Après le relatif échec de La Reine de Saba en début d’année 1862, Gounod se tourne vers un sujet qui n’est pas du tout comparable, mais qui ne risque pas de s’attirer les bonnes grâces du public. Il découvre en effet durant l’hiver 1862-1863 le poème Mirèio de Frédéric Mistral et lui demande immédiatement s’ il peut en tirer un opéra. La réponse sera positive et Gounod ira s’installer à Saint-Rémy-de-Provence pour s’imprégner de la Provence et être juste à côté du père de Mireille avec qui il échange très régulièrement durant des longues promenades dans divers lieux. Si pour Sapho quelques petits moments musicaux pouvaient faire penser à la méditerranée, ici il va noter des mélodies entendues, des impressions sur les lieux… tout cela pour essayer de les transcrire dans sa musique, non pas seulement “faire” couleur local mais bien mettre des touches mélodiques et des rythmes qui nous plongent dans cette histoire tragique. On peut bien se douter que le parisien qui avait lu le poème et celui qui devait aller découvrir l’opéra de Gounod n’étaient pas les mêmes et surtout n’avaient pas les mêmes attentes. Alors que triomphait à Paris La Belle Hélène d’Offenbach, que Paris était le centre du monde… Proposer une intrigue si éloignée et de plus tragique n’était pas une garantie de succès. Et en effet, le succès ne fut pas au rendez-vous.
Avant de rentrer dans le cœur du sujet, que ce soit l’histoire de l’œuvre ou les comparatifs discographiques, il me faut avouer quelque chose. Mireille est l’opéra qui me fit découvrir ce monde fascinant de l’art lyrique. J’y suis donc toujours particulièrement attaché, son écoute me donnant systématiquement du baume au cœur. Et l’enregistrement récent de Michel Plasson a été mon premier achat de disque d’opéra, longtemps le seul. Il a donc été écouté de très très très nombreuses fois, forgeant mon écoute et mes attentes. La découverte des autres versions venant bien après. J’espère donc essayer d’être un minimum objectif… mais souvent je risque de revenir à mes vieux travers et mes habitudes d’écoute!
Mais revenons à la partition. Comme indiqué en introduction, Gounod s’est totalement immergé dans son ouvrage, cherchant avant tout à rendre justice à cette triste histoire basée sur des faits réels. Pour cela, il composa l’opéra à Saint-Rémy-de-Provence, au plus près du poète et en allant voir les lieux où se passent l’action. Lors de la première écoute donnée sur place, Mistral donnera son aval en larme après que Gounod ait joué la partition pour un public restreint. Il semble que même les simplifications et modifications réalisées par le librettiste Michel Carré aient convenues au poète provençal. Sauf que tout à son travail et à sa vision, le compositeur oubliait pour qui il composait ce nouvel opéra! Encore une fois, la partition devait être créée au Théâtre Lyrique dirigé par Léon Carvalho… et le rôle titre revenait obligatoirement à sa femme Caroline Miolan Carvalho. La chanteuse s’était faite connaître dans des rôles très légers où elle pouvait exhiber ses roulades, ses suraigus, sa finesse… et si la voix avait évolué pour pouvoir chanter Marguerite de Faust ou Donna Anna de Don Giovanni, elle restait foncièrement légère et la chanteuse préférait bien sûr des rôles lui permettant de mettre ses avantages en avant. Et c’est ce qu’elle souhaitait dans Mireille. Comme le raconte Guy Ferrant dans le passionnant livre La vraie Mireille de Gounod (qui peut être lu en entier ICI), Madame Carvalho passait à Tarascon en train et souhaitait à ce moment échanger rapidement avec le compositeur. Malheureusement le train avait du retard et donc l’échange fut très rapide. Lors du départ, la soprano lança à Gounod : “Et surtout, mon cher, du brillant, n’est-ce pas? beaucoup de brillant!…” Or ce n’était en rien le but de notre compositeur qui au contraire composait le tendre “Heureux petit berger” le soir même, très loin du brillant demandé par la chanteuse. La partition finie était donc un opéra (entièrement chanté selon Ferrant et Reynaldo Hahn, avec dialogues rimés selon Gérard Condé!) en cinq actes où le rôle principal n’avait aucun moment de démonstration technique, le chant étant entièrement porté par le drame.
Pierrette Alarie dans la valse ariette « O légère hirondelle », direction Pierre Dervaux (1953).
En entrant en répétition, bien sûr la chanteuse se hérissa : pas de vocalises, des scènes inchantables (la Scène de la Crau!)… Avant la création, une tension s’établit entre la chanteuse et le compositeur à tel point qu’elle refusa de créer Mireille. Des échanges d’avocats commencèrent, où on découvrait que la soprano considérait qu’on lui demandait des “vociférations”. Finalement, Gounod accepte de réduire la scène de la Crau de moitié (qui sera supprimée dès la deuxième représentation) et accorde quelques vocalises à la cantatrice. Il accepte aussi d’enlever la scène du Val d’Enfer entre Vincent et Ourrias (qui sera finalement rétablie à la troisième représentation). Pire, il est contraint de supprimer la cavatine de Vincent au dernier acte du fait du faible niveau du ténor. Mais malgré ces adaptations, le public n’y trouve rien à son goût : histoire provinciale, fin tragique, tableau fantastique, longueur… Au bout de dix représentation après la création du 19 mars 1864, l’œuvre est retirée de l’affiche et Léon Carvalho n’accepte de la remettre sur scène que si Gounod l’adapte suivant ses volontés et celles de sa femme. Ainsi, une nouvelle version est créée le 22 décembre 1864, mais ce n’est pas du tout la même partition. De cinq on passe à trois actes (enlevés les actes du Rhône et du mas de Ramon), Mireille ne meurt plus à la fin mais se relève miraculeusement pour épouser Vincent (avec un duo “La foi de son flambeau divin” peu inspiré) et il est contraint d’ajouter une valse ariette à la fin du premier acte (le fameux “Ô légère hirondelle »). Reynaldo Hahn date de cette reprise le passage des récitatifs chantés au dialogues parlés, alors que alors que Gérard Condé souligne qu’ils n’auraient été composé que pour la reprise à Londres en avril 1864. Mais malgré cette mutilation, le succès ne sera toujours pas au rendez-vous. Dix ans plus tard, le 10 novembre 1874, Camille du Locle fait monter Mireille sur la scène de l’Opéra-Comique dans une version basée sur la deuxième de 1864, mais avec le rétablissement des tableaux du Val d’Enfer et du Rhône (mais toujours pas le mas) selon Reynaldo Hahn alors que Gérard Condé semble sous-entendre que c’est exactement la version de 1864 avec seulement une fin tragique partiellement restaurée. Bien sûr, toutes ces reprises voyaient la même Mireille : Caroline Miolan Carvalho! Le 9 juin 1885, cette dernière fait ses adieux lors d’un gala où elle chante justement des extraits de Mireille. Jusqu’à maintenant, aucune autre chanteuse n’avait pu aborder le rôle à Paris! Léon Carvalho devenu directeur de l’Opéra-Comique, il remonta l’ouvrage le 29 novembre 1889, mais toujours en supprimant les deux actes comme en décembre 1864. Enfin en 1901, une nouvelle reprise vit les cinq actes remis sur scène, mais toujours avec les dialogues parlés, la fin heureuse, la valse ariette… et des modifications qui ne sont bien sûr pas de la main de Gounod dans la musique pour simplifier ou tout simplement faire sonner différemment. Si on retrouvait tous les tableaux de la version originale, il restait tous ces ajouts de virtuosité, cette fin aberrante et les dialogues parlés. Avant la résurrection de la version originale le 6 juin 1939, aucune représentation ne donnait vraiment la vision du compositeur pour cet ouvrage où il avait tant donné : entre les coupures de la première série et les modifications des reprises suivantes, aucune représentation ne donnait la partition complète telle que composée.
