialement prévue. La salle ne semble pas lui être très propice car avec cette voix très ronde, la puissance manque un petit peu à certains moments. Mais elle apporte par contre cette couleur que l’on a pu admirer dans Rossini ou Haendel. Comme dans Un Bal Masqué à Bastille, on se dit qu’il est peut-être encore un peu tôt pour ce répertoire qui demande une plus grande puissance vocale. L’interprétation est impeccable avec une aisance sur toute la tessiture, un investissement de tous les instants et un timbre si beau et singulier. Mais la voix semble se perdre par moments dans le grand volume de la salle. Pour la partie très attendue de soprano, Zarina Abaeva nous montre de magnifique moments piano, avec des aigus légers et sonores qui flottent comme rarement. La voix douce et ronde est parfaite dans les passages calme. Mais dès qu’il faut mettre un peu plus de métal pour réussir à passer la puissance de l’orchestre ou du chœur, la voix perd de sa substance, le timbre se durcit et on sent la chanteuse en difficulté. Elle se sort de belle manière de sa partition, mais quelques accros sont tout de même marquants. Et la voix peine à percer aux milieux des ensembles. La beauté du timbre rachète ce manque de vaillance mais voilà qui nous donne quelques frayeurs durant le final.

Zarina Abaeva

Au final, la soirée aura tout de même été bonne, et finalement, on évite bien sûr le génial, mais aussi le pire avec Currentzis. Ses positions étant très marquées, il était aussi possible d’entendre un Requiem trop particulier. L’ensemble MusicAeterna aura par contre grandement impressionné et si le quatuor de chanteur ne peut rivaliser avec les grandes versions, ils ne sont pas non plus en dessous et offre une belle prestation. Comme quoi, on peut s’attendre, au pire, au meilleur… et parfois c’est juste le bon qui arrive !

  • Paris
  • Philharmonie de Paris, Grande Salle Pierre Boulez
  • 26 mars 2019
  • Giuseppe Verdi (1813-1901), Requiem
  • Version de concert
  • Zarina Abaeva, soprano
  • Varduhi Abrahamyan, mezzo-soprano
  • René Barbera, ténor
  • Tareq Nazmi, basse
  • MusicAeterna (Opéra de Perm)
  • Teodor Currentzis, direction

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