La Colombe, un petit Gounod à ré-évaluer!

Édouard Bénazet avait commandé pour la saison estivale de Baden-Baden un opéra à Charles Gounod. Ce devait être Philémon et Baucis mais comme indiqué dans l’article précédent, ce ne fut pas le cas pour plusieurs raisons. Mais l’année suivante, un autre opéra est commandé à Gounod et ce sera La Colombe, opéra adapté lui aussi d’un écrit de Jean de la Fontaine : le conte Le Faucon. Ainsi, La Colombe est créée avec grand succès lors des quatre représentations de août 1860 au Théâtre de la Conservation à Bade (ancien nom de Baden-Baden). Le livret est écrit par le duo habituel Barbier et Carré mais ce qui est plutôt inhabituel, c’est la rapidité de composition de Gounod. Il ne lui faudra que deux semaines pour arriver au bout de l’ouvrage. Et de ses dires, il composa entre deux portes, sur une table de chambre d’hôtel ou dans un train. On reste ici dans les opéras-comiques de petite dimension et la finesse d’écriture est assez surprenante pour de telles conditions! Bade lui fera un triomphe pour quatre représentations en 1860 alors que malgré un bon accueil Paris ne verra cette Colombe que pour une seule représentation en 1866.

L’histoire raconte les mésaventures amoureuses du Comte Horace. Noble florentin du moyen-âge, il se ruine par amour de la Comtesse Sylvie, au point qu’il se voit obligé de quitter la ville et d’aller habiter une pauvre maisonnette où il ne garde que son jeune serviteur et filleule Mazet… mais aussi sa colombe savante, appelée du nom de son amour. Mais pendant ce temps à Florence, Amynte fait de l’ombre à Sylvie avec son perroquet savant. La comtesse décide alors de récupérer la colombe de son ancien soupirant par tous les moyens. Elle envoie Maître Jean négocier un bon prix, mais Horace refuse. Sylvie par curiosité vient voir où vit Horace et le croise. Elle sait qu’il l’aime encore et va donc jouer sur la corde sensible pour obtenir la colombe. Elle se fait ainsi inviter pour un dîner. Mais que faire? Maître Jean a bien de grandes idées, mais Mazet lui répond qu’ils n’ont que des fèves à mettre sur la table, ce qui fait fuir le serviteur de Sylvie. Horace et Mazet fouillent pour trouver vaisselle et victuailles. Mais il faut s’y résoudre, il n’y a pas de viande. Horace décide alors de sacrifier sa chère colombe pour faire honneur à celle qu’il aime. Lors du repas, Sylvie n’ose faire sa demande et finit par manger un volatile très étrange. Le repas terminé, elle finit par demander la colombe à Horace qui lui répond : “Hélas! fatal destin, l’oiseau n’est plus, vous en avez dîné. Plût au ciel que j’eusse pu vous servir mon cœur à la place!”. Entendant cela, Sylvie s’émeut et offre sa main à Horace. Tout se termine bien… d’autant plus que la volatile n’était autre que le perroquet d’Amynte et non la fameuse colombe!

Décors de l’acte II lors de la reprise à l’Opéra-Comique en 1866.

L’ouvrage est bien sûr une alternance entre chant et dialogues parlés. Entre la création de 1860 et la reprise de 1866 à l’Opéra-Comique, quelques numéros ont été ajoutés comme indiqués dans la liste ci-dessous. Les partitions en ligne indiquent les numéros suivants (et correspondent a priori à la version de Paris de 1866) :

  • Introduction
  • Acte I, N°1 Romance : Apaisez blanche colombe (Mazet)
  • Acte I, N°2 Romance et trio : Qu’il garde son argent (Mazet, Horace, Maître Jean)
  • Acte I, N°3 Ariette : Les amoureux (Maître Jean)
  • Acte I, N°4 Air : Je veux interroger ce jeune homme (Sylvie)
  • Acte I, N°5 Couplets : Ah! les femmes! les femmes! (Mazet) (ajouté pour la reprise en 1866)
  • Acte I, N°6 Terzetto : O vision enchanteresse! (Sylvie, Mazet, Horace)
  • Acte I, N°7 Quatuor : O douce joie! (Sylvie, Mazet, Horace, Maître Jean) (ajout de l’intervention finale “Ah! les hommes! les hommes!” de Mazet en 1866)
  • Entr’acte
  • Acte II, N°8 Air : Le grand art de cuisine (Maître Jean)
  • Acte II, N°9 Duo : Il faut d’abord dresser la table (Mazet, Horace)
  • Acte II, N°9bis Mélodrame
  • Acte II, N°10 Romance : Que de rêves charmants (Sylvie)
  • Acte II, N°11 Madrigal : Ces attraits que chacun admire (Horace) (modifié pour la reprise en 1866)
  • Acte II, N°12 Quartettino : Déjà son coeur semble souscrire (Sylvie, Mazet, Horace, Maître Jean)
  • Acte II, N°13 Duo : Combien je vous rends grâce (Sylvie, Horace)
  • Acte II, N°14 Final : Apaisez blanche colombe (Sylvie, Mazet, Horace, Maître Jean)

