1884, Jules Massenet triomphe avec Manon

Parmi les partitions d’opéra français les plus jouées et les plus connues, Manon figure dans les premiers et est sans doute avec Werther l’opéra le plus connu de Jules Massenet. Créé en 1884 sur la scène de l’Opéra-Comique, c’est encore une autre facette du compositeur qui est ici exploitée, se confrontant au style de l’opéra-comique tout en en changeant là encore les codes avec la disparition des dialogues parlés remplacés par de nombreux mélodrames. C’est aussi l’affirmation du compositeur qui ose arriver devant le directeur de l’Opéra-Comique avec non pas une partition manuscrite mais imprimée, signifiant ainsi à Léon Carvalho qu’il n’aura pas ici la possibilité d’adapter, de couper et de modifier l’ouvrage comme il aimait tant le faire. Pour une partition aussi connue, il y a bien sûr de nombreux enregistrements qui existent et je me limiterais ici aux enregistrements studio officiels, de 1923 à 1999, en laissant de côté des versions superbes mais captées sur le vif. Cela fait tout de même rien de moins que sept versions très variées qui montrent aussi une certaine évolution du chant et du style appliqué à une même œuvre.

La légende veut que l’idée de l’adaptation de Manon revienne de Jules Massenet lui-même. Allant chez Henri Meilhac en 1881 pour discuter d’un livret qu’il trouve impossible (Phœbé, il finit par refuser le livret mais, en passant son regard sur la bibliothèque, voit le livre de Manon Lescaut et il se serait alors écrié “Manon!”. Meilhac se serait alors mis directement au travail pour adapter le livret puisque le lendemain déjà il avait terminé les deux premiers actes! Difficile d’y croire mais un fait subsiste : le contrat autour de Manon est signé chez l’éditeur du compositeur Georges Hartmann le 2 février 1882. L’histoire était connue du public et ne pouvait qu’être un succès. Non seulement le récit d’Antoine François Prévost avait été une vraie révolution et circulait beaucoup, mais il avait déjà été adapté plusieurs fois à la scène dont une fois en ballet en 1830 par Halévy puis pour l’opéra en 1856 par Auber. Le travail entre le compositeur et les deux librettistes Henri Meilhac et Philippe Gille se passe bien et Massenet aurait même séjourné dans la maison de La Haye où l’abbé Prévost aurait écrit son Manon Lescaut. Le 19 octobre 1882, la partition piano-chant est achevée et l’orchestration est réalisée entre mars et août 1883. Le 7 septembre, les répétitions commencent et c’est là que Léon Carvalho découvre la partition imprimée, bougonnant alors un “Elle est donc en bronze?” au sujet de l’ouvrage! Le succès de la création le 19 janvier 1884 est immédiat et se poursuit toute l’année avec pas moins de 78 représentations avant la fin de l’année.

Les créateurs de Manon : Jean-Alexandre Talazac (Des Grieux) et Marie Heilbron (Manon).

Contrairement à ce qu’il avait pu faire pour Hérodiade, Jules Massenet va peu retravailler sa partition au fil des années qui suivent. Si l’on compare deux éditions piano chants datant de 1884 et de 1895, on notera quelques différences mais qui ne changent en rien la disposition de l’opéra : le menuet qui ouvre le troisième acte est différent, la gavotte et le fabliau son supprimé et le duo final est légèrement allongé. La version de 1895 permet aussi quelques variations pour Manon, lui permettant de monter souvent plus haut et de montrer sa virtuosité. On peut imaginer que ces variations sont notamment dues aux reprises de 1891 avec Sybil Sanderson, nouvelle muse de Jules Massenet, à la voix brillante et la virtuosité et les sur-aigus réputés. En 1980, une partition inédite est retrouvée : l’ensemble des mélodrames y sont chantés, sans doute en prévision d’une première italienne où le format des mélodrames n’était pas possible. Cette version sera créée à Saint-Étienne en 2009 mais aucun enregistrement n’existe semble-t-il.

Manon, Acte I (Mise en scène de l’Opéra-Comique, Le Théâtre, 1er octobre 1902).

