Diptyque autours d’Å’dipus Rex à Aix-en-Provence

Difficile de passer à côté d’Œdipus Rex, même si l’adaptation réalisée par Sellars et Salonen pouvait poser problème sur le principe. En effet, cette ouvrage repose non seulement bien sûr sur la musique de Stravinsky, mais aussi les textes marquants de Cocteau qui s’intercalent et animent les monuments musicaux. Alors cette idée d’intégrer des textes issus de l’Antigone de Sophocle, pourquoi pas, mais est-ce qu’on aura la même force expressive que l’œuvre originale ? Et qu’en est-il de cette Symphonie de Psaumes qui doit présenter l’errance et la mort d’Œdipe ? Et puis je dois bien avouer que la vue de certaines photographies n’étaient pas pour me rassurer… Et finalement, c’est un moment assez magique qui restera longtemps gravé dans ma mémoire je pense tant le tout fonctionne admirablement bien !

Déjà sur la mise en scène, on est sur des décors uniformément blanc, avec uniquement des trônes d’inspiration africaine pour chaque personnage. Ces derniers sont aussi souvent associés à des masques portés comme des étendards à leur arrivée. Rien de bien passionnant me direz-vous… sauf qu’il faut ajouter à cela la direction d’acteur des solistes mais aussi et surtout des chœurs ! L’arrivée de ces derniers avant le début de la musique laisse dubitatif : des hommes entrent en jean et pieds nus, avec des hauts globalement bleus mais très peu uniformes… puis la masse des hommes se densifie pour finalement nous proposer un ensemble hétérogène de bleu mais magnifique visuellement. D’autant plus que le chœur va tout au long du spectacle se faire remarquer par ses mouvements synchronisés, signant souvent le texte chanté. Cette grande masse mouvante qui se fend pour laisser passer un personnage ou entour le malheureux Œdipe lors du final est un élément magique et totalement génial de la mise en scène. Au milieu de cette foule se détachent donc les personnages que ce soit les chanteurs, l’actrice ou la danseuse. L’ensemble se trouve mêlé et se répond avec une fluidité magique et immense. Et l’épilogue imaginé voit revenir danseuse, récitante et Œdipe alors que le chœur se trouve renforcé par les pupitres féminins et va encore nous proposer une chorégraphie fortement expressive et marquante par un ensemble et une violence souvent difficile à soutenir suivi par une douceur et une finesse rare. Peter Sellars marque ici fortement les esprits et si sa vision s’éloigne un peu de la tradition, le résultat est puissamment intelligent et diablement impressionnant !

Il faut dire aussi que la partie musicale et théâtrale était assez superbe aussi !

Déjà, je craignais la fragilité de l’actrice Pauline Cheviller. Après des personnalités comme Cocteau, Depardieu ou Fanny Ardant, comment réussirait-elle à s’imposer ? Et bien en fait elle ne le fait pas. Mais le fait de confier la parole à Antigone lui permet de donner dans le texte une tendresse et une angoisse que le récitant ne peut évoquer. Ici on est vraiment dans le témoignage d’une enfant qui a vu tout ce drame se passer et Pauline Cheviller vit avec beaucoup d’émotion un texte qui frappe par sa simplicité et son actualité (d’autant plus en ce 17 juillet). Elle offre une prestation pleine de douceur mais aussi de drame à l’image de la description de la mort de Jocaste par exemple. Du coup l’ouvrage est légèrement transformé et gagne en émotion sans perdre vraiment de sa force. Et la prestation de Pauline Cheviller n’y est pas pour rien.

Les chœurs ensuite ne sont pas à oublier tant leur travail scénique et vocal est sidérant de précision et d’impact. Les trois chœurs rassemblés proposent déjà une précision vocale associée à un volume torrentiel assez sidérant : comment ne pas être plaqué à son siège durant le premier chœur qui éclate et sonne imposant… mais à côté de cela, les parties plus calmes sont d’une finesse magique, les différents pupitres se croisent avec finesse et intelligence, toujours identifiables sans que jamais le mélange ne nuise à la compréhension. Et ce travail chorégraphique !! Que ce soit les signes ou les alignements (l’ensemble du chœur allongé durant la Symphonie, puis qui se redresse pupitre par pupitre comme sorti de terre !), l’ensemble est formidable et magnifique.