En 1924, Francis Poulenc retravaille les dialogues pour en transformer une partie en récitatifs. Mais l’ouvrage n’aura jamais un grand succès en France. Même si la critique de l’époque loua l’ouvrage par rapport à La Reine de Saba créée peu de temps avant qui avait été un échec, la partition ne sera que peu reprise.

Pourtant, elle ne manque pas de charme cette partition. Certes la rapidité de composition fait que certaines formules semblent assez faciles, certains traits comiques manquent un petit peu de finesse… Mais on trouve tout au long de l’ouvrage le talent mélodique de Gounod, chaque personnage ayant ses airs bien différents. On pourra noter par moments quelques similitudes avec Le Médecin Malgré Lui. Bien sûr on ne peut passer outre quelques moments de bravoure pour Sylvie, rôle composé pour Caroline Miolan-Carvalho. Mais finalement, même si nous sommes dans un ouvrage comique assez léger, il demande des chanteurs de haut niveau par l’écriture des airs et ensembles. En ce sens, on se rapproche plus de Philémon et Baucis que du Médecin qui était beaucoup moins exigeant. L’air le plus connu est sans doute celui de Mazet pestant contre la gente féminine “Ah! les femmes! les femmes!” mais on pourra aussi retenir le charmant madrigal d’Horace au deuxième acte, tout comme le duo plein de tendresse de Mazet et Horace alors qu’ils tentent de préparer un dîner acceptable pour Sylvie. Des petits bijoux certes modestes mais superbes.

Pour ce petit opus, il existe trois enregistrements. Le premier est assez partiel avec seulement dix numéros sur les dix-sept listés ci-dessus. Enregistré en 1947 sous la direction de Tony Aubin, il a longtemps été le seul enregistrement disponible et ne montrait pas vraiment la partition sous son meilleur jour, de par la qualité de l’enregistrement bien sûr. Même si c’est un concert radiodiffusé de Paris, on ne peut entendre tous les détails de la partition. Et puis sans aucun dialogue parlé et toutes ces coupures, difficile de trouver un intérêt dramatique. Heureusement, Tony Aubin est à son affaire pour faire vivre ces numéros isolés avec un orchestre vif et assez dynamique. En 1994, La Colombe est donnée au Théâtre Impérial de Compiègne dans la version de 1924 concoctée par Francis Poulenc et Serge Diaghilev. Il nous en reste un DVD où l’on peut voir la mise en scène conforme à celle de 1924. Cette version est assez étrange car on entend bien la différence entre les parties de la main de Gounod et celles de Poulenc. Malgré un soin pour essayer de se plier au style de son devancier, on retrouve la façon de Poulenc dans le traitement de l’orchestre. On retrouve presque l’intégralité de la partition, avec seulement quelques petites coupures dans les deux derniers numéros par rapport au piano-chant publié. Michel Swierczewski semble bien habitué au style de l’opéra-comique en adoptant le ton juste… mais malheureusement, il y a beaucoup de soucis de mise en place tant à l’orchestre en lui-même qu’avec le plateau de chanteurs. Enfin, on ne l’aurait jamais espéré, mais Opera Rara s’est penché sur la partition en 2015. Voilà enfin une version complète et assez exacte de l’ouvrage. Il faut accepter une petite coupure dans le duo final entre Sylvie et Horace, mais sinon tout est complet, avec un style assez adéquat tant à l’orchestre sous la direction de Mark Elder que chez les chanteurs (on y reviendra plus tard). Et surtout, pour une fois nous avons un Mazet chanté par une femme comme voulu par Gounod alors que les deux autres enregistrements font entendre un ténor (ce qui déséquilibre grandement les ensembles!). Bien sûr, la prise de son permet d’entendre avec bonheur les petites délicatesses parsemées par Gounod, mais aussi de se rendre compte des moments nostalgiques plein de douceurs.

Émile Balanqué dans le rôle de Méphistophélès dans Faust (Gounod).

