Riche début de saison pour Camille Saint-Saëns car après Proserpine qui vient de retrouver la lumière des scènes à Munich et Versailles… l’Opéra National de Paris propose enfin une nouvelle production de l’opéra la plus connu du compositeur : Samson et Dalila. Ouvrage majeur du répertoire français qui eu des débuts difficiles mais obtient depuis une place certaine sur les scènes, il était tout de même anormal qu’il n’ait pas été programmé depuis maintenant vingt-cinq ans ! Si cela avait été pour faire découvrir d’autres partitions de Saint-Saëns entre temps pourquoi pas, mais non… le compositeur français était tout bonnement absent des scènes parisiennes. La réparation n’en est que plus méritée, d’autant plus qu’en fin de saison, c’est le très rare Timbre d’Argent qui sera monté à l’Opéra-Comique, alors que récemment est paru un enregistrement des Barbares. Celui qui a été conspué pendant un temps pour son académisme serait-il enfin de retour en grâces sur les scènes françaises ?
Jeune compositeur d’opéra, Saint-Saëns commence la composition du deuxième acte de ce qui devait être son deuxième opéra en 1867… et l’ouvrage ne sera représenté qu’en 1877 à Weimar grâce au soutien de Franz Liszt. Car la genèse de cet ouvrage est loin d’être simple. Une fois son deuxième acte terminé, le compositeur en fait une lecture dans un salon avec trois artistes non chanteurs dans les rôles principaux et lui au piano… Mais le public ne comprend pas la partition et refuse qu’un sujet biblique ne soit aussi frontalement présenté sur la scène l’Opéra de Paris. En 1872, la partition est à l’abandon… mais Franz Liszt déjà donne le courage au jeune compositeur de se pencher sur son projet et il va en composer le premier acte qui sera proposé sur la scène du Théâtre du Châtelet en 1875, recevant un accueil assez défavorable. Pauline Viardot, pour qui Saint-Saëns avait imaginé le rôle de Dalila presque dix ans auparavant, va proposer un concert privé du deuxième acte, espérant ainsi favoriser l’entrée de l’ouvrage sur les planches de l’Opéra de Paris. Mais rien n’y fait. Ce sera donc finalement Weimar qui aura la primeur de l’ouvrage en 1877. Ensuite, il faudra attendre 1882 pour une reprise à Hambourg… puis 1890 pour la création en France à Arles puis à Paris mais non pas à l’Opéra…. où il ne sera créé finalement avec un immense succès qu’en 1892 (après avoir parcouru l’ensemble des grandes villes françaises). Étrange parcours pour cette Å“uvre qui s’imposera d’abord par la province avant d’entrer sur la grande scène parisienne, à rebours du parcours traditionnel des ouvrages. A partir de 1892, c’est le monde entier qui découvre l’œuvre, cette dernière s’imposant doucement mais avec une grande régularité.
A la sortie du programme de cette saison 2016-2017, la lecture de la distribution a été un choc : en effet à l’heure où la Fondation Bru-Zane propose des productions se voulant respectueuses du style français mais aussi de sa langue, l’Opéra National de Paris alignait une distribution d’une internationalité assez impressionnante : une mezzo-soprano et un ténor slaves face à un baryton plus habitué à Wotan qu’aux rôles français. Le grande question est tout de même de savoir pourquoi un tel choix de la part de Philippe Jordan qui avait pourtant proposé des distribution beaucoup plus idiomatiques dans d’autres ouvrages du répertoire français depuis quelques années… De nos jours, il existe tout de même des chanteuses plus à l’aise avec le style et la langue : pourquoi ne pas avoir proposé à Sylvie Brunet ou Marie-Nicole Lemieux par exemple de relever le défit ? La question est encore plus choquante pour le rôle du Grand Prêtre quand on voit les carrières de nombreux barytons francophones actuellement : Tézier, Degout, Dupuis, Sempey,…. voir même Christoyannis qui se montre exemplaire dans ce répertoire. Bien sûr le rôle de Samson était plus difficile à distribuer tant sa tessiture est peu utilisée dans le répertoire français : encore plus dramatique que le fort-ténor déjà très peu répandu de nos jours dans l’école française (même si Roberto Alagna s’y montre très bon), il était sans doute difficile de trouver un chanteur d’un calibre international et adepte de l’école française. C’est donc une distribution dominée par trois chanteurs à la diction approximative et au style certes travaillé mais loin des standards imposés depuis quelques années par la fondation vénitienne qui nous est présenté.
