Si l’Opéra-Comique se fait fort de défendre le répertoire français baroque ou romantique, il lui arrive aussi de remonter des ouvrages totalement en dehors de sa mission patrimoniale pour notre plus grand plaisir. Et au final, même si pour ce concert l’opéra était en italien, il a tout de même été composé pour Paris ! Cet Ercole Amante a été commandé par le cardinal de Mazarin pour fêter les noces du jeune Louis XIV avec Marie-Thérèse d’Autriche. Nous ne sommes donc pas si loin de sa mission première puisque que nous explorons ici encore une rareté qui a trait avec la source de l’opéra français tant Cavalli influencera le jeune Lully qui n’a pas encore posé les bases de sa tragédie en musique. Pour monter dans de bonnes conditions cet ouvrage gigantesque, l’Opéra-Comique s’est appuyé sur des valeurs sûres en choisissant Raphaël Pychon pour la partie musicale ainsi que le duo Valérie Lesort et Christian Hecq pour la mise en scène. Le premier s’est illustré dans un splendide Orfeo de Rossi il y a quelques années à Nancy et Versailles entre autre alors que le duo de metteurs en scène avait produit à l’Opéra-Comique un Domino Noir salué par presque l’intégralité de la critique pour son inventivité. Car si l’ouvrage est rare, il est aussi difficile à tenir de par sa durée mais aussi son format qui oscille entre l’opéra italien et le français, Cavalli trouvant des moyens qu’il a eu le plaisir d’utiliser et des contraintes qu’il ne pouvait ignorer.
Comme dit plus haut, cet Ercole Amante est une œuvre de circonstance, commandé par Mazarin pour célébrer non seulement des noces mais aussi la paix avec l’Espagne. Afin que le spectacle soit à la hauteur de l’évènement, il fait venir non seulement le plus grand compositeur italien du moment en la personne de Francesco Cavalli, mais aussi l’architecte italien Gaspare Vigarani. En effet, le but n’est pas que de proposer une musique sublime, mais aussi que la mise en scène montre toute la grandeur possible. Et cet architecte était spécialiste des machines destinées au changement de décors, aux apparitions miraculeuses et autres effets dont raffolait le public. Voyant grand, Mazarin va aussi faire édifier la « Salle des Machines » dans le Palais des Tuileries, immense salle de quatre milles places. Commandée pour la fin de 1660 afin de créer l’opéra de Cavalli lors des noces, elle ne sera finalement inaugurée qu’en 1662 suite à de nombreux retards. Il faut dire que l’entreprise n’était pas au goût de tout le monde. Car si le bâtiment était édifié par Louis Le Vau, beaucoup d’italiens étaient de la partie au grand mécontentement des français. De même pour la musique… Car après tout, il y avait déjà à cette époque un certain Lully qui n’était autre que le premier compositeur de la Cour. Et si l’opéra devait être écrit par Cavalli, il devait lui composer les ballets qui alternaient avec les actes de l’opéra. Fort de sa position, il composa toujours plus à tel point que le spectacle total devait durer sept heures avec une répartition assez équilibrée entre les deux compositeurs. Fort de la présence d’un orchestre et d’un chœur dont il ne disposait pas à Venise pour l’opéra, Cavalli pouvait se lancer dans une partition beaucoup plus complexe musicalement et aux proportions plus majestueuses. Obligé de se conformer aux gouts français en matière de théâtre et de musique, il donna le rôle principal à une basse et non à un castrat… et la pièce se devait d’être en cinq actes. Malgré la qualité de la partition, le succès ne fut pas au rendez-vous. La faute à la durée de l’ouvrage, à la langue du livret, mais surtout à la salle qui permettait certes de bien voir le ballet où brillait régulièrement le roi, mais musique et voix n’étaient pas servies par la proportion du bâtiment. La scène était immense (elle sera réduite de moitié au XVIIIè siècle pour une utilisation temporaire) et les spectateurs trop loin des musiciens. Après huit représentations (qui voyaient l’opéra être coupé de plus en plus), l’ouvrage fut abandonné tout comme la salle qui ne servira plus que rarement pour des spectacles.
