La Dame Blanche revient Place Boieldieu!

Continuant à redécouvrir son répertoire historique, l’Opéra-Comique nous propose La Dame Blanche de François-Adrien Boieldieu. Cet ouvrage créé en 1825 atteindra les 1000 représentations en 1862, c’est dire quel succès la partition rencontra immédiatement. Et pourtant, à partir de la fin du XIXè siècle, voici que l’opéra disparait doucement de la scène parisienne. À partir de 1926, il faudra attendre 1996 pour que l’Opéra-Comique accueille une nouvelle fois cette Dame sous la baguette de Marc Minkowski… la production sera reprise une fois… puis il faudra attendre vingt ans donc pour retrouver de nouveau la Dame Blanche. Certes nous sommes ici dans un opéra-comique très marqué par son temps de par son inspiration chez Walter Scott ou le style musical, mais tout de même… Alors forcément, c’est un grand moment que nous propose l’institution car en plus de cette pièce historique, voici que l’Opéra-Comique a proposé une distribution parfaitement réglée aussi bien dans la musique,  que dans le chant ou la mise en scène !

En 1825, nous sommes à la fin de carrière de Boieldieu qui aura fait les beaux jours de l’Opéra-Comique… alors que triomphait dans Paris l’italien Rossini depuis des années. Aussi, la partition présentée doit s’adapter à cette mode italienne qui plait tant. Mais tout de même, notre Boieldieu essaye de conserver ce ton français typique du style de l’opéra-comique. Bien sûr il y a les dialogues parlés qui s’intercalent avec les moments chantés. Mais il y a surtout le style de chant. On ne peut nier que le compositeur se rapproche par moments de son illustre collègue dans des lignes assez vocalisantes. Mais d’un autre côté, il cherche aussi la filiation avec le début du siècle en choisissant un ténor pour le rôle-titre qui chante non pas comme la mode le demande, mais à l’ancienne pourrait-on dire : Louis-Antoine-Eléonore Ponchard est en effet ce qui était alors appelé un « ténor de grâce », à opposer au « ténor de force » qui se développe de plus en plus. Les caractéristiques de cette typologie vocale ? Un chant délicat, des aigus en voix de tête plutôt qu’en voix de poitrine… et toujours cette grâce dans le chant. Nous n’avons donc pas ici une sorte de Rossini français comme on se plait parfois à le rappeler. Au contraire, Boieldieu était tout à fait conscient que ce n’est pas en copiant Rossini qu’il réussirait à donner des ouvrages de qualité. Les deux hommes habitaient dans le même immeuble et un jour, Boieldieu dira à Rossini : « Cher maître, je ne suis jamais au-dessus de vous que quand je vais me coucher »… le français habitant au deuxième étage alors que l’italien habitait au premier. Tout au long de la partition, nous voyons donc que le compositeur demande à ses chanteurs une technique très solide mais sans que jamais ce ne soit une copie du maître italien, cherchant avant tout à faire personnel. Bien sûr quelques moments payent un fort tribut à Rossini comme l’orage de fin du premier acte. Mais la balade de Jenny, les airs de Georges Brown… ou encore la fameuse scène de la vente aux enchères… tout ceci est d’une grande inspiration et d’une grande personnalité dans le traitement virtuose de la voix mais aussi de l’orchestre.

Acte I : Sophie Marin-Degor (Jenny)

