C’est lors de l’édition de 2015 que j’avais découvert ces magnifiques jardins de William Christie. C’était alors la quatrième édition de ce Festival dans les Jardins de William Christie qui redonne vie pendant quelques semaines au petit village de Thiré, perdu au fond de la Vendée. Au cours des années, on a pu voir quelques évolutions dans les lieux de représentations, dans la conception des programmes, dans la mise en avant de certains artistes… mais on a toujours le même magnifique cadre (qui même continue à s’agrandir et s’embellir), toujours la même qualité musicale… et toujours le grand plaisir de baigner dans la musique de 16h à 23h… C’est en général le programme du soir qui définit la journée de visite. Et cette année c’est le programme “Molière et ses musiques” qui aura été le plus intéressant sur le papier. Et la distribution (De Negri, Auvity, Mauillon,…) promettait des concerts de l’après-midi intéressants! Et ce fut le cas à plus d’un titre!
Si l’organisation est meilleure d’année en année, quelques petites déceptions. Encore une fois, pas beaucoup de lieux de concerts pour l’après-midi : La Pinède, Le Cloître, le Mur des Cyclopes et l’Arche Hubert Robert. On regrette que les autres lieux (le Théâtre de Verdure, le Jardin Éphémère, le petit bois d’Henry-Claude, les Coulisses du Théâtre ou encore le Pont Chinois) ne soient pas exploités, nous permettant de plus naviguer dans le jardin. Surtout que contrairement aux années précédentes, il est interdit de se promener dans les jardins durant la pause entre les concerts dans le jardin et le concert du soir. Auparavant, chacun déambulait parmi les bosquets avec qui un sandwich, qui une flûte de champagne… maintenant il faut rester dans la prairie arborée juste après le petit pont d’entrée. Dommage car cela faisait aussi partie du charme cette petite liberté, ce plaisir de trouver un lieu peu fréquenté pour profiter du cadre. Voilà pour les quelques regrets… et maintenant il faut saluer aussi tous les points positifs. L’ambiance toujours agréable avec les artistes souriants, le public qui ne va pas se jeter sur eux pour les embêter… (public par contre qui devrait avoir quelques consignes concernant le respect des autres lors des concerts…) et puis bien sûr le plaisir d’être dans un lieu si calme, si beau et si agréable que parfois, on écoute la musique tout en s’imprégnant des paysages!
Mais commençons la visite musicale!
1 – Promenades musicales : Dans les jardins d’Henriette de Coligny
Étant donné qu’il y a cet après-midi deux concerts autour des airs de cours et que les deux se déroulent dans ce Cloître, on va essayer de les séparer pour ne pas rester deux concerts de suite au même endroit. Le Cloître est assez parfait pour ce répertoire intimiste, avec le grand mur derrière, l’atmosphère recueillie… on regrettera juste le manque de savoir-vivre d’une partie du public qui bloque le passage avec leurs fauteuils ou qui n’hésitent pas à déplacer un pot de fleur pour mieux voir les musiciens!
Deux artistes habitués à ce répertoire sont ici rassemblés : Marc Mauillon et Myriam Rignol. Les deux avaient déjà publié un disque consacré aux airs de cours composés sur des poèmes d’Henriette de Coligny et ils y reviennent ici mais sans Angélique Mauillon. Arrière-petite-fille du fameux Amiral de Coligny (dont on parle dans Les Huguenots), la jeune femme devient veuve rapidement, est remariée à un noble protestant, puis décide de se convertir au catholicisme afin de lui échapper et ainsi vivre une vie plus légère dédiée à l’art et la littérature! Femme très indépendante donc et particulièrement moderne! Après une petite introduction sur la vie mouvementée de notre comtesse et quelques explications sur les poèmes qu’elle composait (toujours galants, mais souvent osés pour l’époque derrière des images naïves!), voici que les deux musiciens s’installent, assis sur un petit muret. Viole de gambe et baryton, voilà qui est assez rare pour ce répertoire où on a plus l’habitude d’entendre un théorbe ou un luth. Mais rapidement, on entend un accompagnement différent mais tout aussi passionnant et vif. La viole donne un son plus étouffé et plus lié par rapport au théorbe mais le jeu virtuose de Myriam Rignol et son inventivité pour accompagner font merveille avec par exemple “Le doux silence de nos bois” qui est magnifié par cet accompagnement délicat. Au chant, on retrouve le grand habitué qu’est Marc Mauillon. Comme souvent, il choisit la prononciation restituée et non moderne dans ce répertoire. La distance au texte devient forcément plus grande et le sens un petit peu moins aisé à comprendre, mais la diction est tellement nette que peu de mots nous échappent. Grand diseur mais aussi chanteur au style impeccable, il sait donner vie à ces différents airs en variant les effets, en ajoutant quelques décorations, quelques variations du plus bel effet sans pour autant faire une démonstration. Belle émotion et très beau moment de musique pour commencer cet après-midi!
