Il est rare de présenter des opéras russes en France en dehors des quelques uns les plus connus comme Eugen Onegin ou Boris Godounov. Alors il faut saluer le choix de l’Opéra de Tours qui a décidé de monter non seulement Iolanta de Tchaikovsky, mais surtout Mozart et Salieri de Rimsky-Korsakov. Ce dernier n’est que trop rarement mis en avant alors que ses ouvrages sont magnifiques. Bien sûr, les références sont mythiques pour ce petit opéra mais avoir la possibilité de voir sur scène ce duo de partitions est un vrai plaisir. Pour la distribution, l’Opéra de Tours à fait appel à des chanteurs slaves avant tout comme souvent dans ce répertoire mais chœur et orchestre sont de la maison. Pour trois représentations seulement, c’est un gros investissement pour l’institution et il semble que le public ait été au rendez-vous.
La soirée commence par la sombre pièce de Nikolai Rimsky-Korsakov. Mozart et Salieri est basé sur la pièce de Pouchkine et le compositeur est resté au plus proche du texte. Il s’en suit un opéra assez étrange dans sa structure mais qui fascine par l’intelligence dramatique. Cette réflexion sur le génie est magnifiquement mise en musique avec les abîmes de Salieri et la bondissante mélodie de Mozart. Intégrant des musiques de ce dernier, nous plongeons vraiment dans un affrontement entre deux personnalités. Bien sûr la thèse de l’assassinat de Mozart par Salieri est ici soutenue… mais si l’on a plutôt un portrait de faiseur pour Salieri, il n’en reste pas moins extrêmement ému et touché durant ses monologues, même lorsqu’il assassine le génie qui est face à lui.
La mise en scène est très sobre : un piano à queue, un lustre… et des grands rideaux rouges qui resserrent la scène. Transposé de nos jours, l’on peut voir la différence entre ces deux grands musiciens : si Salieri est en costume, Mozart lui porte des Convers et un blouson de cuire. Il tient ses partitions dans un sac FNAC alors que Salieri lui les a pieusement posées sur le piano. L’opposition est simple mais fonctionne très bien. La sobriété de la mise en scène aussi est parfaitement en adéquation avec le propos de l’ouvrage. L’on saluera la superbe prestation de Mischa Schelomianski, magnifique basse particulièrement nuancé pour ce Salieri. La voix est ronde et belle, avec un petit rapprochement par moments avec Mark Reizen ce qui n’est pas un mince compliment. Le grave est sonore, l’aigu aisé et surtout cette façon de dire le texte en le faisant vivre. Face à lui, Irakli Murjikneli est un Mozart un peu lourd de voix mais qui vit très bien la folie et l’inconscience du personnage… avec tout de même un moment sombre vers la fin. Les deux chanteurs emportent le public qui reste saisi par cet opéra passionnant et si original. Bien sûr, il est difficile d’oublier les Shaliapin, Reizen ou Pirogov, opposés à Lemeshev ou Kozlovsky… mais le rendu de cette première partie est soigné et au niveau de l’ouvrage.
Iolanta bénéficie d’une mise en scène plus élaborée avec une scène coupée en deux par une grande verrière. L’on trouve ainsi un espace intérieur et un autre extérieur, favorisant ainsi les entrées et sorties des personnages. Dans des teintes grises mais lumineuses, avec toutes ces roses blanches et rouges, le décor est très beau et offre un cadre magnifique pour les chanteurs. La direction d’acteurs est aussi très précise avec particulièrement un travail chez Iolanta qui joue de parfaitement l’aveugle. La seule déception vient du traitement du final. Iolanta est un opéra tourné vers la lumières avec entre autre un final brillant… et le metteur en scène a souhaité replonger dans les abîmes en faisant se crever les yeux à Iolanta, terrorisée par tout ce monde qui l’oppresse. La partition demande une distribution assez importante avec de nombreux petits rôles. Globalement bien tenus, on saluera tout de même Delphine Haidan en Martha, suivante de Iolanta. Le charisme et la profondeur de la voix sont parfaits pour cette servante et mère de substitution. Quelques soucis tout de même chez des rôles plus importants. Ainsi, Aram Ohanian manque de puissance pour jouer le médecin Ibn-Hakia et Javid Samadov semble avoir un trou dans le medium de sa voix malgré un aigu superbe qui lui permet de briller dans l’air de Robert. Mischa Schelomianski est encore une fois d’une grande justesse pour sa prestation de père. Nuancé et touchant dans sa détresse il tient la scène à chacune de ses apparitions. Irakli Murjikneli montre des petites limites dans l’aigu ici. Si l’investissement est certain, la voix est un peu uniquement forte pour l’amoureux Vaudémont et l’on a régulièrement un aigu poussé et un peu bas. La voix est belle, mais il y a un manque de nuances. Surtout que face à lui, Anna Gorbachyova-Ogilvie est une Iolanta particulièrement touchante. Bien sûr, l’aigu est tendu mais à côté il y a une beauté du timbre et surtout un art des nuances qui fait que l’on oublie ces petits soucis. Elle compose une jeune fille parfaite théâtralement et l’on ressent toute l’émotion du personnage, que ce soit dans ses questionnements en début d’opéra mais aussi par la suite lors de la découverte de sa cécité.
L’orchestre se plie parfaitement aux besoins de ces deux ouvrages, besoins très différents tant Mozart et Salieri est avant tout un grand récitatif alors que Iolanta demande un superbe lyrisme. Vladislav Karklin donne une belle lecture des deux opéras, trouvant le ton juste et évitant toute surcharge. Le final de l’œuvre de Tchaikovsky est d’une grande force et compense l’aberration d’avoir choisi une fin tragique. L’orchestre est au niveau des chanteurs d’un point de vue style et c’est à saluer !
Le couplage de ces deux opéras n’est pas forcément naturel mais la soirée permet d’entendre deux bijoux de l’opéra russe. L’exécution est de bonne qualité et les quelques limites ne sont pas d’ordre à empêcher d’apprécier ces deux partitions.
- Tours
- Grand Théâtre
- 25 mai 2018
- Nikolai Rimsky-Korsakov (1844-1908), Mozart et Salieri, Opéra en deux actes
- Piotr Ilitch Tchaïkovsky (1840-1893), Iolanta, Opéra en un acte
- Mise en scène, Dieter Kaegi ; Décors / Costumes, Francis O’Connor ; Lumières, Mario Bösemann
- Mozart, Irakli Murjikneli ; Salieri,Mischa Schelomianski
- Iolanta, Anna Gorbachyova-Ogilvie ; Vaudemont, Irakli Murjikneli ; Le Roi René, Mischa Schelomianski ; Robert, Javid Samadov : Ibn-Hakia, Aram Ohanian ; Brigitta, Yumiko Tanimura ; Laura, Majdouline Zerari ; Alméric, Raphaël Jardin ; Marta, Delphine Haidan ; Bertrand, Serguei Afonin
- Chœur de l’Opéra de Tours
- Orchestre Symphonie Région Centre-Val de Loire/Tours
- Vladislav Karklin, direction