En 1872, Jules Massenet propose son premier opéra de grande forme, après une Grand’Tante en un acte. Alors très peu connu, c’est une grande avancée pour le jeune compositeur qui a ainsi le public de l’Opéra-Comique pour se faire un nom. Malheureusement, le succès sera mitigé, et en 1887 la partition orchestrée brûle dans le deuxième incendie de la Salle Favart. Massenet n’est plus alors un inconnu à Paris puisqu’il y a proposé quatre opéras entre temps : Le Roi de Lahore (1877) et Le Cid (1885) sur la scène de l’Opéra de Paris ainsi que Manon (1884) à l’Opéra-Comique. À cela s’ajoute Hérodiade créé à Bruxelles en 1881. Ce n’est donc plus le jeune compositeur qui décide de reprendre la partition de Don César de Bazan pour en donner une nouvelle version orchestrée et avec des lignes vocales modifiées en 1888. En ce dimanche 13 mars 2015, c’est bien sûr cette deuxième version qui est représentée sur les planches du Théâtre Saint-Martin grâce à l’implication d’artistes qui nous donnent un spectacle plein de fraicheur et de vie. Servie de telle manière l’œuvre se montre sous son meilleur jour pour une découverte très intéressante.
Après toutes les résurrections qu’a proposé le Festival Massenet ainsi que les productions soutenues par le Palazetto Bru-Zane, il ne restait plus guère d’opéras encore inédit ou presque… et voici que la troupe des Frivolités Parisiennes présente Don César de Bazan. Difficile de savoir exactement à quoi s’attendre car il n’existe quasiment rien de cet ouvrage et même Piotr Kaminski ne nous fait qu’une présentation assez rapide. Dès les premières minutes, on trouve tout ce qui fera la force de Massenet alors que l’ouvrage date de sa jeunesse : ligne de chant, efficacité dramatique, couleurs de l’orchestre,… et un ton humoristique qui n’est pas sans rappeler Don Quichotte ou Chérubin (où s’ajoute alors en plus la couleur espagnole). Au cours des quatre actes, on assiste à toutes les situations depuis la plus légère jusqu’au drame et à l’héroïsme. La construction de l’opéra-comique est fort bien dosée puisque jamais il n’y a trop de dialogues à la suite pour ne pas créer trop de longueurs.
Il faut avouer aussi que la qualité de l’interprétation permet aussi à donner toute sa brillance à l’ouvrage. Déjà la mise en scène proposée se montre inventive et sobre, utilisant quelques mobiles pour créer les espaces et varier les ambiances. Quelques projections et lumières finissent d’habiller la scène où les chanteurs sont tous très bien dirigés et impliqués. Chacun chante et parle dans un français parfait, sachant faire vivre non seulement la musique mais aussi le texte parlé et ce sans les outrances qu’on peut parfois entendre dans ces cas là . Tous donnent beaucoup de relief à leur personnage depuis les rôles principaux jusqu’au chÅ“ur réduit qui s’implique sans faillir. C’est véritablement le travail d’une troupe ici : malgré les différences de notoriété chacun se donne pour faire vivre l’ensemble sans chercher à briller plus que ne le propose la partition.
Il faut saluer les « chÅ“ur » qui à sept ou huit en fonction des moments offre un très bel ensemble de solistes qui se marient bien. De ceux-ci se détache Sévag Tachdjian en capitaine de très belle facture, à la voix de basse franche et claire. Héloïse Mas offre quant à elle un timbre parfait pour le jeune homme qu’elle interprète. Sans trop de largeur et avec un chant direct et clair. La diction est en plus particulièrement soignée et claire d’un bout à l’autre alors que l’investissement scénique est parfait. Le Roi d’Espagne de Jérôme Billy est peut-être celui qui vocalement manque le plus d’impact par une voix très légère qui semble peiner à certains moments pour véritablement remplir la tessiture assez large du rôle. Diction et style sont par contre parfaitement adaptés et le ténor nous réserve de bien beaux moments de chant dans les passages les plus légers ! Enfin, il faut souligner la belle prestation de Jean-Claude Saragosse qui impose immédiatement un personnage maléfique tout en retenue et en noblesse. Les passages parlés sont d’ailleurs particulièrement marquants par l’impact et le noirceur du timbre. Le chant est aussi très charismatique même si on peut noter que l’aigu met le chanteur en difficulté.