La partition de Manon est particulièrement riche et Jules Massenet a cherché à différencier le plus possible les ambiances, osant aussi offrir de nombreux pastiches de musiques anciennes (qui n’ont pas grand chose à voir avec la musique de Louis XV en dehors de quelques rythmes). Le premier acte s’ouvre sur la cour d’une auberge à Amiens où la foule regarde les voyageurs. Nous sommes ici dans un foisonnement d’échanges, un tourbillon de vie populaire interrompu par Manon qui découvre ainsi le monde alors qu’elle est en route pour le couvent. Son cousin, un soldat joueur et buveur, doit la conduire pour la suite du trajet mais la laisse quelque temps dehors où elle croise Guillot de Morfontaine qui lui fait des avances mais aussi trois courtisanes qui le suivent. Et cette vue réveille chez Manon la volonté de vivre et de rire! Arrive alors le Chevalier Des Grieux qui tombe immédiatement sous le charme de la jeune femme. Les deux jeunes amoureux volent la voiture dans laquelle Guillot espérait retrouver Manon pour aller à Paris. L’intimité du deuxième acte tranche particulièrement avec ce tourbillon de vie du premier. Nous sommes dans un petit appartement à Paris où Des Grieux écrit une lettre à son père pour lui annoncer qu’il aime Manon. Mais déjà, Manon se montre frivole et si elle est amoureuse du jeune homme, elle ne peut pas s’empêcher de conserver un bouquet qu’on lui a envoyé de la rue. Arrivent Lescaut et De Brétigny. Sous prétexte d’obtenir justice et de sauver l’honneur de la famille, Lescaut introduit Brétigny et laisse ce dernier seul avec Manon alors qu’il va lire la lettre avec Des Grieux à son père. Brétigny annonce à Manon que le chevalier va être enlevé par ordre de son père et que si elle le prévient, elle connaîtra la pauvreté. Déchiré entre son amour pour le jeune homme et sa soif de luxe, elle finit par ne rien dire… et se retrouve séparée de Des Grieux. Au troisième acte, c’est “fête au Cours la Reine”, avec tout ce que cela implique de musique grandiose, de tourbillons de vendeurs et apparitions d’élégantes. Parmi elle arrive Manon, au bras de Brétigny, parée d’une magnifique toilette. Fascinante et aimant être regardée, elle se lance dans un grand air alors que Guillot se montre particulièrement jaloux que Brétigny lui ait volé Manon. Il décide donc de faire venir l’Opéra pour Manon, chose que Brétigny avait refusé. Mais arrive le père de Des Grieux qui parle avec Brétigny avant que Manon elle-même ne s’approche, demandant des nouvelles du chevalier. Même si elle ne se présente pas, Le Comte a bien compris qui elle était et à l’annonce de l’entrée dans les ordres de Des Grieux, Manon décide qu’elle ne peut le laisser faire. Au grand désespoir de Guillot, elle ne voit rien de l’Opéra et se dirigé vers Saint-Sulpice. Si l’on pouvait s’attendre à une atmosphère recueillie ici, il n’en sera rien. Après le départ des bourgeoises plus impressionnées par la beauté de Des Grieux que par sa parole, le Comte (son père) essaye de faire changer d’avis son fils qui reste ferme. Manon arrive ensuite seule dans l’église, priant pour que son amour soit toujours réciproque. Une grand duo plein de flamme s’ensuit où la jeune femme met toute sa séduction à l’œuvre pour briser la glace qui étraignait le cœur de Des Grieux… qui finalement cède à l’amour! Le quatrième acte nous entraîne à l’Hôtel de Transylvanie qui n’est autre qu’une maison de jeu clandestin où se retrouvent tous les gens biens. La musique est ici pleine de rebonds, presque grinçante par moments avant de devenir pleine d’érotisme quand Manon évoque son amour de l’or. Car la jeune femme a entraîné son amant ici pour gagner de l’argent qui commence à manquer. Malgré ses réticences, Des Grieux ne peut résister à la séduction de Manon et commence à jouer face à Guillot qui espère se venger. Mais il n’en est rien et à force de perdre, Guillot arrête avant de sous-entendre que le chevalier a triché. Fou de rage, Des Grieux refuse de quitter la pièce malgré les suppliques de Manon. Peu de temps après, la police frappe à la porte et, sous les directives de Guillot, arrête Des Grieux et Manon : le premier pour triche, la deuxième pour prostitution. Entendant cela, le jeune homme veut se jeter sur Guillot, mais son père entre pour le retenir. Les deux amants sont arrêtés. Le dernier acte nous entraîne sur la route du Havre d’où Manon doit être déportée. Des Grieux et Lescaut planifient de la délivrer mais rien ne se passe comme prévu et finalement, Lescaut réussit à payer le capitaine des gardes pour que les deux amants puissent se voir avec l’espoir qu’ils s’échappent. Malheureusement, Manon est déjà mourante d’épuisement et si les deux amants se retrouvent, c’est pour que la jeune fille meurt dans les bras de Des Grieux.

Acte II (Mise en scène de l’Opéra-Comique, Le Théâtre, 1er octobre 1902).

Comme dit plus haut, seront ici détaillés sept versions studio de Manon. Le premier enregistrement existant date de 1923 et est dirigé par Henri Busser. Il faut rendre grâce à Ward Marston pour le travail comme toujours magnifique qu’il a réalisé dans la restauration du son. Bien sûr on ne peut pas comparer avec des enregistrements plus modernes, mais pour l’époque, tout est très lisible et clair avec des instruments assez nets (même si l’orchestre sonne maigre) et des voix nettes. L’écoute est tout à fait confortable pour l’époque. Ensuite vient la version de 1928 dirigée par Elie Cohen. On retrouve le même magicien de la restauration qui nous offre un enregistrement vraiment de très bonne qualité avec juste un petit souffle et un orchestre légèrement distant. Mais sinon cette version pourrait passer pour un enregistrement des années cinquante sans grand souci tant il est confortable à écouter! D’ailleurs, les douze ans qui séparent cet enregistrement de celui d’Albert Wolff en 1951 ne montrent pas un grand bouleversement sur la qualité sonore. Un petit peu plus de profondeur de son, moins de souffle… mais l’édition écoutée n’a pas bénéficié du même traitement. Mais voici tout de même une version là encore très confortable malgré son âge. En 1955, Pierre Monteux est d’une qualité assez proche de celle de Wolff, avec peut-être des timbres un petit peu moins secs dans la prise de son. On change d’époque avec la captation dirigée par Julius Rudel en 1970. Ici les timbres sont très bien captés, aucun souffle… mais une captation un petit peu lointaine de l’orchestre et même des voix qui ont une petite réverbération pas forcément très agréable. Michel Plasson en 1982 offre une captation parfaitement propre, avec un bel équilibre entre le chant et l’orchestre même si on aurait pu espérer un peu plus de détails dans l’orchestre. Enfin, en 1999, Antonio Pappano a sans doute la meilleure qualité technique de prise de son avec un son net, plein de couleurs et de détails permettant d’entendre les moindres détails de la partition. On l’aura compris, il n’y a pas ici de vrai problème d’écoute dans toutes ces versions. Certes la première version peut être difficile pour les habitués de la stéréo parfaite, de même il faudra attendre 1970 pour une version en stéréo (mais un peu lointaine). Ce n’est pas forcément ce critère qui est important pour moi, donc aucun choix à faire ici!

Acte III, Premier tableau (Mise en scène de l’Opéra-Comique, Le Théâtre, 1er octobre 1902).