- Thiré
- Les Jardins de William Christie, Le Cloître
- 26 août 2022, 16h
- Dans les jardins d’Henriette de Coligny
- Sébastien Le Camus (1610-1677) : “Forêts solitaires et sombres” – “Bois écartés, demeures sombres”
- Anonyme : “Vous ne m’attirez point par vos attraits charmants”
- François Campion (1686-1747) : “Qu’il est propre à se faire aimer”
- Honoré d’Ambruys (1660 ?-1702 ?) : “Le doux silence de nos bois” – “Amours cent mille mercis”
- Marc Mauillon, voix
- Myriam Rignol, viole de gambe
2 – Promenades musicales : Le sommeil d’Ulysse
Le premier concert terminé, direction la Pinède pour une cantate d’Élisabeth Jacquet de la Guerre. Au passage, on redécouvre la cour d’honneur ainsi que le Jardin Rouge (où j’avais découvert en 2017 la jeune Léa Desandre et le jeune Carlo Vistoli, alors membres du Jardin des Voix!). Les concerts à la Pinède avec William Christie sont toujours pris d’assaut, aussi l’on se dépêche pour arriver dans les premier, pouvoir s’installer en face des pupitres mais à une distance respectable tout de même, dans l’alignement des quelques personnes déjà présentes. Le public arrive, s’installe qui en chaise pliante qui par terre… et deux minutes avant le début, bien sûr deux dames arrivent et s’assoient devant tout le monde sans même se retourner ou s’excuser. Bien sûr elles gâchent la vue mais non pas le plaisir musical! Élisabeth Jacquet de la Guerre est une personnalité impressionnante pour l’époque : claveciniste virtuose qui joue devant Louis XIV à cinq ans, sa formation musicale complète donnée par son père (musicien lui-même) lui permet de composer toutes formes de musique, depuis les sonates jusqu’à une tragédie lyrique, en passant par des cantates ou un Te Deum. Ce Sommeil d’Ulysse est assez représentatif des cantates profanes de l’époque mais on sent toute l’intelligence et le talent de la compositrice qui alterne parfaitement récit, chant et musique pour faire avancer le drame. L’orchestre est toujours porteur de sens et est vraiment complet malgré le peu d’instruments. Et quel beau travail lors du sommeil ou de la tempête par exemple : composition sobre mais parfaitement démonstrative!
Ici on retrouve Myriam Rignol à la viole de gambe totalement investie, tout comme William Christie (qui chante et vit la musique comme on l’a rarement vu dans ce répertoire!) et Tami Troman au violon. Mais la grande triomphatrice est sans nul doute Emmanuelle De Negri. Celle qui fut une Sangaride miraculeuse dans Atys il y a maintenant onze ans est toujours aussi fascinante dans ce répertoire baroque. La diction est tout bonnement parfaite et la chanteuse a gagné en expressivité depuis pour vraiment mordre le texte et lui donner toute sa force que ce soit dans les moments dramatiques ou plus naïfs. La voix sonne, pleine et nette alors que le style est parfait. Que dire si ce n’est que ce moment était vraiment miraculeux? On regrette que de tels moments n’aient pas été préservés par une captation tant le résultat était grandiose : la rencontre entre une chanteuse et une partition qui n’est pas sans rappeler le succès d’Agnès Mellon dans ce répertoire bien des années après sa superbe Sangaride elle aussi. Les voix ont légèrement évolué en perdant en brillant mais en gagnant en densité, et l’art du chant et du dire sont toujours aussi parfaits et donnent encore plus de force au chant!