Duo alternatif pour une fin heureuse, chanté par Yvonne Brothier et Emile Marcelin.
La remise au jour de la véritable Mireille est due à trois personnes : Guy Ferrant (grand admirateur de la musique de Gounod, chanteur lyrique à ses heures, secrétaire et compagnon de Reynaldo Hahn), Henri Büsser (directeur de l’Opéra-Comique en 1939, ancien secrétaire et disciple de Gounod) et Reynaldo Hahn lui-même. Tout commence par une découverte de Guy Ferrant. Lui qui était un admirateur de l’ouvrage dont il connaissait par cœur les versions en trois et cinq actes (celle de 1901 bien sûr!), il était toujours déçu lorsqu’il voyait cet opéra sur la scène d’un opéra. Alors qu’il fouille dans une boutique de Provence, il découvre une partition de Mireille et en la feuilletant il se rend compte qu’elle ne correspond pas à la Mireille à laquelle il est habitué. Cette partition était celle éditée avant les premières représentations. Le voilà donc qui va taper à la porte du directeur de l’Opéra-Comique, Henri Büsser, pour lui proposer de remonter cette version originale de l’œuvre. Bien sûr, cela ne se fait pas sans souci. Il faut retrouver les fragments du manuscrit qui ont été dispersés après l’incendie de l’Opéra-Comique… puis reconstituer patiemment l’ordre normal, supprimer les ajouts, voir même recomposer quelques parties comme toute la partie chorale finale qui avait semble-t-il disparu dans l’incendie (les partitions originales ont été retrouvées en 1980, permettant de restaurer le final mais aussi les mesures manquantes de la scène de la Crau). C’est Henri Büsser qui se chargea de l’orchestration des parties alors manquantes sous l’œil avisé de Reynaldo Hahn (qui devait par la suite diriger la résurrection) mais aussi Madame la Baronne de Lassus-Saint-Geniès, fille de Gounod. Voici donc que le 6 juin 1939, Mireille retrouvait ses vraies couleurs, avec le retour des récitatifs, la fin tragique… Dans un article paru le 14 juillet 1939 dans le Figaro, Reynaldo Hahn répond ainsi aux accusations de “tripatouillage” faite par un habitué des “anciennes” versions :
Les seuls “tripatouillages” qu’on s’y soit permis, avec le plein consentement des descendants de Gounod, plus autorisés cependant semble-t-il que l’ « auditeur moyen » – et mal informé – à faire des objections, sont : 1) la transposition d’un air; 2) la répétition d’une ritournelle, et 3) l’instrumentation de l’ensemble “Saint Ivresse”, remarquablement faite par M. Henri Büsser, parce que celle de Gounod a disparu, probablement dans l’incendie de l’ancien Opéra-Comique. Ces trois modeste, utiles et très respectueuses immixtions, imposées par la nécessité (et que l’ « auditeur moyen » n’avait même pas remarquées) sont peu de chose, je pense – et c’est l’avis des connaisseurs – en comparaison du travail considérable et pieusement accompli grâce auquel nous avons pu présenter Mireille sous sa forme véritable, avec ses récitatifs chantés, débarrassée de deux morceaux qui la déparaient (et que Gounod n’avaient ajoutés qu’à contrecœur) et sous son aspect primitif qui lui restitue son vrai caractère, celui d’un opéra (c’est la dénomination que les auteurs lui ont donnée), celui d’un œuvre lyrique puissante, douloureuse, poignante, telle qu’elle pour être inspirée à Gounod par le poème immortel de Mistral, et se terminant par une effusion sublime, digne des pages les plus grandioses de Mors et Vita.
(14 Juillet 1939 dans Le Figaro, en réponse à un courrier de lecteur se qualifiant lui-même d’auditeur moyen.)
Mais si on se fit donc à Gérard Condé, il semble qu’il y ait eu un petit peu plus que cela. Dans la partition originale, le final du deuxième acte se terminait par un chœur homophonique d’une strophe “Père cruel” et le duo entre Vincent et Ourrias était plus développé qu’il ne l’est dans ce qui est joué actuellement. Enfin, la rencontre entre le berger Andreloun et Mireille ne se faisait pas au mas de Ramon, mais dans le désert. Et plus qu’une simple chanson de Berger suivie d’un chant de Mireille, cette scène était tout un dialogue entre les deux personnages, lui reconnaissant la riche Mireille et elle souhaitant une vie plus simple et plus libre comme celle qu’il a lui. Voilà donc l’histoire de cette partition si maltraitée… et malheureusement il n’y a pas encore eu de nouveau travail sur la partition permettant un retour de ces quelques dernières modifications. Même les découvertes de 1980 ne semblent pas être utilisées pour les dernières représentations de l’œuvre à l’Opéra de Paris en 2009 par exemple. Si cette version Hahn/Büsser/Ferrant est sans doute très proche, il reste quelques détails qui pourraient être de nouveau joués donc. En se référant au livret publié avant la première, on retrouve quelques éléments de cette Mireille avant qu’elle n’ait été livrée aux souhaits des chanteurs. Ainsi on découvre un plus grand dialogue entre Mireille et Ourrias entre les deux airs à l’acte II :
Mireille :
Ourrias!Ourrias :
Pourquoi fuir si vite à mon approche?
Vous fais-je peur, la belle? Ou bien sans le savoir,
Aurais-je mérité de vous quelque reproche?Mireille :
Aucun vraiment! J’ai plaisir à vous voir.Ourrias :
Et moi, de vous charmer que n’ai-je le pouvoir!
Si comme épouse ou pèlerine,
Vous veniez à Sylvaréal,
Où souffle la brise marine,
Certes vous n’auriez pas grand mal!
Aux rudes travaux condamnée,
Mainte fille là-bas use ses jeunes ans;
Mais vous, tant que dure l’année,
Vous pourriez vivre en fête et prendre du bon temps!Mireille :
Au fond de ce pays sauvage
Dieu me garde de m’égarer!