Venons-en maintenant au problème des coupures. Car bien sûr, toutes ces versions ne sont pas complètes! Au minutage, c’est la version de Wolff qui est la plus coupée avec 1H54. Il faut dire déjà que tous les mélodrames sont remplacés par un récitant à l’exception du dernier de l’Hôtel de Transylvanie. Sinon, on notera de nombreuses petites coupures tout au long de la partition, avec la disparition complète de la dernière scène du premier acte une fois que les deux amants se sont enfuis (mais cette option est indiquée comme possible dans la partition), mais aussi la coupe de treize pages dans ce même acte avec l’air de Guillot. Il manque une entrée du ballet aussi. Par contre, on notera que si la Gavotte de Manon est coupée, elle est remplacée par le virtuose Fabliau! Et puis encore une fois, des petites choses tout du long, un petit peu comme avait fait le chef avec Hérodiade. Busser et Cohen offrent un minutage égal (respectivement 2h23 et 2h22) mais n’opèrent pas les mêmes coupures. Le final du premier acte est bien sûr aussi coupé. Là encore, l’Hôtel de Transylvanie est fortement coupé mais moins que chez Wolff. Dans les deux cas, ce sont souvent des chœurs ou des petites interventions qui sont coupées. Ensuite, le minutage nous fait parler de la version de Michel Plasson avec 2h34… mais qui ne comporte que deux coupures : les deuxième et troisièmes entrées du ballet du troisième acte. Pierre Monteux en 1955 offre une durée de 2h40 mais finalement coupe plus puisqu’il ne donne pas la scène finale du premier acte et coupe les première et deuxième entrées du ballet. En 1999, Antonio Pappano propose 2h42 de musique sans aucune coupure mais juste une adaptation à l’ouverture du troisième acte puisqu’au lieu de la musique de la version de 1895, c’est la version de 1884 qui est ici présentée. Enfin, Julius Rudel offre une version archi-complète avec 3h08 de musique, donnant en prélude du troisième acte les deux versions de l’entracte et proposant en appendice le Fabliau. Mais la durée supplémentaire ne vient pas que de l’intégralité de la partition, c’est aussi dû aux tempi du chef.

Acte III, Deuxième tableau (Mise en scène de l’Opéra-Comique, Le Théâtre, 1er octobre 1902).

Pour ce qui est de la direction, on voit une certaine évolution entre le premier enregistrement de 1923 et celui de 1999 : l’orchestre se fait petit à petit plus présent, presque plus épais même. En 1923 nous sommes sur une direction très fine, renforcée je pense par la prise de son qui amaigri l’orchestre. Mais cela donne quelque chose de très délicat, de très vivant aussi. Henri Busser connaît parfaitement le style de l’époque et on peut se dire que cette vision de demi-caractère est sans doute voulue en grande partie. Preuve en est, Cohen en 1928 retrouve aussi cette délicatesse dans l’orchestre, avec une énergie et une délicatesse qui sont mieux retranscrites par la prise de son plus généreuse. Busser semble légèrement plus précipité par moments, adaptant des tempi assez rapides et originaux là où Cohen semble plus conforme à la partition. Sinon, même chœur et orchestre de l’Opéra-Comique (comme pour les versions de 1951 et 1955 d’ailleurs) qui sont en place même si il est difficile d’entendre toutes les nuances en 1923. En 1951, Albert Wolff pousse chœur et orchestre à l’extrême avec des nuances et des dynamiques assez brusques, ce qui offre une vision très vivante de la partition. Quatre ans plus tard, avec le même orchestre, Pierre Monteux se montre beaucoup plus délicat, choisissant souvent d’alléger, de ralentir pour offrir un orchestre plus voluptueux. On perd un petit peu en immédiateté et le côté “demi-caractère” tend à s’effacer au profit d’une direction plus sérieuse. Julius Rudel lorgne de façon assez marquée vers le grand opéra en 1970 avec une direction plus lente, des cuivres mis en avant et un direction très marquée dans les rythmes. Son orchestre est techniquement parfait et les Ambrosian Singers sont très bons. Vient ensuite Michel Plasson en 1982. Si son Hérodiade était splendide orchestralement, ici la direction se fait plus timide, sorte d’entre-deux avec la vision grand opéra de Rudel et les options beaucoup plus légères des plus anciens. Bien sûr, il n’y a aucune faute de goût et les forces du Capitole de Toulouse sont splendides. Enfin, en 1999 Antonio Pappano se montre d’une grande énergie avec beaucoup de vivacité mais pas de précipitation, un orchestre de La Monnaie large et volubile. Il lui manque peut-être un peu de nuances qui pourrait enlever quelque chose d’un peu massif dans une direction qui offre une superbe lecture de la partition mais la finesse est parfois trop discrète, se laissant emporter par la beauté de la partition. Voilà donc que commencent les choix à faire… D’un côté du spectre, on a une version Cohen très vivante, assumant clairement le côté demi-caractère de l’ouvrage en alternant moment légers et passages plus puissants mais une prise de son moins confortable que les plus récentes. Malgré tout, c’est peut-être, avec Monteux, les deux versions qui me touchent le plus à l’orchestre, même si Plasson est bien sûr une valeur sûre et que la beauté plastique de la version Pappano est à souligner!

Acte IV (Mise en scène de l’Opéra-Comique, Le Théâtre, 1er octobre 1902).

