Retour chez William Christie cette année… mais ce n’était pas gagné! Deux jours avant, la météo était assez pessimiste pour ce vendredi : de la pluie annoncée une grande partie de l’après-midi ce qui voulait dire des concerts dans les jardins mais sous des tentes… et un concert du soir non pas dans le cadre enchanteur du miroir d’eau mais dans une salle de concert de Fontenay-le-Comte. Alors toute la matinée, durant le trajet sous la pluie, on scrute les différentes sources d’information. Et puis finalement, on voit que les choses s’améliorent doucement, que si le soleil reste discret, la pluie semble ne pas être de la partie! L’après-midi se passe bien et si quelques gouttes de pluie font craindre le pire le soir durant le concert, finalement tout se déroule parfaitement bien! Voilà donc encore une très belle journée dans ce cadre splendide à Thiré! Au menu, bien sûr les fameux concerts dans le jardin dans l’après-midi, mais aussi l’atelier de chant qui retrouve sa place dans les jardins et puis pour terminer Orphée et Eurydice de Gluck avec Reinoud van Mechelen dans le rôle-titre!
Comme tous les ans, on reste admiratif devant la beauté des lieux. D’années en années, le jardin semble gagner en maturité et en beauté. Des éléments qui pouvaient faire un peu neuf s’émoussent et se fondent de mieux en mieux dans les différents décors. Le potager est toujours aussi fleuri, la cour d’honneur splendide, la perspective derrière la pièce d’eau toujours plus impressionnante… Que de beaux lieux! Et puis toujours des découvertes comme ces topiaires avec un oiseau sculpté en haut autour du pigeonnier! Tout de même une petite tristesse de voir l’état du Théâtre de Verdure. J’aime tellement ce lieu si calme! C’était mon lieu préféré pour le repas du soir en attendant le concert : calme, enchanteur, discret et grandiose en même temps. Mais l’âge des conifères qui le composent semble poser des soucis aux sculpteurs de végétation puisqu’on peut voir pour la première année des trous et des branches mortes. Espérons que ce n’était que cette année et que cela n’augure pas un remplacement des végétaux pour créer un nouveau lieu. Et puis comme tous les ans, un petit mot d’humeur sur le comportement de certaines personnes… Déjà ceux qui prennent des chaises et autres supports pour assister aux concerts de l’après-midi. Je peux tout à fait comprendre cette nécessité. Mais dans ce cas, il semble aussi important de comprendre qu’il faut se mettre légèrement en retrait et non pas tout devant, bloquant la vue des autres spectateurs derrière qui se trouvent plus bas. De même lors du rassemblement de tous les spectateurs lors des Terrasses : si le but est de rester debout durant tout le concert, il semble logique de se mettre au fond du public et non pas en plein milieu, privant des dizaines de spectateurs de la vue.
1 – Promenade musicale : Ateler chant « Le chant des oiseaux »
C’est donc sous un ciel voilé que nous nous dirigeons vers l’atelier de chant, qui lui se tient sous une tente quel que soit le temps! Cet atelier s’adapte aux petits et aux grands, mais du coup avec une pédagogie adaptée aux plus petits. Mais chose étonnante, il n’y a que très très peu d’enfants en ce dernier vendredi des vacances scolaires. Cela ne va pas gâcher la séance. Sophie Daneman est comme toujours assez passionnante dans ses explications, pédagogue dans sa façon de nous faire comprendre des choses. Ici le thème porte sur les oiseaux et nous allons donc entendre différentes représentations : à la flûte, au clavecin, au cornet à bouquin et au chant bien sûr avec par exemple un extrait du “Rossignol amoureux” de Hippolyte et Aricie de Rameau. Mais nous découvrons aussi des très belles pièces pour clavecin dont la Poule de Rameau. Mais le chant alors? Eh bien de nombreux canons nous sont proposés, en français ou en anglais. Et voilà que l’on se retrouve à chanter séparés en 2, 3 ou 4 groupes! Et avec pour chaque groupe un musicien qui nous maintient dans le rythme. Quelle n’est pas la surprise d’ailleurs de se rendre compte, alors que l’on chante à gorge déployée, que notre voisine n’est autre que Maud Gnidzaz, artistes du chœur des Arts Florissants mais aussi souvent soliste chez eux! Voici en tout cas un très bon moment qui nous fait plonger directement dans la musique en la pratiquant!
