Lorsque l’on parle d’Offenbach, on pense forcément à sa Belle Hélène. De par son sujet et sa musique, la partition a immédiatement su convaincre et attirer de nombreux spectateurs. Il faut dire que le compositeur a proposé bon nombre de trouvailles plus loufoques les unes que les autres tout en sachant aussi ménager des moments tendres et délicats. L’Opéra-Comique devait monter la production de Michel Fau en début d’année, mais malheureusement les conditions sanitaires ont fait que le spectacle a été annulé et remplacé par un grinçant “Gala pour salle vide” où se mêlent rire et sourire amer. Mais là, le public se déplaçait pour un concert joyeux, plein d’airs et d’ensemble aussi fantasques que joyeux. Quelques jours avant la représentation, une note est arrivée sur le site du Théâtre des Champs-Élysées indiquant que le livret avait été “mis à jour” par Lionel Rougerie. Mais bon, rien ne pourra jamais gâcher la joyeuse farce qu’est La Belle Hélène. Et avec en tête d’affiche Cyrille Dubois et Gaëlle Arquez, comment résister. Sauf que…
En plus de la notion de mise à jour, un personnage a été rajouté à l’intrigue : Vénus elle-même. Pourquoi pas me direz-vous… et pourquoi pas remettre un peu au goût du jour les dialogues parlés. Après tout, Laurent Pelly dans la mythique production du Châtelet avait lui aussi modifié quelques dialogues pour coller avec le temps. Et ça marchait très très bien finalement. Sauf que…
Les lumières tombent, le silence se fait… mais on attend toujours l’entrée des musiciens et choristes. Ah… voici une dame habillée en blanc. Une annonce? Non, c’est Vénus. Vénus qui va nous faire un monologue de vingt minutes, résumant l’intrigue mais surtout voulant la mettre en lien avec la Guerre de Troie. Bien sûr, c’est l’enlèvement d’Hélène qui a provoqué cette guerre, mais ici le but n’est pas de le rappeler, mais bien d’ancrer l’opéra-bouffe de Jacques Offenbach dans ce contexte tragique! Car oui, il semble que Lionel Rougerie veuille non seulement rendre cette farce tragique, mais aussi qu’elle soit un spectacle à message sur la condition des femmes, sur la liberté… et sur la fatalité. Mais pas cette fatalité qui est une excuse à Hélène pour succomber. La fatalité qui fait que l’on court à un drame, que l’humain n’est pas libre… Pendant vingt minutes nous allons avoir ce discours, Vénus pointant du doigt la salle pour la prendre à témoin. Puis arrivent Hélène et Pâris (toujours pas d’orchestre!) ou plutôt les fantômes des deux amants ramenés à la vie par Vénus pour revivre le moment de leur rencontre qui provoquera le massacre de Troie. La déesse les condamne à revivre encore une fois ce moment, laissant les deux amants désemparés. Tout au long de l’ouvrage, il y aura cette espèce de mise en abîme pseudo tragique qui viendra briser le flot de la musique et de la bonne humeur. Vénus sera même omniprésente dans les deux derniers actes, se trémoussant dans les passages les plus vifs tout en exhortant Hélène à céder à son destin tragique. Nous avons donc une Hélène joyeuse et frivole dans la musique, mais sombre et sinistre dans les dialogues. Ajoutons à cela des actualisations de dialogues parfois prêtant à sourire, souvent tombant à plat… et voilà une soirée qui aurait dû être un grand festival se transformer en montagnes russes. Dès que la musique joue, nous retrouvons la bonne humeur d’Offenbach, sa critique de la société de Napoléon III… puis nous replongeons dans ces considérations sans doutes hautement intellectuelles sur le destin d’Hélène, mais qui n’ont strictement rien à faire dans un opéra-bouffe. On pourrait croire que Lionel Rougerie a voulu rendre l’ouvrage édifiant, porteur d’un message tragique. Alors que c’est avant tout une farce encore une fois. Et au contraire par moments, il veut faire rire avec des inventions peu convaincantes comme l’arrivée des musiciens faisant semblant de danser en boîte de nuit (certains refusent, d’autres comme le chef le font…), ou encore les références à l’actualité parfois prêtant à sourire et d’autres fois nous faisant plutôt retomber dans un monde que l’on vient aussi un peu oublier dans une salle de concert.
Voilà déjà les regrets. Car si la musique était bien d’Offenbach (malgré les coupures d’ailleurs de quelques numéros…), l’esprit lui n’y était vraiment pas en dehors de quelques moments dévolus à Calchas et de la musique. Petit à petit, la patience s’effrite chez le spectateur qui n’a plus qu’une envie : que la musique revienne vite pour essayer de retrouver la bonne humeur contagieuse qu’elle dégage et oublier ces textes boursouflés et dramatisants.