On a commencé à en parler avec l’orchestre, mais les changements de styles s’entendent aussi dans les choix des chanteurs. Si l’on poursuivra avec des descriptions plus précises de chacun des rôles principaux, difficile ici de ne pas aussi parler un petit peu des ensembles de distributions réunies. On a clairement trois époques dirons-nous. Les trois premiers enregistrements montrent des troupes parfaitement homogènes, aussi à l’aise dans les dialogues parlés que dans le chant. On sent combien ces distributions ont construit leurs différents rôles sur les planches de nombreuses fois avant cet enregistrement. La diction est assez miraculeuse aussi bien dans le chant que dans le parler (on notera juste un petit accent pour le Des Grieux russe de 1928 dans les dialogues parlés!) et le texte est particulièrement vivant! Ensuite avec les versions Monteux et Rudel de 1955 et 1970, une grande partie des chanteurs conservent cet art du parler/chanter mais avec l’ajout maintenant de grandes voix pour le rôle principal. Certes qui s’intègre plus ou moins bien dans cet ensemble. La qualité de diction est toujours très bonne mais on sent un petit défaut d’ensemble. Enfin viennent les deux dernières versions modernes. Les chanteurs sont ici assez disparates dans le style avec parfois des compositions dignes des années 20 mais aussi quelque chose de très lyrique dans d’autres rôles, avec parfois des dictions moins nettes et particulièrement dans les mélodrames. On a ici une sorte de démonstration de l’internationalisation du chant dans cette rétrospective. Alors certes, certains pourront trouver les versions anciennes un peu datées et ne donnant pas le frisson… mais d’un autre côté, on perd aussi avec ces lectures plus immédiates la fragilité et l’originalité de cette œuvre.

Pierre Grivot en 1891.

Alors commençons maintenant avec les petits rôles de Guillot et de Brétigny! Si l’on sait très peu de choses de Lucien Collin qui créa Brétigny en 1884, Pierre Grivot avait lui déjà une belle carrière derrière lui lors de la création de Manon! Spécialiste des rôles de caractère, il crée en 1875 le rôle de Microscope dans la première version du Voyage dans la Lune d’Offenbach, mais aussi les quatre valets des Contes d’Hoffmann! Guillot est parfaitement dans cette suite avec un ténor de caractère sachant parfaitement donner vie à un personnage grâce au texte et à l’intelligence de l’incarnation. En 1923, Louis Mesmaecker compose un Guillot bouffe de belle manière mais la voix reste très maigre. En 1928, Émile de Creus est plus sérieux et on entend ici bien un noble et non un bouffon. La voix est claire et joue avec quelques sonorités pour composer ce personnage de caractère avec une voix très saine. En 1951, Jean-Christophe Benoit est un peu dans la même lignée mais avec une voix plus caricaturale déjà. La voix de René Hérent est encore plus marquée avec un vibrato moins stable et une caractérisation plus bouffonne en 1955. Chez Rudel en 1970, Nico Castel compose un personnage très bien vu, avec une belle voix et un chant varié et nuancé malgré quelques duretés. En 1982, Charles Burles est vraiment dans une tradition de chanteurs à la voix un peu usée mais au sens comique certain (on pense à Michel Sénéchal bien sûr!). On est sans doute ici dans un personnage assez proche de l’original, avec beaucoup de jeu sur les sonorités et sur le texte pour créer un effet comique. Enfin, en 1999, Gilles Ragon propose un Guillot très tenu, avec une voix encore parfaitement conduite mais un vrai sens de la comédie aussi. Pour Brétigny, nous avons globalement de très bons chanteurs avec entre autres Michel Trempont chez Rudel et Nicolas Rivenq chez Pappano. Au final, pas de mauvais interprètes pour ces rôles assez mineurs.

Zoé Molé-Truffier (Poussette), Esther Chevalier (Javotte) et Adèle Rémy (Rosette)

Pour le trio des actrices, l’Opéra-Comique de l’époque se repose sur les personnalités de sa troupe. Poussette est chantée par la soprano Zoé Molé-Truffier (qui avait chanté le rôle de la Muse dans Les Contes d’Hoffmann en 1881 lors de la création), Javotte est créée par la mezzo-soprano Esther Chevalier (qui interprète de très nombreux rôles secondaires à l’Opéra-Comique avec il semblerait un grand talent la faisant toujours sortir du lot) et enfin c’est la contralto Adèle Rémy qui donne naissance à Poussette (alors qu’elle n’avait commencé sa carrière que deux ans auparavant). Trois personnalités vocales donc qui devaient sans aucun doute trancher en termes de timbres. Il est assez difficile de différencier dans les enregistrements les différents personnages, avec souvent deux sopranos et une mezzo. En 1923 avec Busser, ces trois dames sont parfaitement idiomatiques mais manquent un petit peu de piquant. En 1928, les trois chanteuses sont beaucoup plus vives, sans doute aussi grâce à la prise de son. Virevoltantes et moqueuses, elles sont assez parfaites même si assez semblables de timbre (malgré la distribution multiple des rôles de Javotte et Rosette!). En 1951, on reste sur les mêmes qualités avec des timbres qui sont un petit peu plus différenciés (et des noms connus : Claudine Collart , Agnès Disney – la Malika de Mado Robin – et Jacqueline Cauchard qui est une habitué des enregistrements de l’ORTF!). Toujours un très beau trio en 1955 avec notamment Liliane Berton en Poussette! Avec la version Rudel de 1970, on se trouve face à un trio beaucoup plus lyrique avec des voix plus internationales qui font perdre un peu du piquant des interventions de ces dames. Plasson en 1982 réunit un trio de chanteuses particulièrement intéressantes, souvent très à l’aise dans ces rôles : Ghislaine Raphanel, Colette Alliot-Lugaz et Martine Mahé (toutes trois ont eu de très belles carrières dans des grands rôles!). Enfin, en 1999, c’est un trio de voix un petit peu plus larges et un ensemble peut-être un peu moins parfait d’où émergent les voix d’Anna Maria Panzarella et de Sophie Koch! Pour ces petits rôles qui font presque partie du décors de l’opéra et qui en sont l’un des charmes, avoir un trio alerte, frais et parfaitement francophone est un vrai plus. En dehors de Rudel et dans une moindre mesure Pappano, les autres trios sont des sans fautes!