Les solistes ne sont pas en reste même si Joseph Kaiser a commencé de manière un peu étrange. En effet, le ténor semblait peu à l’aise avec la ligne de chant (il faut dire qu’elle est particulièrement heurtée et difficile à suivre !) lors de ses premières interventions avec une voix affligée d’un vibrato assez désagréable et d’aigus difficiles. Mais rapidement le chant prend de l’assurance et nous trouvons un Œdipe plus jeune et fin qu’à l’habitude. Le chant est toujours intelligible et bien mené… et le personnage scénique parfaitement dosé entre l’assurance et le doute… avec une participation chorégraphique lors de la Symphonie parfaitement exécutée. Joshua Stewart est un berger de bonne facture, mais trop souvent écrasé par la stature et le charisme de Sir Willard White. à l’âge de 69 ans, le chanteur continue à impressionner par sa stature tant vocale que scénique. Avec le triple rôle de Créon/Tirésias/Le Messager, il s’impose comme la soliste le plus marquant de la soirée. La voix a conservé cette autorité qui a fait de lui un grand et scéniquement on reste stupéfait par sa présence. Ses appels lors de la mort de Jocaste resteront longtemps dans les mémoires ! Enfin Violetta Urmana se montre parfaite dans le rôle de Jocaste, dosant de belle manière la violence de son entrée avec l’ironie qui suit ou le doute qui s’installe progressivement. La voix est parfaitement à l’aise dans cette tessiture et l’écriture virevoltante ne semble pas lui poser de soucis.

Enfin, il ne faut pas oublier l’orchestre et le chef qui font un travail immense. Tout au long de la soirée, les deux se donnent sans compter pour faire sonner cette partition, pour en extraire une finesse qui est souvent masquée par l’aspect monumental de la pièce. Beaucoup de force et de violence, mais aussi un travail effectué pour accompagner certains monologues d’Antigone par un accord constant par exemple. Et une immense précision dans la gestion des différentes masses vocales et orchestrales. Esa-Pekka Salonen connait bien son Stravinsky et ce qu’il propose ce soir a vraiment été magistral de maîtrise et de puissance évocatrice. Le Philharmonia Orchestra se montre aussi assez superlatif d’un point de vue technique et nuances, que ce soit en grand effectif pour la première partie, ou effectif plus réduit en deuxième.

Le seul reproche que l’on pourrait faire à cette soirée ? L’entracte qui donne du coup une deuxième partie bien courte et qui semble vraiment ajoutée malgré l’habile texte d’Antigone qui fait le lien entre Sophocle et les Psaumes. Mais sinon, cette soirée restera longtemps dans les mémoires.

  • Festival d’Aix-en-Provence
  • Grand Théâtre de Provence
  • 17 juillet 2016
  • Igor Stravinsky (1882-1971), Å’dipus Rex, opéra-oratorio
  • Igor Stravinsky (1882-1971), Symphonie de Psaumes
  • Mise en scène, Peter Sellars ; Sculptures, Elias Sime ; Costumes, Dunya Ramicova/Hélène Siebrits ; Lumière, James F. Ingalls
  • Å’dipus Rex, Joseph Kaiser ; Jocaste, Violeta Urmana ; Créon / Tirésias / Le Messager, Sir Willard White ; Le Berger, Joshua Stewart ; Antigone (récitante), Pauline Cheviller ; Ismène (danseuse), Laurel Jenkins
  • Orphei Drängar, Gustaf Sjökvist Chamber Choir, Sofia Vokalensemble
  • Philharmonia Orchestra
  • Esa-Pekka Salonen, direction

NB : Cet article a été rédigé peu de temps après la représentation mais non publié ici… C’est suite au visionnement de la vidéo qu’il a été publié.

La vidéo est d’ailleurs toujours disponible pour quelques jours encore ici : http://culturebox.francetvinfo.fr/musique/opera/choregies-d-orange/oedipus-rex-symphonie-de-psaumes-a-aix-en-provence-242967

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