La mer, en écumant, inonde le rivage;
Et sous vos toits déserts le vent semble pleurer!
L’oiseau, sur cette terre nue,
regrette le nid qu’il a fui;
Et plus d’une que j’ai connue
Y meurt de tristesse et d’ennui!Ourrias :
Belle, quand on est deux l’ennui n’est pas à craindre.Mireille, souriant :
Quand on est deux, l’ennui souvent est partagéOurrias :
Mireille cependant ne serait pas à plaindre
De voir son sort au mien pour toujours engagé!
Dans le cirque poudreux qu’un ciel de flamme éclaire,
Dans l’arène sanglante où grondent les taureaux,
Les filles d’Avignon, d’Arles et de Beaucaire
Des Ferrades m’ont vu proclamer le héros!
Puis, après l’air d’Ourrias, un dialogue légèrement plus long là aussi :
Mireille :
Adieu!… permettez-moi de fuir… ou de me taire.Ourrias, avec dépit :
Pourquoi?… parmi tous ceux qui songent à te plaire,
Ton père, ce matin, croyant sagement faire,
M’a choisiMireille, gaiement :
Comme lui, sachant votre désir,
Je puis vous écouter, sans paraître aussi sage,
Mais ce n’est pas à mon âge
Que l’on songe au mariage;
Et nous en parlerons un jour plus à loisir!
(elle fait quelques pas pour s’éloigner)Ourrias, la retenant :
Non, mortdieu! laissons là le mensonge et la ruse!
Je veux savoir si ton cœur me refuse,
Je veux…Mireille :
Votre demande et vos tendres aveux
Me semblent, beau galant, dictés par l’amour même;
Mais, croyez-moi, pour qu’on vous aime,
Ne dites jamais : Je veux!
On retrouve aussi dans ce livret le chœur final du deuxième acte :
Le Chœur :
Père cruel! âme barbare!
C’est ton orgueil qui les sépare!
Pour eux nous t’implorons en vain!
Le ciel te punira demain!
Et puis le dialogue entre Mireille et Andreloun :
Mireille :
Vincenette et Taven veillent auprès de lui;
Moi, dans l’ombre cachée,
Doucement je me suis penchée,
Pour effleurer son front d’un baiser… et j’ai fui!
(regardant autour d’elle)
Voici l’ardent désert!… Voici la vaste plaine!
Avant d’aller plus loin, reposons-nous un peu
Et reprenons haleine!…
Dieu bon, fais que Mireille accomplisse son vœu!
(apercevant Andreloun)
Bonjour, petit verger… Que fais-tu là?Andreloun :
J’écoute
Les cigales chanter et laisse fuir le temps.
Mais vous, la belle?…Mireille, souriant :
Moi, j’attends
Que tu m’offres ton aide et me dises ma route.Andreloun :
Dans la lande, où tout seul j’erre avec mon troupeau,
Comment vous êtes-vous si matin égarée?Mireille :
Ne pourrais-tu d’abord de quelques gouttes d’eau
Rafraîchir ma lèvre altérée?Andreloun, montrant la citerne :
Mes chevreaux se sont là tout à l’heure abreuvés;
(il se penche et puise de l’eau dans le creux de ses mains.)
Et la source n’est pas encore à sec…
(tendant ses mains pleines d’eau à Mireille)
Buvez.Mireille :
Merci!Andreloun, l’examinant d’un air curieux :
N’êtes-vous pas Mireille la jolie,
Celle pour qui tous les garçons
Ont fait déjà mille chansons,
Et pour qui tous les cœurs semblent pris de folie?Mireille :
C’est moi qui suis Mireille; heureux enfant, plains-moi!
Je voudrais être libre et pauvre comme toi.Andreloun :
Pouvez-vous comparer mon humble sort au vôtre!Mireille :
Ton bonheur m’eût suffi; je n’en voulais point d’autre!
(S’asseyant près de lui sur la margelle du puits)
Heureux petit berger
[…]
Heureux petit berger!
(se levant)
Mais le temps fuit; adieu! Je te laisse à ton rêveAndreloun :
Où courez-vous?Mireille :
Là-bas, sur la brûlante grève,
Au bord des flots mouvants,
Comme un phare divin battu par tous les vents,
La pieuse chapelle à l’horizon s’élève,
J’y vais porter mon offrande et mes vœux.Andreloun :
Déjà le soleil monte et verse tous ses feux!
Les oiseaux ont fermé leur aile,
Et se tiennent blottis à l’ombre, ô jouvencelle!
Par prudence, faites comme eux;
Des rayons de midi la blessure est mortelle!Mireille :
N’importe!… Je ferai seule tout le chemin;
Et si mon cœur faiblit, Dieu me tendra la main!Andreloun :
Adieu donc!… traversez la lande;
Portez aux Saintes votre offrande!
Moi je reprends gaiement ma flûte de roseau,
Et pour fuir la chaleur trop grande,
Je vais sous cet abri rassembler mon troupeau
(Il sort lentement en soufflant dans son chalumeau.)Mireille, seule :
Allons! Me voilà reposée!…
Le cœur plein d’un espoir divin,
A travers la lande embrasée,
A travers ce désert sans fin,
Remettons-nous en marche, ainsi que Maguelonne!