Arthur Cobalet (dans le rôle d’Escamillo)

Passons maintenant aux clés de fa, avec le Comte Des Grieux et Lescaut. Arthur Cobalet est un tout jeune baryton de 27 ans lorsqu’il participe à la création de Manon. Entré deux ans auparavant à l’Opéra-Comique, il semble avoir chanté toute sa vie des rôles de baryton assez graves comme Méphistophélès dans La Damnation de Faust ou encore le rôle-titre de Der Fliegende Holländer de Wagner en 1892. Si le rôle est parfois donné à des basses, ce sont majoritairement des barytons-basses qui font merveille dans le rôle du Comte. Pierre Dupré (en 1923) montre une très belle voix aussi à l’aise dans le grave de la tessiture que dans l’aigu. Si sa composition est peut-être un petit peu trop noble et ne transcrit pas les annotations de Massenet (avec ironie notamment!), son air est par contre superbe! Cinq ans après, Louis Guénot ne possède pas la même rondeur de timbre malgré la qualité de la prise de son. Le timbre est plus clair, le personnage moins immédiatement présent. En 1951, Julien Giovannetti compose un splendide Comte avec une voix large, pleine de noblesse et superbe. Ensuite en 1955, c’est le grand baryton Jean Borthayre qui donne sa superbe et grande voix au Comte. L’autorité est immédiate mais on entend aussi un Comte un peu moins sérieux en toute circonstances et surtout un accent du sud-ouest sans doute légèrement allégé mais tout de même bien sensible dans les dialogues parlés, peut-être pour bien montrer comme il est étranger au monde parisien! On retrouve un petit peu la même composition avec Gabriel Bacquier qui donne en 1970 un Comte plus contrasté que souvent, avec ce timbre de stentor. Aussi à l’aise dans l’ironie que dans les leçons de morales, la voix se déploie avec beaucoup d’aisance. Par contre, aucune trace d’accent dans les dialogues (alors qu’il en avait un bien marqué en parlant). Enfin, c’est le même José van Dam qui officie chez Plasson en 1982 et Pappano en 1999. La voix a perdu un peu de sa rondeur, le chanteur est plus rigide dans sa composition mais aussi plus autoritaire. On retiendra avant tout Julien Giovannetti, Jean Borthayre et Gabriel Bacquier, mais au final tous sont très bons.

Émile-Alexandre Taskin dans le rôle de Lescaut en 1884.

C’est Émile-Alexandre Taskin qui est le premier Lescaut en 1884. Le chanteur est baryton, mais semble se spécialiser rapidement dans les rôles charismatiques avec la création des démons dans Les Contes d’Hoffmann, mais aussi de Phorcas dans Esclarmonde de Massenet. Si l’on attend plus dans ce rôle un baryton léger, il semble qu’il n’en était rien lors de la création, chantant aussi Escamillo, Ourrias ou Jupiter (Philémon et Baucis). Léon Ponzio en 1923 offre un timbre assez sombre et semble être assez dans la lignée du créateur. Cette noblesse de ton n’empêche pas l’interprète de jouer beaucoup avec les mots et les nuances pour camper ce soldat frivole. Georges Villier est plus léger en 1928 et compose un Lescaut encore plus joueur, n’hésitant à contrefaire sa voix, à proposer des effets plus comiques. La voix est belle et sonore, avec un timbre plutôt clair. On continue vers la légèreté avec Roger Bourdin qui pousse encore un petit peu plus loin le côté comique et léger du personnage. On pourrait se demander même si ce n’est pas un petit peu trop pour un soldat certes joueur et buveur. Quelques années après, Michel Dens est une sorte de compromis assez parfait entre la rigueur musicale et l’interprétation. Le timbre du baryton est plutôt clair mais la voix est tranchante et parfaitement conduite. Et l’interprète se délecte en créant un personnage changeant, évoluant parfaitement du joueur invétéré au cousin honteux et désespéré. Choix étrange en 1970 chez Rudel. Gérard Souzay semble se débattre avec une tessiture trop aiguë pour lui, avec des notes hautes qui semblent plafonner. En 1982, Michel Plasson fait appel à l’un de ses barytons habituels en la personne de Gino Quilico. Nous sommes ici très loin du baryton sombre de la création avec cette voix assez claire, très à l’aise dans les nuances et le haut de la tessiture. Son Lescaut est extrêmement jeune, frivole et joueur… superbe. Enfin, Earle Patriarco en 1999 offre un Lescaut assez débraillé tant dans le portrait que dans la voix. Le timbre manque de rondeur, souvent parasité par une sorte de graillon dont on se demande si c’est volontaire ou non. Alors qui choisir? Comme ça, Michel Dens et Gino Quilico me semblent assez parfaits dans leurs compositions et leur chant. Mais étant parfaitement client de leur voix, peut-être y a-t-il un petit manque d’honnêteté de ma part!

Jean-Alexandre Talazac, dans le costume de la création de Manon en 1884.