La chanteuse star de la production est sans conteste Sabine Revault d’Allonnes qui a chanté sur de nombreuses grandes scènes. Il faut d’ailleurs saluer son engagement dans un tel projet. Le personnage de Maritana est assez complexe dans le sens où elle doit savoir doser parfaitement la sensualité, la fraicheur et l’arrivisme. Car savoir immédiatement qu’elle ne cherche pas à séduire le Roi enlèverait une partie de l’intérêt. Ici on croit vraiment à la courtisane dans la première partie avant que tout ne s’éclaire par la suite pour montrer la jeune fille dévouée à la Reine et qui s’interroge sur un mari très entreprenant et qu’elle ne reconnaît pas. Le chant de la soprano est fruité et sonore avec une belle aisance sur toute la tessiture. Le style est bien sûr parfait même si à certains moments dans le haut de la tessiture, on perd légèrement quelques mots chantés. Les dialogues parlés sont par ailleurs très naturels et éloquents.
Enfin dans le rôle principal, Jean-Baptiste Dumora se montre assez impérial tant il possède tous les accents du personnage depuis le côté désabusé du premier acte jusqu’à retrouver toute sa noblesse de ton alors qu’il assume dans le dernier acte son rang et sa femme. Les sous-entendus du texte, les alternances chant et parole, tout cela est parfaitement construit par un chanteur qui semble totalement à l’aise dans ce répertoire de demi-caractère. Le timbre de baryton léger se coule parfaitement dans le personnage tout en recoins comme dans la tessiture. A ce chant impressionnant de facilité et de naturel s’ajoute le jeu très convaincant de l’acteur. Depuis l’alcoolique jusqu’à l’homme d’honneur, il campe Don César de manière saisissante répondant au sarcasme par la noblesse tout en ayant soin de mettre en avant le comique de situation ou de texte.
N’oublions pas l’orchestre aussi, qui se montre particulièrement engagé tout au long de la représentation. Avec un son peut-être un peu vert et sans rondeur, il évite toute lourdeur et apporte un petit tranchant qui n’est pas désagréable vue l’ironie qui parsème le texte. Mathieu Romano dirige tout ce petit monde d’une baguette ferme et sûr, ne cherchant ni à trop faire sonner espagnol ou comédie, mais toujours à apporter de la nuance et du sens.
Peu d’attente à l’origine pour ce spectacle, pensant assister à un Å“uvre très légère et sans grande nuance. Et finalement, l’ouvrage est plutôt fin et bien construit… et servi de superbe manière par l’ensemble de la troupe réunie. Cet opéra n’est peut-être pas la plus grand de Massenet, mais il possède de très grandes qualités. Superbe découverte et il faut espérer que cette résurrection ne sera pas sans lendemain tant pour l’ouvrage que pour le répertoire dans les années qui viennent.
- Paris
- Théâtre de la Porte Saint-Martin
- 13 mars 2016
- Jules Massenet (1842-1912), Don César de Bazan, Opéra en 4 actes
- Mise en scène Damien Bigourdan ; Assistant à la mise en scène, Agathe Cemin ; Scénographie et Costumes, Mathieu Crescence ; Fabrication des décors, atelier de l’Opéra de Reims ; Lumière et Vidéo, John Carroll
- Charles II d’Espagne, Jérôme Billy ; Don César de Bazan, Jean-Baptiste Dumora ; Don José de Santarem, Jean-Claude Saragosse ; Le Capitaine, Sévag Tachdjian ; Maritana, Sabine Revault d’Allonnes ; Lazarille, Héloïse Mas ; Coryphées, Anne-Aurore Cochet – Guillaume Durand – Alicia Haté – Vivien Lacomme – Armelle Marq – Aline Quentin – Jean-Noël Teyssier
- Les Frivolités Parisiennes
- Mathieu Romano, direction