Les ailes de l’amour et le vent de la foi,
…
Peut-être un jour aurons-nous la joie de pouvoir entendre la partition encore plus conforme à ce qu’elle était avant les adaptations réalisées lors des répétitions. Malheureusement, il n’y a pas d’enregistrement existant de la résurrection de 1939. On trouve cependant des extraits des représentations de 1941 à Arles toujours dirigées par Reynaldo Hahn… et ce sont les premiers éléments de la discographie en dehors d’airs séparés. Si la représentation entière avait été enregistrée, le support très fragile ne nous laisse plus qu’un fragment de l’ouverture et l’acte I. La direction de Hahn est passionnante mais malheureusement il est difficile d’écouter de nos jours Géorie Boué dans le rôle-titre. En 1949, Jules Gressier grave les numéros chantés dans la version originale, mais omet les récitatifs ainsi que quelques passages. A noter que Martha Angelici chante ici le rôle titre alors qu’elle était La Voix d’en Haut en 1939! Quelques extraits en 1953 par Mado Robin et Janine Micheau. Les deux gravent la valse-ariette… mais seule Janine Micheau affronte (avec un certain bonheur d’ailleurs) la Scène de la Crau. Mado Robin renoue plus dans le style avec ce que devait être Madame Carvalho. Vient ensuite la première version intégrale, ou plutôt les deux premières. En 1954, l’ouvrage était donné aux Baux-de-Provence, dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence : il en subsiste un enregistrement en direct diffusé par l’INA ainsi qu’un studio enregistré dans la foulée. Même distribution (Jeannette Vivaldi et Nicolai Gedda), même conception… mais une meilleure qualité de l’œuvre en studio bien sûr! En 1957, c’est le Canada qui rend hommage à Mireille avec un film pour la télévision où Pierrette Alarie et Léopold Simoneau tiennent les rôles principaux. Que de larges extraits puisque cela dure 90 minutes, mais quel bonheur d’entendre ces deux grands chanteurs dans ces rôles. Et soulignons combien Pierrette Alarie tient de belle manière les passages les plus dramatiques. Jules Gressier remet l’ouvrage sur le métier en 1959 pour la radio avec Andrée Esposito et Alain Vanzo! Superbe version mais qui comme en 1939 oublie les récitatifs et la première partie du tableau du Mas d’Ambroise. En 1961, on retrouve Alain Vanzo mais cette fois avec Andréa Guiot pour une large sélection où ils se montrent tout bonnement parfaits l’un et l’autre… (Guiot et Esposito avaient la voix véritablement taillée pour Mireille!). En 1962, Jésus Etcheverry grave une nouvelle version intégrale avec Renée Doria et Michel Sénéchal dans les rôles principaux! Une belle alternative à la version de 1954! Troisième version studio dirigée par Michel Plasson en 1979 où on retrouve l’inusable Alain Vanzo aux côtés de Mirella Freni pour une version moderne. Puis deux versions en direct en 1981 et 1993, respectivement avec Valerie Masterson et Danielle Borst en Mireille, Luis Lima et Christian Papis en Vincent, Sylvain Cambreling et Cyril Diederich à la direction. Des versions intéressantes, mais loin d’être au niveau d’autres versions précédentes. Enfin, en 2009 voilà le premier DVD complet de Mireille dirigé par Marc Minkowski avec Inva Mula et Charles Castronovo! C’est donc une discographie finalement assez importante pour une œuvre qu’on entend actuellement si peu, preuve combien l’opéra de Gounod était populaire pendant des décennies.
Après cette très rapide discographie comparée, on va s’attarder sur les versions dites officielles et les plus facilement trouvables : André Cluytens en 1954, Jésus Etcheverry en 1962, Michel Plasson en 1979 et Marc Minkowski en 2009. Malheureusement, le fait de ne pas avoir les récitatifs disqualifie les belles versions Gressier, que ce soit avec Angelici ou Esposito, pourtant toutes les deux très bien entourées. Nous avons donc ici quatre versions d’une qualité sonore correcte même si les années font que les captations de 1954 et 1962 sont moins confortables. Chez André Cluytens, la prise de son est belle et soignée, mais on sent que le spectre sonore n’est pas très large et ne rend pas totalement honneur aux choix et aux nuances du chef. Etcheverry n’a pas beaucoup plus de chance et il y a même (dans la version Accord que je possède), des soucis de volume réguliers où tout baisse avant de revenir au volume normal. Voilà qui est très étrange surtout qu’il semble que ce ne soit pas sur toutes les éditions. Bien sûr, Michel Plasson bénéficie d’une captation plus que confortable, permettant d’entendre parfaitement l’orchestre et les nuances dans un son stéréo. Enfin, même si Marc Minkowski est enregistré en direct au Palais Garnier, on a ici un très beau confort sonore avec une très belle captation des moindres détails de ce qui se passe en fosse.
Mais il faut aussi dire un petit mot sur la partition en tant que telle! Le premier acte nous amène dans une Provence baignée d’un doux soleil et la naïveté pastorale qui se développe tout au long de cet acte est magnifiquement rendue par la musique de Gounod, par des rythmes pimpants et une frivolité simple superbe. L’entrée toute simple et presque timide de Mireille après le couplet de Clémence sur son amoureux idéal est une magnifique idée et le duo entre Mireille et Vincent par la suite tout à fait touchant. Mais déjà nous avons quelques moments où le drame est en sous-texte avec quelques phrases musicales plus sombres. Bien sûr le final avec le rendez-vous aux Saintes en cas de malheur… mais aussi cette ombre qu’est le personnage de Taven. Le deuxième acte nous transporte dans une atmosphère plus virile où défilent les figures masculines. Déjà le chœur de la farandole qui ouvre l’acte, mais surtout cette arrivée du bouvier Ourrias plein de morgue dans un air tout fait de rectitude et sans fioritures, portrait musical d’un homme sans grande finesse. Puis il y a bien sûr la scène finale avec la figure centrale de Ramon, le père de Mireille qui assène en patriarche des jugements fermes et définitifs, sur une musique orageuse. Au milieu on trouve un instant de grâce avec le duo de Magali (même si le final est un présage bien sombre avec une évolution passionnante des tonalités de chaque couplets vers toujours plus d’ombres) et les interventions de Mireille qui montrent déjà que la jeune fille naïve et timide du premier acte a évolué vers plus d’assurance. Enfin, l’air de Taven au milieu est parfaitement représentatif du personnage hors du temps, étrange mais en aucun cas sinistre. Le troisième acte est coupé en deux tableaux, mais ils sont liés par la couleur orchestrale développée par Gounod. Il a dû se souvenir ici de ce qu’il avait composé pour sa malheureuse Nonne Sanglante tant on retrouve certains effets et surtout cette atmosphère fantastique. Nous somme dans le Val d’Enfer tout d’abord où encore une fois Ourrias affirme sa prétendue suprématie, se heurtant dans un duo aussi rapide que tendu à Vincent avant de le frapper au front de son trident. L’apparition de Taven jetant une malédiction finit de nous faire basculer dans le fantastique du deuxième tableau au Pont de Trinquetaille. La musique impressionnante de l’arrivée bousculée d’Ourrias se frotte à la langueur de mortes d’amour et des trêves, faisant basculer le bouvier dans la folie avant qu’il ne soit englouti dans le Rhône alors que la passeur, tel le Commandeur de Don Giovanni ne prononce la sentence. Deux tableaux aussi pour le quatrième acte : tout d’abord le mas des Micocoules où se déroulent les fêtes de la Saint-Jean. Si le jour est à la fête, il n’en est pas de même pour les personnages puisqu’après un chœur des moissonneurs, Ramon montre son caractère orageux suite à l’attitude de Mireille alors que cette dernière rêve à une vie simple en entendant un jeune berger. On passe de la tempête du père que l’orchestre montre parfaitement à une musique pastorale qui renoue avec la naïveté du premier acte. Puis arrive la sœur de Vincent pour un duo court mais où la religiosité de Mireille est particulièrement dévoilée. Le deuxième tableau est une grande scène dramatique dans la Plaine de la Crau. Mireille avance vers les Saintes-Maries-de-la-Mer sous un soleil de plomb. Plusieurs moments dans cette scène depuis la volonté du début jusqu’au courage absolu de la fin. Le centre montre les effets de cette chaleur et du soleil sur la jeune fille : insolation, évanouissement, mirage… ce sera finalement la simplicité de la chanson du berger qui lui rendra la raison et le courage de repartir. C’est ici que le rôle de Mireille est le plus dramatique, tendu avec un orchestre très développé qui, comme le soleil, semble vouloir mettre à terre la chanteuse. Le dernier acte s’ouvre sur un chœur religieux dans l’église des Saintes-Maries : d’une lourde religiosité, il représente bien l’atmosphère qui règne dans cette église sombre et puissante, comme un château prêt à résister à toutes les attaques mais contenant des reliques vénérées comme rarement. Vincent arrive pour son seul air de la partition dans une belle prière pour sauver Mireille, où l’on reconnaît bien l’art mélodique de Gounod. L’arrivée de Mireille chancelante puis de son père trouve Gounod particulièrement inspiré, trouvant des accents déchirants à la jeune fille, que ce soit pour montrer son épuisement ou au contraire sa foi qui continue à la soutenir jusqu’au bout! Enfin, son apothéose par le chœur qui reprend une phrase musicale que Mireille chante juste avant de mourir termine l’opéra dans une sorte d’exaltation magnifique. C’est donc une partition très riche, avec des moments très différenciés où Gounod compose sur mesure, cherchant les détails qui toucheront l’auditeur pour créer les tableaux. Quelques mélodies sont inspirées de mélodies entendues alors qu’il se promenait en Provence d’ailleurs pour renforcer cette atmosphère.