Encore une fois, le créateur de Des Grieux a aussi participé à la création des Contes d’Hoffmann en 1881, dans le rôle-titre pour Jean-Alexandre Talazac. Si l’on regarde les rôles créés, c’est tout ce qu’il y a de plus délicat dans le répertoire français de cette époque avec Gérald dans Lakmé ou Mylio dans Le Roi d’Ys. Et à son répertoire, on trouve aussi Faust ou Nadir des Pêcheurs de Perles. Réputé pour la pureté et la brillance de sa voix, on ne doute pas que son Des Grieux devait être un petit bijou de délicatesse. En 1923, Jean Marny offre un chant nuancé mais qui semble presque réparti sur deux voix avec un timbre assez quelconque mais une voix mixte superbe qui le révèle parfaitement dans son rêve. La technique et les nuances sont superbes et offrent un jeune homme rêveur mais aussi capable d’éclat comme lors du quatrième acte. C’est un ténor russe qui est enregistré en 1928. Joseph Rogatchewsky n’est pas sans rappeler dans son style des Vinogradov, Sobinov, Lemeshev ou Kozlovsky : un timbre suave, des nuances magistrales, une sensibilité à fleur de peau… Son rêve est tout bonnement magique de tenue et d’intentions. Si on sent que dans les moments les plus tendus, la voix est à la limite de ce qu’elle peut donner (la fin de l’air de Saint-Sulpice par exemple), le chant reste toujours superbe et il faut souligner la qualité de la diction chantée (sans aucun accent) alors que les dialogues montrent un accent plus sensible. Après ces deux superbes prestations, Libero di Luca est un cran en dessous avec un timbre ensoleillé, mais un chant beaucoup moins sûr qui montre quelques faiblesses, une ligne de chant moins tenue et des notes à la limite de la justesse. La composition reste assez générique. En 1955, Henri Legay renoue avec la délicatesse des prédécesseurs avec un chant d’une beauté angélique, des nuances miraculeuses… nous avons ici un Des Grieux qui sort à peine de l’adolescence et du coup, les moments les plus tendus sont gérés avec une certaine prudence mais où le métal lui permettent de s’imposer. Souvent décrié par les critiques, j’avoue trouver cette interprétation superbe! Après Legay, Nicolai Gedda passerait presque pour un ténor dramatique tant la voix se montre plus puissante. Le ténor est assez parfait d’intention et de chant en 1970 alors que sa carrière a débuté en 1951. L’art du texte, des nuances, de la coloration… tout y est pour ce Des Grieux très beau mais qui manque peut-être un petit peu d’abandon par moments, de cette grâce immédiate que pouvaient avoir Legay ou Rogatchewsky. Par contre, dans les éclats, il est lui parfaitement à l’aise là où l’on entendait les limites des deux autres. Un portrait très équilibré, subtil et parfaitement chanté et dit. Alors que sa distribution est entièrement francophone, Michel Plasson fait appel à Alfredo Kraus pour chanter Des Grieux. On peut se douter qu’il y a ici une volonté commerciale mais il faut aussi avouer que la prestation du ténor espagnol est impressionnante. Après 28 ans de carrière, la voix est toujours parfaitement maîtrisée, depuis la voix mixte jusqu’aux aigus. L’interprétation est assez sidérante et superbe… mais reste un timbre qui a vieilli et qui nous prive d’un jeune homme. On imagine un Alain Vanzo dans cet enregistrement… Enfin, Pappano a sans doute lui aussi pu enregistrer sa Manon par le couple de chanteurs stars qu’il a distribué. En Des Grieux, Roberto Alagna fait montre d’un timbre superbe, d’une diction parfaite, d’un style français parfaitement connu… mais comme toujours, je peine à tout admirer. Le chanteur passe régulièrement en voix de tête, les effets dramatiques sont un peu trop appuyés (sanglots) et à cette période, la voix semble déjà presque disproportionnée pour un tel personnage. On l’aura compris rapidement, ce sont les Des Grieux fragiles et jeunes qui me plaisent le plus. Et à ce jeu, Rogatchewsky et Legay sont superbes… mais Gedda est un très beau compromis aussi, possédant sans doute une voix plus apte à assumer aussi les grands éclats de colère ou de passion.

Marie Heilbron en 1884 lors de la création de Manon.

On en vient maintenant au rôle-titre, sans doute le plus complexe dramatiquement comme vocalement. L’évolution du personnage depuis la jeune fille naïve du deuxième acte jusqu’à l’amoureuse mourante du dernier en passant par la reine de beauté, la tentatrice… et tout cela en restant un personnage assez positif. Car oui, si l’on peut voir ici une femme qui manipule sans complexe Des Grieux (ce qui est un petit peu vrai dans l’acte de l’Hôtel de Transylvanie), on sent tout de même qu’il y a une vraie tendresse pour Des Grieux, tendresse possessive d’ailleurs. Vocalement, on passe du fameux air de la petite table au deuxième acte (tout en délicatesse et en nostalgie) à la démonstration du Cours-la-Reine puis à la tentation pure à Saint-Sulpice. Voix lyrique, mais avec une technique sûre pour assumer les petites décorations qui parsèment le grand air du troisième acte et aussi ce ton sur-lyrique nécessaire pour séduire à nouveau Des Grieux à Saint-Sulpice. Et puis il faut aussi réussir à tirer les larmes au dernier acte, faisant oublier à Des Grieux comme à nous ses trahisons. En 1884, c’est Marie Heilbron qui participe à la création de l’ouvrage. Alors âgée de 33 ans, celle qui chantait déjà à 15 ans le rôle-titre de La Fille du Régiment au Théâtre des Italiens était proche de la retraite. Même si on peut voir dans la liste des rôles que la voix s’est petit à petit élargie (elle se préparait à chanter Carmen quand elle meurt en 1885 à 34 ans!), le centre de son répertoire reste marqué par les rôles de sopranos légers, héritière des chanteuses à roulades telles que Caroline Miolan-Carvalho. C’est ce rôle aussi qui révèlera Sibyl Sanderson (voix très longue aux suraigus magistraux) en 1888 avant qu’elle ne devienne l’égérie de Massenet. Par la suite, des chanteuses plus dramatiques prendront aussi le rôle comme Geraldine Farrar par exemple. Après avoir écouté ces sept enregistrements, on peut entendre vraiment deux types des Manon : les tenantes de l’opéra-comique avec une voix plutôt légère, une grande attention au texte et une grande aisance entre dialogue parlé et partie chantée… et une autre nouvelle tradition plus axée sur le chant avec des voix plus lyriques, au timbre plus rond et charnu, au chant plus extraverti parfois au détriment du texte. On entend parfaitement dans ce rôle l’évolution des habitudes de chant de ce répertoire.

Sibyl Sanderson dans le rôle de Manon, le 19 octobre 1891 à l’Opéra-Comique.

