Pour cette quatrième année, William Christie ouvre ses jardins et offre ses musiciens et chanteurs. La qualité est toujours au rendez-vous avec ce grand chef, et ce sera le cas dans tous les aspects. Durant tout une journée, l’on baigne dans un jardin recréant le style du XVIIIème siècle, avec des petits concerts au détour d’un bosquet ou d’autres plus grands sur des espaces aménagés. Le temps n’était pas au beau fixe pour ce 28 août, mais la musique sera un régal toute la journée, dans une ambiance particulièrement agréable. Toute la journée, les bénévoles et les cadres du festival sont là pour accueillir et orienter avec gentillesse et efficacité. Avec un atelier, des petites concerts d’une quinzaine de minute, le grand concert du soir et enfin un concert de musique sacré pour clore la journée, c’est un véritable voyage à la fois dans la musique d’un autre temps mais aussi dans un cadre totalement enchanteur et dépaysant.
Quand William Christie rentre en possession du domaine en 1985, il n’y a pas grand chose dans le jardin… mais sa passion va petit à petit donner vie à des créations baroques ou originales, s’inspirant des jardins à la française et de leurs petits bosquets. Le domaine n’est pas immense et l’on passe tout de même d’une prairie à peine domestiquée à des zones à l’architecture végétale impressionnante en quelques instants. La passion du chef d’orchestre pour le jardin donne un cadre idéal pour la musique. Et c’est avec décontraction que ce chef internationalement reconnu se promène et nous invite à des découvertes. Découverte des bosquets, découverte musicales mais aussi découverte d’artistes car en plus d’habitués des Arts Florissants, William Christie fait offre ici à de jeunes musiciens de la Julliard School de New-York de travailler avec des artistes reconnus, alors que les jeunes chanteurs du Jardin des Voix sont mis à l’honneur pour certains concerts.
1 – Atelier de découverte : Du bois dont on fait les flûtes
Alors qu’il tombait quelques gouttes lors de l’ouverture des jardins, le public se dirige vers l’une des trois activités proposées pour ouvrir l’après-midi : deux ateliers et une visite du jardin. Le choix est assez rapide : l’un des ateliers est proposé pour les familles principalement et la visite du jardin n’est pas une priorité vu que nous allons de toute façon l’arpenter au fil des concerts. Ce sera donc une rencontre autour de la flûte et son évolution. Étant donné l’humidité ambiante, c’est malheureusement sous une tente de répétition que va se dérouler cette première rencontre. Quarante minutes où trois instrumentistes vont nous faire découvrir leurs instruments, mais aussi toutes leurs possibilités ainsi que l’évolution qu’ils subiront durant les quelques siècles baroques de l’histoire de la musique. C’est la flûte qui occupe le plus de temps et Serge Saitta sera le plus passionnant dans ses explications. Il ne cherche pas à écraser le public sous des détails inutiles, mais ne va pas non plus rester simpliste. Quelques mots spécifiques lui échappent mais le discours reste toujours très clair et instructif. Quelques exemples bien sûr, nous donnant à entendre différentes flûtes… le tout dans une atmosphère détendue et joyeuse. La différence de timbres entre les différentes flûtes, ainsi que les techniques employées sont sidérantes. Le basson et le théorbe par la suite seront moins développés, mais tout de même intéressant : il est rare de pouvoir entendre un basson baroque seul… Pour ouvrir le voyage, cet atelier aura été non seulement éducatif, mais aura aussi posé l’ambiance de la journée : le plaisir de partager pour les musiciens et la proximité du public avec cette musique baroque.
- Thiré
- Les Jardins de William Christie, sous une tente
- 28 août 2015, 15h45
- Rencontre en famille « Du bois dont on fait les flûtes »
- Serge Saitta, flûte et présentation
- Evolène Kiener, basson
- Brian Feehan, théorbe
2 – Promenades Musicales : Chaconnes et Passacailles pour un jardin
Première traversée du jardin et donc découverte d’une partie de ce qui sera le cadre de toute la journée… Et quel cadre ! On passe du sublime du Miroir d’Eau au dépouillé de l’Allée des Hêtres pour arriver au Jardin Éphémère. Ce bosquet de quelques peupliers d’Italie se trouve agrémenté de boules de buis comme des bulles d’air sorties de terre. Le dépaysement est immédiat et le public se rassemble petit à petit autour de ce qui sera la scène temporaire.
