Depuis des années, la maison de disques Timpani fait beaucoup pour la mélodie française, enregistrant nombre de disques dévolus à des compositeurs rares. Bien sûr, Massenet ne fait pas partie de cette catégorie… sauf dans le domaine de la mélodie justement ! En dehors de quelques mélodies éparses comme la fameuse Élégie, toute sa composition repose dans l’ombre de ses opéras. L’année 2012, bicentenaire de sa naissance, aura vu ce manque légèrement comblé par des disques comme ceux de Rima Tawil, Blandine Staskiewicz et donc Sabine Revault d’Allonnes.
Avec environs 250 mélodies, le catalogue de Jules Massenet est loin d’être négligeable. Mais alors même que certains de ses opéras sont masqués par Manon, Werther ou Thaïs, il est assez facile de comprendre que son répertoire de salon reste dans l’ombre. Avouons que contrairement à certains de ses contemporains, Massenet ne va pas forcément privilégier les poèmes les plus marquants et les poètes les plus connus, se fiant plutôt à l’émotion immédiate que le poème lui procure… ou à la position sociale du poète ! Et si le texte en lui même n’est pas des plus inventifs et poétiques, le compositeur sait toujours en extraire le maximum en l’habillant des mélodies expressives.
Dans bien des cas, Massenet composait ses opéras en pensant à une cantatrice : sa fascination pour une voix ou une personnalité donna naissance à certains des plus beaux portraits de femmes à l’opéra. Sibyl Sanderson inspirera Thaïs et Esclarmonde, Emma Calvé sera La Navarraise et Sapho, Lucienne Bréval Grisélidis et Ariane… et enfin la dernière : Lucy Arbell. Cette dernière aura droit à toute l’attention du compositeur pour ses derniers opéras : Thérèse, Bacchus, Don Quichotte, Roma… et devait aussi créer le rôle de Cléopâtre selon les vÅ“ux de Massenet. C’est aussi pour elle qu’il composa le cycle Expressions lyriques. Il tiendra le piano pour l’accompagner dans cette Å“uvre tant que le cancer lui laissera assez de forces. Pour mettre en valeur cette voix de mezzo-soprano et son talent de tragédienne, Massenet va alterner chant et déclamation parlée dans un cycle qui va se développer au gré des apparitions des deux musiciens. A l’écoute de Sabine Revault d’Allonnes, on ne peut que s’interroger sur l’adéquation vocale de la chanteuse si on se réfère aux grands rôles qu’a créés Lucy Arbell : voix de soprano frémissante et fraiche, nous sommes très loin de la sombre et sensuelle voix de mezzo-soprano qui inspira le portrait de Cléopâtre. Mais une fois la surprise passée, on oublie la créatrice pour entre dans l’univers de Sabine Revault d’Allonnes, totalement imprégnée du style et des émotions de ce cycle, totalement à l’aise dans les différents textes et passant sans soucis d’une voix parlée à un chant soigné. Réservée et discrète, la soprano arrive immédiatement à créer une complicité avec l’auditeur par des accents qui trahissent une vraie émotion. Grande habituée de la mélodie française, la soprano cisèle chaque mot, qu’il soit chanté ou parlé, pour donner vie à des textes où la mélancolie tient une grande part en cette fin de vie de Massenet. Dans ce cycle étrange et fascinant, Sabine Revault d’Allonnes se fond dans un monde où ses deux voix se répondent et se complètent.
