Depuis quelques années, on voit un grand retour à la version originale de l’Orfeo de Gluck, et récemment, le rôle-titre a été interprété par deux grands contre-ténors : Franco Fagioli et Bejun Mehta. En 2013, le premier renversait Versailles par son interprétation. En 2014, le deuxième se révélait un Orfeo bouleversant dans un DVD ici commenté… C’est la même équipe de 2013 qui nous présente ici dans la petite salle de la Philharmonie de Paris l’Orfeo ed Euridice de Gluck. Sur instruments anciens, avec des chanteurs habitués au répertoire baroque et dans une salle de dimension humaine, on s’attendait à une grande soirée… mais l’espoir aura finalement été un peu déçu.
Dès l’ouverture, on découvre un orchestre chaud et rond, voir même trop rond. En effet, nous sommes ici aux prémices de la période classique, l’Å“uvre étant considérée comme une révolution en s’éloignant du baroque seria pour s’attacher directement à la tragédie. Or avec ces larges pupitres de cordes et ces couleurs délicates, l’orchestre manque d’une certaine raideur. Ainsi certains passages comme la descente aux Enfers n’a pas autant d’impact que l’on pourrait attendre. Les passages les plus lents sont superbes, mais les couleurs restent limitées. Laurence Equilbey dirige avec beaucoup de nuances la partition, trouvant même des tempi assez originaux et plutôt bienvenus. Elle aurait sûrement trouvé avec un orchestre plus ramassé un meilleur équilibre et une tension plus importante. De même, le chÅ“ur se trouve très fourni avec trente chanteurs. Malgré la beauté de l’ensemble Accentus et leur rigueur impressionnante, la dimension du chÅ“ur antique se trouve évacuée par des pupitres trop larges. Est-ce la comparaison avec les choix artistiques de la version dirigée par Václav Luks (voir le critique ici) qui est en défaveur de Laurence Equilbey ? Peut-être… mais là où Luks impose une version qui semble limpide et d’une implacable force dramatique, Equilbey reste souvent plus dans la beauté musicale que dans la vraie tragédie.
Dès son entrée, avant même qu’elle ne chante, Emmanuelle de Negri impose un personnage piquant et vif. Sa prestance créé immédiatement le théâtre par un regard ou une attitude. Son Amore trouve dans sa voix fruitée un instrument parfait. En un air et quelques répliques, elle se montre grandiose : le style est parfait avec quelques petites variations très bienvenues pour caractériser ce jeune dieu joueur et la voix toujours aussi magnifique. Aussi à l’aise en italien qu’en français, la voix sonne avec fraîcheur et une belle projection. Splendide d’un bout à l’autre. L’autre femme de la soirée est bien sûr Euridice chantée par Malin Hartelius. Son entrée montre une voix plus sombre et dramatique qu’à l’habitude. En effet, son personnage se distingue par la grande implication dramatique qu’elle y met. Nous ne sommes pas face à une jeune femme éplorée : Euridice est ici presque vindicative dans ses reproches à Orfeo. Le timbre n’est pas toujours le plus beau avec quelques sont un légèrement métalliques, mais cette Euridice se montre poignante.
Le grand attendu de la soirée était bien sûr le contre-ténor Franco Fagioli. Après toutes les louanges qui ont été écrites, après l’avoir entendu dans des enregistrements… voici la confrontation en salle. Et malheureusement, le même ressenti avec même un autre facteur négatif : la très faible projection. Malgré la salle réduite et les instruments anciens, le chanteur peine à de très nombreux moments à se faire entendre là où les deux femmes sont beaucoup plus sonores (sans être des voix immenses!). Le grave doit être poitriné pour sortir et le medium manque de métal pour sonner. A cela s’ajoute une voix toujours aussi impressionnante techniquement mais n’arrive pas à émouvoir de façon simple et directe. Mais c’est peut-être le style qui est le plus dérangeant pour le personnage d’Orfeo. Là où l’on peut attendre un chant raffiné, délicat et au service du drame, le chanteur nous propose un chant orné, démonstratif et manquant de simplicité. Il est bien sûr bienvenu d’orner délicatement les reprises par quelques appogiatures ou légères variations. Mais là des lignes mélodiques entières sont bousculées alors que chaque air se voix gratifié de petites cadences permettant de mettre en valeur l’aigu du chanteur. Et pourquoi avoir réintroduit l’air de bravoure en fin de premier acte ? Cet air est certes très valorisant mais tranche de manière assez déplacée avec le reste de l’Å“uvre en sacrifiant au style seria de l’époque. C’est donc un Orfeo trop chanté malgré un manque de projection. Le personnage reste en surface et n’arrive pas à se dégager du chant.
Au final, on assiste à un beau concert, mais qui ne va pas au cÅ“ur de l’Å“uvre, qui manque de sincérité et d’une vraie sonorité à certains moments pour vraiment s’ancrer dans les débuts de l’opéra classique. Si le triomphe de Fagioli est manifeste aux vues de l’ovation qu’il reçoit, il reste trop démonstratif et manque de la musicalité fine que savaient donner de grands interprètes du passé même non aussi informé que maintenant : Léopold Simoneau ou Ivan Kozlovsky par exemple se montre d’une poésie supérieure malgré des accompagnements et un style qui ne bénéficie pas des recherches récentes sur la musique baroque. La partition reste magistrale bien sûr, mais sans un Orfeo totalement impliqué et poète la magie n’agit pas entièrement.
A noter que peux de jours avant ce concert, celui de Poissy a été filmé et est visible sur Culturebox pendant quelques mois… et cette même équipe doit enregistrer l’opéra pour DECCA en studio…
- Paris
- Salle de concert de la Philharmonie 2
- 8 Avril 2015
- Christoph Willibald Gluck (1714-1787), Action théâtrale en trois actes
- Version de concert
- Orfeo, Franco Fagioli ; Euridice, Malin Hartelius ; Amore, Emmanuelle de Negri
- Accentus
- Insula Orchestra
- Laurence Equilbey, direction
Bonjour et merci pour votre blog.
Je n’ai vu le concert qu’en vidéo sur le net, mais impressions assez décevantes aussi. Les talents d’Equilbey comme chef d’orchestre, je peine à les percevoir. Et puis c’est malhonnête de plastronner « Version originale de 1762 » pour plaquer en parfaite anachronie l’air à vocalises pour finir l’acte I, pièce rapportée qui n’a évidemment rien à y faire, et aggrave le malentendu entre l’intériorité de ce style et le maniérisme exubérant de Fagioli, fascinant dans un vrai répertoire seria, mais vraiment pas à son affaire dans cette esthétique qui veut justement faire autre chose que de la broderie seria.
Mais le public a sa ration de grimaces et de vocalises, clap clap clap, et les mêmes qui glapissent parce qu’il manque 5 mesures dans la reprise d’une cabalette de Donizetti trouvent parfaitement normal qu’on défigure le propos par un show à suraigus.
Bref, le combat de Gluck reste d’actualité 😉
Merci!
Je dois dire que je rencontrai pour la première fois Fagioli en vrai… et j’espère qu’il sera plus impressionnant dans un récital vraiment seria la saison prochaine.
Sinon, assez d’accord sur le soucis de ce rajout. Vraiment pas à sa place.
Pour Equilbey, ça reste une belle prestation, mais on a connu plus inspiré.
La seule qui se sort haut la main de ce concert est Emmanuelle de Negri, comme toujours magnifique!