Ainsi trois musiciens viennent devant nous et après une petite évocation de ce qu’est une Chaconne et une Passacaille, deux pièces en trio viennent nous ravir. Le soleil apparaît, le calme du jardin et la musique forment un ensemble parfait. Pour ce concert, un jeune flûtiste de la Julliard School se joint à deux professionnels des Arts Florissants. Après un départ flottant, Serge Saitta demande de reprendre, sans formalisme et avec la décontraction d’un concert entre amis. Cette proximité est tellement agréable et différente des concerts habituels. Les deux pièces de De la Barre et Charpentier sont exécutées avec bonheur et malgré le stress de l’étudiant le résultat est très beau.
- Thiré
- Les Jardins de William Christie, Le Jardin Éphémère
- 28 août 2015, 16h45
- Chaconnes et Passacailles pour un jardin
- Michel de la Barre (1675-1745) : Trio en ré mineur, extrait du premier Livre de trios
- Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) : Passacaille et Chaconne de la Sonate à huit en do majeur et do mineur
- Serge Saitta, flûte
- Joseph Monticello, flûte (élève de la Julliard School)
- Evolène Kiener, basson
3 – Promenades Musicales : Ivresses amoureuses
Si le précédent concert ne rassemblait que peu de monde, la présence de William Christie ici semble avoir attiré la foule des grands jours. Le lieu étant de plus assez réduit et fermé, il était difficile de contenir tous les spectateurs. Un petit jardin où toutes les fleurs sont rouges, un clavecin, un théorbe et deux chanteurs. L’effectif est plus important et le répertoire plus connu. On sent plus de tension aussi par la présence de Christie. Si le concert précédent était très bon enfant, ici on est vraiment dans la représentation avec une légère distance.
Christie est comme à son habitude très à l’aise au clavecin, dirigeant d’un regard ou d’un geste théorbe et chanteurs. On découvre aussi le jeune Thomas Dunford qui accompagnera un autre concert dans l’après-midi. Les deux chanteurs sont issus du Jardin des Voix. Apparait ainsi la mezzo-soprano Lea Desandres à la belle diction et au timbre chaud et direct. Quelques similitudes sont à noter avec par exemple une Stéphanie d’Oustrac dans le style. Face à elle, l’alto Carlo Vistoli reste plus sur la réserve. Le premier duo de Monteverdi les montre très fusionnels. Les deux soli dévoilent des univers assez différents par contre. Alors que le contre-ténor se montre toujours aussi à l’aise dans le baroque italien, la mezzo s’épanouit dans le répertoire français avec une chanson de Lambert. Le dernier duo en français montrera un fossé entre les deux chanteurs car le contre-ténor semble ici peu à l’aise.
Le concert ici proposé est un véritable concentré de récital, où les deux chanteurs peuvent se montrer dans différents répertoires avec des accompagnateurs de haute volée.
- Thiré
- Les Jardins de William Christie, Le Jardin Rouge
- 28 août 2015, 17h15
- Ivresses amoureuses
- Claudio Monteverdi (1567-1643), Duetto : Vorrei baciarti (mezzo-soprano et alto)
- Girolamo Frescobaldi (1583-1643) : Cosi mi disprezzate (alto)
- Michel Lambert (1610-1696) : Vos mépris chaque jour (mezzo-soprano) – Dialogue de la Paix et de la Fécilité (mezzo-soprano et alto)
- Lea Desandre, mezzo-soprano
- Carlo Vistoli, alto
- Thomas Dunford, théorbe
- William Christie, clavecin
4 – Promenades Musicales : Francesco Rasi et la création d’Orfeo
Pour ce troisième concert de l’après-midi, nous restons dans un endroit assez fermé, mais Paul Agnew ne semble pas attirer autant de spectateurs que son ainé. Pourtant, le lieu est splendide. Ce Théâtre de verdure est circulaire avec de hautes haies de résineux taillés de belle manière pour nous isoler totalement. L’espace est agréable et dépaysant.
