Alcina et Bradamante : deux femmes pour deux grandes chanteuses

La tradition est maintenant établie : tous les ans Cecilia Bartoli vient nous présenter une production sur la scène du Théâtre des Champs Elysées. Après Otello de Rossini et Norma, voici la fameuse Alcina de Haendel. Production créée en 2014 à Zurich, elle a été unanimement saluée par la critique tant pour la mise en scène que pour la partie musicale. Depuis, quelques changements ont eu lieu dans le chant et la direction car l’équipe n’est pas totalement réunie. Les changements principaux sont dans la distribution de Ruggiero à un contre-ténor maintenant alors que c’était une mezzo-soprano qui avait été de la création… et un changement d’orchestre et de chef. Les autres rôles principaux sont conservés pour notre plus grand plaisir. Ou du moins devaient être conservés puisque Julie Fuchs étant malade, le rôle sera chanté depuis la fausse par Emőke Baráth alors que la soprano française mime le rôle sur scène. La soirée était donc sauvée et nous retrouvions un trio de femmes assez impressionnant sur le papier. Continuer…

Lea Desandre et Thomas Dunford, en toute simplicité Salle Cortot

Depuis maintenant de nombreuses années, Thomas Dunford fait parti des musiciens les plus demandés du répertoire baroque. Que ce soit pour de participations à de grandes productions comme L’Orfeo dirigé par Paul Agnew ou dans de la musique de chambre comme récemment avec Anne Sophie von Otter, il se montre toujours d’une immense inventivité. Il a beaucoup participé aux spectacles des Arts Florissants et notamment au Festival dans les Jardins de William Christie. Justement, ces Jardins ont aussi vu naître si l’on peut dire Lea Desandre qui participa au Jardin des Voix avant de commencer une carrière soliste de belle envergure dans le domaine baroque. Elle aussi avec Les Arts Florissants bien sûr (toujours cet Orfeo), mais aussi Alcione de Marin Marais dirigé par Jordi Savall par exemple. Dans les deux cas, ce sont des musiciens très à l’aise dans le répertoire baroque et ce récital intimiste à la Salle Cortot prévoyait un programme centré sur le premier baroque italien. Finalement, si des compositeurs comme Monteverdi, Strozzi ou Merula sont bien présents, on se demande ce que vient faire Haendel qui est d’une toute autre nature dans ce répertoire. Mais heureusement, dans tous les cas nous avons une grande musicalité et une grande inventivité dans la musique proposée. Et l’on peut en profiter parfaitement dans le cadre restreint de cette salle à l’acoustique si parfaite ! Continuer…

Jephtha de Haendel : quand tout est réuni…

Si William Christie et ses Arts Florissants sont surtout connus pour les merveilles qu’ils ont offertes dans le domaine du baroque français, il ne faut pas oublier qu’ils ont aussi œuvré depuis longtemps pour Haendel avec particulièrement de grandes réussites dans l’oratorio. Genre moins démonstratif que l’opéra du même compositeur, la musique en est souvent plus travaillée, la place du chœur beaucoup plus importante… et le chef semble s’y sentir à son aise. Ensemble, ils venaient nous proposer le dernier oratorio du compositeur : Jephtha. Dans une production créée il y a peu à Amsterdam, la scène du Palais Garnier pouvait laisser admirer cet ouvrage passionnant et d’une grande force émotionnelle. La distribution est totalement renouvelée mais pas moins resplendissante. Ian Bostridge remplace Richard Croft, Tim Mead reprend le rôle de Bejun Mehta et Katherine Watson celui d’Anna Prohaska. Dans les deux cas de grands spécialistes, parfois aux profils différents mais toujours d’une grande musicalité et d’un charisme certain. Continuer…