En 1923, Fanny Heldy offre une voie assez étroite (sans doute là encore peu aidée par la prise de son) et une interprétation très fine, ne surchantant jamais, osant même quelques passages quasi parlés. Le texte est bien sûr parfaitement dit et pensé, alors que vocalement la partition semble survolée avec facilité tant d’un point de vue de la tessiture (contre-ré inclus) que de la technique. Touchante et soignée, elle reste par contre comme un magnifique portrait derrière une vitrine : l’émotion est limitée malgré tout l’art du chant et de l’interprétation. Cinq années après, Germaine Féraldy se montre de la même lignée mais avec un timbre plus rond et fruité, offrant un portrait particulièrement complet. Le petit vibrato rapide est utilisé à des fins expressives et la voix a assez de ressources pour se montrer brillante dans le troisième acte et séductrice en diable à Saint-Sulpice! Et puis que de nuances tout au long de l’opéra. Absolument sans faute d’un bout à l’autre et l’émotion est beaucoup immédiate ici! La composition de Janine Micheau en 1951 est plus étrange. Dans les deux premiers actes, on admire l’intelligence et la beauté du chant mais ce timbre légèrement gris n’aide pas à composer un personnage jeune d’autant que le chant est de nature légèrement corseté. Mais comment résister à ces superbes demi-teintes de l’air du deuxième acte? Et puis avec l’émancipation de Manon dès le troisième acte, ce timbre un peu sec devient un atout pour le personnage moins gentil que souvent. Janine Micheau se montre plus manipulatrice, presque perverse par certains côtés. Le grand air du troisième acte est une vraie démonstration tant technique (avec le fabliau si difficile et contre-ré bien sûr!) que dramatique où elle se montre dans toute grandeur. Le duo de Saint-Sulpice et la scène du jeu la montrent tentatrice comme rarement avec des effets splendides et une sorte d’autorité qui domine Des Grieux ! Sa mort est aussi superbement interprétée avec beaucoup de délicatesse. N’était ce timbre légèrement gris, on tient là une magnifique Manon. Le changement de style pour les Manon s’opère avec délicatesse en 1955 avec une Victoria de Los Angeles qui est certes déjà une voix beaucoup plus large et lyrique, mais qui conserve un soin dans la diction du texte et un style très proche de ses devancières. On regrettera peut-être juste les dialogues parlés où l’accent espagnol se fait beaucoup plus ressentir. Le premier acte la trouve un petit peu trop mature déjà de timbre, mais la composition toute en légèreté compense parfaitement. Ensuite, tout est magnifique… le deuxième acte plein de douleur et de pudeur, le troisième brillant et grande dame puis suppliante et tentatrice à la fois… Et puis ce dernier duo! Elle y est tout simplement bouleversante, dosant les effets et la puissance avec beaucoup d’art. Encore une immense Manon ici donc.

Geraldine Farrar dans le rôle de Manon.

Si l’on peut être impressionné par la technique déployée par Beverly Sills dans l’enregistrement de 1970, j’avoue être assez peu touché par cette Manon où tout est très bien chanté mais sans cet art des nuances qui fait tout le prix des interprétations précédentes. La chanteuse nuance, essaye de composer un personnage cohérent mais la voix n’arrive pas forcément à montrer cette simplicité de certains moments ou encore les emportements de passion. On admire la technicienne, le travail de diction sur le texte chanté (moins sur les mélodrames) mais elle ne peut rivaliser avec d’autres. Et ici le cap est vraiment franchi vers des chanteuses plus lyriques et moins aptes au savant dosage entre texte et chant. En 1982, Michel Plasson fait appel à Ileana Cotrubas… et là aussi on se demande pourquoi. La chanteuse montre un personnage intéressant mais qui évolue assez peu, le timbre légèrement voilé donnant immédiatement à entendre une victime au premier acte. Le troisième acte la montre moins éblouissante qu’on ne pourrait l’attendre dans son grand air alors que sa séduction est plus désespérée que véritablement passionnelle. Dans la scène de Transylvanie elle réussit par contre à trouver des accents manipulateurs très bien venus avant une mort pleine de délicatesse. Au niveau de la diction, on entend un accent dans le chant et encore plus dans les dialogues. Enfin, en 1999, Antonio Pappano réunissait le couple pour qui ont été enregistrés de nombreux opéras : Roberto Alagna et Angela Gheorghiu. La soprano a pour elle un timbre très fruité, un chant lyrique superbe et un vrai instinct dramatique. Du coup, si sa Manon n’est pas forcément la plus stylée par rapport aux plus anciennes, elle touche tout de même par les nuances qu’elle propose, par ce timbre superbe mais pas trop lourd. On pourra reprocher un peu de coquetterie par moment, mais finalement, est-ce que ce ne serait pas aussi parfaitement en phase avec Manon? Alors voilà… on l’aura vite compris, mes préférences vont vers les anciennes Manon, peut-être pas Heldy, trop handicapée par la prise de son… mais en tout cas, les trois suivantes sont absolument passionnantes. Micheau est peut-être un peu plus à part… mais comment résister à Germaine Féraldy ou Victoria de Los Angeles?

Voilà donc un long article… Sept versions studio de Manon et au final, malgré toutes les critiques parsemées de droite et de gauche, il n’y a pas de version vraiment mauvaise ici. On peut préférer les esthétiques les plus françaises qu’on peut entendre jusqu’à l’enregistrement de 1955 de Monteux, ou des propositions plus lyriques comme par la suite. S’il ne fallait en choisir qu’une, le choix serait sans doute un petit peu difficile… mais cela serait pour moi sûrement entre Cohen en 1928 et Monteux en 1955. Pour la qualité globale, pour les deux plus belles Manon… et si l’on prend en compte les coupures, c’est Monteux qui sort vainqueur. Il faut dire que la distribution réunie est un sans faute (Legay, Dens, Borthayre,…) que la qualité est très bonne et la partition quasi complète avec un chef parfaitement à son affaire dans ce répertoire.

  • Jules Massenet (1842-1912), Manon, Opéra-comique en cinq actes
  • Manon Lescaut, Fanny Heldy ; Des Grieux, Jean Marny ; Lescaut, Léon Ponzio ; Le Comte Des Grieux, Pierre Dupré ; Guillot de Morfontaine, Louis Mesmaecker ; De Brétigny, Maurice Sauvageot ; Rosette, Lucienne Estève ; Poussette, Marthe Coiffier ; Javotte, Madeleine Sibille ; l’hôtelier, Louis Morturier ; la servante, Marguerite Julliot
  • Chœur de l’Opéra-Comique
  • Orchestre de l’Opéra-Comique
  • Henri Büsser, direction
  • 2CD Marston 52003-2. Enregistré en 1923 à Paris.