Sur un côté, Paul Agnew et Thomas Dunford (toujours lui!) rentrent dans le cercle. Agnew nous explique le principe du concert : comparer la musique de Monteverdi et celle de Rasi, qui créa le rôle d’Orfeo. On commence donc avec un air de l’Orfeo, puis du Rasi… et enfin retour à Monteverdi. La voix de Paul Agnew se déploie avec toujours cette extrême grâce, cette finesse de l’expression ainsi que cette longueur de tessiture. Les graves sonnent superbement alors que l’aigu fin se déploie. Le dialogue entre les deux musiciens est magnifique. On sent une véritable complicité, chacun regardant et souriant à l’autre pour donner toute la force expressive possible à ces chants joyeux ou mélancoliques. La complicité en devient communicative puisque ici la proximité se fait entre public et artistes. Ce concert restera peut-être le plus beau de l’après-midi. Deux grands musiciens et un programme splendide.
- Thiré
- Les Jardins de William Christie, Le Théâtre de verdure
- 28 août 2015, 17h45
- Francesco Rasi et la création d’Orfeo
- Claudio Monteverdi (1567-1643), Orfeo : Rosa de ciel – Vi ricordi o boschi ombrosi
- Francesco Rasi (1574-1621) : E si lieto il moi core – Filli mia – Un guardo, ohime
- Paul Agnew, ténor
- Thomas Dunford, théorbe
5 – Promenades Musicales : Danses de Purcell
Avant de clore ces Promenades Musicales, un petit concert où sont rassemblés les musiciens élèves à la Julliard School de New York. Le cadre est plus quelconque puisque le Mur des Cyclopes se révèle n’être qu’un mur en pierres sèches de dimensions importantes mais loin d’être impressionnantes.
La musique de Purcell permet à ces jeunes musiciens de nous donner un bel ensemble, dansant et coloré. On sent combien chacun est heureux de jouer ici, et surtout ensemble sans la pression ressentie par le flûtiste par exemple lors du premier concert. On retrouve quelques passages légèrement connus, mais surtout des instrumentistes déjà sûrs d’eux. À n’en point douter, certains viendront grandir les rangs des Arts Florissants ou d’autres formations baroques dans les années qui viennent.
- Thiré
- Les Jardins de William Christie, Le Mur des Cyclopes
- 28 août 2015, 18h15
- Danses de Purcell
- Henry Purcell (1659-1695), Bonduca : Ouverture ; Virtuous Wife : Preludio ; Distressed Innoncence or the Princes of Persia : Slow Aire ; The Married Beau Hornpipe on a Ground : Old Bachelor – Minuet and Bouree ; The Fairy Queen : Chaconnes
- Cloe Fedor, violon (élève de la Julliard School)
- Carrie Krause, violon (élève de la Julliard School)
- Edson Scheid, alto (élève de la Julliard School)
- Sarah Stone, violoncelle (élève de la Julliard School)
- Joseph Monticell, flûte (élève de la Julliard School)
- Priscilla Herreid, hautbois (élève de la Julliard School)
- Benjamin Matus, basson (élève de la Julliard School)
- Douglas Balliett, contrebasse (élève de la Julliard School)
6 – Promenades Musicales : Un Jardin à l’italienne, extraits
Tout le public se rassemble au pied de la terrasse du bâtiment principal pour ce dernier petit concert. Ici seront présentés des extraits du spectacle du soir. Ce sont donc tous les chanteurs, ainsi qu’une bonne partie des musiciens (dont tous les élèves de la Julliard School) qui sont rassemblés sous la direction de William Christie. À travers trois ensembles dans la veine comique, le chef et ses musiciens donnent un point final à l’après-midi avec joie et bonne humeur. Les chanteurs se montrent déjà acteurs en essayant de donner vie à leurs personnages malgré l’espace très réduit dont ils disposent. Au final de longs applaudissements et un public heureux qui pour une partie attend le concert du soir alors que le reste va sortir calmement du jardin pour retourner à la vie réelle.
