À l’annonce de la saison, ce devait être l’un des évènements de l’année 2018. Une nouvelle production de Parsifal dix ans après celle de Krzysztof Warlikowski, l’Opéra National de Paris proposait une nouvelle lecture. Le souvenir de la mise en scène contestée était encore dans toutes les mémoires, et l’on pouvait s’attendre à tout de la part de Richard Jones. Mais c’était surtout la distribution qui faisait beaucoup attendre car elle réunissait les grands noms actuels du chant wagnérien. Malheureusement, sur les huit représentations prévues, il n’y en aura finalement que quatre suite à de gros problèmes techniques durant les répétitions qui ont obligé l’Opéra Bastille à annuler tous ses spectacles durant quinze jours. Ces quatre représentations ont donc été prises d’assaut, le public des premières espérant pouvoir trouver une autre place. Au final, le spectacle sera de bonne qualité mais restera un peu décevant : peut-être trop d’attentes tant musicales que théâtrales. Si aucune partie n’est mauvaise, il manque un petit quelque chose pour que l’émotion et le drame emportent totalement.
Richard Jones avait produit une production assez contestable de Lohengrin et l’on pouvait donc s’attendre à une relecture décapante dans une visuel très déconcertant. Au final il n’en sera rien. Mis à part un final remanié dramatiquement, nous avons une vision assez littérale et même un peu terne à certains moments. Le décor des premiers et troisièmes actes sont une enfilade de pièces qui glisse sur la scène, permettant des changements de décors réguliers. Le souci est que la décoration est d’une froideur extrême. On hésite entre un blockhaus de survie et un gymnase des années quatre-vingt. Aucune douceur, uniquement des couleurs ternes. Le deuxième acte est assez étrange avec au début une sorte de serre où poussent d’étranges légumes. Puis, voici le jardin des filles-fleurs qui sont en fait des filles-maïs sur un grand escalier. Ces filles vont se montrer sous toutes les coutures durant toute la scène, n’hésitant pas à faire les gestes les plus obscènes possibles… et enfin ce sera un noir complet pour le grand duo entre Parsifal et Kundry, encadrés d’une lumière crue. Peu d’idées vraiment saillantes et on en vient à subir un certain ennui par moments. Le seul moment déroutant est ce final : Kundry va embrasser un Amfortas guéri, comme amoureuse de ce roi qu’elle a trahi… et voici que ce dernier meurt. Kundry se dirige alors vers Parsifal et l’entraîne par la main en dehors de ce temple. Gurnemanz reste seul et l’on peine à savoir s’il restera ou suivra les chevaliers qui sortent à la suite de leur nouveau roi. La réaction de Kundry est assez peu compréhensible. De même que la décision de Gurnemanz manque de netteté.
Philippe Jordan a déjà dirigé Parsifal bien sûr, et notamment à Bayreuth dans la fabuleuse mise en scène de Herheim (c’était l’année où le spectacle a été filmé… et où l’on a compris qu’il ne serait jamais édité pour la plus grande perte des amateurs). Alors, sa direction était un peu en retrait, manquant d’affirmation. On retrouve légèrement cette attitude durant le premier acte qui peine à vraiment s’incarner. Les sonorités sont superbes, les nuances sont là … mais tout semble comme retenu. Le prélude par exemple est d’une extrême douceur sans aspérité. Même dans le désespoir d’Amfortas il manque un peu de tension. Puis dans les actes suivants, l’orchestre s’anime pour tout d’abord parfaitement faire vivre les noirceurs de Klingsor et les troubles de Parsifal. L’orchestre culminera sur l’Enchantement du Vendredi Saint mené avec une immense solennité même si l’on a connu direction plus flamboyante ou impressionnante. Philippe Jordan est ici dans une voix médiane entre les tenant de la grande liturgie et ceux qui défendent un ouvrage dramatique avant tout. Et si ce choix peut être dangereux, le chef réussi à maintenir un bel équilibre qui est un modèle dans le genre. Il peut se reposer sur un orchestre de haut niveau bien sûr, et qui semble aimer Wagner puisque ses prestations sont toujours de haute tenue dans ce répertoire (beaucoup moins dans d’autres!) avec en particulier une phalange de cordes d’une transparence et d’une beauté sidérante. Seule ombre dans la fosse, les cuivres semblent avoir retrouvé leurs vieux travers et régulièrement durant la soirée nous allons entendre des attaques fausses ou qui manquent de netteté. D’ailleurs, ils ne sont pas les seuls… Le chœur est globalement très bon sur scène… homogène, puissant sans être braillard… mais les choses se gâtent chez les femmes. Placées dans les coursives du deuxième balcon, elles montrent un vibrato très marqué, une sonorité qui n’a rien de céleste… et ont terminé le premier acte en grosse difficulté avec la justesse. Ce dernier aigu qui doit nous enlever du sol n’était pas du tout en place, ce qui est assez fou pour un ensemble de ce niveau.