Vu les moyens qui étaient mis à sa disposition, Cavalli va composer sa partition la plus ambitieuse pour l’opéra. En effet, l’orchestre y est très fourni, le chœur important… Il va donc s’en donner à cœur joie dans les grandes scènes qui deviendront par la suite des scènes « obligées » : le sommeil, la tempête, les enfers… Si le compositeur est resté sur un livret italien (ce qui est sans doute aussi en partie la cause de la désaffection du public !), il évite de déformer la ligne du texte par de trop nombreuses vocalises comme il aurait pu le faire à Venise. Plus axé sur le texte et son intelligibilité, il nous ménage tout de même quelques passages virtuoses mais sans trop en faire. Alternant duos, airs de divers formes, chœur et récitatifs, la partition est foisonnante, pleine d’idées et de trouvailles. Vocalement, les rôles sont répartis sur toutes les tessitures même si il faut noter la prépondérance d’Hercule bien sûr en basse, mais aussi de trois femmes : Junon, Iole et Déjanire. De nombreux rôles secondaires viennent agrémenter la partition que ce soit par le sérieux ou le comique comme les deux valets typiques de l’opéra vénitien (on se souviendra des deux nourrices dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi par exemple). Alternant comique et tragique, la partition se déroule sans que l’ennui ne s’installe. On retiendra parmi les passages les plus marquants les lamenti de Déjanire, la mort d’Hercule, la cérémonie funèbre devant la tombe du roi Eutyro… mais aussi les chœurs superbes, même si de nombreux autres passages charment l’oreille et nous plongent dans la beauté d’un opéra parmi les plus beaux de l’époque.
L’histoire se veut moralisatrice et surtout un modèle pour le jeune roi Louis XIV. Hercule est présenté comme un homme compulsif et violent. Il veut conquérir la jeune Iole, promise de son fils mais aussi fille d’un roi tué par notre héros. Bien sûr elle n’est aucunement attirée par le meurtrier de son père. Mais c’est sans compter l’intervention de Vénus qui promet à Hercule qu’il aurait Iole. Junon bien sûr, gardienne du mariage, est outragée par cette rupture du lien matrimonial. Elle va donc trouver la déesse du sommeil pour essayer de contrer le plan de Vénus. Pendant ce temps, les deux jeunes renouvellent leurs serments d’amour alors que Déjanire se lamente de l’absence de son mari et du peu d’intérêt qu’il lui porte. Dans un jardin, Hercule fait assoir Iole sur un siège enchanté par la déesse de l’amour et aussitôt la jeune fille tombe sous le charme du héros alors qu’elle le repoussait juste avant. Hyllo, fils d’Hercule, arrive et se sent trahi par ce qu’il voit. Mais Junon vient endormir le héros et pousse ensuite Iole à venger son père en le tuant. Hyllo s’interpose et Hercule se réveille en voyant son fils armé au-dessus de lui. Voulant le tuer ainsi que sa femme par la même occasion, il finit par emprisonner le premier et exiler la deuxième suite à la promesse de Iole qu’elle se donnera à lui si il sauve leurs jours. Emprisonné en bord de mer, Hyllo décide de se suicider en s’y jetant mais Junon fait appel à Neptune pour qu’il sauve le jeune homme. Pendant ce temps, Déjanire songe au suicide alors que Iole vient se recueillir sur la tombe de son père. Celui-ci sort de son repos pour refuser le mariage de sa fille avec son meurtrier. L’annonce du suicide d’Hyllus plonge tout le monde dans la tristesse et c’est Licco, un serviteur, qui conseillera à Déjanire de se servir de la tunique de Nessus pour faire d’Hercule un mari fidèle. Pendant ce temps en enfer, les rois tués par Hercule jurent vengeance. Lors du mariage, Iole offre la tunique à Hercule et au lieu de retomber amoureux de sa femme, il est empoisonné et meurt suite à la duplicité du centaure Nessus (centaure tué par Hercule alors qu’il souhaitait abuser de Déjanire, il offre cette tunique à la jeune femme en lui promettant qu’elle pourra « fixer le chœur de son époux ») qui ainsi peut se venger du héros lui aussi. Alors que le père meurt, le fils revient pour soulager Déjanire et Iole. Junon fait son apparition pour annoncer qu’après sa mort, Hercule est passé de la mort à la divinité et qu’il épouse alors la Beauté.
