Olga Peretyatko et Dmitri Korchak : Triomphe russe!

affiche-tce-peretyatko-korchak_netPour ce jeudi soir, le Théâtre des Champs Elysées retrouvait deux jeunes chanteurs russes qui avaient triomphé sur cette scène lors des venues bel-cantistes d’Evelyno Pido : Olga Peretyatko dans I Capuletti, Dmitri Korchak dans Otello… et ensembles dans I Puritani. Âgés respectivement de trente-cinq et trente-quatre ans, ces deux étoiles du chant venaient en toute décontraction nous proposer un petit panorama du bel-canto qui reste leur terre d’élection. Si la soprano est en passe de devenir une véritable star mondiale, le ténor reste plus discret malgré de très beaux engagements sur les plus grandes scènes. On pouvait donc logiquement penser que la salle serait pleine… loin de là puisque environ 900 places ont été vendues pour ce récital, soit moins de la moitié de la capacité de la salle!

Et pourtant, le programme était assez beau même si bien peu aventureux… Mozart, Rossini, Donizetti… et parmi les pages les plus connues des Å“uvres. Mais surtout des Å“uvres qui conviennent bien aux deux chanteurs même si certains personnages ne semblent pas être encore au répertoire de l’un ou de l’autre. Pour les accompagner, l’Orchestre de Chambre de Paris est plutôt bon. Il évite les lourdeurs et propose même des Mozart vifs et légers. La direction de Manuel López-Gómez y est sûrement pour quelque chose puisqu’il est très attentif aux différents pupitres. Les ouvertures qui parsèment le programme (dont deux en très peu de temps dans la deuxième partie!) sont enlevées et bien menées. Pour les chanteurs par contre, on notera quelques décalages qui obligent la soprano à reculer pour trouver le regard du chef, et aussi un volume un peu trop imposant à certains moments.

A priori, ce n’est pas dans Mozart que j’attendais l’un comme l’autre de nos chanteurs. Et pourtant, le résultat est très convaincant dans ces extraits de Don Giovanni. Olga Peretyatko commence la soirée légèrement à froid : la voix ne sonne pas beaucoup, l’aigu est trop puissant par rapport au reste de la tessiture et la trille inexistante. Mais on a déjà la beauté du timbre, la musicalité… et l’émotion! De même, Dmitri Korchak fait un petit peu peur à toute la salle pour la première partie de l’air: chanté à plein poumon sans chercher les nuances, l’air de Don Ottavio perd beaucoup de sa délicatesse, surtout avec ces attaques pas nettes qui sont souvent présentes dans le chant de ce ténor. Mais dès la reprise, la voix commence à s’alléger, trouvant plus de justesse et d’émotion. Finalement ce sera le duo entre Donna Anna et Don Ottavio qui va mettre le récital dans de bons rails. Les deux chanteurs trouvent ici une situation dramatique qui leur permet de sortir du pur exercice du récital. Chacun rentre dans son personnage et un lien se tisse entre les deux : belle émotion avec un chant qui se fait plus sonore pour la soprano, et plus nuancé et propre pour le ténor. Même si Donna Anna n’est peut-être pas un rôle totalement taillé pour Peretyatko, les deux chanteurs sont très convaincants et se montrent des musiciens soignés.

