Enguerrand de Hys fait partie des noms qui apparaissent régulièrement sur les programmes, souvent dans des petits rôles comme ce fut le cas dans La Nonne Sanglante, Fantasio ou Armide ces dernières années… Et le ténor se montre toujours aussi parfait vocalement, avec des personnages très bien calibrés pour sa voix. Mais récemment, c’est dans Tarare qu’il a marqué les esprits, chantant le rôle de Calpigi avec malice mais aussi cette dose de danger dans la voix lorsqu’il menace son maître. On sent que le chanteur a un grand potentiel pour donner vie à ces personnages même s’ils sont souvent très courts. Aussi, voyant qu’il allait donner un concert à Paris avec un programme original et intéressant… je me renseigne un peu et découvre ce Trio Ayonis formé avec Élodie Roudet et Paul Beynet. Les trois musiciens sont jeunes, particulièrement investis dans ces programmes qui mêlent mélodies, chansons et airs d’opéra. Aussi, après une rapide découverte sur Internet, voici que ce concert est obligatoire. Après le Gala Bru Zane, le format est bien sûr plus intime mais la curiosité est forte !
Le programme « Aimer à perdre la raison » a été créé à Compiègne en novembre 2017, dans une mise en scène d’Édouard Signolet. Le trio est en effet en résidence au Théâtre Impérial de Compiègne et a chanté ce concert dans de nombreuses villes : Lille, Beauvais, Rouan, Rocamadour,… et bien d’autres ! Ce soir, ce n’est qu’une version de concert qui nous est proposée mais on conserve le principal, la musicalité du Trio Ayonis. Car il faut déjà parler du travail et de la complicité entre ces trois artistes. Durant une bonne heure, ils échangent quelques regards, mais cela semble plus être pour mieux profiter du solo de l’un ou de l’autre que pour vérifier que tout est en place et que l’on peut repartir !
La pianiste Paul Beynet est sans doute celui qui a le moins l’occasion de briller. Certes il joue tout le long du concert, mais il n’a aucun moment soliste là où clarinettes et ténor peuvent plus s’extraire mélodiquement de l’accompagnement. Il n’y a finalement que lors des petits interludes que l’on entend le piano seul. Ces petits moments permettent la transition sans rupture entre deux morceaux parfois très différents. Si certaines sont assez sobre, d’autres plus développées font montre d’un grand travail d’écriture et de variation de thème afin de faire évoluer un premier vers un deuxième. Mais tout au long de la soirée, l’accompagnement est parfait, sachant doser les effets, suivre parfaitement chanteur et clarinettiste. Et malgré parfois des partitions sobres, Paul Beynet arrive à vraiment apporter beaucoup de vie à sa partie. On notera en particulier le travail réalisé sur les chansons de Jean Ferrat qui sont superbement développées au piano.
Élodie Roudet enseigne dans ce conservatoire Paul Dukas du douzième arrondissement de Paris et c’est sans doute pour cela que le concert peut avoir lieu ici. La jeune femme va varier les clarinettes durant le spectacle, passant de l’une à l’autre en fonction du besoin. Bien sûr, on reconnait la clarinette basse à sa forme si particulière. Tout au long du concert, nous avons ainsi deux voix qui dialoguent voir même parfois la clarinette qui prend l’avantage dans des moments solistes. La musicienne se montre magnifique de nuances, avec un son chaud et une aisance dans les dynamiques remarquables. Son moment de soliste dans l’extrait de la Forza del Destino par exemple est d’une grande douceur, montrant toute la nostalgie de cette musique, avec le charnu des graves et des suraigus d’une grande douceur.
Mais avouons-le, c’est avant tout pour Enguerrand de Hys que j’étais venu, et le concert valait vraiment le déplacement. Déjà , on retrouve toutes les qualités de cette voix : placée haut, elle est percutante et permet au texte de sortir parfaitement clair. Mais à cela s’ajoute bien sûr le chanteur en lui-même qui semble avoir totalement intégré ces différents discours sur l’amour. Du désespoir à la dénégation, de l’amour fou aux premiers sentiments, chaque moment est parfaitement ciselé, avec un engagement total. Ainsi, on se retrouve à être totalement bouleversé par certains textes qui sont portés de manière presque extrême. La Chanson Perpétuelle de Chausson par exemple est souvent superbe, pleine de sentiments… mais ici on est totalement frappé par la violence de l’interprétation qui extériorise des sentiments très puissants, montrant comme cette mélodie peut aussi être poussée loin dans l’émotion. Toutes les chansons sont aussi splendides, pleines d’intelligence tant dans le texte que dans les nuances. Profitant d’une salle de petite dimension, nous avons droit à une palette dynamique immense, propre à rendre les moments les plus intimes ou ceux plus extériorisés. La loufoquerie de Kurt Weill réussi à prendre un ton tragique dans les derniers aveux, la folie de Isabelle Aboulker pour un Je t’aime vraiment étrange mais dévastateur… mais plus simplement aussi les chansons de Jean Ferrat portées avec une simplicité admirable, tout comme pour Brel ou Barbara : le texte ressort, le chant est construit sans faire trop lyrique et surtout on sent le travail sur les nuances, les petites adaptations… pour de si grands chanteurs qui ont toujours très personnalisé leurs chansons, c’est une vraie réussite de les faire revivre avec tant de fraicheur en trouvant la juste interprétation qui évite de copier tout en évitant de dénaturer.
Ce concert était un peu venu sur le tard et après le grand Gala Bru Zane, il risquait de sembler petit… mais au final, il a apporté d’autres joies, d’autres émotions… et la qualité de l’interprétation a emporté le tout ! On en vient à regretter que la musique s’arrête, que l’on ne puisse pas continuer encore une heure dans cette atmosphère magnifique. Autant dire que les programmes du Trio Ayonis sont à suivre !
- Paris
- Auditorium du Conservatoire Paul Dukas
- 8 octobre 2019
- Aimer à perdre la raison, concert du Trio Ayonis
- Barbara (1930-1997), Je ne sais pas dire
- Gaetano Donizetti (1797-1848), L’Elisir d’amore : « Una furtiva lagrima »
- Francis Poulenc (1899-1963), Le Chemins de l’amour
- Ernest Chausson (1855-1899), Chanson perpétuelle
- Giuseppe Verdi (1813-1901), La Forza del Destino : Prélude de l’acte III
- Jacques Brel (1929-1978), Quand on n’a que l’amour
- Léonard Bernstein (1918-1990), West Side Story : « Maria »
- Kurt Weill (1900-1950), Je ne t’aime pas
- Isabelle Aboulker (1938), Je t’aime
- Michel Legrand (1932-2019), La Valse des Lilas
- Jules Massenet (1842-1912), La dernière lettre de Werther à Charlotte
- Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Giulio Cesare : « Se pietà »
- Jean Ferrat (1930-2010), Aimer à perdre la raison
- Jean Ferrat (1930-2010), Que serais-je sans toi
- Enguerrand de Hys, ténor
- Élodie Roudet, clarinettes
- Paul Beynet, piano