- Thiré
- Les Jardins de William Christie, Les Terrasses
- 28 août 2015, 18h45
- Un Jardin à l’italienne, extraits
- Lucia Martin-Carton, soprano
- Lea Desandre, mezzo-soprano
- Carlo Vistoli, contre-ténor
- Nicholas Scott, ténor
- Renato Dolcini, baryton
- John Taylor Ward, basse
- Musiciens de Arts Florissants et élèves de la Julliard School
- William Christie, direction
7 – Concert du soir : Un Jardin à l’italienne
Le soir arrive, et les jardins prennent de belles teintes… l’arrivée sur la pièce d’eau en devient plus belle encore que dans l’après-midi. Le plateau est débarrassé des protections contre la pluie, les lumières se font plus douces et petit à petit le public s’installe. Tous ou presque ont passé une heure dans les jardins à se restaurer ou se promener, certains ayant prévu un pique-nique digne de Glyndebourne alors que d’autres se reposent autour d’un simple verre.
Les lumières continuent à baisser et c’est dans un début de crépuscule que les musiciens font leur entrée sur la scène flottante du Miroir d’Eau. La perspective est splendide avec les arcades de végétation au fond. Durant tout le concert, les lumières vont prendre en importance pendant que le soleil se couche et est remplacé par une lune quasi-pleine qui joue à cache-cache avec les nuages. On se sent dans un autre monde : tout le public est envouté, ne s’offusquant même pas quand un petit chat décide de passer de genoux en genoux pendant la musique.
La musique justement est exclusivement extraite d’œuvres italiennes, depuis les prémisses de l’école italienne jusqu’au début du pré-romantisme. Beaucoup de styles sont ainsi exploités entre la rigueur du madrigal et le bouffon des pièces de Cimarosa ou Haydn. Comme toujours avec William Christie, le style musical est parfait. Les chanteurs ont été extrêmement bien préparés et les musiciens donnent beaucoup de finesse ou de couleur. Le seul reproche que l’on pourrait faire est que l’orchestre paraît à certains moments trop légers pour jouer Haendel et la grande scène de folie d’Orlando. Mais l’acoustique du lieux ainsi que le large répertoire ne sont pas forcément propices aux effets que demande cette scène dramatique.
Le programme se découpe en deux parties : la première développe une cantate de Stradella aux moyens d’airs extraits d’autres compositeurs. C’est ici l’amour et tous les drames qui en découlent qui sont exposés : on passe ainsi par toutes les émotions, depuis l’amour jusqu’au suicide en passant par la folie. La deuxième partie sera plus légère avec des Å“uvres parodiques autour de l’opéra. Dans chacune des parties, les chanteurs sont parfaitement à l’aise dans les attitudes et les interactions voulues par la mise en espace de Sophie Daneman. Chacun dispose d’un moment pour briller ou émouvoir, le programme donnant toute latitude à ces artistes pour s’exprimer.
À l’écoute de la soprano Lucia Martin-Carton, on retrouve une partie de ce qui a forgé l’image du chant baroque tel que l’a mis en avant William Christie : la voix est légère et fine mais avec une belle expressivité. On pense à la jeune De Negri ou quelque fois à Agnès Mellon bien sûr pour cet instrument qui semble prêt à se briser mais qui toujours sonne et brille. Sa prestation dans la cantate de Stradella la montre parfaite pour donner vie à la Beauté. Le chant est parfaitement ciselé et varié, sans pour autant qu’on y entende une démonstration ou un exercice. En gagnant un peu d’assise, la voix sera sûrement parfaitement adapté dans quelques années pour la tragédie lyrique française. Bien sûr il est difficile de juger ici de la prononciation et du style français puisque ne sont proposés que des airs italiens. Mais que ce soit dans le sérieux de la cantate ou la folie de la parodie, Lucia Martin-Carton se montre d’une grande habileté et d’une belle aisance.