On entre définitivement dans le vif du sujet avec les deux airs qui suivent : Rossini seria! Semiramide a été donné en version de concert il y a quelques semaines sur cette même scène avec dans le rôle-titre Elena Mosuc. À moyens assez égaux, l’avantage est clairement pour Olga Peretyatko dans cet air seul. Si le grave n’est pas très affirmé, il est présent… mais ce qui impressionne, ce sont les variations assez délirantes de la soprano russe, les aigus dardés mais musicaux, l’aisance avec laquelle elle brode autour de la ligne de chant en mettant parfaitement en valeur sa voix sans chercher à donner plus de largeur à son instrument. Pendant tout cet air, Peretyatko fait une démonstration d’abatage vocal! Le triomphe qui la salue ne peut que mettre un peu de pression sur son collègue… et Dmitri Korchak met tout de suite les choses au clair dans le récitatif qui ouvre l’air de Roderigo extrait de l’Otello de Rossini : des variations, des interpolations… le ténor montre ce qu’il sait faire. Et alors que le chant était émaillé de petits défauts dans Mozart, il retrouve chez Rossini tout son brillant, toute sa virtuosité et il faut le dire son culot! Car il ose, n’hésite pas à se lancer dans des choses dangereuses… mais qui passent finalement plutôt bien. Sur-aigus, virtuosité, grammaire rossinienne… tout est là pour éblouir mais aussi émouvoir par la finesse de certains moments. Avec ces deux airs, les chanteurs ont clairement montré leurs possibilités techniques, et sont salués par un triomphe égal!

On continue à avancer vers Donizetti cette fois. L’air d’entrée de Lucia convient très bien à Peretyatko qui peut y montrer sa musicalité et de superbes nuances. Cet air à la mélancolie gothique lui permet de dérouler avec bonheur des colorations magnifiques, alors que la cabalette qui suit la montre très à l’aise avec le haut de la tessiture, s’aventurant dans des hauteurs qu’on pensait impossible en début de concert, et qui sont finalement atteintes avec facilité. Lucia s’impose ici avec sa fragilité et son émotivité, petite fille rêveuse et non névrosée. Le duo qui suit montre un petit déséquilibre entre les deux chanteurs. Même si les rôles mêmes veulent un Edgardo plus puissant et violent que Lucia, la voix de Korchak prend trop l’ascendant sur celle de Peretyatko à certains passages. Malgré cela, on croit à cette douleur des deux amants car la complicité est visible et l’union des voix parfaite. Après la pause, Dmitri Korchak ouvre la seconde partie avec le fameux air de Nemorino de l’Elisir d’Amore. C’est dans ce rôle qu’il avait été découvert à Paris sur la scène de l’Opéra Bastille… et sept ans plus tard on entend que la voix a évolué mais que le chanteur sait toujours comment habiter cet air tellement connu. Si à Bastille la reprise avait été variée, il n’en est rien ce soir malheureusement. Mais malgré cela, comment résister à ce chant délicat qui peut monter de manière explosive avant de retomber dans la douceur mélancolique? Superbe prestation.

Au milieu des deux ouvertures de Rossini, Olga Peretyatko nous propose un petit moment d’humour avec un extrait du Turc en Italie où elle triompha à Aix-en-Provence cet été. Piquante et très à l’aise, la soprano nous régale d’un moment de légèreté fort bienvenu après l’ouverture assez longue et impressionnante de Semiramide.

Et pour clore le programme officiel, c’est La Fille du Régiment qui vient nous rendre visite. Moins familiarisé avec ce rôle, Dmitri Korchak s’excuse de devoir prendre la partition pour son air… Déjà, il faut noter le beau travail sur la diction. Pour un simple récital, le ténor russe se montre assez compréhensible même quand on ne connait pas les paroles. Bien sûr il y a quelques erreurs mais rien d’affreux. Ensuite, d’un point de vu chant pure, le rôle de Tonio semble lui aller comme un gant dans cet air où la douceur de la berceuse mène régulièrement à des moments plus héroïques et tendus dans l’aigu. Mais c’est le duo qui suit qui va emporter le public. Déjà dès l’entrée des deux chanteurs, on assiste à un moment de complicité entre les deux chanteurs. Le pupitre de Korchak avait été rangé… et le ténor essaye donc discrètement de le reprendre sous le regard moqueur de Peretyatko, qui finit par prendre aussi son pupitre, puis le repousse ostensiblement en lui souriant! Rire dans la salle, et Korchak embrasse (chastement sur la joue! Elle est mariée…) Peretyatko qui part dans un beau rire… qui reprendra dans les premiers moments du duo! Peu de choses me direz-vous, mais pourtant un moment qui montre bien que les deux chanteurs s’entendent et se connaissent bien. Et durant ce duo où Marie se moque gentiment de Tonio, la même ambiance va rester, chacun y allant du petit geste ou du phrasé pour montrer la complicité et l’humour qui les anime. Final bon enfant, plein de vie et de beauté.

