Deuxième dose de Saint-Saëns, version Les Siècles à la Philharmonie!

Une semaine après le superbe concert dirigé par Tugan Sokhiev, de nouveau un programme entier dévolu à Camille Saint-Saëns à la Philharmonie de Paris ! Abondance de biens ne nuit pas bien sûr, d’autant plus que les programmes sont à l’opposé. Après un programme sans grande rareté (en dehors de l’ouverture), voici des pièces beaucoup moins données ! Les quatre poèmes symphoniques déjà, mais à cela s’ajoutent quelques pièces pour violon ou piano et un petit morceau de ballet extrait d’un opéra. Bien sûr, tout le monde connait une version ou l’autre de la Danse Macabre, mais la version purement orchestrale est sans doute loin d’être la plus connue ! Et puis il y a des grandes raretés comme la fantaisie pour piano et orchestre Africa. C’est plus de trente ans de l’œuvre de Camille Saint-Saëns qui est ici balayée. Et pour servir ces partitions, rien de moins que François-Xavier Roth à la tête de sa formation Les Siècles. Orchestre historiquement informé jouant sur instrument d’époques, ils sont toujours d’une probité exemplaire et d’un engagement constant, surtout sous la conduite d’un chef passionné par ce répertoire ! Et pour les accompagner, voici deux grands noms parmi les musiciens solistes : Renaud Capuçon et Bertrand Chamayou ! Un concert qui s’annonçait donc sous les meilleurs auspices !

Camille Saint-Saëns, photo de Nadar vers 1895.

Au centre de ce programme se tiennent les quatre poèmes symphoniques composés entre 1872 et 1877. Ce type de pièces n’était pas du tout répandu en France et si ceux de Liszt existaient déjà, c’est Camille Saint-Saëns qui popularisa le genre dans l’hexagone non seulement avec les compositions du hongrois, mais aussi les siennes bien sûr. Ces morceaux d’une dizaine de minutes étaient pour lui les moyens d’expérimenter de nouvelles sonorités, de proposer des couleurs et des textures différentes. Officiellement, il se reposait sur un sujet, mais au final ce sujet n’était qu’un prétexte à des partitions souvent très originales. Si dans tous les cas il offrait une description permettant au public de suivre les évènements par la musique, le principal restait la musique en elle-même et non l’histoire qui était évoquée. Le premier sera Le Rouet d’Omphale en 1872. C’est peut-être le moins passionnant des quatre. Non pas qu’il soit moins intelligemment construit, mais on sent ici qu’il n’a pas encore trouvé toutes les possibilités de l’orchestre. Dès Phaéton en 1873, l’orchestre est déjà beaucoup plus parlant. La gradation dans cette montée vers le soleil est trépidante. On entend le galop des chevaux, repris par différents pupitres mais qui se teinte petit à petit de nuages avec l’intervention progressive des timbales. Puis, grand coup de tonnerre lorsque le char est frappé par Jupiter avant une chute là encore parfaitement rendue par l’orchestre dans ces ondoiements. La musique descriptive est ici à son meilleur ! La Danse Macabre de 1874 est une adaptation de la mélodie de 1872 du même nom composée sur un poème d’Henri Cazalis. Le compositeur a juste donné une place prépondérante à un violon solo et renforcé certains passages pour remplacer le texte et la voix soliste. Grande fresque grinçante et cynique, elle est toujours aussi jouissive par sa variété de composition et ses jeux de percussion. Enfin, La Jeunesse d’Hercule est le dernier des poèmes symphoniques en 1877. La partition n’a pas l’originalité de la précédente mais annonce déjà dans sa bacchanale certaines parties de Samson et Dalila composé la même année. Là encore on a une belle gradation depuis la sérénité des débuts jusqu’au bûcher final splendidement évoqué.

Renaud Capuçon

Pour le violon, les deux ouvrages choisis sont déjà souvent entendus. Introduction et Rondo capriccioso ainsi que l’Havanaise sont des pièces régulièrement enregistrées car elles mettent bien en valeur la virtuosité du violoniste sans pour autant être une démonstration gratuite de toutes les possibilités techniques dont il dispose. Le rythme entêtant de l’Havanaise est magistralement exploité pour un morceau qui finit par être presque hypnotique. Camille Saint-Saëns a composé de nombreuses pièces de concert pour un instrument soliste et orchestre. On serait presque déçu que des partitions plus rares n’aient pas été choisies ici pour des instruments moins représentés dans le domaine du concerto : harpe, flûte, cor… Mais le but était peut-être aussi de pouvoir faire intervenir un grand nom connu comme Renaud Capuçon. Le musicien déroule parfaitement ses deux partitions, peut-être un peu plus vivant lors de l’Havanaise. Après, le son reste très lisse et propre, manquant un peu du mordant qu’on pourrait attendre avec un orchestre tel que Les Siècles.