Pour les différents rôles mineurs, les ensembles sont très bons que ce soit pour les fleurs ou les chevaliers. Par contre, il est dommage de ne pas avoir trouvé une alto solo plus belle pour sa courte intervention. Daniela Entcheva n’a pas cette plénitude que l’on peut attendre mais une voix qui accuse un vibrato assez marqué et un souffle plutôt court. Du fait de la présence sur scène d’un acteur pour Titurel, le chanteur se retrouve dans la fosse avec le décalage sonore que cela implique. Malgré tout, la voix de Reinhard Hagen est belle et offre une certaine profondeur de ton. Klingsor de référence il y a dix ans, Evgeny Nikitin semble avoir perdu de son magnétisme. Lui qui avait un tranchant parfait, une voix qui pouvait par moment faire penser à un Leiferkus par la violence des mots… voici qu’il nous donne un Klingsor bien sûr nuancé mais beaucoup moins marquant qu’il y a quelques années. La voix s’est arrondie, la puissance est moins tonnante… son personnage perd en étrangeté. La mise en scène, il faut le dire, n’est pas là pour l’aider à composer ce magicien sombre et violent.
Au contraire, Peter Mattei semble avoir trouvé en Amfortas son rôle parfait. Lui qui avait déjà marqué les esprits à New-York dans ce rôle, il se montre pour ces représentations d’une puissance évocatrice sidérante. Avec une voix parfaitement maîtrisée et un legato parfait, il réussit à montrer non seulement toute la grandeur de ce personnage mais aussi la douleur immense qui l’habite. Certains chantent avec beaucoup d’effets, comme un rôle vériste. Mais ici Mattei se montre au contraire particulièrement neutre dans les effets, ne jouant que sur les mots et les nuances, ne cherchant pas à montrer mais vraiment à faire ressentir cette plaie au corps et à l’âme. Ses interventions sont des moments de pure grâce !
La pécheresse Kundry est chantée par Anja Kampe. La soprano semble particulièrement épanouie dans ce rôle. Elle en possède non seulement l’animalité, mais aussi la douceur nécessaire. Elle donne tout d’un bout à l’autre. Même lorsqu’elle ne chante pas elle est totalement dans son personnage. Depuis la bête effrayée du premier acte à la femme calme du final, le parcours est parfaitement rendu. Vocalement elle assume toute la tessiture même si le grave est peut-être un peu léger par moment. Le seul petit regret vient de la fatigue que l’on peut entendre en fin de deuxième acte. Si avant les aigus sont parfaitement dardés (un « Lachte » impressionnant), la suite montre une difficulté à atteindre l’extrême aigu. Mais ce n’est que broutille tant la prestation est sidérante de vie. La voix n’est pas forcément très stable par moments, mais le timbre est beau et la chanteuse très nuancée. Magnifique prestation.