Musicalement heureusement, les choses vont beaucoup mieux. Sinon, la moitié de la salle serait sûrement partie à l’entracte. Dès l’ouverture, on entend un Orchestre National de Lille rutilant, vif et espiègle qui nous apporte toute la fraîcheur et la bouffonnerie qui manquait grandement aux dialogues. Alexandre Bloch dirige tout son monde comme s’ il était Shiva, toujours à donner un départ ou une indication aux uns ou aux autres, ne se laissant aucun répit. L’énergie est du coup bien présente et se ressent aussi par les tempi endiablés qu’il prend dans les ensembles, mettant presque en difficulté certains chanteurs dans les moments les plus vifs. Mais les quelques décalages sont rapidement rattrapés et on entend avec bonheur la folie Offenbach. Le Chœur Septentrion est moins à l’aise mais le faible nombre de choristes, l’espace nécessaire entre chacun et le masque n’aident sans doute pas à trouver un bel ensemble.
Du côté des chanteurs, c’est un quasi sans faute. Bien sûr, il est étrange d’entendre Marie Lenormand chanter ainsi, mais sans doute est-ce une demande du “metteur à jour” (du moins on l’espère!). Le trio Oreste, Parthénis et Léæna est parfait, sonore, vif et très bien accordé avec les jeunes Aliénor Feix, Pauline Texier et Camille Poul. On saluera aussi bien sûr ces rois remplis de vaillance que sont les deux Ajax sonores à souhait de Sahy Ratia et Florent Karrer, alors que Raphaël Brémard plastronne parfaitement en Achille.
Les deux clés de fa qui interprètent Agamemnon et Calchas semblent un petit peu fatigué et vocalement nous avons parfois soit des trous dans la voix, soit des soucis de rythme… mais par contre, Marc Barrard et Philippe Ermelier se montrent d’un grand charisme, habitant parfaitement la scène et la salle. De même, il faut saluer le magnifique Ménélas d’Eric Huchet, toujours aussi parfait dans ces rôles de caractère. Jamais il ne triche avec la partition, toujours probe… mais toujours dessinant un personnage comique et ridicule sans forcer le trait.
Cyrille Dubois semble vouloir racheter un texte déprimant par une grande implication musicale et théâtrale. Lui qu’on a vu souvent assez timide dans son jeu donne ici beaucoup d’importance à la scène, se donnant pour faire exister son personnage de Pâris. Comme on pouvait s’en douter, la tessiture lui convient comme un gant avec une grâce inimitable dans ce type de rôle. Facile sur toute la tessiture, avec en plus des nuances ou jeux de couleurs parfaitement bien venus, il fait vivre la ligne vocale du prince avec beaucoup de bonheur. On retiendra aussi le début de l’air des Pêcheurs de Perles lors du concours des rois (en référence d’ailleurs aussi au film The Father où l’on peut entendre justement l’enregistrement qu’il a réalisé avec le même chef et orchestre il y a quelques années).
Face à lui, Gaëlle Arquez se montre moins virevoltante et pétillante, traçant une Hélène beaucoup plus sage et royale. Plus en accord avec la “vision” du metteur en scène, elle nous enlève par contre une partie de ce qui fait le rôle d’Hélène : cette démesure, cet humour que nous offrent des voix aussi différentes que Jessye Norman ou Felicity Lott par exemple. Vocalement royale, avec ce timbre qui s’est encore patiné un peu, elle est une reine au timbre chaud, au grave aisé et à l’aigu facile. Reste ce second degré que l’on cherche un peu mais qui ne lui a sans doute pas été proposé par un metteur en scène qui cherchait avant tout à rendre tout cela sérieux.
Que dire de la soirée… Offenbach n’était présent que par intermittence. Et si vocalement et orchestralement, tout se tenait fort bien, le manque de cohérence des dialogues fait que la soirée n’était pas la fête annoncée pour cette Belle Hélène. Déception donc après une Fille de Madame Angot pétillante et splendide.
- Paris
- Théâtre des Champs-Élysées
- 1er juillet 2021
- Jacques Offenbach (1819-1880) : La Belle Hélène, opéra bouffe en trois actes.
- Version de concert
- Lionel Rougerie, mise à jour du livret
- Hélène, Gaëlle Arquez ; Parthénis, Pauline Texier ; Léæna, Camille Poul ; Bacchis, Marie Lenormand ; Pâris, Cyrille Dubois ; Agamemnon, Marc Barrard ; Ménélas, Eric Huchet ; Calchas, Philippe Ermelier ; Oreste, Aliénor Feix ; Achille, Raphaël Brémard ; Ajax premier, Sahy Ratia ; Ajax deuxième, Florent Karrer ; Vénus, Léna Dangréaux
- Chœur Septentrion
- Orchestre National de Lille
- Alexandre Bloch, direction