Compositeur de ce qu’on appelle la deuxième école baroque française, André Campra est un nom rarement prononcé quand on parle du baroque français. Placé par la chronologie entre Lully et Rameau, il reste dans l’ombre de ces deux géants. Et pourtant, sa carrière musicale aura été riche de succès et témoigne d’une grande inventivité musicale. De succès en déroutes, le compositeur né à Aix visitera Arles, Toulouse, Paris, Marseille et Versailles du fait de son métier de compositeur : à chaque fois un poste l’attend… et il en démissionne pour tenter une nouvelle aventure. C’est pendant son passage à Versailles, alors qu’il est Sous-maître de la Chapelle Royale, qu’il va composer l’une de ses Å“uvres les plus connues : sa Messe de Requiem.
Né à Aix-en-Provence d’un père italien, le jeune André Campra baigne immédiatement dans la musique puisque son chirurgien de père troquait régulièrement ses instruments pour un violon et se produisait en comité restreint. Entré très jeune dans le chÅ“ur de la Cathédrale Saint-Sauveur, il poursuit son éducation au Chapitre. Prenant petit à petit des responsabilités dans le domaine de la musique religieuse, il sera nommé à Toulouse et enfin à Paris, où il deviendra le Maître de Musique de la Cathédrale Notre-Dame. Même si la majorité de ses compositions sont du domaine séculier, il présente régulièrement des pièces profanes au grand dam de sa hiérarchie. Il finira donc par démissionner et ne plus compter que sur sa musique pour vivre. Si certaines de ses partitions obtiennent un triomphe sur la scène de l’Académie, les succès sont aléatoires et la vie assez difficile pendant plus de dix ans. De mÅ“urs trop légères pour la fin de règne de Louis XIV, il n’obtiendra rien d’un roi tourné vers la religion au crépuscule de sa vie. C’est à sa mort que le pouvoir du régent, son ancien élève, deviendra un appui important pour le musicien. Nommé Sous-maître de la Chapelle Royale à Versailles, il a la charge de diriger l’institution trois mois de l’année (les autres mois étant répartis avec trois autres compositeurs). La tache est lourde pour un homme de 62 ans. A partir de ce moment, il composera de moins en moins et presque uniquement de la musique religieuse. Il meurt en 1744 dans la plus grande pauvreté à Versailles.
C’est durant la période où il est en charge à la Chapelle Royale de Versailles qu’il va composer sa Messe de Requiem et qu’il va reprendre In Convertendo composé 23 ans avant.
Lorsqu’on évoque les Requiem, on pense immanquablement aux grands passages tonnants tels le Dies Irae, le Confutatis Maledictis ou le Tuba Mirum : des pièces solennelles, sombres et impressionnantes. Or ici, dans cette Å“uvre de Campra, tous ces passages sont absents et le climat y est continuellement lumineux et apaisé. Loin du jugement dernier c’est un grand bain de calme qui traverse ce Requiem. Ainsi, les parties s’enchainent en alternant moment de recueillement et moment de joie… mais toujours de façon lumineuse et claire. L’exemple du Kyrie est frappant. Ouvert par le haute-contre qui met en place la mélodie gracieuse et aérienne, cette dernière sera ensuite développée par le chÅ“ur de manière calme et sereine. Même les pages les plus sombres conservées par Campra gardent une lumière, plus feutrée et discrète, qui éclate au détour d’une mélodie ou d’un accompagnement. Loin des grandes démonstrations qui auront lieu dans les siècles suivants, l’œuvre repose sur trois solistes, deux chÅ“urs et un orchestre restreint. Ces différents participants s’entrecroisent pour créer un moment de calme et de paix, donnant vie à un Requiem non pas démonstratif, mais au contraire très intime et personnel.
Si l’inspiration est de très haute tenue pour ce Requiem, le motet In Convertendo semble moins personnel dans son écriture et ses idées. La musique en est toujours très belle et délicate, mais sans ce recueillement si profond et simple du Requiem. Par contre, superbe idée de présenter la version pour taille de l’Agnus Dei du Requiem (chanté par un page dans l’intégralité de l’œuvre). On peut ainsi juger du ressenti différent entre une voix pure et délicate d’enfant par rapport à celle plus formée et noble de la taille.
Tout au long de ces trois Å“uvres, on retrouve le grand maître de ce répertoire qu’est Olivier Schneebeli. A la tête des Pages et des Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles depuis des années, il a aidé à faire redécouvrir tout un pan du répertoire baroque. Pour ce concert encore une fois, il montre une direction et une qualité de chÅ“ur qui explique ce parcours : les ensembles sont parfaits, et les quelques solistes enfants (parties oh combien difficile à tenir en général) sont parfaitement rendues. A la tête de l’Orchestre des Musiques Anciennes et à Venir pour ce concert, il se montre un chef d’orchestre très attentif aux chanteurs et aux climats. On pourrait peut-être lui reprocher un petit manque de nervosité à certains moments, mais tout le reste révèle un orchestre splendide, qui sait à la fois accompagner mais aussi dialoguer avec les chanteurs par ses instruments solistes.
Les trois solistes masculins rassemblés sont eux aussi des habitués de ce répertoire. Rompus au style et aux techniques spécifiques, ils chantent avec sincérité et simplicité sans jamais surcharger le discours musical. Une mention particulière pour Robert Getchell dont la voix de haute-contre est d’une délicatesse extrême. Mais n’oublions pas Jean-François Novelli et Marc Labonnette qui offrent un chant parfait et superbe. Saluons enfin la diction du latin de l’ensemble des participants.
Enregistré durant les Grandes Journées Campra du Centre de musique baroque de Versailles, ce disque est le témoignage d’un concert donné à la Chapelle Royale du château. Avec une très bonne prise de son qui rend très bien l’atmosphère du lieu, le chef Olivier Schneebeli nous offre un beau voyage dans la beauté de la musique de Campra. Déjà enregistré par d’autres chef, ce Requiem vient nous rappeler toutes les Å“uvres qui dorment encore dans les bibliothèques, en attente d’être découverte et de montrer toutes leurs splendeurs.
- André Campra (1660-1744), Requiem ; In Convertendo ; Agnus Dei
- Robert Getchell, haute-contre
- Jean-François Novelli, taille
- Marc Labonette, basse-taille
- Les Pages et les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles
- Orchestre des Musiques Anciennes et à Venir
- Olivier Schneebeli, direction
- 1cd K617 K617224. Enregistré à la Chapelle Royale du Château de Versailles, les 8 et 9 octobre 2010