- Thiré
- Les Jardins de William Christie, La Pinède
- 26 août 2022, 16h30
- Le sommeil d’Ulysse
- Élisabeth Jacquet de la Guerre (1665-1729) : Le Sommeil d’Ulysse
- Emmanuelle De Negri, soprano
- Tami Troman, violon
- Myriam Rignol, viole de gambe
- William Christie, clavecin
3 – Promenades musicales : Aimer ou boire, faut-il choisir?
Le troisième concert nous emmène vers le Mur des Cyclopes, espace beaucoup plus ouvert qui s’est agrémenté depuis l’année dernière de quelques troncs d’arbres permettant de s’installer confortablement pour une partie du public. On plonge ici dans le répertoire qui sera au cœur du concert du soir avec le prologue de Georges Dandin de Lully, sur un texte de Molière bien sûr. Il faut l’avouer tout de suite, ce concert ne sera pas le plus passionnant de l’après-midi surtout après la fabuleuse interprétation de la cantate juste avant. Musicalement, nous sommes sur des ensembles comiques où l’on se demande si Amour ou Bacchus sont les dieux les plus importants pour vivre… avant de conclure qu’il faut les deux. Les musiciens offrent un bel accompagnement musical mais les chanteurs ne sont pas tout à fait au niveau. Si Juliette Perret et Virginie Thomas se sortent bien de leurs rôles malgré un volume et un impact légèrement limités, Cyril Costanzo semble avoir un souci car régulièrement la voix s’éraille et un graillon l’empêche de faire ce qu’il veut. Il s’amuse beaucoup et nous amuse aussi avec son personnage comique, mais on sent une gêne vocale. À ses côtés, Jean-Yves Ravoux semble vraiment dépassé par le rôle qui lui est attribué. Chanteur du chœur comme les deux sopranes, je garde un souvenir impressionné il y a quelques années lors d’un atelier de chant ici même où il était juste à côté de moi et où la voix sortait très bien. Ici elle semble réduite à une trame, les aigus sont atteints avec beaucoup de peine et les graves ne sont pas sonores. En espérant que ce soit le jour qui n’était pas bon pour le chanteur!
- Thiré
- Les Jardins de William Christie, Le Mur des Cyclopes
- 26 août 2022, 17h
- Aimer ou boire, faut-il choisir ?
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Georges Dandin : Prologue
- Juliette Perret, dessus
- Virginie Thomas, dessus
- Jean-Yves Ravoux, taille
- Cyril Costanzo, basse
- Kako Miura, dessus de violon
- Alyssa Campbell, haute-contre de violon
- Deirdre Dowling, taille de violon
- Tsutomu William Copeland, quinte de violon
- Niels Coppalle, basson et flûte
- Cullen O’Neil, violoncelle
- Diego Salamanca, théorbe
4 – Promenades musicales : Promenade champêtre et amoureuse
Retour dans le Cloître (dans la galerie cette fois, alors qu’en début d’après-midi j’étais au-dessus du Cloître) pour un autre concert d’airs de cours. Ici le thème est champêtre et galant. On retrouve une formation plus habituelle avec une soprano et un théorbe. Le choix est fait aussi d’utiliser le français moderne. Et je ne sais si c’est la comparaison obligatoire entre ce concert et celui de Marc Mauillon, mais malgré quelques beaux moments, on reste un petit peu frustré. Déjà il faut souligner les conditions : le vent était de la partie et régulièrement les partitions ont fait des leurs, déconcentrant la pauvre Claire Debono qui se perd quelque peu dans le texte. Mais il y a aussi l’aisance dans cet exercice. Sous le regard de Marc Mauillon qui assistait au concert, on entend un français parfait, mais une voix presque trop puissante, un chant presque trop lyrique pour ces petites miniatures. Au théorbe, Diego Salamanca se montre un bon accompagnateur mais qui semble manquer lui aussi de l’habitude que peuvent avoir d’autres musiciens. On est heureux d’entendre de superbes mélodies comme le “Sans frayeur dans ce bois” par exemple, mais le concert peine à totalement décoller.
