La magie de Patrizia Ciofi

En temps normal, le rôle de Maria Stuarda est chanté par une soprano plus claire que sa rivale Elisabeth. Mais depuis quelques années, Joyce DiDonato chante la reine déchue régulièrement et du coup on se retrouve avec une sorte d’inversion dans les timbres. Face à Carmen Giannattasio, le confrontation semblait impressionnante. Mais l’annulation de la mezzo-soprano américaine a changé la donne, puisque c’est finalement Patrizia Ciofi qui chante le rôle sur la scène du Theâtre des Champs-Élysées. Nous sommes donc passé d’un mezzo-soprano claire mais puissant à une soprano assez légère qui est plus connue pour ses demi-teintes que pour sa puissance vocale. Déjà impressionnante dans Maria Stuarda à Avignon il y a quelques années, c’était un vrai plaisir de la retrouver, mais aussi une petite question… les années ont passé et si l’art de la chanteuse est sûrement toujours aussi beau, on pouvait craindre une petite érosion des moyens. Mais malgré tout, avec Patrizia Ciofi nous sommes certains d’être touchés et émus par son interprétation. Et puis nous avons aussi la présence d’une habituée du rôle d’Elisabeth et un ténor qui possède toujours une forte présence.

Même si dans la distribution nous avons une mezzo-soprano, un ténor, un baryton et une basse, ce sont bien sûr les deux reines qui attirent tous les regards. Chacune a son air d’entrée en deux parties, et nous avons ces confrontations assez impressionnantes. L’équilibre n’est pas total car Elisabeth n’a pas ce grand final, mais l’écriture en montagnes russes de ce rôle est impressionnante et l’intensité de ce chant compense la relative brièveté du rôle. Au contraire, Maria Stuarda est présente sur scène durant presque tout l’opéra à partir du moment où elle entre en scène. Donizetti a construit un personnage totalement romantique, avec cette nostalgie du début, la violence de la reine insultée, et finalement le renoncement plein de noblesse. La musique composée est ici tout emprunte de majesté délicate et il n’y a que cette grande violence dans l’insulte qui montre combien nous avons une personnalité forte.

Speranza Scappucci

On passera vite (voir même très vite!) sur le chÅ“ur qui est assez quelconque voir pire… Les pupitres de l’Ensemble Lyrique Champagne-Ardenne manquent de cohésion, on a régulièrement des fausses notes et on manque vraiment de rondeur dans le chant et dans l’italien. Pour l’orchestre, la cheffe Speranza Scappucci se montre à la hauteur de la tache. La partition de Donizetti demande de la prendre à bras le corps, de lui donner de la force. Et justement, nous avons ici une direction pleine d’énergie (peut-être trop par moments d’ailleurs) qui fait sonner la musique de belle manière. L’Orchestre de Chambre de Paris est lui aussi assez intéressant dans ce répertoire. Lui qui est plus habitué à jouer du répertoire classique a une sonorité plus franche et légère que d’autres formations et l’on a ici un véritable orchestre professionnel et non un ensemble de mauvaise qualité.

Enea Scala (Le Comte de Leicester)

Dans les petits rôles, assez surpris par Jennifer Michel qui m’avait semblé beaucoup plus sonore dans la Semiramide de Marseille. Par contre, il est assez triste d’entendre Marc Barrard dans le rôle de Lord Guglielmo. Si son Flambeau dans L’Aiglon était parfait, déjà dans Ourrias on sentait une certaine usure des moyens. Et nous avons donc un baryton à court d’aigu, à la voix assez cotonneuse… étrange de l’entendre dans ce rôle après la grande carrière qu’il a fait. Et puis Nicola Ulivieri qui lui est plutôt une bonne surprise car il avait été très terne à Marseille dans La Donna del Lago alors qu’il offre un Talbot très beau ici. Le timbre semble beaucoup plus se développer dans la ligne de Donizetti alors qu’il était resté trop timide il y a quelques temps.

Autre chanteur présent à Marseille pour ce Rossini, Enea Scala se présente tel qu’à son habitude : métal en avant, chant physique… mais là où ce type de chant passe très bien pour du Rossini dans un rôle aussi violent que Rodrigo, ici ça manque un peu de douceur et de nuances pour l’amoureux et romantique Leicester. Malgré les allègements qu’il propose avec Stuarda, cela reste un peu dur comme chant pour Donizetti. Et il n’a pas ou très peu de moyens où il peut faire valoir sa technique et ses aigus (surtout que les deux reines ne sont pas très prolixes en sur-aigus…).

