Alors qu’elle n’était pas encore la star qu’elle est aujourd’hui, Diana Damrau chantait Salieri, Mozart… et Meyerbeer ! Elle a même avoué qu’elle souhaitait depuis longtemps enregistrer un disque consacré à ce compositeur, cherchant dans ses différents opéras qu’ils soient français, italiens ou allemands ! Et c’est donc ce récital qui est sorti il y a quelques semaines… et voici que la chanteuse vient sur la scène de la Philharmonie de Paris non pas pour juste nous offrir une interprétation en direct d’airs extraits de ce disque… non… comme elle l’avait fait à Rome il y a quelques années, elle confronte Meyerbeer à ses contemporains, pour en montrer la richesse et ce qu’ils lui doivent pour certains. Même des noms comme Verdi au final ont été influencés par les partitions de ce compositeur. En pleine forme, voir même trop, Diana Damrau est venu prendre la scène et offrir un grand spectacle au public.
Depuis quelques années, il semble que la chanteuse allemande se libère de plus en plus sur scène, que ce soit pour des prestations scéniques ou pour les récitals. Et ce soir, elle semble en grande forme tant elle va nous offrir un grand spectacle à tous points de vue. Pour chacun des airs, Diana Damrau propose un petit jeu de scène en lien avec la situation. On la verra jouer le petit page, s’amuser avec son ombre ou encore jouer les grandes coquettes dès son entrée sur scène. Et d’un autre côté, le drame la trouvera très éprouvée, sanglotante ou tremblante. Alors on ne peut nier qu’il y ait un vrai travail et un vrai naturel dans tous ces gestes. Mais on peut aussi se demander si cela n’est pas un peu trop. Car aux gestes répondent la voix qui en devient aussi expressive et un peu déformée : les valeurs de notes changent, la voix se réfugie dans des effets un peu véristes… tout cela est certes très marquant et marche très bien, mais d’un point de vue musical par contre on ne retrouve pas la partition telle qu’elle a été écrite tant pour les nuances que pour les rythmes.
On soulignera par contre l’intérêt du programme, non seulement pour les airs chantés, mais aussi pour les parties orchestrales obligées ! En effet, on a l’habitude d’entendre toujours les mêmes partitions connues. Ici, le chef est allé chercher dans les différents styles de l’époque, avec des ouvertures et des passages de danse. Pour Verdi par exemple, il est intéressant d’entendre l’ouverture d’Un giorno di regno ! De même, une rare partition de Chabrier, du Hérold… Alors on pourra regretter une direction de Lukasz Borowicz un peu violente et sur-énergique, mais à côté de ce petit défaut qui fait ressembler du Verdi à de l’Offenbach, on a un très beau fini et une grande lisibilité des différentes parties de l’orchestre, certains instruments parfaitement mis en avant dans l’Orchestre National de Lille en grande forme.
Le récital se découpe en deux parties, avec pour chacune une ambiance très différente. Dès son entrée sur scène Diana Damrau semble pleine d’énergie pour son début. Et en effet, l’air d’Urbain des Huguenots la trouve pleine de verve, jouant le page avec un petit papier à remettre. Elle s’amuse à donner beaucoup de théâtralité dans son chant, à varier les couleurs… mais en fait un peu trop. Ce n’est plus le page espiègle là mais vraiment le page auquel on donnerait une claque tant elle charge le personnage. Vocalement, le rôle ne flatte pas ses meilleures notes avec en particulier un grave trop poitriné par moments. Mais le public rit car il faut bien l’avouer, on finit par se réjouir de ce numéro. Heureusement, l’air suivant extrait du Pardon de Ploërmel devrait être plus sérieux… sauf que Diana Damrau en fait un air comique là aussi : elle joue avec sa robe, fait des petits mouvements pour voir si son ombre légère la suit, tourne sur elle même, joue la détresse puis le rire… Impressionnant tout de même car malgré toutes ses pitreries, elle conserve une technique assez imparable, où la virtuosité n’est jamais prise en défaut. Le style manque un peu de fraîcheur et de naïveté (Dinorah est en effet plutôt une courtisane ici qu’une jeune fille de la campagne!), mais on est emporté. Avec ces deux premiers airs, on ne peut pas espérer un air de Manon sobre. Et en effet, dès son entrée sur la scène, elle se montre en diva. Et tout l’air sera traité ainsi… mais cela convient beaucoup mieux au rôle que pour Dinorah. Mais brusquement, au milieu de toute cette débauche d’énergie et de folie grisante… on découvre un moment de trouble, un moment de détresse même avant que ne reprenne cette ode à l’insouciance. Là encore, la voix est assez impressionnante d’aisance même si le sur-aigu est un peu tiré et difficile. Autre petite déception : le texte est souvent noyé et peu audible. Elle qui sait proposer un français assez parfait semblait peu concernée par le texte ici. Mais la salle n’aide pas et devant la largeur et la projection de cette voix, on peut comprendre que le texte ne soit pas très clair.
