Parmi les opéras connus, Rigoletto figure dans la haut du palmarès… Régulièrement donné par les plus grands noms, il n’en reste pas moins très exigeant pour les trois rôles principaux. Sa construction demande aussi une vraie implication de chacun afin d’éviter les tunnels ou un manque de tension. Aussi, la venue d’une belle distribution dans une mise en scène qui semblait plutôt intéressante car évitant les poncifs était plutôt une bonne occasion de voir cette œuvre. Mais à la fin de la soirée, on en vient à regretter certains éléments. Une distribution un peu bancale ainsi qu’une mise en scène qui rapidement devient lassante malgré quelques bonnes idées.
Commençons rapidement par la mise en scène. L’idée de Claus Guth est assez banale : Rigoletto assiste impuissant à sa chute et à la destruction de sa vie. Il ne lui reste plus qu’un carton… et c’est dans ce carton que va se dérouler l’action ! Tout au long de l’ouvrage, le décor principal est un grand carton dans lequel évoluent les personnages. Le rendu est assez intéressant au début, mais rapidement on en vient à se lasser. Déjà ce n’est en rien lisible car les changements de lieux sont totalement effacés. Mais en plus, tout ce beige que ne vient illuminer qu’un rare escalier blanc ou un rideau bleu… quel manque de vie ! Quelques vidéos d’Andi A. Müller viennent bien apporter quelques éléments dynamiques mais la tristesse de l’ensemble devient très vite rébarbatif. Si encore cette mise en scène avait une vraie direction d’acteurs fine mais là encore les chanteurs semblent plus livrés à eux-mêmes ou alors à faire les gestes demandés sans en chercher le véritable sens. Ainsi, Rigoletto semble vraiment plus désabusé qu’angoissé alors qu’il recherche sa fille. Les chœurs manquent aussi de vie à bien des moments. Et puis quelques grandes erreurs de mise en scène : le final doit normalement voir Gilda dans un sac alors que les éclairs illuminent la scène par intermittence. Rien de tout cela ici ! Le plateau est largement éclairé et alors que Rigoletto regarde sous un grand rideau, Gilda traverse le carton en pleine lumière, debout… Le dramatisme de la scène perd alors tout son impact ! La scène de l’auberge aussi manque un peu de nuances avec une chorégraphie assez vulgaire.
La seule belle idée de la mise en scène est finalement le double de Rigoletto qui hante la scène et se lamente en silence face au destin qui s’emploie à le broyer. Henri Bernard Guizirian est superbe et extrêmement touchant dans ce rôle. La présence en souffrance, la silhouette accablée… il est en fait le seul personnage qui touche et vit vraiment. Il est alors vraiment choquant qu’il soit accueillit par des huées lors des saluts ! Que les spectateurs n’aient pas aimé la mise en scène est compréhensible, mais pourquoi faire retomber son mécontentement sur cet acteur qui lui a effectué une superbe prestation ? Il serait temps que les metteurs en scène soient représentés même en cas d’absence lors des saluts ! Au moins cela éviterait ce genre de scène qui se répète à chaque fois que l’on voit des figurants sur une scène !
On l’a dit, les chœurs ne brillaient pas par la direction d’acteurs. Leur implication par contre est plutôt bonne dans le chant même si cela manque un peu de nuance et d’ensemble. L’orchestre lui ronronne gentiment durant une bonne partie de la partition mais se réveille durant le dernier acte avec une belle énergie. Daniele Rustioni avait offert une très belle Juive à Lyon mais son rendu est ici assez lisse et manque d’énergie. Est-ce la faute à l’orchestre qui joue comme toujours Verdi avec bien peu d’engagement (sauf lorsque Philippe Jordan est à la baguette!) ou alors au placement qui tasse les dynamiques ? Toujours est-il que le résultat est assez frustrant sauf pour la tempête qui rugit comme il faut.
Comme souvent dans ces reprises, l’Opéra de Paris a très bien soigné les petits rôles avec par exemple Julien Dran et Paul Gay (quand on pense que ce dernier a chanté il y a quelques saisons le Méphisto de Gounod et qu’il chante ici Marullo…). On notera aussi les deux impressionnantes apparitions de Robert Polakov dans le rôle de Monterone. Le timbre profond et noir est saisissant et la malédiction possède toute la force que l’on peut attendre ! Moins marquantes sont les deux mezzo Elena Maximova et Marie Gautrot. La première est une Maddalena peu sonore et assez vulgaire comme le demande la mise en scène alors que la seconde joue les utilités en Giovanna. Enfin quel plaisir de retrouver Kwangchul Youn ! Plus habitué à Wagner il reste d’une superbe prestance dans le rôle de Sparafucile. Le timbre est toujours aussi beau et rond. Alors certes quelques moments semblent moins bien projetés que d’autres, mais les nuances sont là du grave à l’aigu et ce bourguignon est loin du noir méchant.