Même s’il n’est pas le rôle titre, Gurnemanz est celui qui raconte le plus, qui s’impose comme central dans deux actes. La basse Günther Groissböck est encore peut-être un peu jeune pour réussir à imposer un patriarche noble ou paternel. Son rôle demande une rondeur de timbre, ou au contraire une rudesse extrême. Les deux possibilités existent mais même si la voix de la basse est splendide, il n’est dans aucune de ces personnalités. Son Gurnemanz est à la foi assez fier et sûr de lui, mais jamais on ne sent d’orgueil… Et au contraire, il n’arrive pas à montrer cette douceur envers Amfortas ou Parsifal. Le texte est très bien rendu, les nuances sont là … mais il manque un petit peu de profondeur non seulement dans l’interprétation, mais aussi dans le timbre en lui même qui reste très clair et jeune. La mise en scène est aussi responsable car elle en fait un garde plus qu’un croyant, un personnage froid et peu impliqué.
Enfin, Andreas Schager était sans doute la grande attente tant il est actuellement considéré comme le ténor wagnérien à suivre. Il faut avouer qu’il impressionne tant la voix est puissante et solide, ne reculant devant aucun déferlement orchestral. Mais pour se faire entendre justement, le chanteur ne fait pas toujours dans la demi-mesure, ne soigne pas forcément la beauté du son. Plus à l’aise dans le drame que dans l’extase, il nous fait entendre par moment des instants splendides, mais rapidement après l’on peut entendre un timbre très métallique et un vibrato dans l’aigu assez désagréable. Le personnage est un peu frustre et l’on peine à voire la grande évolution du deuxième acte. Toujours chien fou et violent, il manque un peu de lumière pour illuminer son apparition finale par exemple. Si Siegfried doit lui convenir parfaitement, Parsifal demande plus d’intériorité pour faire ressortir cette évolution du personnage.
Alors les critiques sont peut-être un peu dure… mais Parsifal est un opéra très documenté avec des immenses personnalités. Ici, il nous manque deux chanteurs au charisme extraordinaire. Parsifal et Gurnemanz semble manquer de cette présence qui fait les grandes interprétations. Surtout face à Mattei et Kampe, il sont comme en retrait dramatiquement et même musicalement. Si l’on ajoute la mise en scène finalement terne… il n’y a donc pas cet alignement des planètes que l’on pouvait espérer. Bien sûr, la qualité est tout de même au rendez-vous et la soirée est magique malgré les petites faiblesses. Mais il y a tellement ici que l’on en ressort comme frustré de ne pas avoir été transporté d’un bout à l’autre. Reste l’ouvrage passionnant et qui fascine, laissant le spectateur imprégné par la musique de nombreuses heures après la fin de l’opéra.
- Paris
- Opéra Bastille
- 23 mai 2018
- Richard Wagner (1813-1883), Parsifal, Festival Sacré en trois actes
- Mise en scène, Richard Jones ; Décors / Costumes, ULTZ ; Lumières, Mimi Jordan Sherin ; Chorégraphie, Lucy Burge
- Amfortas, Peter Mattei ; Gurnemanz, Günther Groissböck ; Parsifal, Andreas Schager ; Kundry, Anja Kampe ; Klingsor, Evgeny Nikitin ; Titurel, Reinhard Hagen ; Zwei Gralsritter, Gianluca Zampieri / Luke Stoker ; Vier Knappen, Alisa Jordheim / Megan Marino / Michael Smallwood / Franz Gürtelschmied ; Klingsors Zaubermädchen I, Anna Siminska / Katharina Melnikova / Samantha Gossard ; Klingsors Zaubermädchen II, Tamara Banješević / Anna Palimina / Marie-Luise Dressen ; Eine Altstimme aus der Höhe, Daniela Entcheva
- Chœur de l’Opéra National de Paris
- Orchestre de l’Opéra National de Paris
- Philippe Jordan, direction