Nouvelle Tosca et grande réussite!

4205307_67f712a310fe3aeb5858a915745c74bcefdff018_2Depuis l’ouverture de l’Opéra Bastille, Tosca est venu régulièrement sur scène, mais toujours dans la mise en scène de Werner Schroeter. Cette saison, c’est Andréa Chénier que Nicolas Joël avait prévu mais Stéphane Lissner a annulé cette reprise pour proposer une nouvelle production de Tosca. Il est dommage de perdre l’occasion trop rare de voir l’œuvre de Giordano, mais on peut enfin dire au revoir à une production au mieux insipide, au pire laide par certains tableaux. L’avantage de ce changement est que les deux rôles principaux peuvent être transférés d’une oeuvre à l’autre. Alvarez, Serafin et Tézier se montrent à la hauteur de la tache dans un superbe cadre créé par Pierre Audi et Daniel Oren.

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Acte I

La mise en scène de Pierre Audi est d’une grande lisibilité et respecte en tous points (ou presque) le livret de l’Å“uvre. L’époque est magnifiquement rendue, la scène habilement utilisée et la direction d’acteurs soignées. Durant les trois actes, une immense croix sert soit de piédestal à Scarpia, soit surplombe la scène de manière oppressante. Elle créé au premier acte des espaces différents entre le lieu où se passe la cérémonie, la peinture de Cavaradossi, la chapelle… et surtout permet une belle utilisation de l’élévation pour un final particulièrement impressionnant. Le deuxième acte se situe dans un bureau circulaire à double cloison. Ce décor permet non seulement de bien projeter les voix, mais aussi d’animer les murs par de magnifiques jeux d’ombres. Dans un intérieur très bien recréé avec de très beaux meubles, Scarpia y est une aristocrate cultivé pour qui interroger et torturer n’est rien d’autre qu’une habitude. Mais c’est le troisième acte qui change véritablement par rapport au livret. Nous sommes loin du château Saint-Ange, plutôt dans une sorte de camp militaire où est détenu Cavaradossi. Avec ce décor sordide où quelques touffes d’herbes répondent à des troncs d’arbres calcinés, c’est tout le désespoir de Cavaradossi qu’on trouve. Pour chaque acteur, la direction est particulièrement soignée. Serafin est en général assez à l’aise sur scène, mais Tézier et Alvarez sont particulièrement impressionnant de maîtrise et d’aisance en comparaison de ce qu’ils proposent habituellement.. Tézier profite de sa raideur naturelle mais en y ajoutant une certaine désinvolture dans ses mouvements, bête féroce vernie par la civilisation. Et Alvarez impressionne par tous les détails de son jeu. Donc entre les superbes décors, les bonnes idées de mise en scène et ce jeu d’acteur particulièrement soigné, on assiste à un superbe spectacle où le drame est particulièrement présent avec un visuel très fort.

Acte II

Acte II

Daniel Oren est un habitué de ce répertoire à l’Opéra de Paris. On peut entendre direction plus fine mais Oren a l’avantage d’être toujours assez bon, sachant doser les effets pour bien mettre en valeur l’avancée du drame. L’orchestre peut sonner par certains moments un peu massif, mais on peut entendre de beaux effets et des nuances très bienvenues. L’orchestre se montre très bon avec de belles sonorités. Les chÅ“urs qui sont assez peu sollicités se montrent très puissants et d’un bel ensemble, mais on aurait espéré juste un peu plus de finesse dans le Te Deum. La Maîtrise des Hauts-de-Seine sonne de belle manière.

Acte III

Acte III

La distribution réunie ici est de très haut niveau. Tous les petits rôles sont déjà particulièrement bien distribués. Le jeune berger s’acquitte bien de son petit air sans trop de faussetés. Saluons particulièrement le Spoletta de Carlo Bosi et le Angelotti de Wojtek Smilek. Le premier possède ce timbre de ténor acéré qui convient à l’espion, alors que le deuxième se montre sonore et beau de timbre.

Acte I : Ludovic Tézier (Scarpia)

Acte I : Ludovic Tézier (Scarpia)

Mais bien sûr, ce sont les trois rôles principaux qui retiennent toute l’attention. Ludovic Tézier effectue ici sa prise de rôle pour ce personnage si charismatique. Plus habitué à des rôles assez positifs, Tézier devait se montrer sous un autre jour. Et dès l’entrée le personnage prend forme. La prestance du chanteur impose immédiatement un Scarpia fier, hautin et vif. Ce n’est pas une brute sanguinaire, mais un noble puissant. Le deuxième acte le trouve encore plus impressionnant sur scène. A l’aise, passant d’un fauteuil à l’autre se promenant dans son salon en menaçant de torture Cavaradossi sans frémir, se jetant sur Tosca comme une bête… tout est là pour faire un Scarpia froid, calculateur. Et vocalement il est impressionnant de le voir assumer aussi facilement ce rôle sans jamais forcer. Le premier acte le trouve peut-être légèrement un peu en retrait d’un point de vue projection, avec par exemple un Te Deum où il est noyé par le chÅ“ur. Mais la voix claque, sonne, séduit… et l’acte suivant est encore plus abouti avec des nuances parfaites, une subtilité menaçante qui impressionne et fait froid dans le dos. Car avec cette voix assez belle et particulièrement fluide, le baryton français réussit à rendre ce Scarpia presque séduisant malgré la menace qui plane toujours au détour d’un phrasé par un accent ou une nuance. Le « Ebbene » par exemple hante longtemps l’oreille avec cette séduction menaçante qui plane… Superbe prestation en tout cas !