- Thiré
- Les Jardins de William Christie, Le Cloître
- 26 août 2022, 17h30
- Promenade champêtre et amoureuse
- Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) : “Sans frayeur dans ce bois” – “Auprès du feu l’on fait l’amour” – “Ah! Qu’ils sont courts les beaux jours”
- Sébastien Le Camus (1610-1677) : “Que vous flattez mes rêveries”
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Le Bourgeois gentilhomme : “Je languis nuit et jour”
- Jean-Baptiste de Bousset (1662-1725) : « Pourquoy, doux rossignol”
- Claire Debono, soprano
- Diego Salamanca, théorbe
5 – Promenades : Lully le jardinier
Dernier concert de l’après-midi avec la réunion de tout le public devant la terrasse où le public s’installe sur l’herbe, à l’ombre ou au soleil, se plaçant au milieu des topiaires qui parsèment le jardin à cet endroit. Cette année, William Christie cède sa place pour laisser carte blanche à Emmanuel Resche. Le violoniste fait partie de l’ensemble depuis de nombreuses années et dirige lui-même son ensemble La Concordia. Il est donc maître de ces terrasses où l’on ne retrouve même pas le maître des jardins au clavecin puisqu’il est remplacé par Marie Van Rhijn. Au programme, du Lully comme lors de toutes ces terrasses, mais cette fois placé sous le signe du jardin. En effet, beaucoup de la musique de Lully a été jouée dans les jardins royaux et même si cela n’implique pas une relation forte, de nombreuses pièces font référence à la nature ou même aux jardiniers! Avec un ensemble réduit mais particulièrement investi, le violoniste nous fait découvrir de très beaux moments de musique comme la Chaconne des Arlequins ou la pièce nommée “Les Jardiniers” extraite du Ballet de Flore. Au passage, deux airs chantés par Virginie Thomas qui semble ici plus à l’aise que dans le concert avec les extraits de Georges Dandin. L’ambiance printanière et bucolique de ces pièces ainsi que l’entrain des musiciens font de ce moment un beau bouquet final de cet après-midi de promenade dans le jardin.
- Thiré
- Les Jardins de William Christie, La Terrasse
- 26 août 2022, 18h
- Carte blanche à Emmanuel Resche : Lully le jardinier
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Georges Dandin : Rondeau pour les Bergers – Air “Icy l’ombre des ormeaux”
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Ballet de Flore : Entrée de Vertumme – Les Jardiniers – Menuet pour les mêmes
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Le Bourgeois Gentilhomme : Chaconne des Arlequins
- Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), La Couronne de Fleurs : Air de Flore
- Virginie Thomas, soprano
- Emmanuel Resche, violon
- Tami Troman, violon
- Deirdre Dowling, alto
- Simon Heyrick, alto
- Sébastien Marq, flûte à bec
- Evolène Kiener, basson
- Cyril Poulet, violoncelle
- Douglas Balliett, contrebasse
- Marie Van Rhijn, clavecin
6 – Le concert du soir : Molière et ses musiques
Après un petit repas, retour dans les Jardins de William Christie pour le programme du soir. En cette année célébrant les 400 ans de la naissance de Molière, les Arts Florissants se penchent sur ses collaborations avec Jean-Baptiste Lully et Marc-Antoine Charpentier. Car il y a nombre de comédies-ballets, de comédies galantes, de comédies et même une tragédie-ballet. Les plus connus sont bien sûr Le Bourgeois Gentilhomme avec Lully et Le Malade Imaginaire avec Charpentier mais on trouve pas moins de quinze pièces où la musique avait un rôle important. Il est d’ailleurs étonnant de voir les compositeurs qui par la suite ont repris ces pièces pour leur donner de nouvelles musiques : Richard Strauss pour Le Bourgeois Gentilhomme, Camille Saint-Saëns pour Le Malade Imaginaire ou encore Charles Gounod pour Le Médecin Malgré Lui. Mais pour le concert de ce soir, on restera uniquement baroque avec Lully et Charpentier, sans même une escapade plus tardive chez Dauvergne qui avait pourtant repris Le Sicilien ou l’Amour peintre.
