Le Palazzetto Bru Zane fait beaucoup parler de lui pour les opéras qu’il remet en lumière… mais il y aussi un la mélodie français qu’il sait faire briller. En effet, depuis quelques années, Tassis Christoyannis a pu enregistrer sous l’égide de la fondation plusieurs disques de mélodies : Félicien David, Édouard Lalo, Benjamin Godard, Camille Saint-Saëns, Fernand de la Tombelle… et finalement Charles Gounod en cette année anniversaire. Il était logique de rendre hommage à cette production si importante dans la vie musicale du compositeur. Car c’est avec ses mélodies qu’il se fera un nom au tout départ. Et bon nombre de compositeurs ou musicologues n’hésitent pas à dire qu’il est le père de la mélodie français, peut-être plus qu’Hector Berlioz. Car chez Gounod il y a, pour ces mélodies comme pour les opéras, un grand travail pour que la ligne musicale laisse respirer le texte, que cette mélodie soit avant tout une mise en valeur du poème. Avec plus de 170 mélodies à son catalogue, le compositeur a aussi la particularité d’en avoir composé près du tiers en anglais, alors que nous avons aussi quelques mélodies en italien, allemand ou espagnol.
Le programme choisi par Tassis Christoyannis et Jeff Cohen nous donne un beau panorama de ces mélodies. En donnant la priorité à la mélodie française, il n’oublie pas de faire quelques incursions dans l’anglais et l’italien. De même, nous balayons l’ensemble de la période créatrice du compositeur pour cet ouvrage avec « Où voulez-vous aller ? » qui date de novembre 1839 alors que « À une jeune Grecque » date de 1885 (voir 1891). Le compositeur a cherché ses poètes de différentes façons. Si au début de sa carrière, il privilégie les grands auteurs dramatiques (Victor Hugo ou Théophile Gautier par exemple), il s’appuiera par la suite beaucoup sur ses collaborateurs d’opéra que sont Jules Barbier ou Émile Augier entre autre. Bien sûr, les mélodies anglaises sont d’autres auteurs… mais elles répondent aussi à d’autres circonstances. Expatrié en Angleterre, c’est sous la pression de Georgina Weldon qu’il composa : il devait « payer » son logement et permettre ainsi à sa protectrice de briller dans la société.
La discographie des mélodies de Charles Gounod n’est pas pléthorique et est largement dominée par le superbe double disque chanté par Felicity Lott, Ann Murray et Anthony Rolfe Johnson (chez Hyperion). Ces trois artistes nous proposaient un superbe bouquet de mélodies avec un disque consacré à la partie française des compositions, et un deuxième disque qui réunissait le cycle italien Biondina et des mélodies anglaises. Deux femmes ainsi se partageaient les mélodies françaises et anglaises, alors que le ténor chantait le cycle italien. Nous avions eu quelques autres disques bien sûr, mais rien de particulièrement marquant. Voir ce disque chanté par un baryton est un vrai bonheur car non seulement il nous offre de nouvelles mélodies, mais il nous propose aussi des interprétations différentes.
Tassis Christoyannis est un spécialiste des mélodies françaises et l’a prouvé par les nombreux disques chez Aparté. Il se montre ici encore d’une qualité sidérante. Le timbre est toujours aussi beau et la prononciation parfaite et précise. Tout juste peut-on noter un léger vibrato par moments dans les mélodies les plus lyriques (La Chanson du Pêcheur par exemple, dont la mélodie sera utilisée par la suite par Gounod pour les Stances de Sapho). On ne peut qu’admirer le phrasé, l’aisance dans les différentes langues. Charles Gounod a toujours eu soin dans ses mélodies de mettre en avant le texte et de créer une mélodie qui s’adapte au rythme du poème avant tout. Et cette qualité est parfaitement rendue par le baryton. Loin de la mélodie de salon, il donne toute la profondeur à ces pièces et là où nos deux anglophones avaient une certaine distance, le grec montre au contraire tous les affects possibles. Que ce soit la douceur de Medjé ou la profondeur de Ma belle amie est morte, tout est rendue avec justesse.
Pour l’accompagner, Jeff Cohen est comme toujours d’une grande rigueur mais aussi très musicien. Il accompagne parfaitement le chanteur tout en donnant vie à la partition souvent chantante et allante proposée par Charles Gounod.
Déjà remarquables dans les disques consacrés aux différents autres compositeurs, les deux musiciens nous offrent ici un superbe disque. Charles Gounod est montré sous son meilleur jour et ce disque vient compléter avec bonheur la vision plus légère du quatuor composé par Felicity Lott, Ann Murray, Anthony Rolfe Johnson et Graham Johnson.
- Charles Gounod (1818-1893), Ma Belle Amie est morte ; Prière ; Medjé ; Le Souvenir ; Ce que je suis sans toi ; La Chanson du pêcheur ; Heureux sera le jour ; Tombez, mes ailes !; Je ne puis espérer ; Ô ma belle rebelle ; Primavera ; Quanti mai !; Venise ; Si vous n’ouvrez votre fenêtre ; Sérénade ; Où voulez-vous aller ?; Aubade ; Le Banc de pierre ; Au printemps ; À une jeune Grecque ; Maid of Athens ; Good Night ; Sweet baby, sleep ; Départ
- Tassis Christoyannis, baryton
- Jeff Cohen, piano
- 1cd Aparté, AP181. Enregistré au Palazzetto Bru Zane à Venise, du 18 au 21 décembre 2017.
Bonjour, Erik!
(Il est chouette, ton blog!)
J’avais beaucoup aimé le disque Saint-Saëns des mêmes Christoyannis et Cohen; musicalement, ces mélodies, c’est plutôt le Gounod près de la déclamation de Cinq-Mars ou celui de l’écriture vocale plus «instrumentale» des grands tubes opératiques?
Bonjour et merci!!
Les mélodies de Gounod ne sont pas trop opératiques (en dehors de quelques rares… je dirais deux ou trois dans ce disque). Elles sont toujours très centrées sur le texte, sans grandes envolées… A ce titre, on est en effet plus proche de Cinq-Mars (sans le drame bien sûr) par la simplicité du langage.
Ça y est, j’ai écouté ça avec énormément de plaisir (j’en ai parlé sur classik: http://classik.forumactif.com/t1412p200-charles-gounod-1818-1893#1127316 ) Grand merci pour la recommandation!