La venue d’Anna Netrebko à Paris est toujours un grand événement… La dernière fois elle avait enchanté la Salle Pleyel avec Iolanta en version de concert. Elle nous revient avec un programme entièrement italien, la première partie consacrée à Verdi et la deuxième voit se cotoyer Puccini et ses contemporains. Riccardo Massi la rejoint pour deux duos qui ferment chacune des parties. Complet, le Théâtre des Champs Elysées était totalement conquis par avance mais le triomphe final était à la hauteur du chant d’une grande soprano.
La première partie alterne pièces orchestrales et pièces chantées. On fera donc dans un premier temps un point sur l’orchestre et la direction. Massimo Zanetti sait très bien mener l’orchestre même si certains passages sonnent un peu martiaux. Le chef donne beaucoup d’énergie et fait avancer l’orchestre sans jamais laisser retomber la tension. Son ouverture de la Forza la démonstration pure pour apporter beaucoup de détails et des attaques précises au cordes alors que l’intermezzo de Pagliacci prend toute sa douceur avant de se développer vers beaucoup d’émotions. Par contre, on pourra noter un certain nombre de décalages et même de fausses notes. Donc un orchestre plutôt satisfaisant pour ce genre d’exercice. Et les décalages ne sont pas forcément du fait de l’orchestre ou du chef car Anna Netrebko n’aide pas à la mise en place.
Dès son entrée, Anna Netrebko s’impose comme la directrice de cette soirée. Car ce n’est pas Zanetti qui donne le tempo, ce n’est pas l’orchestre qui domine la scène… Netrebko se déplace librement sur tout l’avant scène bien dégagé et elle se permet de liberté avec le tempo que le chef a toutes les peines du monde à récupérer à son orchestre. Tout le monde était venu pour la grande soprano et c’est en effet une grande démonstration de théâtre et de chant. La voix est toujours aussi somptueuse et la présence théâtrale souveraine. Pour chaque air la soprano donne vie au personnage quelque soit la situation, alternant le romantisme de Leonora à la hargne de Lady Macbeth dès le début.
Sur le déroulement de la soirée, on notera un début un peu léger avec Il Trovatore. L’air de Leonora ne flatte pas vraiment la voix un peu froide de la soprano russe : les trilles sont esquissées, le chant est un peu anarchique… mais le souffle et le galbe sont là . Dès l’air de Lady Macbeth, on entre dans une toute autre dimension. Ici la voix gronde, vibre, tonne… l’aigu sait se faire puissant (là ou le pianissimo de Il Trovatore s’était brisé en cours de route), le grave est somptueux et cette Lady a un tempérament de feu. Pour le duo d’Otello qui suit, la Desdemona retrouve le romantisme mais pour une écriture qui met beaucoup plus en valeur sa voix : ronde et généreuse… sensuelle en fait. Pour la suite du récital permet à la soprano de laisser libre court à divers émotions dans un répertoire plus proche du vérisme. La partie s’ouvre donc sur Manon Lescaut de Puccini et on trouve ici une incarnation qui promet d’être grandiose. Personnage déjà complet avec sa coquetterie et sa passion, Anna Netrebko se montre totalement impliquée avec un jeu déjà bien développé. Mais entre les deux extraits de cette Manon, il y a donc Adriana Lecouvreur somptueuse de ligne… mais avant tout l’extrait d’Andrea Chénier. Et là , on touche au grandiose tant la voix se coule dans l’air sans soucis, flattant le grave magnifique, laissant s’envoler l’aigu lors de grands cescendo… On tremble et on souffre pour elle alors que l’air est isolé de tout contexte dramatique. L’unique bis verra une Rusalka beaucoup plus affinée et nuancée que ce qu’elle avait enregistré il y a des années : chaque reprise est ciselée et différente avec toujours cette belle ampleur de voix. Parc contre, déception pour ma part puisque Mefistofele de Boito et La Wally de Catalani sont remplacés par l’unique Adriana Lecouvreur de Cilea. Un programme donc raccourci et qui n’est pas relevé par quelques bis.
Pour accompagner notre soprano star, Riccardo Massi avait la lourde tache d’incarner Otello et Des Grieux… Malheureusement pour lui, je ne pense pas que ces deux rôles soient tout indiqués pour le ténor : cela le force trop souvent à forcer son registre grave et à assombrir la voix. Pourtant le haut de la tessiture est superbe et lyrique. Mais sa participation reste correcte même si il se fait régulièrement manger par sa partenaire.
Des années après ses débuts, Anna Netrebko continue à se développer et la voix à évoluer. Alors qu’il y a quelques années elle semblait destinée au bel-canto romantique, le programme de ce soir la montre terriblement à l’aise dans la période vériste italienne. La voix ayant encore gagné en largeur et le grave se trouvant toujours plus sonore, Anna Netrebko peut se permettre toutes les nuances du piano au forte sans jamais que la voix ne se dérobe. Grande et superbe, Anna Netrebko mérite bien son statu de diva actuellement. Voix somptueuse, présence généreuse, aisance… tout est là pour un récital qui ne respire pas l’originalité, mais qui est réalisé avec un bel aplomb et une aisance magnifique.
- Paris
- Théâtre des Champs Élysées
- 12 juillet 2014
- Giuseppe Verdi (1814-1901), La Forza del Destino : Ouverture ; Il Trovatore : Tacea la notte placido… Di Tale amor che dirsi ; Luisa Miller : Sinfonia ; Macbeth : La luce langue ; La Traviata : Prélude ; Otello : Gia nella notte densa
- Giacomo Puccini (1858-1924), Manon Lescaut : In quelle trine morbide – Intermezzo – Oh, saro la piu bella… Tu, tu amore tu
- Umberto Giordano (1867-1948), Andrea Chénier : La mama morta
- Francesco Ciela (1856-1950), Adriana Lecouvreur : Ecco, respira appena
- Anton Dvorak (1841-1904), Rusalka : Hymne à la lune
- Anna Netrebko, soprano
- Riccardo Massi, ténor
- Janacek Philharmonic Ostrava
- Massimo Zanetti, direction