Rôle principal, Rigoletto demande non seulement un chanteur extrêmement charismatique, mais aussi une voix étendue et très expressive. Aussi, quelle déception d’entendre Željko Lučić ! Le timbre est vraiment peu flatteur et pauvre en couleur, l’interprète assez générique et manquant de nuance… mais la voix manque surtout d’un grand éclat tant en terme de puissance que d’étendue ! En dehors de sa dernière phrase, tous les aigus sont tronqués dans son interprétation, n’hésitant pas à défigurer la ligne de chant ! Alors que le rôle explose régulièrement par des montées extrêmement dynamiques et tendues, ici on reste dans la grisaille d’un timbre empâté et sans éclat. Même scéniquement il se promène sans réelle conviction. Alors qu’il n’avait jamais été très convaincant en retransmission, entendre en vrai Željko Lučić n’aide en rien pour comprendre son statut de grand baryton verdien sur les scènes internationales ! L’Opéra de Paris aurait tellement gagné à faire venir un baryton moins connu mais plus jeune… moins d’éclat sur la liste des chanteurs, mais sûrement plus de panache dans le chant et surtout la partition complète !
Le seule rôle qui peut nous faire ressentir un peu d’émotion est finalement celui de Gilda. Fragile et naïve jusqu’à en devenir victime, Nadine Sierra n’aide pas à sortir le personnage de cette image. Restant dans la jeune et fraiche jeune fille, la chanteuse offre une leçon de chant d’un bout à l’autre de l’ouvrage. Fine et fruitée, la voix se déploie et touche chaque spectateur malgré sa petitesse. Aigus, sur-aigus, nuances… tout est là. Manque juste un petit supplément d’âme pour être touché par cette victime. Elle semble traverser une partie de l’ouvrage sans vraie conviction, comme détachée et spectatrice de sa vie. Mais le chant reste impressionnant de précision !
Enfin, le grand gagnant de cette production est sans conteste Vittorio Grigolo ! Le ténor italien s’impose dès ses premières notes et malgré une annonce lors de la reprise, il donne toute sa fougue au Duc jouisseur. Le timbre est superbe et plein de soleil, la voix d’une puissance impressionnante… et le chanteur à cette générosité qui convient si bien au personnage. Il en fait presque un personnage sympathique : jeune et plein de fougue, on a plus un jeune adolescent incapable de se contrôler que cet ogre parfois proposé. La seule réserve serait cet aigu un peu difficile à atteindre parfois, mais il écrase ses deux partenaires sans aucun doute par son énergie dévastatrice et son chant grisant ! Il avait été un Edgardo flamboyant face à la touchante et troublante Lucia de Patrizia Ciofi… il est ici encore splendide ici.
Au final, la soirée manque de vie. La faute à la mise en scène et au Rigoletto bien sûr, mais aussi au petit manque d’énergie pour d’autres. Cet opéra ne peut pas totalement être convaincant si chacun ne brûle pas les planches et ne se donne à cent pour-cents. A noter aussi l’incident durant le début du deuxième acte : un choriste s’est effondré sur scène sans arrêter le spectacle. Il aura fallu un incident technique pour que le spectacle soit interrompu et que l’on apprenne le malaise de l’artiste. Espérons que ce n’était rien de grave.
- Paris
- Opéra Bastille
- 5 juin 2017
- Giuseppe Verdi (1813-1901), Rigoletto, Melodramma en trois actes
- Mise en scène, Claus Guth ; Décors et costumes, Christian Schmidt ; Lumières, Olaf Winter ; Vidéos, Andi A. Müller ; Dramaturgie, Konrad Kuhn ; Chorégraphie, Teresa Rotemberg
- Il Duca di Mantova, Vittorio Grigolo ; Rigoletto, Željko Lučić ; Gilda, Nadine Sierra ; Sparafucile, Kwangchul Youn ; Maddalena, Elena Maximova ; Giovanna, Marie Gautrot ; Il Conte di Monterone, Robert Polakov ; Marullo, Christophe Gay ; Matteo Borsa, Julien Dran ; Il Conte di Ceprano, Mikhail Timoshenko ; La Contessa, Veta Pilipenko ; Paggio della Duchessa, Laure Poissonnier ; Usciere di Corte, Christian Rodrigue Moungoungou ; Double de Rigoletto, Henri Bernard Guizirian
- Chœurs de l’Opéra National de Paris
- Orchestre de l’Opéra National de Paris
- Daniele Rustioni, direction