Nous assistons à une sorte de pasticcio ici avec un personnage principal metteur en scène en proie avec la troupe de Molière après sa mort. Face à tous ces acteurs et aux musiciens, le pauvre metteur en scène interprété par Stéphane Facco se trouve souvent malmené. Émerge de cette troupe Mademoiselle Molière, épouse de Molière, comme diva. Sinon les personnages sont peu différenciés et permettent d’épouser les différents rôles des extraits choisis. Musicalement justement, William Christie a pioché dans les grands standards que sont Le Malade Imaginaire et Le Bourgeois Gentilhomme respectivement de Charpentier et Lully, mais propose aussi des extraits de George Dandin (Lully), La Pastorale comique (Lully), Le Mariage Forcé (Lully, puis Charpentier pour les Intermèdes nouveaux du Mariage Forcé), Monsieur de Pourceaugnac (Lully) et Les Amants Magnifiques (Lully).
La première partie montre donc notre metteur en scène essayer de diriger une répétition durant le Prologue du Malade Imaginaire mais il faut faire avec les personnalités des acteurs. Même les musiciens finissent par mettre leur nez dans la direction et finalement il y a comme une révolte à partir de La Pastorale Comique avant que la grande Cérémonie des Turcs du Bourgeois Gentilhomme ne tourne presque en séance de bizutage pour notre metteur en scène. De retour pour la deuxième partie avec Le Malade Imaginaire, il semble s’intégrer dans la troupe tout comme ce nouveau médecin s’intègre. La suite de la soirée est dramatiquement plus complexe à suivre même si on peut comprendre à un moment un hommage au défunt Molière. Mais malgré ce petit relâchement dans le théâtre, il faut souligner la qualité de la musique ici proposée. Que ce soit la folie de Lully qui s’en donne à cœur joie dans la loufoquerie ou un plus grand sérieux de Charpentier, on est totalement embarqué par la composition où le texte se coule parfaitement dans la musique… ou l’inverse.
La mise en scène est assez sobre, mais très vivante. Marie Lambert-Le Bihan peut se reposer sur des personnages déjà habitués à ces stéréotypes du théâtre et elle semble avoir beaucoup joué avec leurs personnalités. Mais elle compose aussi de très beaux tableaux comme ce Shiva aux gants rouges, ou cette cérémonie d’intronisation du nouveau médecin menée tambour battant. Beaucoup de détails et une grande fluidité pour cette mise en espace qui réjouit et laisse tout son espace à la musique.
L’orchestre des Arts Florissants est sur le côté, serré pour laisser de la place au théâtre mais parfois s’intègre habilement à ce qui se passe. Musicalement, les douze instrumentistes auxquels s’ajoute William Christie au clavecin sont irréprochables tant dans les individualités que dans les ensembles. Jamais trop sonores, toujours parfaitement colorés et vivants, ils donnent corps à cette musique avec bonheur et beaucoup de savoir-faire. ll faut dire que quelques noms sont loin d’être inconnus comme Emmanuel Resche vu plus tôt dans l’après-midi au violon, Myriam Rignol à la viole de Gambe, Cyril Poulet à la basse de violon (violoncelle), Sébastien Marq à la flûte, Marie-Ange Petit aux percussions ou encore Thomas Dunford à l’archiluth… voilà qui ferait presque un orchestre de solistes s’ils n’avaient pas l’habitude de jouer ensemble dans ces fameux Arts Florissants. Les quelques interventions solistes sont bien sûr parfaites… et on les trouve aussi très à l’aise dans quelques moments où ils se doivent de jouer totalement faux : on entend certes quelque chose de faux, mais pas un capharnaüm… quelque chose de travaillé tout de même!