Max Emanuel Cenčić : la rivalité entre Haendel et Porpora

Voix extrêmement rare il y a encore 30 ans, le contre-ténor semble être la nouvelle mode de l’univers lyrique. Immense star il y a encore quelques années, il semble que la couverture médiatique de Max Emanuel Cenčić soit amoindrie depuis quelques temps. Il faut dire que depuis 2001, plus d’un grand nom est arrivé avec ces dernières années des Franco Fagioli ou Bejun Mehta par exemple qui ont chacun leurs spécificités. De jeune chanteur baroque (dans tous les sens du terme) à valeur sûre, Cenčić a sû se diversifier en devenant producteur par exemple. Mais la voix est toujours aussi belle. Et celui qui a commencé comme Petit Chanteur de Vienne avant de devenir sopraniste puis contre-ténor a encore beaucoup à dire avec ses arguments propres ! Loin de la démonstration gratuite où certains pourraient avoir tendance à se plonger, le chanteur propose un timbre, une délicatesse et une intelligence. C’est à la découverte de la rivalité entre Haendel et Porpora qu’il nous propose d’assister durant ce récital. Continuer…

Anne Sofie von Otter : Barock is pop!

Anne Sofie von Otter est connue dans le monde entier pour la variété de son répertoire. Elle qui a connu la gloire avec le baroque (on pensera notamment à son Ariodante dirigé par Minkowski) n’a jamais cherché à rester sur son terrain de prédilection, osant tout dans la mélodie comme dans la chanson populaire… et allant jusqu’à des Wagner un peu contestés mais d’une grande intelligence. Car s’il est un mot que l’on peut raccrocher à la mezzo-soprano suédoise, c’est sans doute l’intelligence. Intelligence du texte bien sûr, mais aussi intelligence dramatique et musicale, qui fait qu’elle trouve toujours la nuance juste, la façon de prononcer qui offre toute sa force à un texte chanté. Après les années glorieuses qui lui ont permis de se lancer dans le romantisme le plus tardif (de magnifiques Lied von der Erde dirigés par Claudio Abbado), la voix a commencé à perdre un peu de sa superbe, le volume à réduire sensiblement, la tessiture à se tasser… alors, intelligence encore, la chanteuse est revenue à des répertoires mettant moins en avant la puissance et la vocalité, mais plus le texte et la nuance où elle reste reine. Ce concert plonge dans le baroque en grande partie et pour se faire, elle s’est entourée de deux jeunes musiciens considérés comme les plus virtuoses de leur génération sur leurs instruments respectifs : Thomas Dunford au théorbe et Jean Rondeau au clavecin. Continuer…

Angélique et Marc Mauillon interprètent Caccini et Peri : grande entente pour deux rivaux!

Le baryton Marc Mauillon a fait ses preuves dans le répertoire baroque et semble être aussi bien à son aise dans le répertoire médiéval que dans le contemporain. S’il est principalement reconnu pour ses premiers baroques qu’ils soient italiens (Monteverdi et Rossi) ou français (Lully ou Rameau), il se montre toujours d’une impeccable probité stylistique et d’une grande qualité d’interprétation. Mais il se montre aussi magnifique dans le répertoire de chambre comme la mélodies française romantique… et bien sûr les monodies baroques ! Il y a un an, il sortait avec sa sœur Angélique un récital centré sur deux compositeurs rivaux : Jacopo Peri et Giulio Caccini. Ces deux compositeurs sont considérés comme les plus anciens dont on ait conservé la partition d’un opéra, écrit de plus sur le même texte de Rinuccini. Leurs Euridice firent grand bruit, tout comme les publications de leurs recueils de monodies qui sont ici présentées avec un grand soin et une grande rigueur. Le frère et la sœur sont en effet des spécialistes du domaine et l’on sent une immense complicité entre eux pour nous donner à entendre ces pièces magnifiques mais peu connues. Continuer…

Daucé et Charpentier : un Orphée magique

Contemporain de Lully, Marc-Antoine Charpentier est peut-être le musicien qui aura souffert le plus de l’interdit pour tout autre musicien de présenter des tragédies lyriques. En effet, le compositeur aura durant toute sa vie imaginé des ouvrages tragiques en marge de la grande forme mise en place par le favori de Louix XIV et il faudra attendre la mort de Lully pour qu’enfin Charpentier puisse présenter sa fameuse Médée, ouvrage qui n’aura pas le succès espéré lors de la création mais qui de nos jours est considéré comme l’un des plus passionnant exemple de ce grand genre tragique. Avant, nous avions eu des pastorales, des petits opéras courts… mais jamais ces grands sentiments sur cinq actes. Il avait aussi composé ses deux tragédies bibliques et plus particulièrement David et Jonathas qui (malgré le manque de la partie parlée de l’ouvrage telle qu’il a été imaginée) reste un sommet de l’opéra baroque de l’époque lui aussi. Cette Descente d’Orphée aux Enfers fait suite à Actéon (1684)et aux Arts Florissants (1685), tous composés pour Mademoiselle de Guise qui tenait une petite cour à laquelle était rattaché Charpentier. Continuer…