Au printemps 2018, Valérie Lesort et Christian Hecq montaient sur la scène de l’Opéra-Comique Le Domino Noir de Daniel-François-Esprit Auber. Pour cet opéra-comique, le duo avait proposé une mise en scène assez virtuose très axée sur le comique quitte à forcer un peu le trait par moments. On pouvait craindre que pour un ouvrage qui mêle tragique et comique, ils ne veuillent représenter qu’une grande farce. Heureusement, ils ont su ménager des moments de drame dans cette soirée. Si quelques éléments auraient pu être allégés, on est frappé par l’intelligence du propos. Il n’y a pas de volonté de sur-interpréter le texte, de montrer des choses qui n’existent pas. Non, il n’y a que la mise en situation des éléments du livret, tout en se conformant au cahier des charges de cette partition : des effets de machine ! Dans un décor unique (en dehors du prologue), chaque lieu est symbolisé par des éclairages, quelques éléments qui sortent de trappes ou qui arrivent par les dégagements. Les changements se font bien sûr à vue avec une simplicité désarmante ou plutôt une naïveté tout à fait charmante. On voit des choristes ou des danseurs qui démontent, remontent… le tout bien sûr en costumes allant avec l’opéra ! Et puis ce décor blanc est plein de surprise avec des trappes d’où vont émerger les visages des démons ou des mains dignes de Tim Burton. Au centre, ce sont des éléments de décors plus importants qui sortent des coulisses ou des dessous. Entre autre on retiendra longtemps l’arrivée de Vénus au premier acte dans sa fleur rose d’où vont se détacher des personnages verts qu’on prenait au début pour une partie du décor. De même, le siège enchanté où Hercule fait assoir Iole… tout vert, semblant tout à fait inoffensif avant que des mains ne viennent à bouger, des formes sortir du siège pour emprisonner la jeune fille et l’envouter afin qu’elle tombe amoureuse du héros. Il serait difficile de tout décrire tant la scène répond parfaitement à la richesse de la partition en offrant un spectacle superbe et parfaitement dosé entre humour, naïveté et beauté visuel… sans pour autant entraver la grandeur des sentiments lors de moments plus tragiques. La direction d’acteurs aussi est très fine et vive, sans que l’on ne sente jamais les acteurs se forcer à faire un geste tant elle est naturelle. C’est une très grande réussite que l’on doit là au duo, mais il faut aussi souligner la qualité des machines et des costumes de Vanessa Sannino !
Il y a un peu plus de deux ans, Raphaël Pichon nous avait enchantés par ses choix tant de direction que de distribution pour un Orfeo de Rossi splendide. Belle coïncidence puisque cet ouvrage baroque italien avait lui aussi été créé à Paris, mais en 1647 soit quinze ans que ne soit créé Ercole Amante et déjà sur un livret du même Cardinal Francesco Buti ! On retrouve dans sa direction toutes les idées qu’il proposait chez Rossi. Avec un orchestre très varié et un continuo très riche, il va offrir un luxe de couleur tout au long de l’opéra, donnant vie aux caractères les plus variés. Avec ses clavecins, luths, harpes et violons solistes, c’est toute la partie récitatif qui est brillamment accompagnée par des détails foisonnant, apportant la densité nécessaire, sachant alléger ou au contraire apporter tout le poids tragique. L’orchestre se déploie aussi en grande formation pour les scènes plus imposantes et on a alors des textures splendides, des choix de direction qui mettent en avant une ligne ou une autre. Il donne vie à cette partition comme rarement, loin de la raideur de certains ou au contraire de la lourdeur d’autres. Ici tout est brillamment simple et il peut s’appuyer sur un Ensemble Pygmalion de très haute tenue d’un bout à l’autre, aux percussions variées, aux cuivres surs et aux cordes colorées. C’est un vrai enchantement pour les oreilles tout en donnant vie aux sentiments et aux différentes ambiances de l’ouvrage. Le chœur de l’Ensemble Pygmalion n’est pas en reste et dès le prologue on retrouve cette aisance dans ce premier baroque italien ! On retrouve d’ailleurs des couleurs et des mises en place qui nous replongent directement dans les Vêpres à la Vierge de Monteverdi ! Ces lignes de pupitres extrêmement dissociées par moments, exposant un fort contraste entre un grave extrême et un aigu léger, ces tuilages magnifiques… c’est tout bonnement parfait d’un bout à l’autre. Et il faut saluer aussi les chanteurs de ce chœur qui en sortent pour donner vie à des personnages de l’opéra. Le plus marquant est sans doute Nicolas Brooymans par son chant noir et particulièrement marquant qu’il soit en ensemble pour le Sacrificateur ou dans ses interventions solistes en rois défunts (Ruscello et Busiride.).