- Thiré
- Les Jardins de William Christie, Tente du Pont chinois
- 30 août 2024, 14h45
- Atelier chant “Le chant des oiseaux”
- Sophie Daneman, animation
- Violaine Le Chênaie, soprano
- Raphaël Cohen-Akenine, flûte à bec
- Adrien Mabire, cornet à bouquin
- Béatrice Martin, clavecin
2 – Promenade musicale : Les Dames de Ferrare
Pour le premier concert, direction la Pinède avec ses pins, sa colonne et cette vue superbe sur le pigeonnier. Même si les dames ici ne sont que deux à chanter, ce concert fait référence au Concerto delle donne, ensemble de trois chanteuses de la cour de Ferrare créé en 1580 à la cour de Ferrare. Très virtuoses, elles ont fait beaucoup parler d’elles et ont été le modèle d’un certain nombre d’autres ensembles de cette époque. Comme nous l’explique de plus Julie Roset, ces concerts étaient des concerts “secrets”, dans le sens où il fallait être invité déjà pour pouvoir y assister, mais en plus les partitions n’étaient pas mises à la disposition du public, rangées soigneusement après dans des coffres. Il n’y avait donc pas de trace et de possibilité d’écouter à nouveau ces pièces! Pour cette présentation, Julie Roset et Ana Vieira Leite se retrouvent après avoir enregistré un disque au programme similaire en 2022 avec la participation d’une autre soprano, Camille Allérat. Quatre madrigaux donc de Luzzasco Luzzaschi, chantés alternativement par l’une, l’autre ou les deux sopranos ici présentes. Les deux voix se répondent bien, avec un petit grelot plus marqué et qui sonne brillamment chez Julie Roset là où la voix d’Ana Vieira Leite est un petit peu plus mate. Mais les deux chanteuses se montrent redoutables au niveau de la virtuosité débridée, se répondant parfaitement, jouant à deux sur des partitions touchantes mais souvent avec des passages brillants qu’elles enlèvent avec brio. Et puis il faut noter aussi la complicité qui unit non seulement ces deux jeunes chanteuses, mais aussi les trois musiciens qui les accompagnent! Deux grandes habituées du festival et des plus grands ensemble, jouant même en solistes… Marie Van Rhijn fait partie de ces clavecinistes maintenant bien établies qui offrent toujours des choses superbes. Myriam Rignol à la viole de gambe semble être tous les étés à Thiré pour notre plus grand plaisir : quelle virtuosité et quelle inventivité dans ses parties! Et puis celui qu’on imagine être son petit frère, Gabriel Rignol au théorbe. S’ il n’a pas encore toute la liberté de sa sœur et de Dunford (souvent entendu justement avec Myriam Rignol à Thiré), il se montre parfaitement à l’aise et donne toute sa part à la partie musicale. Voilà qui débute magnifiquement le festival! L’interprétation était magnifique, mais à cela s’ajoute la découverte de ces pièces de Luzzaschi qui ont directement donné envie d’aller écouter le disque enregistré récemment!