Revenons-en maintenant aux disques et penchons nous sur les éventuelles coupures. Et pour une fois il n’y en a pas dans ces quatre versions choisies. On notera seulement quelques choix différences dans des petits détails. Ainsi, on entend chez Minkowski en 2009 un Arlésien seul chanter : “Place! place aux coureurs » alors que cela est chanté chez les autres par le chœur. Et puis il y a la tessiture d’Andreloun le berger. Reynaldo Hahn avait tranché pour une voix de ténor, considérant que le travestisement était dépassé… Pourtant, dans les enregistrements présents, on retrouve plusieurs autres options. Si Minkowski en 2009 opte lui aussi pour un ténor, Etcheverry en 1962 choisit un baryton martin alors que Cluytens et Plasson décident de donner le rôle à une voix d’enfant, respectant ainsi non seulement la tessiture originale de l’air, mais aussi la cohérence. Pour les deux enregistrements plus anciens, on peut aussi entendre en appendice la valse-ariette “Ô légère hirondelle” : effet d’une mode mais aussi car les chanteuses assez légères pouvaient le chanter en plus du reste du rôle. En dehors de cela, tout correspond à ce qui était décrit lors de la recréation de 1939 pour chacune de ces versions.
On l’a dit plus haut, les qualités de prises de son ne sont pas les mêmes entre les différents enregistrements et il est donc plus ou moins facile de bien juger l’orchestre dans les versions les plus anciennes. En 1954, les moyens sont certes anciens et l’enregistrement mono, mais la captation est tout de même d’assez bonne qualité pour entendre l’orchestre et l’on peut sûrement mettre sur le compte de ces moyens le peu de couleurs de l’orchestre. André Cluytens dirige avec finesse et en voulant montrer les sonorités provençales qui parsèment la partition. L’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire sonne ainsi assez clair mais non pas sec comme parfois. Aussi à l’aise dans les passages lents et poétiques que les moments les plus tendus, on regrettera la présence un peu puissante des percussions par moments qu’on aurait aimé plus fondus dans l’orchestre, ainsi qu’une certaine rapidité à d’autres moments comme dans la musique du berger qui enlève un peu de la mélancolie de ce moment. Mais Cluytens nous offre une partition magnifiquement mise en perspective avec de nombreux détails et surtout une belle vie. On saluera aussi la belle prestation des Chœurs du Festival d’Aix-en-Provence. Jésus Etcheverry bénéficie d’une prise de son plus récente et on entend donc plus de détails. Mais on entend aussi une précipitation dans les tempi qui n’enlève pas une certaine lourdeur à certains moments comme dans l’ouverture où immédiatement on entend cuivres et percussions de manière beaucoup trop présentes. Peu de violons à bien des endroits et donc une volonté de faire ressortir le plus possible les bois et vents. Mais si cela fonctionne à certains moments, à d’autres l’orchestre manque un peu de force pour s’imposer dramatiquement. Et puis l’Orchestre Symphonique de Paris ainsi que son Chœur ne sont pas aussi voluptueux que celui de Cluytens, avec des sonorités beaucoup plus sèches. Le choix artistique d’Etchéverry a sans doute comme objectif de dynamiser la partition, mais du coup elle en perd un peu en cohérence et joue un petit peu trop la carte de la musique folklorique. La version de Michel Plasson a longtemps été la seule version que j’écoutais et il y a sans doute un petit biais dans mon appréciation, car bien sûr je la trouve presque parfaite! En fait, elle est assez complémentaire de celle d’André Cluytens. Plus lente, avec une meilleure prise de son et un orchestre foncièrement assez large. Du coup les grands moments musicaux sont parfaitement rendus avec de nombreux détails. Mais on peut aussi lui reprocher justement cet orchestre un petit peu massif qui pourrait paraître lourd certains jours. Bien sûr, il s’appuie sur la beauté des Chœurs et Orchestre du Capitole de Toulouse qui répondent parfaitement à chacun de ses gestes et nous offrent un tapis sonore magnifique, plein de vie et de couleurs. Donc le confort est là, la beauté, le drame aussi… mais on aurait peut-être souhaité une finesse encore plus marquée dans l’orchestre. Enfin, Marc Minkowski semble s’orienter un petit peu vers la même direction de Jésus Etcheverry, mais avec une direction plus adaptée à chaque situation. Ainsi, on entend bien en effet la musique d’inspiration folklorique dans le premier acte avec la mise en avant des bois de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, mais le reste de l’orchestre n’est pas en reste et au final l’opéra n’est pas dirigé dans une seule direction. En grand habitué des opéras du XIXè siècle, il sait varier les climats et les ambiances, donnant des passages très champêtres et d’autres particulièrement dramatiques. Alors que choisir? Personnellement, j’avoue être principalement attiré par Cluytens et Plasson. Minkowski est très bien aussi, mais il y a un je ne sais quoi qui me fait décrocher par moments alors qu’à d’autres j’aime beaucoup.
Tous ces enregistrements réunissent des troupes francophones ou presque! Ainsi, chacun des petits rôles est plutôt bien distribué avec des voix en style et des dictions parfaites. C’est peut-être encore une fois chez Etcheverry qu’on trouvera des chanteurs un petit peu moins passionnants dans les rôles secondaires. mais il faut dire que si on regarde Plasson et Minkowski, on est assez impressionné par les noms alignés. Michèle Command en Clémence et en Voix d’En Haut par exemple, Christine Barbaux en Vincenette, Marc Vento en Ambroise… voilà de superbes prestations mais en 2009, nous aurons rien de moins que Sébastien Droy en berger, Anne-Catherine Gillet en Vincenette, Amel-Brahim Djelloul en Clémence, Nicolas Cavalier en Ambroise… Si les chanteurs de Cluytens sont moins connus, ils n’en sont pas moins très bons et ceux d’Etcheverry sont peut-être juste un petit peu moins marquants mais très bien chantant tout de même.