Le Chœur des Arts Florissants est au même niveau d’excellence et d’investissement. Si l’on a pu avoir quelques petits reproches lorsqu’ils doivent chanter en soliste, ici en ensemble le résultat est extraordinaire de précision et de netteté. Le style bien sûr est parfait, mais aussi la diction et les couleurs encore une fois. C’est sans nul doute l’un de meilleur ensemble choral baroque… et même en nombre restreint comme ici (3 dessus, 2 hautes-contres, 4 tailles, 1 basse-taille et 1 basse), on retrouve ce velouté habituel. Il faut aussi saluer la présence des plusieurs chanteurs qui sortent du chœur pour des passages solistes ou en duo/trio comme Virginie Thomas, David Tricou (quelle voix!!), Bastien Rimondi, Matthieu Walendzik et Julien Neyer.
Il ne faut pas oublier aussi les danseurs de la Compagnie Les Corps Éloquents qui à quatre occupent parfaitement la scène durant les danses. Avec des chorégraphies qui rappellent la gestique baroque (les chanteurs les reprennent aussi parfois), ils nous offrent de superbes moments et entraînent toute la troupe des chanteurs parfois dans les ensembles ou viennent les renforcer à d’autres pour un effet plus impressionnant de la foule.
En maître de cérémonie, Stéphane Facco est très à l’aise sur scène et n’était une sonorisation un petit peu forte (qui parfois d’ailleurs semble sonoriser aussi les chanteurs trop proches de lui), sa prestation emporte totalement l’adhésion. La voix est bien posée, la diction parfaite… et le personnage créé savoureux dans sa couardise ou son comique. Il est le liant dans cet assemblage de pièces souvent disparates et permet de donner une trame au spectacle. On retiendra aussi les interventions de William Christie qui donne de sa personne en arrivant en criant sur scène ou lors de la cérémonie des médecins où il va dire en latin une partie du texte (comme il le faisait en 1990 dans l’enregistrement paru chez Harmonia Mundi). Le seul petit défaut pour ce grand musicien est que sa diction est loin d’être parfaite en français. Lui qui a formé des générations de chanteurs à l’art de dire le français et de le chanter se montre beaucoup moins net voir même à peine compréhensible par moments… et encore plus en latin!
Et justement on en vient aux chanteurs solistes! Il a été signalé plus haut la qualité des interventions de membres du chœur, mais la lecture des noms des solistes est assez impressionnante aussi! Si Cyril Costanzo n’avait pas été très à l’aise dans le concert de l’après-midi, il est ici en pleine possession de ses moyens notamment dans la grande Cérémonie des Turcs où il s’en donne à cœur joie, laissant tonner sa voix sur une longue tessiture. Scéniquement très présent, il tient particulièrement bien cette grande scène en en faisant beaucoup, mais en conservant aussi une diction exemplaire! Claire Debono se montre plus discrète tout au long du spectacle, n’ayant finalement que peu de moments où briller. Mais la voix qui semblait un petit peu trop large pour les airs de cours semble beaucoup plus calibrée ici dans un lieu plus grand et un répertoire plus lyrique. Mais ceux qui brillent vraiment d’un bout à l’autre sont Emmanuelle De Negri, Cyril Auvity et Marc Mauillon. Ce dernier semble particulièrement à l’aise en scène et s’il en fait des tonnes dans la gestuelle, il semble vraiment s’amuser et caractérise à merveille ses personnages avec une voix toujours aussi sonore et bien projetée. Son compère Cyril Auvity n’est pas en reste. Moins expansif scéniquement, il est tout de même très impliqué et on retrouve ce timbre si beau, cette finesse dans les décorations, cette diction splendide… et un caractère joueur qu’on lui voit rarement (mais les deux chanteurs rappellent fortement le duo qu’ils formaient dans Platée à l’Opéra-Comique!). Enfin, celle qui est mise en avant dans la première partie et revient par la suite de manière épisodique mais toujours brillante : Emmanuelle De Negri. La soprano joue un rôle de diva alors qu’elle ne semble vraiment pas en être une! Et donc elle s’amuse scéniquement tout en conservant cette rigueur vocale qu’on lui connaît. Que le timbre est beau, la projection certaine, la diction et le sens du texte comme toujours parfait. Elle illumine bien des moments par son chant!