Dans les Jardins de William Christie 2017 : An English Garden

Comme chaque année, William Christie ouvre son domaine aux amoureux des jardins et de la musique baroque. Comme chaque année l’on peut admirer les beautés des nouvelles plantations mais aussi écouter les nouvelles découvertes du chef d’orchestre. Car dans ce lieu, c’est le mélange entre musique et horticulture qui devient magique, ces cadres magnifiques et intimes pour de superbes moments de musique en petit comité. Pour cette sixième édition, ce sont encore des musiciens chevronnés qui côtoient de jeunes étudiants de New-York… des membres historiques des Arts Florissants qui regardent d’un œil bienveillant la future génération de musiciens ou de chanteurs. Et comme toujours l’ambiance est clame et bienveillante, chacun des artistes étant là pour se faire plaisir en même temps qu’éblouir les oreilles du public qui vient ici dans le respect non seulement des lieux, mais aussi du maître des lieux qui sait imposer une certaine discipline paternaliste. Encore un beau voyage au pays du baroque… parfois originale mais toujours d’une grande qualité artistique ! Continuer…

Charpentier : Médée, la seule et l’unique!

Musicien accompli, Marc-Antoine Charpentier a subit l’autorité absolue de Lully durant une bonne partie de sa vie de compositeur. Alors que les quelques partitions tragiques qui nous restent du musicien sont passionnantes, il ne nous a finalement légué qu’une seule grande tragédie en musique. Cette Médée contient tout le savoir-faire de ce grand musicien qui sait respecter les règles formelle de l’exercice sans pour autant lisser son langage plus chatoyant que celui qui régnait sur la scène de Versailles. Bien sûr, nous pouvons nous réjouir l’oreille avec David et Jonathas ou d’autres compositions plus courtes… mais il leur manque ce petit quelque chose de grandiose qui est ici contenu. Voir Charpentier à Versailles semblerait presque être une revanche sur l’histoire, mais c’est surtout la possibilité pour le public de vivre cette grande histoire dans toute sa dimension artistique et dramatique dans un lieu parfait pour ce répertoire. La venue régulière des artistes de Toronto est un vrai bonheur pour les amateurs de baroque français ! Continuer…

Alcyone, entre tradition et nouveauté

Élève de Lully, Marin Marais a baigné depuis ses débuts en tant que musicien professionnel dans la tragédie lyrique telle que pensée par son maître. Il était donc logique qu’il se laisse tenter par une composition d’un opéra et Alcyone ouvrira sa prise de fonction en tant que batteur de mesure à l’Académie royale. Mis en lumière dans le film Tous les matins du monde, ce compositeur a le soutien de Jordi Savall qui voulait depuis de nombreuses années monter une production scénique de cette œuvre. Si l’on avait déjà un enregistrement réalisé en 1990 par Marc Minkowski ainsi que Sémélé dirigé par Hervé Niquet en 2006, la production lyrique de Marin Marais n’était que peu disponible malgré le succès qu’il a eu en son temps. En effet, créée en 1706, la partition sera reprise jusqu’en 1771 avec des adaptations et des révisions mais toujours avec le même succès. L’Opéra-Comique offrait enfin la possibilité au chef de réaliser l’un de ses plus grands souhaits, mais aussi au public de découvrir la puissance théâtrale de l’ouvrage qui revient sur la scène d’un théâtre 246 ans après sa dernière production scénique. Autre raison de se réjouir, la salle de l’Opéra-Comique est enfin ré-ouverte après vingt mois de travaux et comment rêver un meilleur écrin pour ce retour sur scène d’Alcyone qu’une salle merveilleusement restaurée avec un chef aussi passionné par Marin Marais ? Continuer…