Commençons à regarder plus en détail les rôles un petit peu plus développés. Ramon demande une voix de basse ou de baryton-basse. Jules Petit n’était semble-t-il pas un chanteur de premier plan et en effet sa partie ne demande pas d’exploits mais par contre requiert une autorité nette dans le deuxième acte et même un certain charisme dans le quatrième. En 1954 avec André Cluytens, André Vessières offre un timbre sombre et une voix large et bien projetée, lui permettant de parfaitement créer ce père fier. Le texte claque et la voix s’épanouit parfaitement dans cette tessiture. Par la suite en 1964, Adrien Legros n’a pas cette facilité et le chant semble un petit peu contraint. Il lui manque un peu d’explosivité pour ce rôle sanguin. Michel Plasson a eu la bonne idée de distribuer Ramon à un ancien Ourrias : en effet Gabriel Bacquier a chanté Ourrias entre autres en 1959 avec Gressier à la baguette. D’ailleurs, le créateur d’Ourrias avait aussi repris par la suite Ramon, allant même jusqu’à chanter lui-même les couplets d’Ourrias au lieu du baryton. On retrouve la morgue du bouvier mais ici en plus noble et plus âgé. Bacquier sait parfaitement rendre les états d’âme du personnage, avec cette violence et cette haine qui peut couler de ses paroles. Il est parfaitement à son aise dans ce rôle de père autoritaire et peu enclin à évoluer! Et sa plainte au quatrième acte est magnifique de douleur. Marc Minkowski a donné le rôle à un grand chanteur… mais malheureusement peut-être un petit peu trop tard. Alain Vernhes a été un père parfait dans nombre d’opéras, sachant donner gentillesse ou rudesse quand c’était nécessaire. Malheureusement en 2009, la voix ne suit plus vraiment et on est régulièrement proche de l’accident. La diction reste admirable (comme pour tous), mais certains passages sont plus parlés que chantés et on peine tant le chanteur a donné de magnifique choses par la passé. Deux noms donc se détachent : Vessières et Bacquier qui offrent de superbes portraits vocaux et dramatiques.
Taven a été créé par ce qu’on appelait à l’époque un “dugazon”. Cette voix était celle d’un mezzo-soprano léger, avec donc une tessiture proche du soprano mais avec par contre une rondeur confortable dans la voix et un timbre plus sombre. Quand on regarde les voix distribuées dans ces quatre enregistrements, on doute que l’on soit totalement en adéquation avec la création, mais dans tous les cas nous avons de magnifiques Taven. On commence peut-être par la plus discrète chez Cluytens. Suzanne Darbans chante de belle manière et ne cherche pas à charger le portrait, mais reste légèrement en retrait. Le timbre de mezzo-soprano est assez clair par contre. En 1962, c’est la grande Solange Michel qui nous offre une splendide Taven : le timbre, la caractérisation, la ligne… tout est là! Elle joue dans sa chanson du deuxième acte sans pour autant oublier d’être impressionnante dans sa malédiction. Nous entendons bien ici une jeune femme et non une sorcière, en marge de la société mais heureuse et libre. Chez Plasson, un autre grand nom : Jane Rhodes. La composition est ici moins jeune et plus dans la conception traditionnelle de la sorcière bienveillante. Le timbre en cette année 1979 est moins net qu’il n’était des années auparavant et manque un peu de brillant à certains moments. Portrait donc très sérieux ici. Enfin, Sylvie Brunet offre une Taven aussi plus sorcière que jeune fille avec son timbre étrange et sombre. Mais si Rhodes restait assez inquiétante, Brunet s’amuse et joue pour dédramatiser des annonces souvent tragiques. Sa chanson trouve ce caractère joyeux qui convient bien. De très bonnes prestations donc, mais on retiendra ici ce que fait Solange Michel qui est vraiment parfait!
Le rôle d’Ourrias ne demande pas une grande psychologie même s’ il faut montrer à la fois la vaillance et la folie. Jean-Vital Jammes “Ismaël” créa le rôle peu de temps après celui de Zurga dans Les Pêcheurs de Perles. Rôle de baryton à la française typique, il convient admirablement à Michel Dens en 1954. On ne sait que louer chez ce baryton : la diction, la beauté de ce timbre clair, la noblesse, la vaillance, l’expressivité? Loin de chanter comme pourrait le faire penser le personnage un peu tout d’une pièce, il nuance sans pour autant en faire un galant mais il en fait au moins un homme de bien. Grand baryton français, on reste en admiration devant tant de beauté mais aussi ce personnage parfaitement construit. Parmi les descendants de cette grande lignée de barytons français (René Bianco, Ernest Blanc, Jean Borthayre,…) se trouve sans doute Robert Massard. Il a de plus la chance de pouvoir plus enregistrer pour les grandes maisons dans les années 60. Le chant est racé, nuancé et parfaitement en style, mais j’avoue que je n’ai jamais été particulièrement attiré par ce timbre. On y trouve toujours quelque chose de féroce, quelque chose d’agressif qui lasse rapidement. Alors oui, c’est un grand et beau Ourrias, mais qui pour une question de timbre ne m’est pas forcément agréable. On aurait plutôt pensé à José van Dam pour Ramon par exemple plutôt qu’Ourrias. Le chanteur étant plus baryton-basse que baryton, on pouvait craindre quelques soucis dans le haut de la tessiture mais il n’en est rien! Chanteur d’une classe folle, il est dans la lignée de Michel Dens, mais avec un timbre beaucoup plus sombre et profond. On tremblerait presque devant cette figure pleine d’autorité et de morgue. Enfin, en 2009, Franck Ferrari n’est malheureusement pas au niveau de ses devanciers. Le chanteur n’a jamais eu beaucoup de noblesse dans le chant, mais ici en Ourrias, il semble vouloir encore plus montrer la brute qui sommeille dans ce personnage : phrases hachées, notes parfois plus criées que chantées,… on a du mal à entendre un amoureux ou alors une vraie brute. Pour ce rôle, l’écoute comparée de Michel Dens et José van Dam est passionnante tant avec des moyens vocaux différents, ils donnent naissance à de superbes portraits d’un personnage pourtant peu flatté par la partition.