À la lecture de la distribution, on croirait d’ailleurs aussi retrouver un autre ensemble tant le nombre de participants à l’aventure de l’Orfeo de Rossi sont nombreux à être de ce Cavalli ! Trois des rôles principaux, Vénus, les deux valets… On retrouve si chanteurs de cette distribution pour notre plus grand plaisir. Et justement, Dominique Visse et Ray Chenez retrouvent des attributs comiques qui leur vont si bien, mais en jouant sur des cordes différentes. Ici Dominique Visse est plus discret dramatiquement, ne servant qu’à détendre l’atmosphère par un petit couplet ou étrangement souhaitant dénouer le drame par la tunique de Nessus. Vocalement, il est toujours aussi impressionnant dans ses sauts de registre mais la voix a beaucoup perdu de sa puissance, sonnant principalement dans l’aigu. Face à lui Ray Chenez est un peu moins bouillant mais vocalement plus séduisant. Le jeune contre-ténor s’amuse dans ce rôle de page. On a devant nous un vrai gamin qui joue de la mise en scène, qui semble découvrir presque à chaque fois la farce en cour. La voix est percutante, parfaite pour ce personnage. On se demanderait même par moment si nous n’avons pas affaire à un enfant, tout comme il était troublant en nourrice chez Rossi. Autre habituée, Giulia Semenzato a l’honneur de commencer dans le prologue pour une Cinthia (Diane) superbe et cristalline. Sa Venere (Vénus) par la suite sera pleine de charme alors que les quelques lignes de Bellezza (La Beauté), nous la montre d’une conduite parfaite et pleine de noblesse. Nouveaux dans la famille Pygmalion par rapport à l’Orfeo, les autres rôles secondaires ne sont pas en reste avec un Luca Tittoto impressionnant dans le double rôle de Nettuno et Eutyro. À la fois donc dieux sauveur et fantôme vengeur, il offre une voix puissante de basse qui campe immédiatement la puissance de ces deux personnages, sachant manier l’humour pour le dieu des océans alors qu’il se fait impérieux dans le spectre du père de Iole. On retiendra aussi la présence d’Eugénie Lefebvre pour une Pasithéa pleine de verve, mais surtout un Clerica à la violence impressionnante lors de la scène des enfers, donnant toute sa démesure à ce spectre plein de haine.
Deux chanteurs sont techniquement parfaits mais marquent moins par leur présence. Peut-être est-ce dû à leur personnage… mais Hyllo et Giunone semblent légèrement en retrait. Le ténor Krystian Adam n’a certes pas un rôle facile à camper tant il se complait dans la naïveté entre son amour pour Iole et son respect pour son père Hercule. La voix est saine, superbement projetée et il donne à entendre un magnifique chant. Mais il y manque un petit supplément d’âme pour totalement fasciner. Difficile bien sûr de faire trembler pour ce personnage pâlot tel que l’a créé Cavalli, mais peut-être qu’un peu plus d’angle dans le chant aurait aidé à sortir ce personnage blanc de son côté très lisse. Pour Giunone, c’est Anna Bonitatibus qui sans décevoir n’arrive pas à se hisser au niveau des trois personnages principaux qui nous restent à découvrir. La mezzo-soprano connait parfaitement ce répertoire et se joue des vocalises et autres décorations dont elle parsème la partition. La technique est là encore souveraine et elle vit totalement cette musique baroque. Mais pour camper cette déesse autoritaire, peut-être aurait-il fallu une voix plus tranchante et ample. Car ici il nous manque les éclats de fureur, la violence de cette haine qu’elle rejette sur Hercule. Elle n’est pas aidée il faut le dire par la conception de son personnage tout le temps ondulant telle une martienne extraite du Mars Attacks là encore de Tim Burton. C’est au final la seule petite déception de cette production car on aurait pu penser trouver en elle un personnage beaucoup plus vindicatif.
La tragédie repose principalement sur les épaules de deux femmes : Dejanira et Iole. Pour ces deux rôles, retours aux valeurs sûres connues avec Pichon : Giuseppina Bridelli et Francesca Aspromonte étaient toutes deux de l’Orfeo de Rossi. Pour le rôle de la fragile Iole, on retrouve toute l’intensité de Francesca Aspromonte. Elle qui avait donné une Euridice splendide et qui en arrivait à surpasser son Orfeo, elle tient ici avec conviction un rôle qui pourrait vite tourner vers l’oie blanche. Mais non, la soprano italienne embrasse le rôle avec tous ses tourments, ses couleurs variées et un aplomb certain. Pourtant annoncée souffrante avant le début du spectacle, elle n’en est pas moins assez parfaite, sachant faire vivre le texte comme la ligne vocale en apportant une vraie conviction dans cette femme malheureuse. Pour Dejanira, c’est Giuseppina Bridelli qui donne vie à l’épouse délaissée et trahie alors qu’elle chantait un adolescent jaloux chez Rossi. La transformation scénique est bien sûr impressionnante, mais aussi les sentiments qu’elle dégage. Pleine de noblesse dans le ton, ses deux lamenti sont d’une grande intensité, la voix trouvant des couleurs superbes et surtout le ton y est parfaitement en place. Alors que la mise en scène pourrait prêter à sourire durant sa première intervention avec une traine de plusieurs dizaines de mètres de long, elle soutient le drame pas sa présence vocale comme scénique. Le maintien scénique est totalement en accord avec ce chant racé et poignant. À elles deux, elles offrent une grande partie de la tragédie qui se noue dans cet opéra de Cavalli.
