Maria Stuarda fait partie de cette fameuse trilogie Tudor qui rassemble aussi Anna Bolena et Roberto Devereux. Comme à chaque fois, l’un des personnages féminin est prépondérant, mais ici il ne peut véritablement vivre sans avoir un fort caractère en face. En effet, sans une Elisabetta de haute volée, comment donner tout son caractère tragique à la reine d’Écosse emprisonnée ? Comment faire vivre aussi ces affrontements entre deux femmes de même rang et au caractère bien trempé ? Car si le rôle titre nous est présenté à bien des moments comme une douce jeune fille, il ne faut pas oublier qu’elle était reine avant tout et que la noblesse de l’une doit se heurter à celle de l’autre. Avec la prise de rôle de Joyce DiDonato, les tessitures ont été inversées sur plusieurs scènes : Elisabeth revenait à une soprano corsée là où Maria Stuarda était donc chantée par la voix claire de la mezzo-soprano DiDonato. Ici c’est un retour aux traditions avec la soprano Patrizia Ciofi en martyre et la mezzo-soprano Karine Deshayes en violente Reine d’Angleterre. Deux chanteuses très différentes… et un affrontement magistral !
L’ouvrage de Donizetti est assez remarquable par sa structure resserrée et son efficacité dramatique. Si certain de ses opéras manquent de caractère, on a ici des personnages et des situations très forts. Bien sûr, le compositeur ne peut pas éviter les grands airs en deux partie, mais ils sont très bien intégrés et dévolus aux deux reines avant tout. Le point central de l’intrigue est assez vite résolu puisque nous savons rapidement qu’Elisabetta est résolue à condamner Maria. Ce sont donc plus les motivations et les réactions de chacune d’elle qui nous intéressent ici, misent en valeur par une écriture vocale particulièrement bien adaptée aux psychologies. Leicester possède bien sûr son importance dans le sens où il se trouve entre ces deux femmes, mais comme les autres personnages qui restent anecdotiques, il ne peut rivaliser tant dans l’histoire que dans le chant avec les deux reines. C’est donc l’affrontement de ce deux femmes qui est ici mis en avant : pour le pouvoir mais aussi pour l’amour. Et l’affrontement ne se réduit pas à un monstre face à un ange, mais bien à deux caractères trempés qui chacun à leur tours se montrent tendres ou violents.
Les seconds rôles sont très bien tenus sans aucune faute de distribution. On saluera par exemple Ludivine Gombert et Yann Toussaint qui composent une Anna et un Cecil de haute tenue. Elle s’impose par un chant d’une grande simplicité mais au timbre ferme. Lui se montre d’une droiture parfaitement adaptée au rôle avec un timbre plutôt clair mais tranchant. Dans le rôle de Talbot, le vétéran Michele Pertusi propose une prestation très digne mais après quelques années où sa voix semblait usée, son émission a changé pour plus de volume mais moins de netteté malheureusement. Le chant reste nuancé mais a perdu beaucoup en expressivité tout en gagnant un vibrato assez peu agréable.
Le rôle le plus romantique est sans conteste Leicester, campé ici par Ismaël Jordi. Le ténor a chanté ce rôle il y a quelques mois à Londres et il se montre ici très impliqué dans son rôle, retrouvant des attitudes sûrement éprouvées par la scène. Si l’aigu est souvent un peu tendu ou esquivé (le premier acte en est totalement dépourvu), l’ensemble de sa prestation est un modèle de style. Le phrasé est exemplaire et les nuances superbes donnant au bel-canto une délicatesse d’émission qui évite toute démonstration pour aller au plus direct de l’émotion par le chant. On pourrait espérer un timbre plus solaire et rond, mais la prestation est de très haut niveau malgré une indisposition (une doublure était présente dans le théâtre au cas où).
Karine Deshayes prend ici le rôle d’Elisabetta pour la première fois. Avec Olympia d’Herculanum (Félicien David), elle avait montré sa capacité à créer un personnage ambigu, loin de la gentillesse où elle est cantonnée. Ici un nouveau cap est franchi, peut-être avec un peu moins de réussite dramatique mais avec un chant impressionnant. L’air d’entrée impose immédiatement la reine avec une technique impressionnante et un abattage certain. Les variations sont virtuoses et osées avec des aigus parfaitement placés. Le timbre de mezzo donne de la grandeur à cette reine alors que l’aisance dans l’aigu lui permet de rivaliser sans problème avec Maria. La seule petite réserve que l’on pourrait avoir est sur le personnage : le premier acte la trouve très volontaire avec des accents de rage très bien rendus. Mais le deuxième manque de cette tension qu’elle avait créé : la beauté du chant est toujours là mais on retrouve uniquement la rondeur du timbre sans la violence contenue qu’elle avait déployé. Une superbe prestation donc mais pas tout à fait aboutie. Toujours est-il que ce genre de personnage et ce répertoire sont parfaitement adaptés à la tessiture et à la technique de la mezzo-soprano française. Avec une expérience scénique renforçant l’expressivité, on tient ici une grande future Elisabetta.
La reine déchue Maria Stuarda était incarnée par la soprano italienne Patrizia Ciofi avec toute la flamme qu’on lui connait. Bien que rarement à son répertoire, ce rôle semble être taillé pour sa personnalité. On connait les limitations de l’instrument : un voile plus ou moins présent et un sur-aigu qui peut être rebelle. Mais on connait aussi les qualités de musicienne et de coloriste qui font tout le prix des interprétations de la soprano italienne. Ici on est à la fois admiratifs des nuances lunaires de l’air d’entrée, mais aussi impressionné par la hargne qu’elle met dans les injures quelle lance à Elisabetta. Totalement immergée dans son rôle et se donnant totalement comme à son habitude, elle se risque à des variations et des aigus qui pouvaient être évités mais auraient enlevés un peu de sa grandeur au rôle. Ainsi elle avance, crânement, concluant d’ailleurs l’œuvre avec un sur-aigu vainqueur. Cette Maria n’est pas uniquement une victime : elle se dévoile dans toute sa noblesse et sa majesté par une pudeur qui semble transcendée petit à petit vers la grandeur qui clôt l’opéra. La voix se déploie lors de la prière finale avec un effet assez impressionnant. On ne sait quand elle s’arrêtera de grandir pour s’élever vers son sacrifice. Sûrement épuisée en cette fin de concert, la soprano se montre bouleversée par ce final qui demande tant d’énergie et de volonté… mais la voix est restée là , bien présente et solide d’un bout à l’autre. Une prestation d’une puissance expressive rare avec une finesse d’exécution d’une grande musicalité.
Du côté de l’orchestre, on notera une direction de Luciano Acocella assez soignée et théâtrale, mais l’orchestre manque de finesse et de netteté. De plus, quelques erreurs et décalages viennent parsemer la partition. Mais après tout dans ce répertoire si les chanteurs sont au niveau, la soirée ne peut pas être mauvaise… et à Avignon ce dimanche, elle a même été magnifique !
- Avignon
- Opéra d’Avignon
- 24 janvier 2016
- Gaetano Donizetti (1797-1848), Maria Stuarda, Drame lyrique en deux actes
- Version de concert
- Maria Stuarda, Patrizia Ciofi ; Elisabetta, Karine Deshayes ; Leicester, Ismaël Jordi ; Talbot, Michele Pertusi ; Cecil, Yann Toussaint ; Anna Kennedy, Ludivine Gombert
- Chœur de l’Opéra Grand Avignon
- Orchestre Régional Avignon-Provence
- Luciano Acocella, direction