Quel magnifique spectacle! La mise en espace est fine et laisse libre court au caractère des chanteurs… et surtout il y a ce cadre qui reste toujours aussi enchanteur. Le spectacle débute alors que le soleil est encore bien présent… l’entracte se fait alors qu’il commence à disparaître… et le final dans la nuit, avec les éclairages au fond de la grande arche végétale et de la perspective… et puis cette pièce d’eau éclairée par des bougies, les arbres eux aussi habillés de lumière. Le moment est magique surtout quand tout est réuni comme ici! Le spectacle doit être repris à la Philharmonie de Paris cette saison, mais le cadre ne pourra être identique!
- Thiré
- Les Jardins de William Christie, Le Miroir d’Eau
- Molière et ses musiques
- 26 août 2022, 20h
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), George Dandin : Ouverture
- Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), Le Malade imaginaire – Prologue : Ouverture – “Quittez vos troupeaux” – “Berger, laissons là” – Ritournelle – “Quelle nouvelle parmi nous” – Chœur “Ah, quelle douce nouvelle” – Rondeau [Joie des Bergers] – “Mon jeune amant” – Combat – “Quand la neige fondue” – Bourrée – “Le foudre menaçant” – Ritournelle [Gavotte] – [Reprise de l’Air de combat] – Les Zéphirs – Chœur “Joignons tous dans ces bois”
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), La Pastorale Comique : Entrée des Magiciens – Trois Sorcières “Déesse des appas” – Chaconne des Magiciens – Trois Sorcières “Ah! qu’il est beau, le jouvenceau”
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Le Bourgeois gentilhomme, Marche pour la cérémonie des Turcs : “Alla, alla” – “Se ti sabir” – “Dice, mi Turque” – “Mahometta per Giourdina” – Star bon turqua Giourdina” – Deuxième Air – “Ou, ou, ou” – “Ti non star furba?” – Troisième Air – “Ti star nobilé” – Quatrième Air – “Dara, dara, bastonara” – Da capo Troisième Air – “Non tener honta” – Da capo Deuxième Air – “Star bon turqua Giourdina?”
- Marc-Antoine-Charpentier (1643-1704), Le malade Imaginaire, Troisième intermède : La Marche – Chœur “Bene respondere” – Air des révérences – Chœur “Vivat” – Chirurgiens et Apothicaires – Air “Puisse-t-il voir” – Chœur “Vivat” – Air “Puissent toti anni” – Chirurgiens et Apothicaires – Chœur “Vivat”
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Le Mariage forcé, Scène du Magicien (Deuxième intermède) : Dialogue “Holà, qui va là?” – Entrée des Démons
- Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), Intermèdes nouveaux du Mariage forcé : Air “Belle ou laide”
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Le Mariage forcé, Scène du Magicien (Deuxième intermède) : Gavotte pour quatre galants cajolant la femme de Sganarelle
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), George Dandin : Plainte de George Dandin “O mortelle douleur”
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Le Bourgeois gentilhomme : Premier Air des Espagnols
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Monsieur de Pourceaugnac : Air “Sortez de ces lieux”
Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), Intermèdes nouveaux du Mariage forcé : Trio “La la la” – Les Grotesques – Trio “Ô la belle symphonie” – Chœur “Ô le joli concert” - Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Les Amants magnifiques (Les Jeux Pithiens) : Menuet pour les Faunes et les Dryades – Ritournelle pour les flûtes des Jeux Pytiens – Duo “Jouissons des plaisirs innocents”
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Monsieur de Pourceaugnac : Chœur “Sus, sus, chantons tous ensemble”
- Mise en espace, Marie Lambert-Le Bihan
- Chorégraphie, Hubert Hazebroucq
- Choix des textes et dramaturgie, Vincent Boussard
- Stéphane Facco, récitant et basse
- Emmanuelle De Negri, dessus
