Deux Å“uvres très connues et deux jeunes chanteuses (la soprano Ana Quintans et la mezzo Marianne Crebassa) très talentueuses, voici l’affiche de la soirée Salle Gaveau ! On ne présente plus le Stabat Mater de Pergolesi bien sûr, mais le rendu est toujours impressionnant par la variété des accents. Le Motet de Vivaldi se montre beaucoup plus extraverti dans la vocalise et les effets, mais le festival vocal donne vraiment vie à un sentiment de fureur. Enfin, découverte d’un certain Ferrandini pour une cantate sacrée qui tranche beaucoup par le style avec les deux contemporains. Avec un petit ensemble très engagé, les partitions prennent vie et donnent un cadre très virtuose aux deux chanteuses rassemblées.
La soirée s’ouvre sur la pièce la plus démonstrative. In Furore est une Å“uvre très virtuose, qui demande un engagement presque agressif dans la vocalise et des attaques de cordes très marquées. Et dès les premières notes, on est frappé par l’impact des musiciens. Vifs et dynamiques, ils donnent de véritables coups de griffes dans la partition. La soprano Ana Quintans répond avec le même impact dans ses débuts. Découverte dans le rôle de Jonathas dans l’Å“uvre de Charpentier, la jeune soprano se montre ici sous un jour totalement différent. Si son récital consacré à Albinoni avait déjà montré ses talents techniques, l’impact est encore plus frappant en salle. La pureté de la ligne en devient presque dure à certains moments, avant qu’un grelot ne vienne humaniser certains aigus. La couleur vocale reste assez uniforme, mais la dynamique et la gestion du vibrato impressionnante pour donner vie aux traits de cette cantate. La chanteuse se montre d’une implication constante, aussi à l’aise dans la déploration que dans l’invective.
Thibault Noally nous propose ensuite un concerto de Vivaldi. Si le violon est virtuose, le son reste un peu trop sec et cassant par moments, donnant quelques grincements peu agréables. L’orchestre par contre répond parfaitement et avec vivacité (comme tout au long du concert d’ailleurs). Pièce obligée pour un récital de ce type, cet intermède instrumental aura permis de voir toutes les possibilités de l’ensemble.
Marianne Crebassa arrive ensuite avec un grand inconnu. Ce Ferrandini n’est pas très distribué et sa pièce a longtemps été attribuée à Haendel. On change totalement d’expression ici puisque la virtuosité est totalement oubliée pour une déclamation dramatique plus proche du premier baroque italien que de la folie du seria qui triomphait à l’époque. De même l’orchestre se montre beaucoup plus varié et dans une optique de continuo. La mezzo est logiquement plus à l’aise que dans un chant très accidenté et varié de par sa nature vocale. Malgré tout, on ressent une petite gêne à l’écoute. Déjà la tessiture très grave oblige la chanteuse à puiser dans un grave très bien négocié mais qui semble tasser sa voix, alors que cette dernière s’illumine dans les rares montées vers l’aigu. Ensuite, le chant se fait trop dramatique et romantique à bien des moments. Le timbre capiteux et chaud manque de sobriété pour ce genre de pièce et le vibrato (jamais excessif et toujours maîtrisé) semble légèrement hors contexte. Le résultat est très prenant mais Crebassa s’est montrée beaucoup plus à son aise dans d’autres répertoires (Mozart bien sûr, mais aussi le romantique français qui lui tend les bras!).
Avec ces deux personnalités qui semblent marcher sur deux mondes différents, on pouvait craindre un manque de cohésion pour le Stabat Mater. Dès le premier ensemble, l’auditeur est rassuré : Ana Quintans continue de maîtriser une voix qui semble sans limite alors que Marianne Crebassa se fait toute de retenue pour apporter le recueillement nécessaire à la pièce. Les timbres si dissemblables s’accordent et se répondent : à la lumineuse et aérienne soprano répond le mezzo profondément humain et terrestre. Les passages solistes comme les ensembles baignent alors dans une lumière douce-amère, pleine d’une candeur naïve contrebalancée par le poids d’un malheur réel. À brider sa grande voix, Crebassa bride aussi légèrement son expressivité qu’on aurait pu espérer plus poignante, mais ses interventions sont magnifiques sans jamais qu’on en ressente ce léger décalage trouvé dans la cantate de Ferrandini. Ana Quintans semble elle particulièrement dans son élément, nous gratifiant d’une palette virtuose sans ostentation, d’aigus pianos droits jusqu’à d’autres sonnant et brillant d’un beau vibratello. Les volumes mêmes des deux voix s’accordent très bien dans les ensembles : le confortable mezzo recueille et abrite l’aigu délicat sans jamais le couvrir.
Ensemble et chanteuses nous donnent donc un concert profond et beau, évitant toute démonstration gratuite pour aller au cÅ“ur des émotions que véhiculent ces pièces. L’ensemble Les Accents accompagne avec beauté et vivacité, variant agréablement les ambiances. La présence de nombreux micros peut nous faire espérer une captation radio, voir même un enregistrement commercial tant le dispositif était marqué. De plus, les deux derniers numéros du Stabat Mater ont été repris en bis, alors qu’ils avaient justement vu Ana Quintans accrocher un aigu pris piano…
- Paris
- Salle Gaveau
- 30 Novembre 2015
- Antonio Vivaldi (1678-1741), In furore iustissima irae
- Antonio Vivaldi (1678-1741), Concerto pour violon et cordes en mi mineur
- Giovanni Battista Ferrandini (1710-1791), Il pianto di Maria
- Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736), Stabat Mater
- Ana Quintans, soprano
- Marianne Crebassa, mezzo-soprano
- Les Accents
- Thibault Noally, violon et direction