Le Théâtre des Champs Elysées a présenté il y a quelques saison La Vestale de Spontini… et voici de nouveau une Å“uvre du compositeur : Olympie. Si précédemment nous avions eu droit à une version scénique, c’est ici en version de concert comme toutes les productions ou presque du Palazetto Bru Zane qui donnent lieu par la suite à une parution en disque. Troisième grand ouvrage lyrique du compositeur pour la scène parisienne, le succès restera mitigé malgré une révision du final pour la reprise de 1826. Alors que la version originale de 1819 voyait Olympie et Statira se suicider avant que ne soit innocenté Cassandre, la version remaniée donne une fin joyeuse avec le mariage de Cassandre et Olympie. C’est cette dernière version qui est proposée par le chef Jérémie Rhorer. On se demande pour quelle raison le final original n’a pas été choisi, mais difficile de juger sans avoir entendu les deux possibilités. On pourrait rêver pour l’enregistrement que le disque propose les deux finaux afin de pouvoir comparer !
L’histoire de cet ouvrage reste assez simple malgré les complexifications nécessaires à quelques rebondissements : Alexandre le Grand a été empoisonné, sa femme poignardée… et sa fille a disparu. De ces crimes on accuse le père de Cassandre mais deux personnes connaissent la vérité : Cassandre lui-même qui n’a fait que porter une boisson au grand roi sans savoir qu’elle était empoisonnée… et Antigone qui est l’instigateur de ces meurtres ! Mais ces deux rois qui se partagent une partie du royaume se jurent amitié. Cassandre ne sait pas qui lui donna cette coupe, et il ne sait pas non plus que le femme qu’il aime (son esclave) est aussi aimée par Antigone. Pour le mariage de Cassandre avec la femme qu’il aime, une prêtresse est appelée pour bénir les voeux des jeunes amants : mais cette prêtresse n’est autre que Statira, veuve d’Alexandre qui refuse de bénir l’assassin de son mari. Pendant ce temps, Antigone reconnaît en la jeune esclave Olympie, fille d’Alexandre. Au deuxième acte, les voiles tombent avec la reconnaissance de la mère et de la fille. Mais malgré les suppliques d’Olympie, Statira n’arrive pas à pardonner à Cassandre qui a pourtant sauvé et protégé sa fille durant toutes ces années. Elle va même jusqu’à offrir la main d’Olympie à Antigone qui se présente en défenseur de la reine retrouvée. Cassandre est alors arrêté. Le troisième acte montre une Olympie déchirée entre le devoir et l’amour alors que la guerre se prépare dehors. Cassandre se libère et provoque Antigone en duel. Ce dernier est touché mortellement et avoue alors son crime avant de maudire Cassandre. Statira peut alors donner la main de sa fille au jeune homme…
Ouvrage tragique la final sombre aurait sûrement donné encore plus de force à la partition qui se termine ici par une légèreté qui est souvent uniquement là pour contrebalancer le ton très sombre de l’histoire. Spontini offre ainsi une Å“uvre noir et particulièrement théâtrale avec un deuxième acte parfaitement construit dans son avancée dramatique. Le seul soucis au final est le rôle titre. En effet, tout au long de l’ouvrage le personnage d’Olympie peine à exister dramatiquement : trop uniformément dans l’amour, la ligne vocale reste trop souvent galante et peu marquante. Son air d’entrée propose des vocalises qui semblent étranges dans le style global de la partition et même son air tragique du troisième acte ne peut rivaliser avec les autres personnages. Il faut dire que Spontini a donné à Statira énormément de présence. Bien sûr, la créatrice Caroline Branchu était de ces tragédiennes qui ont inspiré les plus beaux rôles de l’époque, allant même jusqu’à influencer Berlioz qui pensait à elle lors de l’écriture des Troyens. Les hommes restent un peu plus en retrait mais possèdent tout de même un caractère affirmé. Le chÅ“ur est particulièrement soigné tout au long d’un ouvrage qui se passe dans le temple de Diane : de nombreuses parties se croisent et se répondent de superbe manière. L’orchestre et l’écriture sont parfaitement à la croisée entre classicisme et romantisme. On ne peut s’empêcher de penser à Catel à bien des moments alors que d’autres font penser à Rossini ou Donizetti par certains côtés. La grande majorité de l’ouvrage reste d’un style classique parfaitement maîtrisé mais ces petites touches de modernité jouent souvent un rôle de contraste parfait pour nous sortir la tête du drame ambiant avant de nous y replonger inexorablement. Magnifique partition de Spontini qu’on ne peut que souhaiter voir en version scénique tant elle est efficace !