Carmen Giannattasio (Elisabeth) dans la production de Maria Stuarda de Moshe Leiser et Patrice Caurier à Londres.

La méchante reine est bien sûr Elisabeth, ici chantée par Carmen Giannattasio. La soprano italienne a décidé de montrer une bête féroce avant tout ici. La tenue de la première partie le montre bien : robe rouge flamboyante, cheveux remontés en arrière dégageant un grand front, poses hautaines… elle campe une reine sanguine d’un bout à l’autre ou presque. Niveau voix, le soprano est large et puissant, mais il lui manque quelques sur-aigus pour totalement exploser. Les marques de fureurs restent trop souvent contenues dans le grave pour frapper. Mais quelle puissance et quelle arrogance. On en vient à se demander si ce n’est pas la personnalité de la chanteuse qui est ainsi. En tout cas, si face à Joyce DiDonato elle aurait sans doute trouvé une Stuarda beaucoup plus vindicative, le contraste avec Patrizia Ciofi est parfait ici.

Patrizia Ciofi lors des saluts au final, ce 6 décembre 2018.

Et puis vient la reine bafouée… Maria Stuarda. Si elle avait été chantée par Joyce DiDonato, nous aurions eu deux lionnes sur le plateau n’en doutons pas! Mais avec Patrizia Ciofi, le personnage est autrement plus complexe et nuancé. La soprano se fait plus discrète semble-t-il depuis quelques temps, mais ce léger repos semble lui être propice car on la retrouve en grande forme! La voix a toujours ces petites faiblesses dans le grave, mais l’aigu est beaucoup plus assuré qu’il y a quelques années… et l’artiste est toujours aussi remarquable! Tout au long de la soirée, elle va nous démontrer combien avec de la technique et de l’art, on peut surmonter quelques petites réserves pour prendre en main un personnage. Sa stature, sa noblesse de ligne… tout en fait la reine outragée et martyre qu’elle montre ici. Les délicats moments sont rendus avec une finesse rarement entendue où chaque couleur est pensée et nuancée, les variations finement modulées. Et puis il y a aussi la noblesse indignée qui lui donne la possibilité de changer de ton et montrer des aigus et sur-aigus sonores et en place! La fureur de l’insulte fait frémir, les montées vers le sur-aigus sont comme une lance jetée à la figure d’Elisabeth… Alors on en a connu de plus beaux, mais il sont émis avec une telle énergie et un tel sentiment que l’on comprend ici combien, loin de la démonstration, Ciofi sait faire naître l’émotion par ces variations et extrapolations. Elles sont inscrites dans un parcours artistique pour donner du sens à la ligne. Au final, DiDonato aurait sans doute été magnifique… mais ré-entendre Patrizia Ciofi dans ce rôle était un vrai bonheur… et presque un privilège!

D’ailleurs le public ne s’y est pas trompé puisqu’il a ovationné Patrizia Ciofi dès son air d’entrée. J’ai rarement entendu une telle ovation, une telle reconnaissance du public. Ce triomphe était mérité bien sûr et a profondément chamboulé la soprano. De même au final où on la sent au bord de la rupture. Elle a tout donné pour ce final en crescendo… et le public lui rend avec chaleur! On notera d’ailleurs que Carmen Giannattasio vient la soutenir, comme si elle était brisée par l’émotion. S’il est des chanteuses qui en font des tonnes au moment des saluts (et Giannanttasio en fait partie!), Ciofi était tout simplement bouleversée par cet accueil. Et elle le méritait grandement!

Malgré quelques réserves, la présence des deux sopranos et les situations dramatiques fortes de la partition font que ce concert restera dans les mémoires. Patrizia Ciofi confirme qu’elle une place à part tant son art est passionnant.

  • Paris
  • Théâtre des Champs-Élysées
  • 6 décembre 2018
  • Gaetano Donizetti (1797-1848), Maria Stuarda, opéra deux actes
  • Version de concert
  • Maria Stuarda, Patrizia Ciofi ; Elisabetta, Carmen Giannattasio ; Le Comte de Leicester, Enea Scala ; Giorgio Talbot, Nicola Ulivieri ; Lord Guglielmo,Marc Barrard ; Anna Kennedy, Jennifer Michel
  • Ensemble Lyrique Champagne-Ardenne
  • Orchestre de chambre de Paris
  • Speranza Scappucci, direction

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