Au milieu des grands noms de pharaons que sont Ramsès II, Djézer ou Cléopâtre, se trouve un nom qui a fait rêver et fantasmer beaucoup de monde : Akhenaton. Comment un seul homme peut avoir bouleversé à lui seul la grande structure pharaonique ? On a entendu beaucoup de choses sur lui, certains y voyant un précurseur du christianisme, d’autre un mystique forcené, d’autre un homme souffreteux… Beaucoup d’interprétations qui ont évolué au fur et à mesure de la découverte des documents datant de son règne, souvent pour se coller à l’époque : dans les années soixante on a même été jusqu’à voir en Akhenaton un baba-cool avant l’heure ! Avec ce livre, Dimitri Laboury a écrit une « biographie archéologique » selon ses termes, s’appuyant sur les différents témoignages existant et essayant d’être le plus objectif possible. Il en résulte un livre qui peut être un peu frustrant car il enlève toute la légende pour nous montrer des faits avant tout, mais la démarche est passionnante et nous révèle un pharaon hérétique loin du portrait habituellement montré.
Le livre s’articule en cinq grands chapitres. Dans un premier temps Dimitri Laboury nous raconte la découverte du pharaon et l’évolution des interprétations qui ont été données à son règne. Ensuite on assiste à l’enfance de celui qui est encore le petit Prince Amenhotep, fils d’Amenhotep III. Arrive la « découverte d’Aton » c’est à dire les premières années du règne où va se mettre en place le principe de cette nouvelle religion. De ceci découle un chapitre sur le culte : les nouveaux temples, le nouvel art, les principes théologiques… Enfin on arrive dans la deuxième partie du règne avec le développement de la nouvelle capitale Akhet-Aton et la fin du règne. Pour clore le livre, un passage est développé sur l’héritage d’Akhenaton avec ses successeurs et l’effacement qui aura lieu rapidement.
Au final, on apprend beaucoup et surtout on découvre un Akhenaton très différente du mythe ! Déjà on découvre que ce changement de religion n’est pas lié à un mystique mais bien à un grand politique. Ce changement de divinité royale est une réponse à la puissance du clergé d’Amon-Ré alors que depuis quelques temps la place du soleil dans la religion est de plus en plus forte. Akhenaton renforce donc cette divinité solaire tout en enlevant son pouvoir au clergé. On ne sait pas quel a été l’élément déclencheur pour cette « sanction » mais en tout cas le message est clair puisque Amenhotep IV (il n’a pas encore changé de non) va implanter le centre de ce nouveau dieu dans la ville même du dieu Amon, lui construisant un temple aux proportions grandioses, pied de nez au pouvoir d’Amon-Ré. Pour ces grands travaux, il fédère tout le peuple en appelant à la participation de tous, développe de nouvelles techniques de constructions (les fameux Talatats, pierres de dimensions standard pouvant être portée par un homme) et surtout il se pose en véritable dieu vivant. Là aussi cette tendance était marquée depuis quelques temps chez les pharaons, mais avec sa nouvelle religion, Akhenaton enlève le pouvoir religieux que possédaient les Grands Prêtres puisqu’il devient lui-même le Grand-Prêtre d’Aton, le servant principal. C’est par sa bouche que le dieu s’exprime et cela supprime donc une partie de la contestation possible. Par ces changements, l’apparition progressive d’Aton et son évolution au cours de premières années du règne, sa politique de continuité vis-à -vis de celle de son père, Akhénaton s’impose non pas comme un illuminé mais plutôt comme un vrai homme politique.
Et tout dans ces innovations va renforcer son pouvoir, même son mariage, l’évolution des arts ou bien sûr sa nouvelle capitale. La belle Néfertiti joue le rôle de divinité secondaire face au roi. Son portrait répond à des normes et une vision idéale plutôt qu’une vraie réalité (l’étude des profiles du roi et de la reine montrent combien ce sont des images construites tant elles sont similaires), et tout la vie de cette famille royale est mise en scène, remplaçant la vie des dieux de la religion traditionnelle. L’art donc a principalement pour fonction de véhiculer une image divine de la vie du Pharaon. Et de même la nouvelle capitale en est le temple puisque les déplacements du roi y sont sacralisé, remplaçant les sorties des barques divines par la procession du roi sur la voie royale pour aller de son palais vers le centre de la ville, entrainant à sa suite petit à petit les puissants sous les acclamations de la foule.