  • Jules Massenet (1842-1912), Manon, Opéra-comique en cinq actes
  • Manon Lescaut, Germaine Féraldy ; Des Grieux, Joseph Rogatchewsky ; Lescaut, Georges Villier ; Le Comte Des Grieux, Louis Guénot ; Guillot de Morfontaine, Emile de Creus ; De Brétigny, Jean Vieuille/André Gaudin ; Rosette, Andrée Bernadet/Marguerite Julliot/Marinette Fenoyer ; Poussette, Andrée Vavon ; Javotte, Jeanne Rambert/Mme Ravery ; l’hôtelier, Paul Payan
  • Chœur de l’Opéra-Comique
  • Orchestre de l’Opéra-Comique
  • Elie Cohen, direction
  • 2CD Naxos 8.110203-04. Enregistré en décembre 1928 et mars 1929 à Paris.

  • Jules Massenet (1842-1912), Manon, Opéra-comique en cinq actes
  • Manon Lescaut, Janine Micheau ; Des Grieux, Libero di Luca ; Lescaut, Robert Bourdin ; Le Comte Des Grieux, Julien Giovannetti ; Guillot de Morfontaine, Jean-Christophe Benoit ; De Brétigny, Guy Godin ; Rosette, Agnes Disney ; Poussette, Claudine Collart ; Javotte, Jacqueline Cauchard ; l’hôtelier, Pierre Germain
  • Chœur de l’Opéra-Comique
  • Orchestre de l’Opéra-Comique
  • Albert Wolff, direction
  • 2CD Preiser. Enregistré en 1951 à Paris.

  • Jules Massenet (1842-1912), Manon, Opéra-comique en cinq actes
  • Manon Lescaut, Victoria de Los Angeles ; Des Grieux, Henri Legay ; Lescaut, Michel Dens ; Le Comte Des Grieux, Jean Borthayre ; Guillot de Morfontaine, René Hérent ; De Brétigny, Jean Vieuille ; Rosette, Marthe Serres ; Poussette, Liliane Berton ; Javotte, Raymonde Notti
  • Chœur du Théâtre National de l’Opéra-Comique
  • Orchestre du Théâtre National de l’Opéra-Comique
  • Pierre Monteux, direction
  • 2CD Naxos 8.111268-70. Enregistré du 30 avril au 22 juin 1955 à la Salle de la Mutualité à Paris.

  • Jules Massenet (1842-1912), Manon, Opéra-comique en cinq actes
  • Manon Lescaut, Beverly Sills ; Des Grieux, Nicolai Gedda ; Lescaut, Gérard Souzay; Le Comte Des Grieux, Gabriel Bacquier ; Guillot de Morfontaine, Nico Castel ; De Brétigny, Michel Trempont ; Rosette, Patricia Kern ; Poussette, Michèle Raynaud ; Javotte, Hélia T’Hézan
  • Ambrosian Singers
  • New Philharmonia Orchestra
  • Julius Rudel, direction
  • 3CD Deutsche Grammophon 474 950-2. Enregistré en juillet 1970 à la All Saint’s Church Tooting, Londres.

  • Jules Massenet (1842-1912), Manon, Opéra-comique en cinq actes
  • Manon Lescaut, Ileana Cotrubas ; Des Grieux, Alfredo Kraus ; Lescaut, Gino Quilico ; Le Comte Des Grieux, José Van Dam ; Guillot de Morfontaine, Charles Burles ; De Brétigny, Jean-Marie Frémeau ; Rosette, Martine Mahé ; Poussette, Ghislaine Raphanel ; Javotte, Colette Alliot-Lugaz ; l’hôtelier, Jacques Loreau ; Deux gardes, Roger Trentin / Jean Melac ; Un portier / un croupier / une voix / un archer / un joueur / le sacristain, Henry Amiel ; Un sergent / une voix / un joueur, Bernard Isambler
  • Chœur du Capitole de Toulouse
  • Orchestre du Capitole de Toulouse
  • Michel Plasson, direction

  • Jules Massenet (1842-1912), Manon, Opéra-comique en cinq actes
  • Manon Lescaut, Angela Gheorghiu ; Des Grieux, Roberto Alagna ; Lescaut, Earle Patriarco ; Le Comte Des Grieux, José Van Dam ; Guillot de Morfontaine, Gilles Ragon ; De Brétigny, Nicolas Rivenq ; Rosette, Susanne Schimmack ; Poussette, Anna Maria Panzarella ; Javotte, Sophie Koch ; l’hôtelier, Nicolas Cavallier ; Premier garde / Premier voyageur / Premier cuisinier, Marc Coulon ; Deuxième garde / Deuxième voyageur / Un marchand d’élixir, Ernest Frere ; un marchand de chansons, Gérard Lavalle ; un porteur, Julien Weisberger ; une vieille dame, Mariella Moeskops ; Première voyageuse / une marchande, Maryvonne Deprez ; Deuxième voyageuse, Lieve Jacobs ; Troisième voyageuse, Rosa Brandão ; Quatrième voyageuse, Nathalie Perin ; La servante, Ghila Kovacs ; Le portier du séminaire / une voix dans le fond / un archer, Yann-Armel Villiers ; Deuxième joueur / une voix de policier, Pascal Macou ; Les archers, Luc de Meulenaire / Yves Goffiner / Yann-Armel Quemener / Pascal Macou
  • Chœur du Théâtre de La Monnaie
  • Orchestre Symphonique du Théâtre de La Monnaie
  • Antonio Pappano, direction
  • 3CD Warner Classics 4 5639 2. Enregistré au Cirque Royal de Bruxelles du 23 avril au 9 mai 1999..

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