Bertrand Chamayou

Au piano, il est surprenant d’entendre un mouvement isolé du Concerto pour piano n°5 dit « égyptien » alors qu’on aurait pu avoir par exemple la Rhapsodie d’Auvergne qui est très rare et magnifique (et n’a pas grand-chose à envier niveau virtuosité au concerto !). Mais bon, ce concerto est tellement beau et original par les sonorités qu’il convoque que l’on peut comprendre le choix, surtout lorsqu’il est joué par Bertrand Chamayou qui semble totalement chez lui dans ce répertoire (comme en témoigne son super disque qui réunit les Concerto n°2 et n°5 sous la direction d’Emmanuel Krivin. La technique est brillante mais pas ostentatoire ce qui permet là encore de donner toute sa profondeur à une pièce pourtant très complexe à jouer. On peut entendre la tendresse du jeu, la souplesse de la ligne jamais heurtée malgré les exploits demandés par le compositeur. Beaucoup plus rare est la fantaisie Africa. Composée cinq ans avant le Concerto n°5, elle en montre déjà toutes les innovations. La bigarrure des rythmes, la variété des couleurs demandées par l’orchestre… et la virtuosité toujours au service d’un sentiment qui doit se dégager. Les thèmes sortent de nombreux pays de l’Afrique que Camille Saint-Saëns a parcouru, depuis l’orient jusqu’aux zones plus reculées. Là encore, Bertrand Chamayou est assez magnifique de présence et de délicatesse. Le seul petit bémol que l’on peut mettre serait sur l’équilibre entre le piano et l’orchestre. Comme d’habitude, François-Xavier Roth a fait venir un superbe piano ancien. En l’occurrence c’est un Pleyel, modèle extra-grand de concert datant de 1905. Si les couleurs sont splendides à l’oreille, la dynamique superbe… l’acoustique de la salle fait qu’à certains endroits le son du piano est un peu trop fondu dans l’orchestre. Mais le jeu passionné et sensible permet d’exalter non seulement les beautés des partitions, mais aussi le timbre superbe du piano.

Piano Pleyel, modèle extra-grand de concert de 1905 (Photographie issue du site des Pianos Balleron)

Mais justement, on a oublié pour le moment l’orchestre alors que c’est après tout le plus important des interprètes de la soirée avec ses poèmes symphoniques ! Bien sûr, il est parfait dans l’accompagnement des pièces de concert, précis et en place. Mais c’est dans les moments purement orchestraux que Les Siècles peuvent se montrer dans toute leur splendeur. Sans la rondeur de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse la semaine précédente, il offre d’autres arguments comme ces couleurs et cette franchise spécifiques aux instruments anciens. Les timbres sont magnifiques et l’acoustique de la salle nous permet de distinguer tous les pupitres. La direction de François-Xavier Roth est vive et précise, donnant sens aux atmosphères voulues par Saint-Saëns. On retiendra ainsi particulièrement le crescendo parfaitement maîtrisé dans Phaéton, les grondements amenés avec finesse avant l’explosion finale. Mais aussi bien sûr la fameuse Danse macabre grinçante à souhait avec un premier violon très présent qui fait résonner les rires sarcastiques de l’orchestre. Finir par la valse extraite du Timbre d’Argent avait sûrement pour but de terminer sur un morceau plus léger et la pièce est bien choisie. Mais beaucoup sûrement dans la salle auraient rêvés d’entendre la Bacchanale de Samson et Dalila, surtout après celle de La Jeunesse d’Hercule qui en est une esquisse. Ils l’avaient donné il y a quelques années en bis et il faut avouer que l’énergie de l’orchestre dans ce passage était assez fantastique et dévastatrice ! Mais le concert se terminera par un hommage aux formations indépendantes comme Les Siècles qui ont des mois sombres à vivre suite à l’année qui vient de s’écouler.

Déjà magistral dans ses Berlioz entre autres, après avoir enregistré une Symphonie n°3 assez parfaite et surtout Le Timbre d’Argent, voici encore un preuve de leur adéquation à ce répertoire. Ils ont certes enregistré par exemple des Beethoven} superbes, mais c’est vraiment dans ce répertoire français qu’ils brillent de mille feux. La prise de son était effectuée par un technicien d’Harmonia Mundi, donc on peut sans doute espérer une parution dans le cadre de l’année Saint-Saëns ! Même si l’on ne peut pas espérer des parutions aussi nombreuses et riches que pour l’année Beethoven, l’on peut tout de même espérer avoir quelques sorties passionnantes dans les mois qui viennent !

  • Paris
  • Grande salle Pierre Boulez, Philharmonie de Paris
  • 15 juin 2021
  • Camille Saint-Saëns (1835-1921), La Jeunesse d’Hercule, Opus 50 en mi bémol majeur (Poème symphonique)
  • Camille Saint-Saëns (1835-1921), Introduction et Rondo capriccioso, Opus 28 pour violon et orchestra en la mineur
  • Camille Saint-Saëns (1835-1921), Phaéton, Opus 39 en ut majeur (Poème symphonique)
  • Camille Saint-Saëns (1835-1921), Havanaise, opus 83 pour violon et orchestra en mi majeur
  • Camille Saint-Saëns (1835-1921), Africa en sol mineur
  • Camille Saint-Saëns (1835-1921), Le Rouet d’Omphale, Opus 31 en la majeur (Poème symphonique)
  • Camille Saint-Saëns (1835-1921), Concerto pour piano et orchestre n°5 en fa majeur, Opus 103 “Égyptien” (II. Andante)
  • Camille Saint-Saëns (1835-1921), Danse macabre, Opus 40 en sol mineur (Poème symphonique)
  • Camille Saint-Saëns (1835-1921), Le Timbre d’Argent (Valse)
  • Renaud Capuçon, violon
  • Bertrand Chamayou, piano
  • Les Siècles
  • François-Xavier Roth, direction

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