Après un tel succès, il n’était pas possible de laisser partir ces deux chanteurs! Et le public ne voulait pas! S’il semblait logique que l’on reste chez La Fille du Régiment (les deux grands airs démonstratifs n’ayant pas encore été donnés!), c’est chez Eve Dell’Acqua que nous emporte Olga Peretyatko pour une Villanelle splendide, pleine de poésie et de suspension. La voix est vraiment sublime et la mélodie ne la pousse pas à chercher la puissance, laissant au contraire la délicatesse de l’instrument s’exprimer. Dmitri Korchak lui revient chez Donizetti pour la pièce obligée presque chez un tel ténor : le grand air de Tonio avec enchaînement de contre-ut obligé… Et c’est une vraie démonstration durant tout l’air où chaque note est posée sans que l’effort ne s’entende particulièrement, avec une générosité palpable… Enfin un duo entre Nemorino et Adina de l’Elisir d’amore où on retrouve l’affrontement bon enfant de deux amoureux où la belle fait tourner en bourrique son soupirant. Finesse, plaisir évidant du jeu et du chant… Belle clôture de concert!

Une bonne partie du public était venu pour entendre Olga Peretyatko, mais au fur et à mesure Dmitri Korchak s’est hissé à son niveau et a reçu les mêmes ovations. Pourtant combien de spectateurs semblaient ne pas le connaître! Bien sûr, face à l’instrument pur et cristallin de la soprano, le ténor montre toujours une voix un peu étrange avec des attaques légèrement hasardeuses à certains moments. Mais finalement les deux artistes se montrent à la hauteur des Å“uvres proposées et même plus, donnant un réel plaisir aux auditeurs présents. Les ovations qui leur sont réservées font chaud au chÅ“ur et montrent que même si la salle était à moitié vide, les présents ont passé une soirée grandiose!

  • Paris
  • Théâtre des Champs Élysées
  • 11 décembre 2014
  • Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Die Zauberflöte : Ouverture
  • Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Don Giovanni : Crudele? Ah no, mio bene! Non mi dir, bell’idol mio * – Dalla sua pace ° – Fuggi, crudele, fuggi * °
  • Gioachino Rossini (1792-1868), Semiramide : Bel raggio lusinghier *
  • Gioachino Rossini (1792-1868), Otello : Che ascolto… Ah! Come mai mi sento °
  • Gaetano Donizetti (1797-1848), Don Pasquale : Ouverture
  • Gaetano Donizetti (1797-1848), Lucia di Lammermoor : Regnava nel Silenzio * – Qui di sposa eterna… Ah, verrano a te sull’aure * °
  • Gaetano Donizetti (1797-1848), L’Élixir d’amour : Una furtiva lagrima °
  • Gioachino Rossini (1792-1868), Semiramide : Ouverture
  • Gioachino Rossini (1792-1868), Le Turc en Italie : Non si dà follia maggiore *
  • Gioachino Rossini (1792-1868), L’Italienne à Alger : Ouverture
  • Gaetano Donizetti (1797-1848), La Fille du Régiment : Pour me rapprocher de Marie ° – Quoi vous m’aimez ? *
  • Eva Dell’Acqua (1856-1930), Villanelle *
  • Gaetano Donizetti (1797-1848), La Fille du Régiment : Ah mes amis quel jour de fête… Pour mon âme °
  • Gaetano Donizetti (1797-1848), L’Élixir d’amour : Chiedi all’aura lusinghieri * °
  • Olga Peretyatko, soprano (*)
  • Dmitri Korchak, tenor (°)
  • Orchestre de Chambre de Paris
  • Manuel López-Gómez, direction

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