Lors de la création, Vincent était chanté par Joseph Morini qui avait chanté Faust à La Scala pour la création italienne et avait créé le rôle de Nadir l’année précédente. Et pourtant, les critiques sont assez sévères sur sa prestation alors qu’il semble que le rôle avait déjà été simplifié avant la première. Pourtant, le rôle ne semble pas si complexe en dehors de l’héroïsme demandé au troisième acte et de cet air du cinquième. Suédois mais polyglotte et souvent attaché à Paris, Nicolai Gedda est notre premier Vincent avec André Cluytens. Dès qu’il ouvre la bouche on entend ce chant franc, cette diction limpide et ce timbre très légèrement voilé qui donne un petit peu de nostalgie au personnage rêveur de Vincent. Aussi à l’aise dans la galanterie des premiers duos que dans l’affrontement avec Ourrias où il sait montrer le métal de sa voix, il donne à entendre un personnage racé et magnifiquement chanté. Etcheverry fait un choix assez étonnant en 1962 en proposant le rôle à Michel Sénéchal. On connaît les qualités d’interprétation du ténor et si il a pu chanter des rôles principaux sérieux durant des années, le timbre restait toujours assez étrange. Ainsi, sa Platée à Aix en 1956 est parfaitement servie par cette voix, mais il faut bien avouer que le plus souvent c’est dans des rôles de caractère qu’il était le mieux employé. L’écoute de son Vincent est vraiment étrange car le chant est parfaitement tenu, la diction parfaite… mais le timbre mielleux et la façon de chanter rapprochent trop le personnage de ces rôles de caractère. À aucun moment on entend le jeune et beau Vincent, mais un personnage légèrement âgé et qui n’a pas la franchise simple du vannier. Une erreur de distribution sans nul doute! Michel Plasson choisit en 1979 de donner le rôle à Alain Vanzo. Il avait déjà été capté en 1959 aux côtés d’Andrée Esposito, puis pour des extraits en 1962 avec pour partenaire Andréa Guiot. Et c’est en fait là qu’est le souci. gé alors de 51 ans, le timbre n’est plus aussi délicat qu’il l’était vingt ans auparavant. Le chanteur conserve un art du chant et de la diction assez superlatif, mais le timbre a perdu de sa beauté en devenant plus nasal et métallique, enlevant un peu de plaisir à l’écouter. Après, comment résister à ce magnifique air du cinquième acte, à cette colère presque adolescente face à Ourrias parfaitement rendue? Tout est magnifiquement fait, mais on aurait tellement aimé entendre encore la grâce vocale qu’il possédait quelques années auparavant. Enfin, voilà Charles Castronovo en 2009. Il semble qu’à l’origine, c’était Roberto Alagna qui était prévu en Vincent… mais on se demande bien ce qu’il aurait pu faire du rôle à ce stade de sa carrière où les rôles dramatiques lui étaient plus confortables que ces rôles de ténor léger! Le ténor américain contraste forcément par rapport à ses illustres collègues cités au dessus par le fait qu’il n’a pas du tout la voix d’un ténor “à la française” : la voix est très sombre et engorgée alors que les Gedda, Vanzo et même Sénéchal ont une voix claire, installée très haut. La surprise est donc forte, mais sans vouloir tricher sur la nature de sa voix, le ténor s’accorde déjà sur le style et la diction fort bonne. Son Vincent est moins léger, plus torturé et plus adulte ici. Mais le chant est admirable avec une grande palette d’émotions tout au long de l’ouvrage, aboutissant sur un air du dernier acte sublime. En dehors de Michel Sénéchal, trois belles prestations donc, même si il faut l’avouer, Nicolai Gedda est peut-être légèrement au dessus, Vanzo pâlissant juste de sa comparaison avec lui même alors qu’il est lui aussi splendide… et Castronovo impressionne et séduit malgré un timbre si surprenant dans cet ouvrage.
On en vient maintenant au rôle titre, rôle on ne peut plus difficile à distribuer. La créatrice Caroline Miolan Carvalho était une chanteuse légère, décochant roulades et aigus avec une virtuosité admirée de tous… mais la voix n’était pas très lyrique. Gounod ne voulait pas d’une telle voix pour Mireille il semble si l’on regarde la partition : à l’origine il n’y a que très très peu de moments brillants et le rôle reste plutôt central malgré quelques envolées vers l’aigu. Et puis surtout, plus l’opéra avance et plus le rôle devient dramatique, culminant sur la scène de la Crau qui demande ici une force qui pourrait mettre à mal une voix trop légère. Si on regarde la re-créatrice en 1939, on découvre que Jane Rolland alternait les rôles assez légers avec des emplois purement lyriques comme Mimi ou Butterfly. Si après des sopranos très légers continueront à chanter des extraits du rôle, Mireille revenait tout de même à des voix plus lyriques. En 1954, on découvre Janette Vivalda dans le rôle-titre à Aix-en-Provence. Pour un tel rôle on aurait pensé à un grand nom, mais voici que notre soprano reste assez inconnue. Peu d’enregistrements (Micaela dans des extraits de Carmen, La Veuve Joyeuse, deux récitals en duo avec Michel Dens et Michel Roux) et très peu d’informations. On découvre que durant la saison 1955/1956 elle chante Marguerite, Thaïs, Mimi et Violetta à La Monnaie de Bruxelles, mais difficile d’en apprendre plus. D’autant plus étrange que l’écoute de cet enregistrement nous fait entendre une superbe voix de soprano! Elle a la fraîcheur du premier acte mais sait venir à bout de la scène de la Crau avec force! La voix semble assez légère mais tout en réussissant à passer l’orchestre sans forcer dans les moments les plus dramatiques. Réunissant donc les deux extrêmes, elle nous offre en plus un chant techniquement parfait, une diction admirable… et se sort très bien de la valse-ariette enregistrée en appendice de cette version dirigée par Cluytens. Et il faut souligner le style qui est plutôt sobre et ne fait pas trop daté pour l’époque! Voilà une bien belle Mireille qui réunit un timbre assez léger mais avec une voix capable d’affronter le drame de la fin de l’ouvrage. Huit ans plus tard, Etchéverry fait appel à Renée Doria pour son enregistrement. Grande chanteuse de l’Opéra de Paris, elle semble ne faire qu’une bouchée elle aussi du rôle, passant outre les difficultés. Par contre, on croit moins à la jeune fille du début et le style plus ampoulé a un petit côté vieillot qui peut rebuter, de même que des aigus un petit peu vibrés. C’est une question de goût bien sûr, mais on ne retrouve pas la pureté de Vivalda ici. Après la révélation de cette dernière, autre surprise que de retrouver Mirella Freni dans l’intégrale dirigée par Michel Plasson! En effet, la chanteuse n’avait a priori jamais chanté le rôle et ne semble pas avoir partagé beaucoup de représentations avec le chef. Peut-être une obligation de la part du label