Il y a quatre mois, j’étais à l’Opéra-Comique pour la Dame Blanche… dernier concert avant le début du confinement. Quel plaisir aussi de retrouver cette magnifique salle même si c’est pour un concert de moindre envergure qu’un opéra complet mis en scène. En mars 2019 était créé pour la salle Bizet le Cabaret Horrifique de Valérie Lesort. Conçu pour cette petite salle qui n’a rien d’une salle de concert mais plus une salle de présentation, il nécessitait une petite révision pour passer sur la scène de la grande salle, ou plutôt dans la grande salle. En effet pour faciliter le placement du public dans ce contexte compliqué la situation est inversée. Les spectateurs se retrouvent sur scène alors que les artistes sont sur la fausse d’orchestre rehaussée. Nous voilà emmenés dans le monde étrange et foutraque de la conceptrice de ce spectacle. À travers une promenade dans un répertoire très large, nous voici au pays des sorcières et des monstres, passant du baroque au cabaret avec un même plaisir !
Le public est forcément réduit pour ces quelques représentations et au final c’est une centaine de personnes qui attendent devant les portes de la Salle Favart, impatients de retrouver les joies du concert vivant. Bien sûr, les masques sont de sortie… et en montant l’escalier on remarque que non seulement il faut marcher de préférence au centre afin d’éviter de toucher la rampe d’escalier, mais aussi nous avons un cheminement sur la mosaïque où il faut suivre les têtes de mort afin d’accéder à un escalier au fond du corridor. Un ouvreur va alors nous asperger d’une fumée… mise en scène ou précaution sanitaire ? En entrant ensuite dans les parties habituellement non publiques, voici une petite table où sont disposées des flûtes de champagne pour chaque spectateur. Puis on se retourne… et le spectacle commence : juste après la porte qui mène à la scène, un cadavre entouré de plastique tombe des cintres pour accueillir le public. Puis chacun s’installe, en laissant une place libre entre chaque groupe mais avec la possibilité d’enlever son masque non seulement pour boire le verre mais aussi pour l’ensemble du concert. Et enfin, le rideau se lève, permettant une vue assez inédite sur la salle Favart après avoir eu l’occasion d’admirer aussi le fond de scène superbe tout en brique et en métal…
Un piano sur lequel se trouvent quelques ustensiles comme un chandelier… et un flacon de gel hydro-alcoolique ! Car tout au long du spectacle, le respect des gestes barrières sont bien sûr appliqués ! Valérie Lesort arrive grimée en monstre… et tout au long de la soirée elle ne fera rien d’autre que des bruitages, le vent, les sabots d’un cheval, le bruit de branches… sa présence est superbe et se montre à la fois glaçante et drôle ! Puis vient Marine Thoreau La Salle, habillée d’un chemisier blanc, avec un chignon et des lunettes, portrait parfait de la pianiste coincée. Et commence la musique… du Duparc alors qu’il n’était pas noté sur le programme… puis arrive Lionel Peintre comme sorti de sa tombe avec son masque de rigueur rapidement jeté à terre… et voilà qu’il entonne La Salsa du Démon toujours sur le piano de L’invitation au Voyage. La superposition de ces deux morceaux est assez savoureuse et nous plonge bien dans l’ambiance de la soirée ! Puis Lionel Peintre continue sur une mélodie avant que n’arrive Judith Fa pour un Haendel furieux, à tel point qu’après avoir lavé avec beaucoup de soin ses mains la voici qui se rapproche de la pianiste, l’étrangle, la jette à terre… et se mets au piano pour chanter Nosferatu avec le même talent que le Haendel ! La vocalise comme la gouaille lui vont comme un gant ! Les airs s’enchaînent avec La Danse Macabre qui voit le baryton se promener sur le premier balcon de la salle alors que la pianiste a repris son rôle. La variété des accents de cette pièce va parfaitement au chanteur tout comme l’air du Feu de l’Enfant et les Sortilèges qui permet à la soprano de briller de mille feux ! Comme on peut le voir, tout est parfaitement rodé, avec des enchaînements aussi drôles que les airs.
La pauvre pianiste aura droit à tout subir comme par exemple Lionel Peintre qui va lui fracasser une bouteille sur le crâne avant de pouvoir prendre sa place, de nettoyer le clavier touche par touche avec des lingettes désinfectantes… et se lancer dans un Misères de la plus belle eaux ! Avant il y avait eu aussi par exemple Le Roi des Aulnes pour être plus sérieux… On passera ensuite par Le Fantôme de l’Opéra en duo où la pauvre pianiste se verra arracher le cœur… Judith Fa reviendra pour le Tango stupéfiant parfaitement incarné avant une Folie de Platée certes tronquée, mais assumé crânement ! Puis le duo d’Armide avant un air du Froid… Et une dernière surprise ! Voici un cercueil qui entre en scène et d’où sort un Mickeal Jackson et voici que nous aurons droit à une belle danse de Thriller où tous participent avec la même folie burlesque !
Voici un déroulé certes résumé, mais qui essaye de dépeindre l’ambiance créée par Valérie Lesort ! La partie musicale est de très bonne qualité déjà avec une Marine Thoreau La Salle qui se sort aussi bien de Lully que d’une chanson humoristique. Très impliquée dans la mise en scène, elle offre un cadre parfait pour soutenir les chanteurs. Judith Fa se montre impressionnante d’aisance là aussi de par la variété des styles qu’elle aborde, mais aussi par le respect du style. Son Armide par exemple est parfaitement en place alors qu’elle se permet aussi un {Tango stupéfiant} superlatif. Lionel Peintre est lui aussi très impliqué mais là où la voix de Judith Fa se montre d’une grande stabilité, le baryton donne à entendre une voix légèrement dégradée. Elle manque parfois de stabilité et si le côté drolatique lui permet d’appuyer ces accros du temps sur le timbre, le Schubert par exemple manque un peu de rondeur et de tenue pour parfaitement convaincre.
Au final, le concert aura été splendide… un vrai bonheur de retrouver l’atmosphère du concert et surtout de rire sans penser à rien d’autre qu’à la qualité de ce que l’on a entendu ! Voilà un premier retour en salle qui donne le sourie et qui montre encore une fois combien l’Opéra-Comique est dynamique !
- Paris
- Opéra-Comique
- 1er juillet 2020
- Xavier Thibault (1950), La Salsa du Démon
- Jean Cras (1879-1932), Cinq Robaiyat : Serviteurs n’apportez pas les lampes
- Georg Friedrich Haendel (1685-1759), Rinaldo : « Furie terribili »
- Marie Paule Bell (1946), Nosferatu
- Camille Saint-Saëns (1835-1921), La Danse Macabre
- Maurice Ravel (1875-1937), L’Enfant et les sortilèges : L’air du feu
- Kurt Weill (1900-1950), Alabama Song
- Charles Gounod (1818-1893), Faust : Prélude de la scène de l’église
- Boris Vian (1920-1959), Le tango des joyeux bouchers
- Kurt Weill (1900-1950), Le grand Lustucru
- Franz Schubert (1797-1828), Le roi des aulnes
- Michel Colucci (1944-1986), Misère
- Andrew Lloyd Webber (1948), Le fantôme de l’Opéra
- Marie Dubas (1894-1972), Le tango stupéfiant
- Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Platée : Air de la Folie
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Armide : Duo entre Armide et Hidraot
- Henry Purcell (1659-1695) : King Arthur : Air du Froid
- Judith Fa, soprano
- Lionel Peintre, baryton
- Valérie Lesort, bruitages et mise en espace
- Marine Thoreau La Salle, piano