Le rôle principal de cet Ercole Amante est tenu par un Nahuel di Pierro qui force l’admiration. La basse est habituée à alterner des rôles plutôt nobles ou du moins sérieux comme pour ses rôles dans Orfeo déjà avec Raphaël Pichon ou son Méphistophélès chez Berlioz… et d’autres comme Leporello à Aix-en-Provence où le comique semble lui être naturel. Ici il doit en fait jongler avec les deux facettes d’un personnage. Souvent ridicule dans cette course folle après l’amour (enfin plutôt l’acte physique que la romance galante), il n’en reste pas moins un héros et doit donc montrer aussi sa puissance. Nahuel di Pierro a à sa disposition son timbre naturellement noble ce qui fait que même aux moments les plus violents et les plus noirs du personnage, on conserve la grandeur du personnage. De même lorsque la mise en scène lui demande des poses ridicules ou des situations étranges, l’équilibre se fait par ce chant toujours d’une grande subtilité. Car vocalement, il est sidérant d’aisance dans une tessiture très large qui demande un grave sûr mais aussi des passages beaucoup plus hauts. Et la basse se montre totalement à son aise, apportant sa science belcantiste dans les décorations mais aussi l’impact dramatique adéquat pour ce grand personnage. Sa mort sera bien sûr un grand moment où le drame tombe sur Ercole, lui qui avant semblait n’être touché par rien si ce n’est sa colère et ses envies. La subtilité des nuances semblerait presque en contradiction avec cette brute aveugle mais elle sert justement dans la construction d’un personnage plus complexe que juste violent. Magnifique prestation en tout cas pour un artiste qui semble aussi à l’aise dans Rossini que dans le premier baroque italien !
Au final, la production menée à six mains par Raphaël Pichon, Valérie Lesort et Christian Hecq est un vrai régal pour les oreilles et pour les yeux. On retrouve un grand soin musical et l’inventivité du chef comme du compositeur se retrouve parfaitement dans le spectacle offert sur scène. La distribution sans faille permet de profiter parfaitement de ce que Cavalli avait pensé pour Ercole Amante. Bien sûr il n’y a pas les ballets de Lully mais il semblerait que la partition de Cavalli soit complète ou du moins très peu coupée. Une magnifique occasion de mettre en avant les compositions de Cavalli mais aussi ce baroque italien trop rarement monté au profit des opéras sérias plus tardifs où la virtuosité est le seul objectif.
La production sera diffusée sur Arte-Concert le 12 novembre, et sur France-Musique le 30 novembre.
- Paris
- Opéra-Comique
- 06 novembre 2019
- Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole Amante, opéra en un prologue et cinq actes
- Mise en scène, Valérie Lesort / Christian Hecq ; Décors, Laurent Peduzzi ; Costumes et machines, Vanessa Sannino ; Lumières, Christian Pinaud
- Ercole, Nahuel di Pierro ; Giunone, Anna Bonitatibus ; Dejanira, Giuseppina Bridelli ; Iole, Francesca Aspromonte ; Hyllo, Krystian Adam, Pasithea / Clerica / Terza Grazia / Secondo Pianeta, Eugénie Lefebvre ; Venere / Belezza / Cinthia, Giulia Semenzato ; Nettuno / Eutyro, Luca Tittoto ; Il Paggio, Ray Chenez ; Licco, Dominique Visse ; Prima Grazia, Marie Planinsek ; Seconda Grazia / Primo Pianeta, Perrine Devillers ; Terzo Pianeta, Corinne Bahuaud ; Prima Aura, Olivier Coiffet ; Seconda Aura / un Sacrificatore, Renaud Brès ; Ruscello / Busiride / un Sacrificatore, Nicolas Brooymans ; un Sacrificatore, Constantin Goubet
- Chœur et Orchestre de l’Ensemble Pygmalion
- Raphaël Pichon, direction