On lui a aussi souvent reproché d’avoir vécu enfermé dans sa capitale, sacrifiant les territoires conquis par un manque de réaction militaire. En effet il a subit un gros échec face aux Hittites… mais la période était particulièrement trouble dans le proche orient où les équilibres construits par ses ancêtres étaient en train de s’effondrer avec la montée en puissance des Hittites. La diplomatie était très active, Akhenaton se montrant particulièrement subtile et presque machiavélique dans sa façon de manÅ“uvrer les ambitions des différents rois sous son influence. Mais toutes ces tractations ne seront pas suffisantes. Et un autre aspect est à souligner d’un point de vue international, c’est la grande épidémie de peste qui va se répandre durant près de vingt ans sur l’Égypte ainsi que le moyen orient. Les rois sont touchés et du coup les alliances s’en trouvent affaiblies.
Cette peste justement sera sûrement la cause de la mort d’un grand nombre de personnes de la famille royale durant les dernières années du règne d’Akhenaton. Sa mère, deux de ses filles, sa femme… et peut-être lui-même qui meurt au bout de 17 années de règne à une trentaine d’année (on ne sait pas exactement quand le prince Amenhotep est né).
Nous n’avons que très peu d’informations sur le peuple égyptien à l’époque, mais il semble clair que la révolution atoniste était principalement effective à la cours. En effet si les grands temples de Thèbes ont été fermés et martelés, il n’en est rien dans le reste de l’Égypte où le peuple continue à adorer les dieux traditionnels. Même à Akhet-Aton on a retrouvé des amulettes traditionnelles. Ce n’était donc pas une révolution complète soumettant le peuple, mais bien une récupération du pouvoir par Akhenaton. Le travail de destruction de l’œuvre du pharaon montrera beaucoup plus de violence.
Sa succession est difficile puisqu’il ne laisse que trois enfants : deux filles et un fils très jeune (le futur Toutankhamon). C’est l’ainée Mérytaton qui prendra la succession de son père, après avoir joué le rôle symbolique de Grande Épouse Royale après la mort de Néfertiti. On ne sait pas exactement si elle prit elle même le titre de Pharaon où si elle couronna le fils du roi Hittite qu’elle avait demandé comme époux. Son jeune frère qu’elle avait écarté du trône reprendra sa place peu de temps après, puis ce sera un fidèle d’Akhenaton, Aÿ… et finalement Horemheb pour clore la XVIIIème dynastie. C’est sous Mérytaton que les persécutions contre le Pharaon Hérétique vont commencer même si Toutankhamon prendra beaucoup de soin à effacer toute trace de sa sÅ“ur. Horemheb ira lui jusqu’à nier l’existence de pharaons entre lui et Amenhotep III. L’arrivée de la nouvelle dynastie finira d’essayer d’effacer toute trace d’Akhenaton, démantelant ses monuments et abandonnant totalement sa capitale (déjà abandonnée sous Mérytaton).
D’un point de vue lecture, il faut bien avouer que ce livre n’est pas forcément des plus faciles d’accès. Beaucoup de démonstration, des passages fragmentaires, une documentation énorme… et un refus du roman historique complète. L’avantage est qu’on a une vision a priori assez objective de cette période qui a suscité tant de fantasmes. Et en ayant lu des livres généralistes sur l’Égypte ancienne, l’accès en est tout à fait possible. Difficile d’extraire toutes les informations contenues (notamment dans la centaine de pages de notes) mais Dimitri Laboury synthétise toujours en fin de chapitre afin de clarifier dans l’esprit du lecteur toutes les hypothèses mises en place par l’étude des restes archéologiques.
Un livre donc particulièrement riche, intéressant et au final abordable par des amateurs loin d’être des spécialistes. On y découvre certes un homme qui confisque tous les pouvoirs et cherche par tous les moyens à les renforcer, mais on comprend surtout que cette attitude est liée à des conflits de cours avant tout et que c’est face au pouvoir des religieux et des courtisans qu’il s’affirme. Le preuve en est que juste après sa mort, les anciens pouvoirs vont s’affirmer auprès des jeunes successeurs pour détruire toute l’œuvre d’Akhenaton.
- Dimitri Laboury : Akhenaton
- Collection : Les Grands Pharaons
- Éditions Pygmalion
- 478 pages
- ISBN 978-2-7564-0043-3