Acte II : Martina Serafin (Tosca)

Acte II : Martina Serafin (Tosca)

Martina Serafin était déjà Tosca lors de la précédente reprise de l’Å“uvre. Comme alors, la voix est glorieuse dans le medium et le grave, le personnage très présent… mais l’aigu se fait de plus en plus tendu alors que la partition avance. Cette Tosca est une maitresse femme, très impressionnante par certains côtés, mais son chant manque d’un petit quelque chose de frémissant, de nuancé pour tout à fait convaincre. On sent la chanteuse habitué au répertoire, mais sa voix a quelque chose qui n’arrive pas totalement à me convaincre en Tosca. Alors bien sûr, sa prestation est très bonne… mais malheureusement pour elle, elle est confrontée à deux chanteurs qui sont plus marquant et totalement logiques dans leurs rôles, surtout le Cavaradossi de Marcelo Alvarez ! Et du coup la soprano se retrouve un peu dans l’ombre, moins musicale et nuancée… Catherine Naglestad aurait été beaucoup plus en accord avec ses deux partenaires par exemple…

Acte III : Martina Serafin (Tosca) - Marcelo Alvarez (Cavaradossi)

Acte III : Martina Serafin (Tosca) – Marcelo Alvarez (Cavaradossi)

Car oui, si il y a bien un grand triomphateur dans ce spectacle, c’est Marcelo Alvarez. A 52 ans, et après 20 ans de carrières, on se demande encore jusqu’où ira ce ténor ! Car s’il a eu un petit passage où la voix semblait légèrement diminuée, depuis quelques années le ténor se montre d’une générosité et d’une musicalité vraiment magistrale ! A Paris il a donné à entendre ces dernières années les personnages de Radamès, Andrea Chénier ou Don Alvaro et à chaque fois le ténor se montre subtile, musical, grandiose et d’une beauté vocale assez sidérante. Ici encore, son Cavaradossi fait merveille, inventant des nuances jamais entendues. Le souffle est long, l’aigu glorieux, les demi-teintes totalement splendides… Alvarez se montre ici dans une forme magistrale et nous émerveille à chaque phrasé et chaque nuance. Dès son premier air il nous montre sa maîtrise, mais l’air du troisième acte est totalement grandiose de maîtrise et de nuances. Comment peut-on encore ré-inventer ainsi un air si connu et le rendre si logique ? Même en passant après des grands habitués du rôle, Marcelo Alvarez se rend totalement évident et en même temps d’une originalité jamais vue. Peu d’effet puissants, mais des passages en voix mixte, de la délicatesse… et sans jamais forcer ou donner un effet malvenu tout en nous donnait un « Vittoria! » impressionnant d’éclat!. Car c’est aussi la force de Marcelo Alvarez : faire vivre le personnage avec une probité vocale extrême sans aucun vérisme dans son interprétation et même avec un art des nuances qui aurait peu faire précieux mais devient limpide et logique ici. Difficile de revenir sur terre après une telle prestation. On ne sait où Marcelo Alvarez va s’arrêter dans son évolution, mais depuis quelques années, il a gagné en liberté expressive et musicale pour nous ravir à chaque note!

Acte III : Martina Serafin (Tosca)

Acte III : Martina Serafin (Tosca)

Donc cette série de Tosca est une grande réussite avec cette première distribution. Déjà la mise en scène est très belle et bien réalisée, mais en plus l’équipe musicale réunie est de premier ordre. Martina Serafin reste peut-être légèrement en deçà de ses deux partenaires, mais la prestation extraordinaire d’Alvarez ferait de l’ombre aux plus grandes… alors que Tézier se montre lui aussi très impressionnant. Une grande soirée donc qu’on espère être immortalisée.

La production a été filmée et est disponible sur Culturebox :

http://culturebox.francetvinfo.fr/live/musique/opera/la-tosca-de-puccini-a-lopera-bastille-194187.

  • Paris
  • Opéra Bastille
  • 19 octobre 2014
  • Giacomo Puccini (1858-1924), Tosca, Melodramme en trois actes
  • Mise en scène, Pierre Audi ; Décors, Christof Hetzer ; Costumes, Robby Duiveman ; Lumières, Jean Kalman ; Dramaturgie, Klaus Sertisch
  • Floria Tosca, Martina Serafin ; Mario Cavaradossi, Marcelo Alvarez ; Scarpia, Ludovic Tézier ; Cesare Angelotti, Wojtek Smilek ; Spoletta, Carlo Bosi ; André Heyboer, Sciarrone ; Il Sagrestano, Francis Dudziak ; Un Carceriere, Andrea Nelli
  • ChÅ“ur de l’Opéra National de Paris, Maîtrise des Hauts-de-Seine
  • Orchestre de l’Opéra National de Paris
  • Daniel Oren, direction

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