- Thiré
- Les jardins de William Christie, La Pinède
- 30 août 2024, 16h
- Les Dames de Ferrare
- Luzzasco Luzzaschi (1545-1607) : “O Primavera” – “Deh vieni” – “Ch’io non t’ami cor moi” – “Io mi son giovinetta” (extrait)
- Julie Roset, soprano
- Ana Vieira Leite, soprano
- Myriam Rignol, viole de gambe
- Gabriel Rignol, théorbe
- Marie Van Rhijn, clavecin
3 – Promenade musicale : Orphée, itinéraire bis
Même lieu mais répertoire différent pour ce deuxième concert. En clin d’œil avec le programme du concert du soir, voici donc l’Orphée de Clérambault. S’il n’en est pas l’inventeur, Clérambault a fait beaucoup pour la cantate française, en composant plus de vingt-cinq. L’alternance entre récitatifs, airs et danses font de ces pièces un condensé de tragédie lyrique en une quinzaine de minutes en général. Il y a deux ans, Emmanuelle de Negri avait chanté la cantate Le Sommeil d’Ulysse d’Élisabeth Jacquet de la Guerre… On pourrait espérer tous les ans une cantate baroque, permettant d’entendre des raretés comme il y a deux ans ou des partitions plus connues comme celle-ci. Virginie Thomas est une grande habituée du répertoire baroque français et se montre particulièrement marquante ici. Le netteté de la diction et l’intelligence du texte offrent un petit miracle de précision, nous faisant vibrer face à ce condensé d’Orphée. La partition file, parfaitement conduite par la chanteuse mais aussi par les quatre instrumentistes qui sont ici réunis, chacun accompagnant régulièrement un air ou une danse avec une partie plus développée. On retiendra bien sûr la partie magnifique d’Emmanuel Resche-Caserta ! Quel plaisir d’entendre un tel petit bijou dans un cadre aussi beau et propice à ce répertoire!
- Thiré
- Les jardins de William Christie, La Pinède
- 30 août 2024, 16h30
- Orphée, itinéraire bis
- Louis-Nicolas Clérambault (1676-1749) : Orphée
- Virginie Thomas, soprano
- Emmanuel Resche-Caserta, violon
- Elena Andrée, violoncelle
- Gabrielle Rubio, flûte
- Béatrice Martin, clavecin
4 – Promenade musicale : Voyages aux Enfers, aller-retour ou aller simple?
Cette fois, on se dirige vers un autre lieu pour un concert centré sur la descente aux Enfers. Là encore, on ressent le lien avec ce qui nous occupera le soir! Direction donc le Mur des Cyclopes, qui semble avoir été remanié avec un véritable mur qui se dessine de l’autre côté de la rivière, mais par contre les bancs qui avaient été aménagés avec des troncs d’arbres ont disparu. Qu’à cela ne tienne, on s’assoit donc par terre de nouveau! Face à nous, sept chanteurs du chœur des Arts Florissants et deux instrumentistes pour un programme baroque… mais pas que! À proximité et avec un effectif aussi réduit, le moindre écart s’entend et malheureusement, on entend parfois quelques problèmes de calage dans le chant de ces sept messieurs. Mais le programme n’est pas simple avec cet enchaînement de grands passages d’opéras. Le magnifique chœur de Monteverdi par exemple ouvre de belle manière le concert avant que Laurent Collobert ne chante l’air de Charon dans l’Alceste de Lully. Il faut bien avouer que si l’on a l’habitude d’écouter cet air par des grands (sans remonter forcément à Cesare Siepi!), le chant est ici un petit peu réduit, sans le timbre truculent que l’on peut attendre même si les intentions sont là. On retiendra par contre le très drôle air “Sur les bords ténébreux du terrible Achéron” où les aboiements des trois têtes de Cerbère sont représentés par les trois pupitres! La suite du programme est aussi très intéressante mais plus connue. Et pour finir, voilà que l’on aura droit à une adaptation du galop infernal d’Orphée aux Enfers d’Offenbach! Pour accompagner, théorbe et basson sont appelés. Il est à noter que Gabrielle Rubio semble aussi bien jouer du théorbe que de la flûte (elle en jouait pour l’Orphée de Clérambault). Au final, un programme très intelligent mais une réalisation légèrement en dessous du niveau grandiose des deux premiers concerts!
- Thiré
- Les jardins de William Christie, Mur des Cyclopes
- 30 août 2024, 17h
- Voyage aux Enfers : aller-retour ou aller simple?