Comme indiqué plus haut, la mezzo-soprano Lea Desandre possède une certaine parenté avec D’Oustrac. Parenté dans l’éloquence du discours et dans le timbre assez clair. Malheureusement, elle ne peut donner toute sa mesure dans ce programme. L’air de Vivaldi ne la montre pas d’une virtuosité débridée, alors que la partie comique la trouve plus fine et joueuse. La part tragique que semble contenir cette voix n’est pas véritablement exploitée ici où il lui manque un support plus fort dans le texte. Malgré tout, sa prestation est parfaite de tenue : le style est parfait et la voix sonne de belle façon. Là où le timbre de Lucia Martin-Carton semble devoir encore s’épanouir, nous entendons ici une chanteuse déjà apte à affronter les grands rôles du répertoire baroque.
Le contre-ténor est aujourd’hui la star du répertoire baroque, devenant l’attraction principale de bien des productions. Carlo Vistoli se montre assez différent des plus connus par sa sobriété et son expressivité. Sans doute plus à l’aise dans Monteverdi que Haendel, le contre-ténor fait merveille en Amour dans la cantate de Stradella alors que sa scène de folie de Orlando manque vraiment d’angles et de charisme. Encore jeune, le contre-ténor se montre donc plus porté actuellement vers les débuts du baroque que vers la folie qui suivra avec Vivaldi, Haendel ou d’autres compositeurs pour castra rois. Dans En cela il correspond bien aux préférences du chef qui exploite le contre-ténor principalement dans le répertoire le plus ancien de l’histoire musicale.
Si les premiers moments du ténor Nicholas Scott montrent un timbre assez peu agréable, la suite nous fait entendre un véritable haute-contre à la française. La maitrise de la voix mixte et un chant raffiné le prédestinent plutôt à Lully qu’à Mozart ou Haendel. Le ténor est de plus très fin dans ses caractérisations ou nuances, donnant beaucoup de vie à son compositeur. La virtuosité ne lui fait pas défaut pour autant, osant des montées dans l’aigu audacieuses (l’un de ces aigus sera d’ailleurs très difficile). Un petit peu d’esbroufe bien sûr, mais à bon escient puisque c’est pour montrer ce compositeur star qui courtise deux jeunes chanteuses.
Renato Dolcini surprend : manifestement plus âgé que ses camarades, la voix de ce baryton est aussi beaucoup plus large et charpentée. Mais cela ne l’empêche pas d’assumer la virtuosité de l’Orlando de Vivaldi (étrangement transposé pour baryton!). Le chanteur maîtrise très bien ses effets, aussi facile dans la folie joyeuse que dans la plus douloureuse. Si le chant manque peut-être un peu de hauteur et de raffinement, l’effet produit est remarquable. Il semble de plus particulièrement à l’aise tant dans le jeu que dans l’expression. Difficile de le voir dans la distanciation des répertoires les plus anciens, mais il s’imposera sans soucis dans le répertoire classique ou romantique avec l’impact de sa voix puissante.
Le gros point d’interrogation vient de la voix de John Taylor Ward. Grand et jeune, cette basse possède une couleur extrêmement claire. Bien sûr quelques graves le montrent à l’aise dans les profondeurs de la tessiture, mais il manque tout de même tout un soutien et une couleur pour véritablement pouvoir s’affirmer dans le répertoire de basse. Un Marc Mauillon a le timbre très clair d’un ténor alors qu’il est baryton, mais le bas de sa tessiture gronde de belle manière là où Ward ne semble avoir que l’extrême grave un peu sombre et marquant. Le reste de la voix semble même plus claire que celle de Dolcini pourtant baryton déjà assez clair. Mais en dehors de ces couleurs, la prestation est très bonne, aussi à l’aise dans le cynisme, l’humour ou la gravité. A bientôt trente ans, la voix de basse n’est peut-être pas encore tout à fait développée, mais reste à savoir si ce n’est pas un répertoire un peu plus haut qui lui permettrait de plus exposer sa voix pourtant bien conduite.