discographique? Avant de donner un avis, il me faut déjà rappeler une chose : cet enregistrement de Mireille est le premier que j’ai acheté… je l’ai énormément écouté… et il est aussi à l’origine de mon amour immodéré pour Mirella Freni. Donc même si je vais essayer d’être objectif, je crains de ne pas vraiment pouvoir l’être entièrement. En 1979, la voix de Mirella Freni est en pleine évolution. Elle commence à aborder depuis quelques années des répertoires plus lourds que ceux de son début de carrière. Les grands rôles verdiens arrivent en effet en cette fin des années soixante-dix. Mais la voix a gardé sa fraîcheur et si bien sûr le timbre est plus corsé que ses collègues, elle sait parfaitement donner l’impression de cette jeune fille du premier âge avec une entrée où elle doit se rappeler de l’entrée de sa Marguerite au deuxième acte de Faust bien sûr pour le ton simple. Plus l’opéra avance et plus on la sent dans son élément, le drame lui convenant mieux à ce stade de sa carrière que la naïveté du début de l’opéra. La voix est toujours aussi belle mais par contre, entourée de ces spécialistes de l’opéra français, le style est un petit peu différent et surtout la diction beaucoup moins nette. Mais en dehors de cela, l’investissement, le portrait, tout fonctionne admirablement pour des moments grandioses comme bien sûr la scène de la Crau, mais aussi cette mort où l’exaltation est palpable. Vous l’aurez compris, il y a des choses qui ne vont pas forcément… mais cette voix me fascine au plus haut point et malgré cela, je pense vraiment qu’il y a des choses incroyables dans cette prestation de Mirella Freni! Enfin en 2009, voilà une chanteuse qui aura connu la gloire en chantant la fameuse Diva Pavalaguna dans Le Cinquième Élément! Nous étions alors au milieu des années 90 et depuis, la voix d’Inva Mula a évolué vers un registre plus lyrique avec entre autres la Marguerite de Faust. Lors de cette captation en direct (la seule donc par rapport aux versions studio ci-dessus), on retrouve le timbre de la chanteuse mais il semble un petit peu usé, avec une légère instabilité. Un peu trop corsé lors du premier acte, mais aussi un peu forcé lors de la scène de la Crau qui la pousse dans ses retranchements, on peine parfois pour la soprano. Le rendu est tout à fait correct et elle se sort du rôle mais il lui manque le brio de ses devancières, le style des unes, la vaillance des autres… On sent que le rôle est très compliqué pour elle et qu’elle n’en vient à bout que par courage et technique. Mais encore une fois, le résultat est tout à fait valable même si pas parfait. Et rappelons-nous que ceci est un enregistrement direct! Peu de suspens ici donc… entre Janette Vivalda et Mirella Freni, mon cœur ne peut choisir… les deux ont une Mireille différente mais chacune me touche. Vivalda avec Cluytens est sans doute plus parfaite à certains égards. Mais Doria ou même Mula ne sont pas indignes non plus et pourront très bien toucher les curieux autant voir plus que les deux retenues ici.
Voici enfin la fin de cet article sur Mireille (pour ceux qui ont tenu jusqu’au bout!). Il ne devait pas forcément être aussi long… mais comme dit au début, Mireille est mon premier opéra, mon premier achat de disque (d’ailleurs, à l’époque j’avais pris la version Cluytens car moins chère, mais après hésitations voyant que c’était en mono, on m’avait conseillé d’aller vite l’échanger pour la version Plasson…). Si l’on doit retenir quelque chose de cet article, c’est sans doute déjà la popularité de Mireille dans les années cinquante et soixante si on regarde les divers enregistrements complets ou en extraits. Et justement, s’il faut en retenir un, retenons en deux : Cluytens et Plasson. Deux façons de diriger, deux Mireille vraiment différentes et des distributions de haut vol sinon. On peut espérer maintenant qu’une nouvelle génération va reprendre cet ouvrage et qu’un deuxième travail de restauration permettra de retrouver encore plus de fidélité envers ce qu’avait composé Gounod : il reste quelques passages à rétablir il semblerait et un final où la partition originale a été retrouvée mais qui n’a pas encore été utilisée.
- Charles Gounod (1818-1893), Mireille, Opéra en cinq actes
- Mireille, Janette Vivalda ; Vincent, Nicolai Gedda ; Ourrias, Michel Dens ; Taven, Christiane Gayraud ; Maître Ramon, André Vessières ; Ambroise, Marcello Cortis ; Clémence, Christiane Jacquin ; Vincenette, Madeleine Ignal ; Le Passeur, Robert Tropin
- Chœurs du Festival d’Aix-en-Provence
- Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire
- André Cluytens, direction
- 2CD EMI CMS 7 64382 2. Enregistré en juillet 1954 à Aix-en-Provence.
- Charles Gounod (1818-1893), Mireille, Opéra en cinq actes
- Mireille, Renée Doria ; Vincent, Michel Sénéchal ; Ourrias, Robert Massard ; Taven, Solange Michel ; Maître Ramon, Adrien Legros ; Ambroise, Julien Thirache ; Clémence, Agnès Noël ; Vincenette, Christiane Stutzmann ; Andreloun, Aimé Doniat ; Une voix d’en haut, Agnès Noël ; Le Passeur, Claude Gentry
- Chœurs Symphonique de Paris
- Orchestre Symphonique de Paris
- Jésus Etcheverry, direction
- 2CD Musidisc. Enregistré en février et mars 1962 à Paris.
- Charles Gounod (1818-1893), Mireille, Opéra en cinq actes
- Mireille, Mireille Freni ; Vincent, Alain Vanzo ; Ourrias, José van Dam ; Taven, Jane Rhodes ; Maître Ramon, Gabriel Bacquier ; Ambroise, Marc Vento ; Clémence, Michèle Command ; Vincenette, Christine Barbaux ; Andreloun, Luc Terrieux ; Une voix d’en haut, Michèle Command ; Le Passeur, Jean-Jacques Cubaynes
- Chœurs du Capitole de Toulouse
- Orchestre du Capitole de Toulouse
- Michel Plasson, direction
- 2CD EMI PM 613. Enregistré du 11 au 21 novembre 1979 à la Halle aux Grains de Toulouse.
- Charles Gounod (1818-1893), Mireille, Opéra en cinq actes
- Mireille, Inva Mula ; Vincent, Charles Castronovo ; Ourrias, Franck Ferrari ; Taven, Sylvie Brunet ; Maître Ramon, Alain Vernhes ; Ambroise, Nicolas Cavalier ; Clémence, Amel-Brahim Djelloul ; Vincenette, Anne-Catherine Gillet ; Andreloun, Sébastien Droy ; Une voix d’en haut, Sophie Claisse ; Le Passeur, Ugo Rabec ; Un Arlésien, Christian Rodrigue Moungoungou ; L’Echo, Alexandre Duhamel
- Chœur de l’Opéra National de Paris
- Orchestre de l’Opéra National de Paris
- Marc Minkowsky, direction
- 2 DVD Fra Musica FRA 002 / 2 DVD Naxos 2.110683-84. Enregistré les 11, 12 et 14 Septembre 2009 au Palais Garnier de Paris.
Parler un peu de Janette VIVALDA, l’ovni ….
Un seul enregistrement donne une idée exacte de la partition, notamment avec des tempos totalement adéquats : l’enregistrement de CLUYTENS. Malheureusement, on est en « mono » et le report en numérique produit un son abominable et fatigant. Dommage.