Après ce groupe de mélodies, quelques pièces séparées de facture plus traditionnelle. Bien sûr, on retiendra la fameuse Élégie où le violoncelle de Mathieu Fontana vient rejoindre le piano de Samuel Jean et la voix de soprano. Si le violoncelle sonne assez prosaïque, pianiste et cantatrice donnent toute la profondeur de cette pièce où dialoguent les deux lignes mélodiques supportées par le piano. On retrouvera ce trio dans deux autres mélodies On dit ! composée en hommage à Lucy Arbell toujours, ainsi que Amours bénis. Ici, les deux instrumentistes sont véritablement sur un pied d’égalité et au service de la voix. En tout cas, ces mélodies à l’atmosphère sombres et mélancoliques sont servies par le soprano cristallin de Sabine Revault d’Allonnes qui ne surcharge jamais son interprétation de sentiments trop marqués : son interprétation reste toujours légèrement distanciée et gracieuse pour conserver cet atmosphère si particulière des salons du XIXème siècle. Au milieu de cette tristesse, Le Printemps visite la terre est comme un rayons de soleil et tranche pas sa joie.
Et pour clore ce disque, c’est le cycle Poème d’octobre qui nous plonge dans la nostalgie d’un amour perdu. Chaque mélodie donne à entendre une facette de ces souvenirs. Liés par le thème de l’automne qui symbolise cette fin de vie amoureuse, les mélodies trouvent une belle continuité malgré les différents poètes et les ambiances variées. Depuis la nostalgie jusqu’à la fidélité amoureuse, en passant par la mort des illusions et la passion, les différentes émotions de l’amour perdu sont développées et amoureusement mises en musique par un musicien toujours aussi évocateur quand il s’agit de parler de passion et de tourments amoureux. Et comme c’est la voix superbe de Sabine Revault d’Allonnes qui leur donne vie avec une musicalité exemplaire, les couleurs automnales sont sensibles et délicates.
Si la pièce principale de ce disque reste les Expressions Lyriques, il ne faut pas oublier le cycle Poème d’octobre qui donne une vision certes plus traditionnelle de la mélodie française mais non sans imagination. Les quelques autres mélodies nous permettent de découvrir d’autre paysages dans les compositions de Massenet, pour notre plus grand plaisir. Tout au long du disque, c’est vraiment la voix de soprano qui tient la première place. Non pas que la piano soit transparent, mais l’art simple et direct de Sabine Revault d’Allonnes avec sa voix frémissante au vibrato serré enlève toute mièvrerie de ce qui pourrait être juste des petites bluettes. Elle donne toute sa noblesse à ce genre à part entière qui fleurit au XIXème siècle en France. Et pour en revenir au piano, Samuel Jean accompagne avec talent la chanteuse, discret et mélodieux, toujours soucieux de soigner la ligne mélodique et de créer les ambiances propices au développement de l’émotion.
Ce disque est sans doute le plus passionnant de ceux qui rendaient hommage au talent de mélodiste de Massenet. Par le choix des pièces déjà , mais aussi par l’art de Sabine Revault d’Allonnes. Pour tous les amoureux de mélodie française et de Massenet, il serait dommage de passer à côté de ce très beau disque.
- Jules Massenet (1842-1912), Expressions lyriques ; Le Printemps visite la terre ; On dit ; La Lettre ; Élégie ; Heure vécue ; Soleil couchant ; La Nuit ; La Mort de la cigale ; Amours bénis ; Poème d’octobre
- Sabine Revault d’Allonnes, soprano
- Samuel Jean, piano
- Matthieu Fontana, violoncelle
- 1cd Timpani, 1C1191. Enregistré à Vincennes les 29 et 31 octobre 2011.
Bonjour,
Je tombe complètement par hasard sur votre article et souhaiterais vous remercier pour ce joli compte-rendu, heureuse que vous ayez été touché et touchée que vous en ayez compris la sincérité.
Si vous le souhaitez nous avons enregistré un autre disque depuis en compagnie du baryton Thomas Dolié autour des mélodies de Gabriel Pierné.
Bonne continuation à vous
Bonjour, et merci pour ce petit mot!
Les récitals de mélodies de Massenet sont rares et même si au moins trois disques sont parus durant cette année Massenet, je dois dire que je n’en écoute plus qu’un seul…
Bonne continuation à vous aussi pour toutes ces belles découvertes dans la mélodie française…