Dramatiquement, Eugène Scribe joue avec le public, le mettant dans la confidence alors que les personnages ignorent tout de leur avenir ! En effet, dès le premier acte on commence à imaginer qui est vraiment le jeune Georges Brown… qui est la Dame Blanche au début du deuxième acte… et comment l’histoire va finir ! Mais ce n’est pas de la maladresse. Au contraire on pourrait croire que le librettiste s’est amusé à faire des clins d’yeux à la salle, ridiculisant quelque peu ses personnages mais donnant une belle fraîcheur à l’ensemble. Nous sommes en Écosse en 1753 et plus précisément aux pieds du château des Comtes d Avenel. Ces derniers sont morts en exile et les paysans ont décidés de tenter d’acheter ce château lors de la vente aux enchères qui doit avoir lieu le lendemain. En effet, ils refusent de laisser l’ancien intendant du Comte, Gaveston, acheter ce domaine. Arrive le jeune sous-officier Georges Brown qui se voit proposé de devenir le parrain du fil de Jenny et de Dickson, un couple de fermiers. Dickson est par ailleurs désigné par les paysans pour participer aux enchères en leurs noms. Mais ce château est aussi hanté par une certaine Dame Blanche… qui attire l’attention du jeune officier. Celui-ci est à la recherche d’une jeune fille qui l’a soigné il y a quelques temps… premier amour mais qui semble lui rappeler une ancienne histoire amoureuse dans son esprit embrouillé. En effet, il ne garde aucun souvenir de sa vie de petit enfant et par moments certains sentiments réveillent des images. Cette jeune fille l’a fait et il la recherche. Cela ne l’empêche pas tout de même de badiner avec Jenny, se moquant de la peur de Dickson son mari qui tremble devant la Dame Blanche. Ce dernier revient d’ailleurs avec un mot de ce fantôme qui l’invite à venir au château ce soir pour la rencontrer. Refusant, il accueille avec plaisir la proposition de Georges Brown de le remplacer ! Le soir au château, nous rencontrons Marguerite, ancienne servante des Comtes d’Avenel, ainsi qu’Anna, jeune Orpheline élevée dans ce château avec le fils des propriétaires par Marguerite. La jeune femme revient du continent sous la garde de l’intendant Gaveston nommé son tuteur après la mort de ses parents adoptifs. Georges arrive donc au château et finit par être accueilli par l’intendant…. Mais il rencontre surtout la Dame Blanche durant la nuit qui lui demande d’obéir à la jeune fille qu’il recherche demain lors de la séance de vente aux enchères. À l’aube, voici le juge… les enchères montent entre Gaveston et Dickson… mais à 100 000 écus, les paysans ne peuvent plus monter. Alors arrive Anna qui murmure à l’oreille de Georges qu’il doit surenchérir sans douter ! Voici donc notre soldat qui monte face à Gaveston… finissant par l’emporter pour 500 000 écus alors qu’il n’a pas un sous en poche ! Plus tard dans la journée, Georges se promène dans son château, sachant qu’il n’a pas les moyens de payer. Mais il a foi en la Dame Blanche. Justement, voici Anna qui arrive, espérant retrouver le trésor d’Avenel grâce aux derniers mots de la Comtesse sur son lit de mort. Gaveston arrive plein de fureur, mais elle se transforme en joie quand il apprend que le soldat est sans le sous… alors qu’il n’est nul autre que l’héritier d’Avenel, il est Julien d’Avenel. Anna était cachée pour écouter et en entendant que celui qu’elle aime est son maître, elle décide de le sauver avec l’argent de son héritage avant de disparaître, ne se considérant pas assez bien née pour se marier avec Julien. Arrive la police qui vient arrêter Georges. Mais la Dame Blanche vient lui donner de quoi payer à la grande rage de Gaveston qui se précipite sur elle et lui arrache son voile. On découvre alors Anna qui devant l’aveu d’amour de Georges accepte de l’épouser !

Acte I : Yann Beuron (Dickson), Sophie Marin-Degor (Jenny)

Comme souvent pour ces œuvres rares, l’Opéra-Comique nous propose une production très lisible. En effet, on est loin de la Manon dirigée par Olivier Py par exemple ici : costumes d’époque légèrement dévoyés seulement, décors hyper réalistes mais intelligents, utilisation de la vidéo pour aider à la compréhension de ce qui pourrait se passer… Les trois actes nous offrent des ambiances parfaitement distinctes avec ce grand mur en pierres sèches qui ferme la scène durant le premier acte, puis l’intérieur du château d’Avenel pour le second… et enfin les appartements des maîtres au troisième acte. Si l’histoire n’est au final en rien fantastique puisque toutes les apparitions de la Dame Blanche sont expliquées, Pauline Bureau a tout de même choisi de montrer un petit peu de fantastique avec un billet enflammé, des fantômes qui quittent la salle du troisième acte ou encore un feu qui s’allume seul. Ces quelques éléments permettent de bien animer la scène dans des décors riches en détails et qui permettent aux personnages d’exister dans un cadre assez réaliste. Et il faut ajouter à ces choix esthétiques des lumières qui permettent parfaitement de recréer un Écosse de légende. Mais il y a surtout le jeu d’acteurs. On voit combien chacun est absorbé par son personnage bien sûr, mais tout est parfaitement réglé, se calant admirablement sur le texte. Il pourrait être difficile de jongler avec les rythmes si différents entre la partie parlée et la partie chantée, mais tout cela s’enchaîne parfaitement. Une mise en scène qui n’a rien d’exceptionnel ni de dérangeant… mais qui offre un cadre très adéquat pour cette Dame Blanche.