Jérémie Rhorer dirigeait déjà ici-même La Vestale et donne une interprétation superbe même si un peu bruyante à certains moments. Avec le Cercle d’Harmonie, il donne de magnifique couleurs à une orchestration souvent variée et surprenante par quelques effets. Bien sûr, les instruments d’époque ne sont pas sans quelques soucis de justesse chez les cuivres ou les vents, mais l’ensemble est superbe et mené avec énergie. Quelques moments couvrent les solistes mais Spontini n’a pas été avare en décibels lors des fins d’actes où l’orchestre rugit souvent de manière impressionnante. Le Vlaams Radio Koor est lui aussi à saluer pour sa grande homogénéité et son travail. Souvent séparés en de multiples pupitres, ils conservent une parfaite cohérence et une diction superbe à tous moments. Personnage très important en terme de durée de chant, ils sont l’un des acteurs de cette réussite globale !
Commençons par saluer le travail de tous les chanteurs et leur implication dans ce travail de remise en lumière d’Olympie. Après les annulations de dernière minute de deux chanteurs de la distribution, il fallait un gros investissement pour réussir à se montrer digne de la partition et tous relèvent le défit. Philippe Souvagie (chanteur du chÅ“ur) reprend ainsi le petit rôle d’Hermas d’assez belle manière. Autre basse de la production, Patrick Bolleire possède ici plus de stature que souvent. En effet, son double rôle possède une belle noblesse et ne joue nullement les utilités. La voix de basse est puissante et sonore, mais il lui manque toujours un petit quelque chose d’autorité ou de charisme pour véritablement réussir à marquer les esprits.
Campé par Josef Wagner, Antigone se montre un redoutable méchant tragique. Ne surjouant jamais, il n’a qu’à dire le texte et à se montrer digne pour donner vie à ce meurtrier redoutable. Avec une belle diction et un timbre assez clair, il s’impose avec beaucoup d’aisance. Le rôle ne lui donne que peu de moments solistes, mais les différents passages en duo ou ensemble lui donnent déjà l’occasion de poser un roi manipulateur et redoutable. Sa mort sera particulièrement marquante car il évite les effets trop marqués qui auraient été hors de propos : la violence de l’accent et la sobriété donnent toue la puissance à son aveux puis à sa malédiction. Face à lui, Mathias Vidal vient encore sauver une production suite à la défection de Charles Castronovo. Si pour Cinq-Mars il avait été admirable, on devine ici que le rôle lui convient moins. La tessiture est déjà plus basse (avec des notes graves effleurées) mais le rôle demande aussi plus de puissance et d’héroïsme. Malgré ces petits défaut, on ne peut que rester impressionné par la prestation du ténor : son entrée le montre parfait de style, égrainant les vocalises et décorations avec brio… et tout l’ouvrage le verra donner vie au texte de manière sidérante. Bien sûr le final du premier acte le trouve un peu à court de puissance, mais quelle énergie lors de celui du deuxième où on sent qu’il donne tout ce qu’il a pour lutter face à un choeur et un orchestre déchaîné. Et malgré toute cette énergie, il retrouve toute sa finesse lors du dernier acte. Un grand musicien bien sûr, mais aussi un immense interprète !
Même si elle chante le rôle titre, Karina Gauvin n’a malheureusement pas la possibilité véritable de se montrer à son meilleur ici. Bien sûr la voix est magnifique de pulpe et de rondeur. Mais est-ce vraiment ce que l’on demande dans ce répertoire ? Car du coup le texte se perd et la déclamation reste très très vague tout au long de l’ouvrage. Alors bien sûr le chant est souverain mais le drame ne peut pas vraiment s’incarner dans un personnage déjà peu développé par le compositeur. Fille d’Alexandre, on pourrait attendre plus de noblesse et de violence là où l’on n’entend que passion lascive et désespoir résigné. Pour camper sa mère Statira, c’est une habituée des résurrections françaises : Kate Aldrich donnait déjà la Salomé de Mariotte il y a douze ans de belle manière. Depuis elle a collaboré avec la fondation Bru Zane, mais jamais elle n’avait eu un rôle aussi convaincant et parfait pour sa voix et sa personnalité. Durant toute l’oeuvre, elle semble parfaitement à l’aise avec la tessiture qui ne la pousse jamais dans ses retranchements et elle sait parfaitement donner tout le poids au texte et au drame d’un bout à l’autre ! Le texte sonne et claque de manière magistral sans jamais que la ligne de chant ne soit brusquée. Elle se montre ici foudroyante dans sa noblesse outragée ou ses doutes de mère. La prestation était immense et elle reçoit à juste titre une immense ovation lors des saluts.
Au final une superbe soirée sauvée par Mathias Vidal et qui nous permet de découvrir la partition dans de très belles conditions. Nul doute que l’enregistrement qui devrait paraître dans les mois qui viennent devrait confirmer la bonne impression ressentie en salle !
- Paris
- Théâtre des Champs-Elysées
- 3 juin 2016
- Gaspare Spontini (1774-1851), Olympie, Opéra en trois actes (version de 1826)
- Version de concert
- Olympie, Karina Gauvin ; Cassandre, Mathias Vidal ; Statira, Kate Aldrich ; Antigone, Josef Wagner ; L’Hiérophante/un Prêtre, Patrick Bolleire ; Hermas, Philippe Souvagie
- Vlaams Radio Koor
- Le Cercle d’Harmonie
- Jérémie Rhorer, direction