Ces six jeunes chanteurs vont recevoir bien sûr un grand triomphe au final, et proposeront trois bis au public chaleureux. On note une belle complicité entre eux mais aussi le chef qui n’hésite pas à participer au dernier bis, dirigé face au public et entouré de ses jeunes pousses. La relève semble bien là , et comme toujours, William Christie se montre un pédagogue attentif, donnant un véritable sens du style à ces chanteurs déjà confirmés. On reconnaît dans les couleurs et les types de voix la patte du maître bien sûr, et il serait passionnant de pouvoir comparer ces chanteurs avant et après avoir travaillé durant ces mois du Jardin des Voix.
- Thiré
- Les Jardins de William Christie, Le Miroir d’Eau
- 28 août 2015, 20h30
- Un Jardin à l’italienne, L’Accademia d’Amore, 7ème édition du Jardin des Voix
- Adriano Banchieri (1568-1634), Il Zabaione musicale : Già che ridotti siamo (tous)
- Alessandro Stradella (1639-1682), Amanti olà olà , Accademia d’Amore : Sinfonia, Lento
- Orazio Vecchi (1550-1605) : Le Veglie di Siena, overo i varii humori della musica moderna : L’humore musicale (tous)
- Alessandro Stradella (1639-1682), Amanti olà olà , Accademia d’Amore : Sinfonia, Allegro – Coro : Amanti, olà , olà (tous) – Recitativo : Hor non fia chi paventi (contre-ténor) – Duo : Damore e l’invito (soprano, mezzo-soprano) – Recitativo : Che sia dlla beltà (soprano) – Aria : La beltà d’un vago viso (soprano) – Recitativo : Chi va se delirante (soprano)
- George Friederich Haendel (1685-1759), Orlando – Aria : Ah ! Stigie larve, ah ! Scelerati spettri ! (contre-ténor)
- Giaches de Wert (1535-1596), Madrigale du 5è livre de Madrigale à cinq voix : Queste non son più lagrime (tous)
- Antonio Vivaldi (1678-1741), Orlando furioso – Aria : Ah sleale, ah spergiura (baryton)
- George Friederich Haendel (1685-1759), Il trionfo del Tempo e del Disinganno – Aria : Lascia la spina cogli la rosa (soprano)
- Antonio Vivaldi (1678-1741), Ottone in Villa – Aria : Gelosia, tu già rendi l’alma mia (mezzo-soprano)
- Antonia Vivaldi (1678-1741), La virtù trionfante dell’amore e dell’odio – Aria : Care pupille (ténor)
- Alessandro Stradella (1639-1682), Amanti olà olà , Accademia d’Amore – Recitativo : Benché ascritto non sia d’amor nell’Accademia (basse) – Aria : Si guardi dai dardi d’Amor (basse) – Recitativo : Unito il Disinganno a la Ragione (contre-ténor) – Madrigale : Sono Maestro è Amore (tous)
- Domenico Cimarosa (1749-1801), L’Impresario in angustie : Vè che matta, maledetta (soprano, mezzo-soprano, ténor, baryton)
- Joseph Haydn (1732-1809), La Canterina – Recitativo : Donne belle ! (ténor) – Recitativo e Aria : Che mai far deggio (ténor) – Recitativo : Che dici ? (soprano, mezzo-soprano, ténor)
- Domenico Sarro (1679-1744), L’impresario delle Canarie – Intermezzo Seconda (mezzo-soprano) – Intermezzo Primo (mezzo-soprano, basse)
- Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Ariette für Bass und Orchester : Un bacio di mano (mezzo-soprano)
- Joseph Haydn (1732-1809), La Canterina – Quartetto : Scellerata ! Mancatrice ! Traditrice ! (soprano, mezzo-soprano, ténor, baryton)
- Nicola Porpora (1686-1768), Cantata a voce sola : Oh se fosse il moi core (contre-ténor)
- Joseph Haydn (1732-1809), Orlando paladino – Finale : Son confuso e stupefatto (tous)
- Lucia Martin-Carton, soprano
- Lea Desandre, mezzo-soprano
- Carlo Vistoli, contre-ténor
- Nicholas Scott, ténor
- Renato Dolcini, baryton
- John Taylor Ward, basse
- Sophie Dename, Paul Agnew, Mise en espace
- Musiciens de Arts Florissants et élèves de la Julliard School
- William Christie, direction
8 – Méditations à l’aube de la nuit : Musique sacrée de John Dowland
Alors que le grand concert se termine, une partie du public se dirige dans la nuit vers l’église de Thiré. Des petits groupes traversent la ville pour attendre devant l’entrée dans l’église. Ce sera le point final d’une journée riche en émotions et en beautés musicales. Le public est restreint et le programme assez court. Avec cette vingtaine de minutes de musique de John Dowland, Paul Agnew propose une apothéose apaisante. Aucun applaudissement en fin de concert, juste la demande d’un silence qui sera malheureusement trop court.