Acte I : Philippe Talbot (Georges Brown)

Alors que souvent pour ce genre de recréations, l’Opéra-Comique fait appel à des orchestres soit historiquement informés comme Accentus ou Les Champs-Élysées, c’est cette fois l’Orchestre National d’Île-de-France qui se retrouve en fosse. On pouvait craindre un orchestre peut-être trop large ou sec comme l’avait été il y a quelques années le Philharmonique de Radio-France dans Les Pêcheurs de Perles mais dès l’ouverture on découvre une superbe douceur, des couleurs rayonnantes et un vrai soin à soigner cette partition. Bien sûr, le résultat est aussi dû aux choix et à la direction de Julien Leroy ! Mais il est impressionnant d’entendre combien un orchestre traditionnel peut sonner parfaitement adéquat pour du Boieldieu surtout alors que nous sommes habitués à des orchestres sur instruments d’époques dans cette salle ! Le jeune chef couve ses musiciens et sait parfaitement adapter les tempi pour éviter que l’ouvrage ne s’enlise. Les reprises par exemple sont par moments finalement accélérées. Et puis il met particulièrement bien en avait le travail mélodique du compositeur, profitant aussi des magnifiques moments de solistes portés par les musiciens de l’orchestre.

Acte II : Elsa Benoit (Anna), Aude Extrémo (Marguerite)

Il faut aussi souligner l’excellence du chœur Les Éléments. La partition leur demande régulièrement de chanter avec des pupitres séparés mais aussi des lignes heurtées comme l’entrée de montagnards. Et tout est parfaitement en place le soir de cette première ! Aucun moment de flottement, toujours une parfaite cohésion et un son rond sans être vague. On saluera aussi les apparitions des solistes sortis de ce chœur pour des petits rôles. Tous sonores et parfaitement en place. Yoann Dubruque lui est peut-être le moins convaincant de la distribution. Son Mac-Irton (le juge) manque un peu soit de présence, soit de gouaille. Le timbre est assez sec mais il peine à vraiment s’imposer.

Acte II : Philippe Talbot (Georges Brown), Elsa Benoit (Anna)

Le couple des paysans est croqué de belle manière par Sophie Marin-Degor et Yann Beuron. Jenny et Dickson sont des rôles assez épisodiques étant donné qu’après le premier acte ils n’interviennent que dans les ensembles. Mais le début repose en grande partie sur leurs épaules. Et tous les deux sont assez parfaits de style, sachant parfaitement doser la comédie et le chant, ne forçant pas trop le trait avec un accent paysan comme on peut en trouver dans l’enregistrement de Marc Minkowski. Sophie Marin-Degor apporte un vrai poids vocal dans ce rôle qui demande certes des graves pour un soprano, mais surtout une sorte de gouaille constante, que ce soit dans la balade de la Dame Blanche ou dans le duo avec Georges Brown ! La diction est parfaite, le timbre mûr juste comme il faut. Avec elle, Yann Beuron impressionne déjà par le timbre sombre qu’il montre ! On croirait presque entendre un autre ténor au départ, mais on retrouve très vite la qualité de la diction, la projection implacable… et l’intelligence du chanteur ! Il se montre lui aussi parfait dans ce rôle de caractère !

Final de l’acte II

Dans le château, on découvre Marguerite, vieille servante des d’Avenel. Et pour ce rôle très court, l’Opéra-Comique a fait appel à Aude Extrémo ! La mezzo-soprano campe immédiatement un personnage de grande sagesse, venant de l’histoire de l’opéra français plus que de l’opéra-comique. Le timbre est magnifique, chaud et rond sans être trop large, la ligne de chant d’une noblesse impressionnante… son air d’entrée nous emporte vers des compositeurs bien antérieurs à Boieldieu et l’animation qui la prend à l’évocation de Julien montre aussi une grande sensibilité. Face à elle se trouve Gaveston, méchant intendant qui cherche à acheter le château. Depuis son remplacement de l’interprète malade du Comte de Luddorf dans La Nonne Sanglante ici-même, Jérôme Boutillier semble avoir de nouveaux engagements assez prestigieux et notamment à l’Opéra-Comique. Il faut dire que le baryton a une présence scénique certaine et un chant parfaitement adapté à ce répertoire. Son Gaveston manque peut-être un petit peu de noirceur de voix, mais il le compense par l’interprétation cinglante, la voix qui tonne et tranche…