- Claire Debono, dessus
- Cyril Auvity, haute-contre
- Marc Mauillon, basse-taille
- Cyril Costanzo, basse
- Danseurs de la Compagnie Les Corps Eloquents : Hubert Hazebroucq, Antonin Pinget, Guillaume Jablonka, Marius Lamothe
- Les Arts Florissants
- William Christie, direction
7 – Méditations à l’aube de la nuit : Le Lay de la Fonteinne
Après une petite déambulation nocturne dans les rues de Thiré, voici une partie du public qui se retrouve devant l’église pour attendre le dernier concert : les fameuses Méditations à l’aube de la nuit. Les années passent mais le bâtiment ne semble pas encore bénéficier des restaurations qui fleurissent dans le centre ville où William Christie installe son quartier des artistes par exemple. L’église pourrait sans doute être plus belle avec soit une réfection des peintures blanches, soit encore mieux une recherche des éventuels vestiges d’une décoration murale. Mais peu importe car le but est d’écouter avant tout. Et ce soir, c’est à priori une première pour le festival avec une pièce de Guillaume de Machaut. Compositeur du XIVe siècle mais aussi poète, il a codifié et fixé une partie des pratiques de l’époque tout en apportant sa vision de la musique et des textes. Ce soir, c’est Le Lay de la Fonteinne qui nous est proposé, grand poème sur l’amour. Chanté par trois “voix égales”, le principe ainsi que nous l’explique Paul Agnew est de faire chanter le premier couplet par un chanteur, puis les trois chantent en canon la même mélodie, puis un autre chanteur chante seul le couplet suivant, puis les trois, puis le dernier chanteur… et ainsi de suite. Il s’en suit un côté assez hypnotique dans le chant, surtout avec les trois chanteurs présents. Marc Mauillon a beaucoup chanté ce répertoire et semble l’instigateur de cette initiative. Sa voix raide, précise et au chant très net impressionne immédiatement. Mais ce qui fascine c’est d’entendre aussi les façons qu’ont Cyril Auvity et Paul Agnew de chanter après. Cyril Auvity a une voix plus claire, plus ronde aussi et se montre peut-être moins stricte dans son chant que le spécialiste mais tout en conservant une certaine rectitude vocale nécessaire à ce répertoire. Paul Agnew enfin donne à entendre cette voix légèrement étouffée, légèrement ouatée… et là aussi une rigueur dans le chant. Les parties solistes sont magnifiques car bien différenciées à la fois par le timbre et par la façon de faire de chacun. Mais ils se rassemblent dans les trios et là on est fasciné par le mélange de ces trois voix différentes mais qui se répondent admirablement, créant des harmonies sublimes et des effets de voix superbes! Malheureusement aucune captation ne semble avoir eu lieu. Et même visuellement, les trois assis en carré dont un côté serait le public, chacun totalement concentré sur son chant et sur le rythme. Immense moment de musique et découverte d’une œuvre superbe.
Bien sûr, le public ne sera pas aussi calme que souhaité pour sortir, surtout après une telle prestation… mais finalement, on commence à avoir l’habitude de ce manque de retenue, les gens parlant immédiatement ou presque après la sortie des chanteurs, n’attendant même pas d’être hors de l’église.
- Thiré
- Les Jardins de William Christie, Église de Thiré
- 26 août 2022, 22h45
- Méditations à l’aube de la nuit
- Guillaume de Machaut (1300-1377), Le Lay de la Fonteinne
- Paul Agnew
- Cyril Auvity
- Marc Mauillon
Voilà encore un bien beau séjour dans ce magnifique cadre. Et quel programme… du baroque français, rien que ça… et pas n’importe lequel puisque le plus récent n’était autre que Charpentier. Donc la première école et même des incursions vers les siècles précédents avec des airs de cours mais surtout ce Machaut qui termine la journée. Splendide et comme toujours totalement dépaysant!