L’église de Thiré n’est peut-être pas le cadre le meilleur d’un point de vue acoustique. Si l’intérieur est très beau avec ses murs blancs, ses dimensions réduites et l’autel comme décor… le son semble se perdre et résonner plus que de raison ici. Dès que les instruments jouent ensemble, le son peine à arriver distinct à l’auditeur. Pourtant, cette musique de Dowland demande une finesse d’expression qui semble bien donnée à la fois par les musiciens de la Julliard School que par Thomas Dunford ou Paul Agnew. Mais le son rebondi et se perd. Agnew est rapidement noyé par l’accompagnement alors que les cordes frottées écrasent l’archi-luth. Un simple accompagnement par ce dernier aurait sans doute apporté plus de retenue et un effet plus direct.
Malgré ce soucis, l’atmosphère et la tristesse de ces pièces ont emporté l’ensemble du public : tout au long de ces vingt minutes il n’y a eu que deux crises de toux et aucun bruit parasite. Il faut dire que non seulement le niveau des musiciens était parfait, mais en plus les deux professionnels apportaient un vrai sentiment de recueillement par leurs attitudes ou leur art. Paul Agnew semble actuellement à son sommet pour ces Å“uvres : balayant une large tessiture avec aisance et grâce, il peut éviter de forcer sur un instrument peu puissant et donner toute la profondeur nécessaire. Un point final magnifique et magique à la lumière de toutes ces bougies qui entourent les musiciens.
- Thiré
- Église de Thiré
- 28 août 2015, 23h15
- Méditations à l’Aube de la Nuit, Larmes sacrées
- John Dowland (1563-1626) : Lachrimae Gementes ; If that a Sinners sighes be Angels food ; M. John Langton Pavan ; Goe nightly, cares the enemy to rest ; Semper Dowland semper dolens
- Robert Mealy, violon (professeur à la Julliard School)
- Cloe Fedor, violon (élève de la Julliard School)
- Carrie Krause, violon (élève de la Julliard School)
- Edson Scheid, alto (élève de la Julliard School)
- Sarah Stone, violoncelle (élève de la Julliard School)
- Thomas Dunford, archi-luth
- Paul Agnew, ténor
9 – Pour finir… avant l’année prochaine peut-être?
Grande journée donc : non seulement par la quantité de musique proposée, mais aussi pour l’atmosphère qui imprègne les lieux et les visiteurs. Le calme et le respect semblent de mise ici : les artistes se promènent sans être jamais accostés par des inconnus, la majorité des visiteurs restent respectueux tant de l’esprit que des lieux de ce festival. La seule petite déception est la présence trop importante de fauteuils de plage. Bien sûr, il peut être difficile de passer sa journée debout ou assis par terre (surtout quand tout est détrempé comme c’était le cas), mais ces chaises rompent la proximité et le caractère familiale que dégagent les petits concerts dans les jardins.Mais ce n’est qu’un détail qui ne gâche en aucun cas la magie de cette journée, en espérant pouvoir y revenir dans les années qui viennent, avec pourquoi pas une programme baroque français pour le Jardin des Voix !