La mise en scène de l’italien Damiano Michieletto se montre globalement très efficace avec un gros travail sur le rôle de Dalila. Dans des décors rudes et tout de béton, seul l’appartement de cette dernière semble un minimum confortable même si on comprend vite que ce luxe est un cage dorée pour la séductrice réduite à être un instrument du Grand Prêtre. Le personnage devient du coup beaucoup plus ambigu car se montrant réellement amoureuse de celui qu’elle est forcée de trahir, celui qui combat les hommes qui la traitent comme un objet et une arme plutôt qu’une personne. On assiste ainsi durant la scène de la meule par exemple à la vue de la courtisane allant espérer une manifestation de tendresse de la part de Samson et un final assez original ! On l’a dit, les décors sont très cassants et donnent bien une idée de violence policière avec cette tour d’où sortent les milices pour contenir le peuple dont le traitement n’est pas sans rappeler ce qu’avait proposé Peter Sellars dans la Symphonie de Psaumes de Stravinsky. Le jeu sur les couleurs permet immédiatement de repérer les différentes populations ou les situations et on assiste à de superbes jeux d’éclairages comme lors des premières minutes de l’ouvrage où une grille sur le devant de la scène nous masque totalement le chÅ“ur qui se trouve derrière, se révélant doucement alors que l’angle des éclairages change.
Justement, le chÅ“ur… il a un immense rôle à jouer dans cet ouvrage, campant à la fois la rudesse religieuse des hébreux au premier tout comme la luxure des philistins au troisième acte. Dans tous les cas, il se doit de montrer un beau volume mais avec beaucoup de retenue religieuse dans un cas et plus d’exubérance par la suite. Même si on a vu une belle évolution ces dernières années dans la qualité de chant et d’ensemble du chÅ“ur de l’Opéra National de Paris, les premiers interventions sont sans merci : à force de vouloir donner du volume, il finit par nous donner du son de manière un peu désordonnée et cela ne pardonne pas. Un manque de nuances et de retenue. Par contre, le troisième acte montre la formation beaucoup plus à son aise et moins sous la pression de l’écriture de Saint-Saëns. Dans la fosse, le problème est tout autre. Philippe Jordan sait bien tenir son orchestre qui propose des choses d’une beauté inouïe, aussi à l’aise dans la sécheresse du tout début que dans la bacchanale endiablée du troisième acte. Non, là le soucis vient plus d’une direction qui manque cruellement de tranchant et de nerfs. Dès les premières apparitions des cordes, cela manque d’accroche et de tension. Les notes sont là , superbes et bien amenées mais sans que vraiment l’orchestre semble attaquer les cordes. Il en sera de même pour le deuxième acte où le crescendo reste bien timide et manque de violence dans la représentation de la tempête divine qui se manifeste au fur et à mesure que la résolution de Samson se délite. Belle direction donc, mais qui comme parfois avec Philippe Jordan manque un peu de nerfs et d’une vraie tension.
Les petits rôles sont assez bien tenus pour les Philistins… et après nous avons les deux seuls représentants d’un style français qui ne sont pourtant pas forcément à l’aise semble-t-il avec leurs rôles. Nicolas Cavallier est le seule à nous offrir un texte parfaitement dit et stylé… mais il lui manque la présence imposante du sage, la stature de ce vieillard prophétique. La voix manque de force dans la grande salle de Bastille. Nicolas Testé lui se bat visiblement avec la tessiture pourtant lion d’être si difficile d’Abimélech : la voix semble ne pas sortir et manque de mordant et de hauteur pour ce prince philistin qui devrait écraser les hébreux juste par son chant cassant et sarcastique. Pour terminer les clés de fa, le Grand Prêtre bénéficie lui de la stature impressionnante et charismatique de Egils Silins. Habitué des rôles imposants, il sait rapidement se montrer l’homme fort que la mise en scène accentue encore. Mais le soucis est que pour marquer son pouvoir, le chanteur n’hésite pas à brutaliser la ligne de chant, a forcer le trait du grand méchant, bien loin d’un style français que les plus grands ont démontré dans ce rôle. Les ombres sont nombreuses et glorieuses dans ce rôle… et le baryton-basse s’y heurte de plein front. La comparaison est violente et perturbante quand on est habitué à un certain style de chant. Ici nous n’avons pas de beau chant, mais un chant très efficace théâtralement et dramatiquement, sans aucun soucis de style ou de psychologie.