Final de l’acte II

Alors qu’elle était restée un peu en retrait dans Agrippina en juin dernier, voici qu’Elsa Benoît impressionne par sa prestation double pourrait-on dire ! Il y a d’abord cette jeune Anna piquante et espiègle avant de devenir tragique lors du dernier acte… et puis cette Dame Blanche qui par moment chante de manière beaucoup plus noble et stricte. Mais toujours on entend le timbre superbe de la soprano, beaucoup plus libre que chez Haendel. Le léger vibrato très serré renvoie par certains aspects à une technique des années cinquante et apporte de plus une belle fragilité au personnage, toujours frémissant. Et il ne faut pas oublier aussi l’aisance qu’elle apporte dans les parties les plus tendues, le sur-aigu facile et puissant, les vocalises en place… Car nous avons ici un personnage non pas rossinien dans la technique, mais bien français comme l’était Eugénie Rigaut. Plus qu’une grande vélocité, il faut avant tout une délicatesse de chant, une aisance dans les petites décorations discrètes… le grand duo avec Georges Brown au deuxième acte la montre tout à fait à son aise.

Acte III : Elsa Benoit (Anna)

Malgré la grande qualité de tous ces interprètes, le grand triomphateur de la soirée est sans doute Philippe Talbot. Le ténor affronte là un rôle assez difficile déjà de par sa longueur, mais aussi par la technique nécessaire. Là encore, point de Rossini pour la virtuosité, mais bien une virtuosité plus discrète et légère, un art de la petite touche. L’enregistrement de Marc Minkowski pourrait nous donner une vision troublée de Georges Brown. Bien sûr Rockwell Blake est impressionnant… mais il ne faut pas comparer notre Georges Brown à ce chant assez musclé mais plutôt à ce que l’on dit de celui d’Antoine Ponchard, ténor de grâce avant tout. Et pour se rapprocher de lui, Philippe Talbot a beaucoup travaillé son style, préférant des aigus mixés voir en falsetto plutôt qu’en pleine voix à bien des moments. Certains trouveront cela dommage, mais le rendu est tellement magnifique qu’on ne peut qu’admirer le résultat. Si le premier acte le montre un petit peu sur la réserve en terme de projection, il offre tout de même un air militaire vif et plein de vaillance… alors qu’il sera éblouissant au deuxième acte avec un air « Viens, gentille dame » à se pâmer de beauté et de facilité technique avant un duo avec La Dame Blanche beaucoup plus tendu vocalement mais tout aussi réussi, contre-notes en tête ! Sa prestation est vraiment une immense réussite vocalement, mais aussi théâtralement car il a tout pour ce Georges Brown : le second degré, la présence légère sur scène, le comique facile. Il avait déjà montré les différentes facettes de son talent dans divers prestations : un côté plus héroïque chez Dmitri de Joncières, la délicatesse des couleurs pour Platée et la virtuosité chez Rossini pour Le Barbier ou Le Comte Ory. Il fait donc ici une démonstration complète, mobilisant tous ses différents talents dans un seul et même rôle.

Acte III : Jérôme Boutillier (Gaveston), Elsa Benoit (La Dame Blanche), Philippe Talbot (Georges Brown)

On l’aura compris, cette nouvelle production de La Dame Blanche est une immense réussite tant scéniquement que musicalement. Encore une fois, l’Opéra-Comique réussit à montrer combien ce répertoire regardé de manière un peu condescendante a beaucoup à offrir. En quelques mois nous avons deux ouvrages majeurs qui sont remis sur le devant de la scène et ici comme pour Fortunio, les moyens sont parfaitement adaptés aux ouvrages. Cette Dame Blanche devrait être captée par les équipes de France Télévision… on peut donc espérer une diffusion plus tard… voir même un DVD ! Mais un immense merci pour le travail de tous les artistes bien sûr… mais aussi pour l’équipe de l’Opéra-Comique qui permet d’entendre et de voir des ouvrages rares dans des conditions proches de l’idéal !

  • Paris
  • Opéra-Comique
  • 20 février 2020
  • François-Adrien Boieldieu (1775-1834), La Dame Blanche, opéra-comique en trois actes
  • Mise en scène, Pauline Bureau ; Décors, Emmanuelle Roy ; Costume, Alice Touvet ; Lumières, Jean-Luc Chanonat ; Vidéo, Nathalie Cabrol ; Magicien, Benoît Dattez
  • Georges Brown, Philippe Talbot ; Anna, Elsa Benoit ; Jenny, Sophie-Marin-Degor ; Gaveston, Jérôme Boutillier ; Marguerite, Aude Extrémo ; Dickson, Yann Beuron ; Mac-Irton, Yoann Dubruque ; Un paysan, Matthieu Heim ; Gens de justice, Stephan Olry / Vincent Billier / Jean-Baptiste Henriat ; Gabriel, Alban Guyon ; Comédien, Lionel Codino
  • ChÅ“ur des Éléments
  • Orchestre National d’Île-de-France
  • Julien Leroy, direction

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