- Claudio Monteverdi (1567-1643) : Orfeo, Coro di Spirit infernali “Nulla impresa per uom’ si tenta in vano”
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Alceste, “Il faut passer tôt ou tard”
- Anonyme : “Sur les bords ténébreux du terrible Achéron”
- Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) : La Descente d’Orphée aux Enfers, extraits des scènes 1 et 2 de l’acte II “Affreux tourments, gènes cruelles” – “Mortel, qui que tu sois”
- Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Hippolyte et Aricie, extraits de la scène 4 de l’acte II
- BIS : Variations baroques sur le gâteau d’Orphée aux Enfers d’Offenbach
- Christophe Baska / Nicolas Kuntzelmann / Bruno Le Levreur, contre-ténor
- Édouard Hazebroucq / Jean-Yves Ravoux, tailles
- Laurent Collobert / Simon Dubois, basse
- Évolène Kiener, basson
- Gabrielle Rubio, théorbe
5 – Promenade musicale : Une pastorale avec des monstres
Une petite traversée du jardin pour l’avant-dernier concert de l’après-midi : c’est sous un saule pleureur, à côté d’un petit pont que sont réunis trois élèves de la Julliard School de New-York pour jouer une transcription de l’ouverture de Scylla et Glaucus de Leclair. L’endroit est parfait pour ce genre de musique, au calme, avec le vent qui fait bouger les branches du saule. Sauf que ce vent fait aussi tomber des partitions de la pauvre Nadia Lesinska! Mais peu importe les pauses, musicalement le rendu est très beau dans ce lieu calme et bucolique. Reste un souci mineur : avec tous les fauteuils agglutinés autour des musiciens, il ne reste que peu de place sous le saule et pour beaucoup le concert sera entendu et vu au travers du rideau de feuilles. Mais ce lieu est vraiment enchanteur!
- Thiré
- Les jardins de William Christie, Pont Chinois
- 30 août 2024, 17h30
- Une pastorale avec des monstres
- Jean-Marie Leclair (1697-1764) : Scylla et Glaucus, Ouverture en la majeur, Opus 13 n°3
- Ryan Cheng / Nadia Lesinska, violon
- Andrew Koutroubas, violoncelle
6 – Promenade musicale : Carte blanche à Sébastien Marq, Catches & Grounds
Enfin, direction les Terrasses pour le dernier concert de l’après-midi. Bien sûr, il y a foule, bien sûr, des gens sont debout… mais forcément, ils vont s’asseoir au début du concert. Sauf qu’il n’en sera rien. Voilà donc un concert où 5 personnes restent debout en plein milieu du public sans même penser qu’ils peuvent gêner les gens derrière. Du coup, ce sera un concert “à l’aveugle”, ne permettant pas de voir la petite mise en scène qui semblait pourtant très bien faite, ne permettant de se rendre compte que très tardivement que Marie-Ange Petit (percussionniste) utilise des verres et des bouteilles uniquement… Car pour cette carte blanche laissée à Sébastien Marq, nous sommes propulsés dans une taverne anglaise du XVIIe siècle, au temps des Catches et des Grounds. Les catches sont des chansons souvent grivoises ou en rapport avec la boisson que les hommes chantaient dans les tavernes pour échapper un petit peu à leur quotidien. Le ground est lui une forme uniquement instrumentale qui est proche de l’ostinato, une répétition obstinée des rythmes et de mélodies… Là aussi nous sommes dans la même atmosphère que les catches. De nombreux musiciens composent un petit orchestre assez vif et bondissant, trouvant parfaitement les rythmes et la sonorité que l’on peut imaginer dans un cadre festif. Au chant, deux ténors et une basse. Si cette musique semble être totalement familière à Paul Agnew et Edward Grint, on sent au début un petit manque de naturel chez Cyril Auvity qui est rapidement gommé par l’énergie communicative qui se dégage. Les trois chanteurs entrent parfaitement dans leurs rôles de piliers de bars, se lançant même dans une chanson à la gloire d’un certain Bill… hôte de ces journées! Malheureusement, difficile de voir le jeu qui accompagnait ce chant. Une table de bar avait été reconstituée et les trois chanteurs semblaient particulièrement gris scéniquement!
