Le baryton Marc Mauillon a fait ses preuves dans le répertoire baroque et semble être aussi bien à son aise dans le répertoire médiéval que dans le contemporain. S’il est principalement reconnu pour ses premiers baroques qu’ils soient italiens (Monteverdi et Rossi) ou français (Lully ou Rameau), il se montre toujours d’une impeccable probité stylistique et d’une grande qualité d’interprétation. Mais il se montre aussi magnifique dans le répertoire de chambre comme la mélodies française romantique… et bien sûr les monodies baroques ! Il y a un an, il sortait avec sa sœur Angélique un récital centré sur deux compositeurs rivaux : Jacopo Peri et Giulio Caccini. Ces deux compositeurs sont considérés comme les plus anciens dont on ait conservé la partition d’un opéra, écrit de plus sur le même texte de Rinuccini. Leurs Euridice firent grand bruit, tout comme les publications de leurs recueils de monodies qui sont ici présentées avec un grand soin et une grande rigueur. Le frère et la sœur sont en effet des spécialistes du domaine et l’on sent une immense complicité entre eux pour nous donner à entendre ces pièces magnifiques mais peu connues.
Dans la petite salle (ancienne chapelle) du conservatoire d’Avignon, voici un public très concentré qui se réunit pour entendre un programme exigeant et rare. La proximité entre la scène et la salle fait que l’on se sent plus dans un salon que dans un concert public. À cela va s’ajouter l’attitude des artistes qui, durant tout le concert, vont nous présenter non pas forcément toutes les pièces, mais plutôt le contexte et l’historique de ces deux compositeurs et de leur rivalité. Giulio Caccini le roturier face à un Jacopo Peri bien né… la grâce du premier face à la science du second… Les publications se répondent pour ces deux artistes qui en plus d’être compositeurs, sont bien sûr chanteurs et interprètent leurs ouvrages en s’accompagnant eux-même. Les caractères aussi sont très différents : Caccini propose une belle littérature en préface de ses monodies, expliquant comment elles se doivent d’être chantées, source inestimable sur l’art du chant de l’époque. Peri lui se contente de dire que pour savoir bien exécuter ses ouvrages… il suffit de l’écouter les chanter ! Le sommet de cette rivalité arrivera lors du mariage entre Marie de Médicis et Henri IV. Le 6 octobre 1600, l’Euridice écrit par Rinuccini est ainsi représenté avec une musique des deux artistes… mais au final, au lieu d’une seule partition nous avons plus deux partitions qui se mélangent tant la rivalité est forte. La distribution se sépare entre les proches de l’un et les proches de l’autre : ainsi chacun chantera la musique de son camp. Peri chante Orfeo et la fille de Caccini chante Euridice par exemple… Au final chacun publiera sa partition complète deux mois après !
Tous ces détails et bien d’autres nous sont expliqués par Marc ou Angélique Mauillon. On en apprend ainsi sur les compositeurs, les textes mais aussi sur la fameuse harpe d’Angélique Mauillon, une harpe double à trois registre qui est particulière de cette époque, permettant de jouer tous les demis-tons et d’avoir deux jeux de cordes pour chacune des autres notes. Ainsi, les accompagnements peuvent être très variés et complexes. Plus tard, cette méthode sera remplacée par un unique jeu de cordes et des pédales pour jouer les demi-tons. L’alignement de ces trois registres demande en effet une technique de doigts assez impressionnante et l’on peut à tout loisir admirer le travail des mains d’Angélique Mauillon qui est actuellement parmi les meilleurs spécialistes de cet instrument, participant à de nombreux concerts avec les plus importants ensembles baroques. Et donnant aussi de nombreux cours pour enseigner cette technique si difficile.
Durant tout le concert, Angélique Mauillon va donc être le support au chant, cet accompagnement qui doit par un seul instrument donner toutes les délicatesses et variétés de ton que demande les partitions. Il est rare de trouver des musiciens capables à eux seuls de donner autant d’épaisseur par un seul instrument. On pense bien sûr au génial Thomas Dunford et son théorbe… mais Angélique Mauillon y parvient tout autant même si elle n’est pas aussi connue. La variété de ses interprétations, l’imagination qu’elle déploie pour offrir un continuo complexe et inventif est vraiment admirable. Que ce soit lors de l’accompagnement qui épouse parfaitement la ligne de chant sans uniquement l’accompagner tristement ou lors des quelques pièces solistes, elle se montre virtuose mais sans jamais faire de démonstration. Et la qualité d’écoute entre le frère et la sœur est tout bonnement admirable. Elle toujours à le couver quand il chante… et lui à la regarder et s’imprégner de sa musique dans les moments où seule la harpe s’exprime.
La voix de Marc Mauillon a toujours eu un grain particulier, un émission très franche… et en effet dans cette petite salle, elle tonne d’une manière assez impressionnante ! Mais elle sait aussi se faire murmure. Le chanteur connaît son art et nous offre donc toute la gamme des affects et des nuances possibles afin de rendre encore mieux la finesse du texte et des mélodies. Du parlando au plus extraverties des ornementations, il sait tout faire avec un même talent. La diction est comme toujours assez parfaite, d’une articulation exacte qui ajoute à l’expressivité même si l’on ne comprends pas l’italien. On retrouve toutes les qualités de son chant en français ou en anglais (ils avaient donné il y a quelques années un récital Dowland miraculeux!). Et vocalement il semble prendre un extrême plaisir à affronter ces tessitures si larges dont il sait affronter la difficulté sans frémir, avec une technique parfaite et un sens des émotions toujours aussi prenant. L’effort nécessaire pour donner tout le brillant à ces partitions est presque invisible tant le chant semble naturel. Chanteur protéiforme, il montre encore une fois un talent extrêmement rare de part sa musicalité et son chant.
Ce récital reprenait donc exactement le programme publié chez ARCANA, mais avec en plus toutes ces informations données par l’un ou l’autre. Très pédagogues et grands artistes, l’on se réjouit qu’ils soient maintenant l’un et l’autre des professeurs de conservatoire afin de former de nouvelles générations de musiciens. S’ils arrivent aussi bien à faire partager leur bonheur de chanter et leur curiosité à leurs élèves qu’ils l’ont fait avec le public, nul doute que nous aurons de belles nouvelles pousses dans les années qui viennent ! Un magnifique récital, conclu par deux bis. L’on aurait bien sûr aimé que le concert ne se termine jamais, mais il faut bien s’arrêter à un moment…
- Avignon
- Conservatoire à Rayonnement Régional, Auditorium Mozart
- 26 novembre 2017
- Giulio Caccini (1551-1618) : Le nuove musiche (1602), Dolcissimo sospiro – Vedrò ‘l moi sol – Amarilli mia bella – Odi, Euterpe – Movetevi a pietà – Perfidissimo volto
- Giulio Caccini (1551-1618) : Nuove musiche e nuova maniera di scriverle (1614), A quei sospir ardenti – Mentre c’he fra doglie e pene – Tutto‘l di piango – Torna, deh torna – Non ha’l ciel cotanti lumi – Pien d’amoroso affetto
- Jacopo Peri (1561-1633) : Le varie musiche (1609), Tu dormi, e’l dolce sonno – Tra le donne onde s’onora – Un di soletto – Tutto’l di piango – Al fonte, al prato
- Luzzasco Luzzaschi (1545-1607) : Toccata del quarto tono – Canzona
- Alessandro Piccinini (1566-1638) : Aria di sarabanda in varie partite
- Marc Mauillon, baryton
- Angélique Mauillon, harpe