La deuxième partie est plus dramatique et dès le premier air en italien de Meyerbeer, on trouve une Diana Damrau beaucoup plus sobre dans son comportement mais aussi son chant. L’air n’est pas le plus passionnant du compositeur, mais il y a déjà une couleur superbe avec notamment cette introduction à la harpe. La suite de l’air plus joyeux trouve la chanteuse en très belle forme avec une virtuosité toujours aussi facile.On pourrait parler de la même façon de l’air allemand qui représente une partie de la carrière de Meyerbeer… mais la scène est coupée et un peu défigurée. Arrive un extrait des Vêpres Siciliennes… dans sa version italienne ! Deux problèmes viennent alors. Déjà pourquoi le chanter en italien alors que le programme est centré autour de la carrière de Meyerbeer : la version de l’ouvrage la plus proche du compositeur est la française bien sûr ! Mais à ce soucis s’ajoute le fait que Diana Damrau peine dans cet air. Les intentions sont bien là , mais il lui manque une certaine ampleur dans le grave notamment pour vraiment assumer cet air difficile entre tous ! Elle avait triomphé de toutes les autres difficultés, mais ici semble perdue. Heureusement, le concert va se terminer sur l’air d’Isabelle extrait de Robert le Diable et là on ne peut que s’incliner. Déjà l’air est une de ces géniales inspirations de Meyerbeer, mais en plus de cela la chanteuse y est magistrale. Toute en délicatesse, avec ce crescendo parfaitement rendu depuis la douceur de la première supplique jusqu’à cette explosion où elle est rejointe par tout l’orchestre. Un moment de grâce et de beauté. L’ovation qui salue la performance est à la hauteur… et bien sûr un bis suivra. Un seul, mais un grand bis car ce sera un air extrait de L’Africaine. Cette évocation du départ est très bien mise en place vu le concert. La voix conserve cette lumière et cette douceur qu’elle avait trouvé dans l’air précédent, s’élevant avec aisance seule dans la grande salle de la Philharmonie.
Si la soprano est un peu trop extravertie pour certains airs, la générosité et l’intelligence de la chanteuse font que ces petits excès sont acceptés et le public va saluer une grande artiste qui sait faire partager son amour de Meyerbeer et le fait d’offrir un contrepoint est une grande idée. Elle devrait chanteur le rôle de Marguerite dans Les Huguenots durant les saisons prochaines à l’Opéra de Paris. Les prestations dans Robert le Diable et L’Africaine sont très prometteuses ! Mais en attendant, son récital sorti récemment chez Warner est à écouter d’urgence pour ceux qui ne l’ont pas encore fait !
- Paris
- Grande salle de la Philharmonie de Paris
- 3 octobre 2017
- Vincenzo Bellini (1801-1835), Norma : Ouverture
- Giacomo Meyerbeer (1791-1864), Les Huguenots : «Nobles seigneurs, salut !»
- Gioacchino Rossini (1792-1868), Guillaume Tell : Pas de six
- Giacomo Meyerbeer (1791-1864), Dinorah ou le Pardon de Ploërmel : « Ombre légère »
- Georges Bizet (1838-1875), Djamileh : Ouverture
- Jules Massenet (1842-1912), Manon : « Suis-je gentille ainsi ?… Je marche sur tous les chemins… Profitons bien de la jeunesse »
- Giacomo Meyerbeer (1791-1864), Emma di Resburgo : « Sulla rupe, triste, sola »
- Ferdinand Hérold (1791-1833), Zampa : Ouverture
- Giacomo Meyerbeer (1791-1864), Ein Feldlager in Schlesien : « Oh Schwester, find’ich Dich !… Lebe wohl, Geliebte »
- Giuseppe Verdi (1813-1901), Un Giorno di regno : Ouverture
- Giuseppe Verdi (1813-1901), I Vespri siciliani : « Mercé dilette amiche »
- Emmanuel Chabrier (1841-1894), Suite pastorale : Idylle
- Giacomo Meyerbeer (1791-1864), Robert le Diable : « Robert, toi que j’aime »
- Giacomo Meyerbeer (1791-1864), L’Africaine : « Adieu, doux rivages »
- Diana Damrau, soprano
- Orchestre National de Lille
- Lukasz Borowicz, direction