- Thiré
- Les jardins de William Christie, Les Terrasses
- 30 août 2024, 18h
- Carte Blanche à Sébastien Marq : Catches & Grounds
- Œuvres de Purcell, Blow, Aldridge, Playford…
- Paul Agnew / Cyril Auvity, ténor
- Edward Grint, basse
- Augusta McKay Lodge, violon
- Félix Knecht, violoncelle
- Myriam Rignol, viole de gambe
- Joseph Carver, contrebasse
- Sébastien Marq, flûte à bec
- Thomas Dunford, archiluth
- Gabriel Rignol, théorbe
- Marie-Ange Petit, percussions
7 – Le concert du soir : Orphée et Eurydice
Orphée et Eurydice (je ne sais pas pourquoi le programme des Arts Florissants donne le nom en italien avec deux “i”…) fait partie de ces opéras aux versions multiples : trois de la main de Gluck et une de la main d’Hector Berlioz. Bien sûr, en spécialistes du baroque français, les Arts Florissants s’intéressent prioritairement à la version française de 1774 où le rôle est chanté par un haute-contre et non par une voix féminine (que ce soit un castrat ou une femme). Depuis quelques années, cette production a tourné dans différentes salles de concerts et il y a quelque temps, cet Orphée a même été enregistré en studio pour une parution en CD. N’ayant pas vu en salle de concert les précédentes dates, difficile de comparer… mais il n’y avait sûrement pas cette magie du coucher de soleil, des éclairages sur le miroir d’eau et la perspective qui se détache de la nuit derrière. Malgré un temps frais et quelques gouttes de pluie en fin de deuxième acte (mais alors vraiment trois), la soirée était assez féérique, avec cette musique d’une beauté rare et un chant tout bonnement admirable. Seul petit reproche que l’on pourrait faire : la direction de Paul Agnew a semblé d’une grande lenteur à bien des moments, manquant peut-être un peu de rebond dans les parties les plus tristes.
Mais revenons rapidement aux différentes versions… L’œuvre est créée en 1762 à Vienne en italien et le rôle-titre est chanté par le castrat Gaetano Guadagni. Contrairement à nombre de ses collègues, le castrat contralto est réputé pour un chant assez sobre, loin de guirlandes de vocalises dont d’autres décorent les lignes vocales. En cela, il se rapproche des intentions de Gluck qui souhaite déjà faire évoluer l’opéra avec une conception moins démonstrative et plus immédiatement touchante. En 1769, l’opéra est créé dans une version révisée à Parme en Italie. La partition est réduite en un seul acte et cette fois-ci, un autre castrat soprano cette fois : Vito Giuseppe Millico. Si le chanteur semble être déjà plus adepte des décorations, il reste reconnu pour son chant toujours sensible et expressif. Mais cela fait dans ce petit Orfeo trois voix de soprano (avec Euridice et Amor)! Alors qu’il arrive à Paris en 1774, c’est après la création de son Iphigénie en Aulide cette même année qu’il modifie son opéra pour présenter Orphée et Eurydice avec un haute-contre dans le rôle titre, se coulant ainsi dans la tradition du héros chanté par ces ténors aux tessitures assez hautes héritées du baroque français. Gluck transpose vers le haut même certains passages d’un ton, entraînant le ténor jusqu’à des contre-ré par exemple dans la supplique aux chœurs infernaux qui ouvre le deuxième acte! Enfin, en 1859, sous l’impulsion d’Hector Berlioz et de Pauline Viardot, une nouvelle version est créée, revenant à la tessiture originale tout en conservant une bonne partie des ajouts faits pour la version parisienne de 1774. De cette version seront dérivées par la suite des versions italiennes pour mezzo-soprano et on verra même des versions de barytons!