Maître Jean a deux airs à chanter et quelques ensembles. Il demande un peu d’exubérance et de grandiloquence. C’est Émile Balanqué qui créa ce rôle si particulier. Il avait déjà créé Méphistophélès de Faust puis Vulcain dans Philémon et Baucis. Basse claire, pleine de caractère et qui sembla triompher aussi pour son jeu théâtrale. En 1947, on retrouve un baryton assez habitué à ce répertoire : Lucien Lovano. Il donne tout le côté bouffon au personnage sans pour autant en faire un personnage ridicule. En 1994 à Compiègne, Jean-Philippe Courtis semble vraiment à la peine rythmiquement et déséquilibre régulièrement les ensembles. La voix est aussi peut-être un peu trop noble pour ce rôle. Et il faut dire qu’une fois que l’on a écouté Laurent Naouri dans le dernier enregistrement, on ne peut plus vraiment écouter les autres chanteurs dans ce rôle. Il a tout ici pour faire un Jean parfait : la gouaille, le timbre sombre, la grandiloquence… et aussi cette petite pointe de méchanceté qui arrive à certains moments. Le chanteur est en plus dans un style et une tessiture qui lui conviennent parfaitement!

Amélie Faivre

Malgré les deux premiers enregistrements, il faut bien se rappeler que le rôle de Mazet a été créé par une soprano, Amélie Faivre. La chanteuse créa aussi Siebel de Faust et Martine dans Le Médecin Malgré Lui. Sûrement plus classée comme un mezzo léger, elle a droit a de beaux airs et le magnifique duo avec Horace. Donner de tels rôles travestis à des ténors est toujours une erreur. En effet, les équilibres dans les ensembles s’en ressentent grandement avec ici par exemple des quatuors à trois voix masculines, ou même un duo mezzo/ténor qui devient un duo entre deux ténors. C’est d’autant plus une mauvaise idée quand les ténors ne sont pas au niveau comme c’est le cas pour les enregistrements de 1947 et 1994. La voix de René Lenoty est bien raide et manque de facilité pour ses parties chantées. Antoine Normand manque lui aussi cruellement de jeunesse et d’aisance pour jouer ce jeune adolescent. La voix est en plus ici vraiment assez laide. Heureusement, Michèle Losier nous fait entendre la véritable voix de Mazet. Avec sa voix de mezzo clair qui fonctionne particulièrement bien dans les rôles travestis, on entend bien le jeune garçon farouche mais aussi poète. La voix est très belle, l’aisance dans le chant confondante que ce soit la méditation de son premier air à la colombe ou sa diatribe sur les femmes. On a ici enfin un véritable Mazet dans la version complète de 2015.

Gustave-Hippolyte Roger dans le rôle de Jean du Prophête (Meyerbeer).

Il est assez étrange de regarder ce qu’a chanté le créateur du rôle d’Horace. En effet, on peut voir défiler des noms qui semblent assez peu en accord avec l’opéra-comique. Gustave-Hippolyte Roger a certes beaucoup chanté à l’Opéra-Comique (il y créé nombre de d’ouvrages d’Auber)… mais il sera aussi le créateur du Faust de Berlioz en 1846, puis après son passage à l’Opéra de Paris, rien de moins que Jean de Leyde dans Le Prophête de Meyerbeer entre autre en 1849! Revenir ensuite à la délicatesse de cette Colombe est assez étrange alors qu’il semblait plus versé en 1860 vers le Grand Opéra. Mais les critiques de l’époque louent sa délicatesse, ses nuances… et en effet il en faut beaucoup pour cet opéra, tout en ayant aussi les ressources pour lancer quelques aigus puissants dans les ensembles notamment à la fin du premier acte. Joseph Peyron semble être un habitué de ce répertoire, en particulier dans les captations radiophoniques. Car c’est de nouveau lui qui chante en 1947 sous la direction de Tony Aubin. Le timbre est toujours aussi étrange, le chant aussi châtié (et vieillot diront certains)… mais quel art des nuances, quelle façon de dire le français! Voilà un Horace plein de noblesse et si la voix n’est pas très belle, le style est admirable. À Compiègne, c’est François-Nicolas Geslot qui chante Horace. Grand habitué du baroque français, il a beaucoup enregistré avec Hugo Reyne et aussi Hervé Niquet pour la Médée de Charpentier entre autres. Déjà dans ce répertoire le timbre n’était pas très beau et le chant manquait de grâce. Ici les aigus sont difficiles, la voix pleurniche beaucoup… nous ne sommes vraiment pas devant une prestation agréable à écouter. Pour 2015, ce sera Javier Camarena… qui malheureusement ne peut cacher son manque d’aisance avec le français dans les dialogues parlés. On se demande pourquoi avoir engagé un ténor ne parlant pas français pour ce rôle, jusqu’à ce qu’il chante. Et là on découvre un très bon accent et une voix magnifique. Le ténor mexicain semble totalement à l’aise avec la tessiture et le style, la voix est ronde, solaire… le chant plein de nuances… mais on retombe à chaque dialogue parlé. Quel dommage!

