Alors que l’on fête les quarante ans de la disparition de Maria Callas, les manifestations se sont multipliées. La sortie chez Warner d’un beau coffret reprenant une partie de ses prestations en direct (dont les premiers opéras ont été critiqués ici… la suite devrait venir), des concerts hommages comme une Lucia di Lammermoor avec Jessica Pratt… et le travail de Tom Wolf qui se décline sous plusieurs formats. On a beaucoup entendu parler de l’exposition qui a eu lieue à la Seine Musicale tout au long de cet automne. Elle replongeait dans l’intimité de la chanteuse en nous montrant non seulement des images d’archives, mais aussi des costumes ou des objets du quotidien. Des livres sont sortis comme ses mémoires inachevées et des lettres (Lettres et mémoires inachevées, éditions Fayard) mais aussi deux livres documentés au plus près de la cantatrice en proposant des documents inédits et en allant interroger les plus proches : Maria by Callas aux éditions Assouline, mais aussi Callas Confidential chez La Marinière. Pour finir cette année, c’est un documentaire qui est sorti au cinéma pour nous montrer la Divine en image.
Quarante ans déjà que Maria Callas est morte après quelques années de silence. Il nous reste bien sûr tous ces enregistrements mais ils ne peuvent malheureusement pas rendre totalement vie à l’art de la femme. Mais nous avons déjà une partie de son génie par son sens des nuances et l’engagement vocal. Par contre, rien ou presque de ses prestations scéniques. Elle a été reconnue comme une grande actrice, mais en dehors de deux actes II de Tosca, nous n’avons rien d’autre ou presque. Il y a bien quelques captations muettes qui ont circulé sur Internet depuis quelques années mais cela reste bien peu et l’on se demande de nos jours pourquoi il n’y a pas eu plus de captations officielles, même tardives. Mais plus encore, la femme en elle-même est assez peu connue tant la cantatrice a écrasé la personnalité de la femme. A force de l’identifier à Floria Tosca, le mythe s’est construit sur une femme qui aurait consacré sa vie à son art, une tigresse prête à faire un scandale pour une broutille… et finalement une femme trahie et qui meurt de chagrin après la perte de son unique amour. Voici le portrait populaire de celle qui fut l’une des plus grandes chanteuses du vingtième siècle. Mais Tom Wolf s’est plongé dans l’intimité de la chanteuse, cherchant à connaître Maria au travers d’images souvent inédites.
Le film est chronologique mais se concentre surtout entre 1952 et 1977. La jeunesse de la diva est assez vite expliquée avec des photographies et une interview de son professeur Elvira de Hidalgo. Mais par contre, rien ou presque de ses premiers succès, de cette première carrière avant les premiers triomphes et la reconnaissance de 1952. C’est là le principal point négatif de ce documentaire. Bien sûr il faut éviter d’être exhaustif dans cet exercice, mais c’est aussi cette femme mal dans sa peau qui chante Wagner avant de découvrir le bel-canto, cette chanteuse qui part tous les étés en Amérique du sud pour chanter et roder ses plus grands rôles alors qu’elle n’est pas encore la star qu’elle sera. En 1952 elle est déjà installée dans le paysage lyrique italien et même mondial. C’est ici la construction de la cantatrice que l’on passe sous silence, de ce bourreau de travail qui s’épuise à chanter un répertoire toujours plus large dans des conditions loin d’être confortables et qui commence à luter pour se forger une image scénique.