C’est donc ici comme dit plus haut la version française de 1774 qui est proposée au public, chose assez logique étant donné l’amour des Arts Florissants pour le répertoire baroque français. Gluck en est ici l’héritier direct. Et on retrouve du coup la qualité des musiciens et des chanteurs de l’ensemble. Paul Agnew semble avoir fait des choix assez marquants dans sa direction. Dès les premières minutes, on entend des tempi assez lents, presque étirés. Le chef semble vouloir renforcer l’aspect sombre de cette cérémonie funèbre du premier acte. En effet, les déplorations des chœurs sont portées sur de longues phrases magnifiquement interprétées par les chanteurs des Arts Florissants dans des ensembles tout bonnement parfaits. Les différentes lignes vocales sont parfaitement nettes et se mêlent magnifiquement. Tout au long de la soirée, cet ensemble vocal se montre à son plus haut niveau avec des couleurs et des timbres splendides. Car si la déploration est belle, les chœurs des esprits heureux sont eux aussi d’une plénitude et d’une douceur rare. On retrouve la même qualité dans l’orchestre des Arts Florissants mené avec beaucoup d’inspiration par le chef. Mais il faut bien avouer qu’il manque quelque chose par moments. Cette lenteur, ce manque de rebond qui semble être volontaire pour accentuer l’aspect sombre de certains passages… et si les moments plus lumineux trouvent une plus belle énergie, il manque tout au long de la soirée un petit peu de tension. Tout est splendide, plastiquement admirable… mais avec un petit manque de tension et de théâtralité.
Deux sopranes et un ténor… voilà la distribution de solistes. Julie Roset est une grande habituée des rôles d’amour : de Monteverdi (L’Incoronazione di Poppea) à Charpentier (Médée), elle excelle dans ces rôles. Et là encore, elle donne beaucoup de vie à ses deux apparitions. La voix est vive, enjouée et légère tout en étant parfaitement projetée. Ses trois airs sont des moments pleins de théâtre, la jeune femme jouant avec délectation ce petit Amour qui a finalement toutes les clés! Ana Vieira Leite est elle une Eurydice assez combattante, donnant à sa voix des accents pleins de vie et avec une volonté visible. Le rôle est assez peu développé mais elle lui donne beaucoup de présence, chantant d’ailleurs comme il en est l’habitude l’air de l’Ombre Heureuse.
Mais bien sûr, c’est le rôle-titre qui se taille la part du lion ici. Reinoud van Mechelen a montré son talent pour le répertoire baroque français, allant même jusqu’au répertoire de Joseph Legros justement dans un récital. Et dès qu’il ouvre la bouche, on est saisi par la beauté du chant, la poésie qui s’en dégage et la qualité du français. Tout ici n’est que poésie et délicatesse, offrant une vision assez magique d’un personnage poète. Mais toutes ces qualités sont aussi la cause d’un petit manque de drame dans son chant. En restant uniquement poète et artiste, il ne trouve pas les quelques inflexions qui pourraient encore plus donner du corps à son personnage. Entendons-nous bien, cet Orphée est splendide et touche… mais il pourrait sans doute aller un petit peu plus loin dans l’équilibre entre le chant et le théâtre. Mais admirons ce chant qui se joue des difficultés techniques, de la tessiture très longue (malgré un extrême aigu un petit peu tendu) et qui nous offre une leçon de chant et de poésie!
Voilà un magnifique moment! L’ouvrage bien sûr est splendide, la version particulièrement réussie, le chant superbe… et le cadre ! Petit à petit, la nuit tombe, les éclairages se révèlent, le ciel se découvre aussi… et comment résister à regarder les étoiles en écoutant les suppliques d’Orphée aux esprits infernaux? Le moment aura été magique pour tout cet ensemble de facteurs, mais aussi peut-être parce que le matin, on doutait fortement de pouvoir passer un tel moment. Voilà en tout cas qui clôt une journée comme toujours magnifique, où l’on est baigné dans la musique et dans les superbes jardins de William Christie. Toujours dépaysant, toujours splendide!
- Thiré
- Les jardins de William Christie, Le Miroir d’Eau
- 30 août 2024, 20h
- Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : Orphée et Eurydice
- Orphée, Renaud Van Mechelen ; Eurydice, Ana Vieira Leite ; Amour, Julie Roset
- Chœur et Orchestre des Arts Florissants
- Paul Agnew, direction
Et quelques photos pour finir ce petit voyage à Thiré :