Caroline Miolan-Carvalho dans le rôle de la Reine Marguerite des Huguenots (Meyerbeer)

Voilà enfin la Comtesse Sylvie. Prétentieuse, manipulatrice… mais brillante… on croirait voir ici le portrait de la créatrice Caroline Miolan-Carvalho si l’on se réfère aux commentaires des contemporains. Et le rôle est bien taillé à sa mesure : roulades, aigus, sur-aigus, finesse de la ligne… Contrairement aux autres rôles qui sont diversement chantés dans les trois enregistrements, ici nous avons trois grandes dames du chant, trois artistes qui semblent à l’aise dans ce rôle. Janine Micheau est la Sylvie de Tony Aubin. Si certains enregistrements plus tardifs montrent un timbre peu gracieux, ici elle rayonne d’un bout à l’autre de l’ouvrage, espiègle voir pimbêche, elle s’amuse et assure toutes les difficultés techniques de la partition. Certes l’école est particulièrement typée années 50, mais que le résultat est beau! Grande habituée de Compiègne, Ghyslaine Raphanel ne fait qu’une bouchée de ce rôle. Coquette et chantante, elle semble se promener en chantant un rôle qui demande une technique aboutie tout de même. Rien ne lui fait peur, tout est parfaitement fluide et facile. Et le personnage est parfaitement campé. On retrouve ici tout le travail qui avait été effectué dans les années 1990 au Théâtre Impérial de Compiègne où elle chanta régulièrement les premiers rôles de ce calibre : roulades, personnages ambigus mais finalement charmant… En 2015, c’est la jeune soprano américaine Erin Morley qui se frotte aux pièges de la partition. Et on est assez soufflé par l’aisance avec laquelle elle se coule non seulement dans le style, mais aussi avec quelle facilité elle chante la partition. Tout est en plus parfaitement chanté avec même quelques extrapolations vers l’aigu! Et puis il faut souligner la qualité du français : que ce soit dans les parties chantées ou les dialogues, on ne note que très peu d’accent et on comprend chaque mot. Voilà une magnifique prestation, même si d’un point de vue typologie vocale, on est dans un chant plus lyrique que fin comme ses deux devancières.

Le seul sans faute de cette discographie est bien sûr l’enregistrement de 2015 dirigé par Mark Elder. Tout y est réuni : distribution, direction, qualité de la prise de son, édition retenue… nous avons enfin ici la partition rendue sous son meilleur jour pour montrer que si elle n’est pas la plus aboutie de Gounod, elle reste tout de même fort agréable à écouter dans de tels conditions. Bien sûr, on ira jeter une oreille à celles qui ont défendu avec beaucoup de bonheur le répertoire de l’opéra-comique pendant de longues années : Jeanine Micheau et Ghyslaine Raphanel sont magnifiques. Cette Colombe n’est donc finalement pas cette œuvrette composée à la va-vite… mais plutôt un opéra-comique charmant et un petit peu naïf qui s’écoute avec plaisir!

  • Charles Gounod (1818-1893), La Colombe, Opéra-Comique en deux actes
  • Le Comte Horace, Joseph Peyron ; Maître Jean, Lucien Lovano ; La Comtesse Sylvie, Janine Micheau ; Mazet, René Lenoty
  • Orchestre Radio-Lyrique
  • Tony Aubin, direction
  • 1 CD Malibran AMR 177. Enregistré lors d’un concert radiodiffusé à Paris le 5 juin 1947.

  • Charles Gounod (1818-1893), La Colombe, Opéra-Comique en deux actes (version originale de Serge Diaghilev et Francis Poulenc)
  • Le Comte Horace, François-Nicolas Geslot ; Maître Jean, Jean-Philippe Courtis ; La Comtesse Sylvie, Ghyslaine Raphanel ; Mazet, Antoine Normand
  • Orchestre Symphonique que la Radio et de la Télévision de Cracovie
  • Michel Swierczewski, direction
  • 1 DVD Disque DOM 11018. Enregistré au Théâtre Impérial de Compiègne en 1994.

 

  • Charles Gounod (1818-1893), La Colombe, Opéra-Comique en deux actes
  • Le Comte Horace, Javier Camarena ; Maître Jean, Laurent Naouri ; La Comtesse Sylvie, Erin Morley ; Mazet, Michèle Losier
  • Hallé Orchestra
  • Mark Elder, direction
  • 2 CD Opera Rara ORC53. Enregistré à Hallé St’Peter’s, Ancoats, Manchester en juin 2015.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.