Il faut bien comprendre que nous n’avons pas ici une documentation complète de ses prises de rôles ou ses plus grands succès. Nous avons bien sûr de nombreux documents la montrant sur scène (dans des versions colorisées étrangement), mais beaucoup plus d’images hors de scène. Arrivées en avion, sortie de salle après le concert, photographies ou film privés. Voici sur quoi repose avant tout le documentaire présenté. Et le but est clair : ne pas documenter la cantatrice mais bien la femme qui se cache derrière. Le fil rouge sera d’ailleurs une interview réalisée en 1970 par David Frost où elle aborde nombre de ses regrets dans sa vie personnelle et où l’on découvre notamment sa déception de ne pas avoir eu une vraie vie de famille. On retiendra aussi bien sûr les conséquences des différents scandales qui ont émaillé sa carrière : le 2 janvier 1958 où elle n’arrive pas à terminer la représentation de Norma à Rome, la rupture de contrat à New-York… et ses relations difficiles avec son mari puis son amour avec Aristote Onassis. Pour chacun de ces évènements, nous avons un éclairage qui vient directement d’elle : quelques phrases au détour d’une interview ou une lettre magnifiquement lue par Fanny Ardant. Le but est de lui donner la parole, d’être le plus proche possible de ce qu’elle souhaitait être ou montrer. Car il y a bien une différence entre les lettres intimes où l’on sent poindre le doute et la solitude… et ce personnage public au grand sourire et à la démarche hautaine.
Mais qu’apprend-t-on dans ce film ? Et bien surtout la solitude de cette femme qui a plus subit sa carrière qu’elle ne l’a souhaitée, poussée par sa mère puis son mari. La tristesse de celle qui n’attendait qu’une chose : rencontrer un homme et arrêter sa carrière pour vivre la vie de femme au foyer qu’elle considérait comme normale. Et enfin l’évolution de son rapport au chant qui s’est produit au contact d’Aristote Onassis. Oui avec lui elle vécu une vie trépidante et presque frivole. Mais elle en avait besoin et justement il lui a donné la liberté dont elle avait été privée durant toute sa vie. Elle aimait chanter et espérera d’ailleurs jusqu’aux derniers jours remonter sur scène… mais ces années lui auront permis de trouver un équilibre : Maria a pu vivre alors que La Callas devait commencer à décliner.
Sur le fond, ce document est donc passionnant car c’est vraiment une toute autre image que celle de La Divine qui nous est montrée. Mais on peut rester sceptique sur la forme. Déjà, pourquoi avoir colorisé tant d’images d’archive ? Bien sûr le public actuel est moins habitué au noir et blanc, mais il n’empêche que cela perturbe de voir ces couleurs si vives sur les costumes sans qu’il ne soit possible de savoir si ce sont des choix de la production ou des décisions prises suite à des recherches précises. On se trouve aussi face à une Maria Callas blême et des mises en couleurs parfois hasardeuses (le concert de 1958 à Paris montre une cantatrice magnifique dans sa robe rouge… mais les choristes derrières sont réduits à des taches vaguement humaines!). A de nombreux moments, on nous montre aussi des images accompagnées du chant… mais ce sont bien sûr des montages comme cette Madama Butterfly où l’on découvre à quel point La Callas pouvait donner de la fragilité dans son jeu de scène. Le chant qui lui est superposé est bien sûr issu de l’intégrale studio qui suivra, mais pourquoi ne pas le préciser dans le film ? Chacune des archives visuelles est datée mais il n’en est malheureusement rien sur les archives sonores.
Malgré ces points négatifs, ce documentaire est magnifique car il nous plonge sans aucun voyeurisme dans sa vie. En ne faisant que parler Maria Callas par ses lettres ou ses interviews, il n’y a pas de secrets dévoilés mais juste ce qu’elle voulait bien nous montrer tant comme cantatrice que comme femme. Et si Tom Wolf a plus axé son montage sur cette dernière, c’est parce qu’elle est particulièrement touchante dans sa vie et son parcours tant personnel qu’artistique.
Nul doute que ce documentaire sortira dans les moins qui viennent en DVD. Mais en attendant, les amateurs pourront se tourner vers le très beau livre Callas Confidential de ce même Tom Wolf aux Éditions de La Martinière. On y retrouve la même optique avec des interviews, des photographies personnelles comme professionnelles, de coupures de presses qu’elle conservait… C’est là encore toute la femme qui est documentée et non pas uniquement la Diva adulée.
- Cinéma
- 17 décembre 2017
- Maria by Callas
- Documentaire
- Tom Wolf, direction
- Thierry Bizot / Emmanuel Chain / Gaël Leiblang / Emmanuelle Lepers / Tom Volf, producteurs
- Fanny Ardant, voix
- Sorti en salle le 13 décembre 2017, 1h53