Samson est peut-être le plus difficile des rôles à interpréter et distribuer de l’ouvrage. En effet, il est habituel d’y distribuer des Otello verdiens… mais tous les interprètes de ce rôle ne viendront pas à bout de l’écrasante tessiture imaginée par Saint-Saëns, tous n’auront pas cette dimension prophétique qui fait la marque des grands Samson. Aleksandrs Antonenko n’est pas parfait dans son chant, avec notamment un début difficile en terme de justesse… mais il possède un timbre affirmé et un aigu vaillant lui permettant de marquer sa puissance. Habitué des rôles dramatiquement puissants comme Otello ou Hermann dans La Dame de Pique, il nous donne un portrait d’une belle intensité et a sûrement dû beaucoup écouter Jon Vickers tant certaines intonations ou couleurs de timbre sont proches. Il n’a pas exactement la même aisance mais tient la partition avec visiblement un travail sur le texte et le style. Après, la voix manque un peu de stabilité et de brillant vu son engorgement. Mais il arrive à proposer une composition cohérente tout en assumant la difficulté du rôle. Le contrat est rempli et d’assez belle manière compte tenu des caractéristiques de sa voix. Il sait émouvoir durant la grande scène qui ouvre le troisième acte et nous montre tout son désarrois face à la séduction de Dalila au deuxième acte : le portrait est assez complet pour être prenant et touchant.
Contre toute attente, c’est Anita Rachvelishvili qui remportera le plus de suffrage. La chanteuse avait explosé dans le rôle titre de Carmen lors de l’ouverture de saison de La Scala de Milan il y a quelques années sans vraiment convaincre. Depuis, elle semblait avoir fait des progrès mais s’attaquer au rôle de Dalila où se sont illustrées toutes les plus grandes mezzo-soprano francophones… et affronter l’ombre d’Ewa Podles qui avait tenu le rôle lors des dernières représentations n’était pas simple. Et bien par ses nuances et sa retenue, la chanteuse nous donne une séductrice loin du bloc qu’on pouvait craindre, offrant par exemple un « Printemps qui commence » susurré sans être appuyé, évitant les avalanches de décibels. En accords avec la mise en scène, elle réussi à proposer un personnage très bien caractérisé. Bien sûr, la taille de cette voix très large ne lui permet pas d’offrir un texte véritablement compréhensible tout au long de la représentation, mais on peut entendre un grand travail tout de même. Tout comme Antonenko, elle ne répond pas forcément aux critères dont on peut rêver mais le résultat est impressionnant surtout que là la tessiture est crânement assumée sans jamais qu’on ne sente une tension dans la voix, s’imposant par un charisme et une puissance utilisée de bonne manière. Rares sont les chanteuses qui peuvent à la fois nous offrir la sensualité de la séductrice et les aigus dardés du mépris qui clôt le duo. Anina Rachvelishvili possède toute cette gamme de nuances et de couleurs pour notre plus grand bonheur.
Après ce retour plutôt critique on pourrait penser que la soirée a été mauvaise… alors qu’elle ne le fut nullement ! En effet, malgré tous les petits soucis stylistiques ou de direction, l’ensemble forme un tout diablement efficace, aidée en cela par une mise en scène forte et marquante. La partition de Saint-Saëns possède en elle-même une grande force et la production réalisée par l’Opéra National de Paris lui permet de revivre dans de bonnes conditions même si elles ne sont pas optimales. Il se murmure qu’une reprise serait prévue avec Roberto Alagna dans le rôle de Samson… espérons que le reste de la distribution sera dans un style similaire au ténor pour avoir pour le coup un véritable opéra français !
- Paris
- Opéra Bastille
- 19 octobre 2016
- Camille Saint-Saëns (1835-1921), Samson et Dalila, Opéra en 3 actes et 4 tableaux
- Mise en scène, Damiano Michieletto ; Décors, Paolo Fantin ; Costumes, Carla Teti ; Lumières, Alessandro Carletti
- Dalila, Anita Rachvelishvili ; Samson, Aleksandrs Antonenko ; Le Grand Prêtre de Dagon, Egils Silins ; Abimélech, Nicolas Testé ; Un Viellard Hébreu, Nicolas Cavallier ; un Messager Philistin, John Bernard ; premier Philistin, Luca Sannai ; deuxième Philistin, Jian-Hong Zhao
- ChÅ“urs de l’Opéra National de Paris
- Orchestre de l’Opéra National de Paris
- Philippe Jordan, direction