Joseph Calleja : Mario Lanza et les nuances

calleja-lanzaA l’heure où un chanteur devient un produit marketing et doit donc faire parler de soit avant tout, Joseph Calleja reste une exception. En effet, la faible médiatisation en dehors de son chant ainsi que la prudence de sa carrière ne sont pas fait pour attirer la lumière des projecteurs. Et pourtant, petit à petit depuis 10 ans et la sortie de son premier récital, le chanteur s’impose sur les scènes les plus prestigieuses et enregistre régulièrement pour DECCA ou Deutsch Grammophon. Le dernier récital en date, The Maltese Tenor était un coup de maître… cet hommage à Mario Lanza (premier contact avec l’opéra du ténor) sera-t-il du même niveau ? Mélangeant airs d’opéras (pas forcément pour sa voix à priori) et des chansons populaires, le programme a laissé dubitatif beaucoup d’amateurs à sa lecture. Et pourtant, le ténor en conservant son intégrité et sans chercher à imiter son idole réussit un bien beau récital.

Dès la première écoute, on se rend compte à quel point les voix de Lanza et Calleja sont différentes. Le premier est un monstre vocal, large et puissant sur toute la tessiture, sorte de colosse dont la voix ne craint rien à priori, toujours facile et dorée… mais aussi peu sujette aux nuances et à la délicatesse. Calleja partage cette solidité vocale et ce rayonnement, mais de façon moins démonstrative et tellurique. Et surtout, l’autre grande différence entre les deux reste le style… Lanza possède un chant peut-être plus héroïque et immédiat, mais Calleja a pour lui un art du chant forgé sur les lignes du bel-canto : contrôle du souffle, piani aériens et un soin de la ligne que Lanza n’hésitait pas à brutaliser pour un effet dramatique ou vocal. Au final, ils partagent le fait d’avoir un matériel vocal impressionnant, mais là où l’un l’emporte sur la puissance et l’héroïsme, l’autre compense par la nuance et le style.

 calleja-lanza2Le programme reprend ce qui fut parmi les plus grands succès de Mario Lanza et que Joseph Calleja peut aujourd’hui aborder en studio. Alternent donc chansons américaines, mélodies italiennes et airs d’opéras. En mélangeant tous ces styles si différent, l’auditeur se trouve quelque peu désorienté par les changements brusques de ton. Peut-être aurait-il été plus agréable de rassembler les morceaux en fonctions de leur origine.

Commençons par nous intéresser aux airs populaires. Dès la première note, on est plongé par Be My Love dans les grandes productions américaines, avec un orchestre forcément sucré et une mélodie légèrement sirupeuse. Facilité ? Peut-être, mais quand on se laisse prendre, le charme opère vite. Le chant de Calleja, jamais en force dans ce répertoire, se déploie sans ostentation, avec un allègement qui empêche l’interprétation d’être trop opératique. L’anglais est l’une des langues maternelles de Calleja et on peut alors profiter de chaque parole, sans l’ombre d’un accent méditerranéen. Chanson populaire par excellence, Arrivederci Roma s’annonce par les mandolines… et Calleja ne se trompe pas sur le caractère rêveur de cette composition, prenant beaucoup de soins pour ne jamais surcharger la ligne, allégeant constamment. L’interprétation n’est pas révolutionnaire, mais elle est construite avec nuances et art, révélant ce qui semble souvent n’être qu’une simple rengaine. Suivent donc Serenade, The Loveliest Night of the Year, Because You’re Mine, You’ll Never Walk Alone ou encore Because : Joseph Calleja conserve ce chique et cette façon de chanter qui donnent fraicheur à ces chansons souvent surchargées par des interprétations trop lyriques.

A côté des toutes ces chansons en anglais, Granada ouvre le bal des mélodies italiennes. On retrouve ici toujours cette facilité et cette simplicité de chant qui caractérise le ténor : pas de démonstration et surtout la conscience de ne pas chanter ici de l’opéra. L’italien est bien sûr parfait et le chanteur enlève cette mélodie avec brio, aussi à l’aise dans les aigus que dans les petites décorations hispanisante. Dans le même style, on peut prendre toujours autant de plaisir à écouter notre ténor mettre en valeur Parlami d’amore Mariu : le chant refuse la facilité des décibels, privilégiant douceur et nuances. Comment bien sûr passer à côté de Tosti, compositeur chanté par tant de chanteurs lyriques… Avec A vucchella et Marechiare, Calleja montre deux facettes différentes du musicien : après la douce berceuse de A vucchella, la fière et entraînante Marechiare montre un chanteur plein de fougue et d’énergie. Et pour faire le lien entre chansons populaires et airs d’opéra, La Danza de Rossini est parfaite ! En effet, le compositeur d’opéra a créé une mélodie certes d’inspiration populaire, mais demandant aussi une technique opératique. Et Joseph Calleja fait fi des pièges de l’écriture pour une danse folle et vive.

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Le répertoire d’opéra de Mario Lanza était principalement centré sur des rôles de ténors spinto ou héroïques, ce que n’est pas Joseph Calleja. Une fois cela dit, il faut écouter les interprétations de Joseph Calleja sans à priori, car ce qu’il propose dans ce récital est plus que convaincant. Bien sûr, on espère que les Paggliaci, Turandot et autres Carmen ne sont pas pour tout de suite dans la carrière de Calleja. Mais ce qu’il propose ici est de très belle facture. Comme toujours, le ténor se refuse à tricher, à forcer sa voix. Longue et facile à l’origine, elle peut très bien assumer la tessiture des rôles ici proposés. Seule manque par moment une vaillance que possédait à revendre Lanza et qui fait quelque peut défaut à notre ténor actuel. Mais en studio… la prestation reste impressionnante. C’est I Pagliacci qui ouvre les airs d’opéras. Avec une interprétation lyrique, Calleja ne peut que faire penser à un Pavarotti. Avec des moyens assez comparables, le ténor affronte ce qui pourrait être un supplice pour sa voix s’il voulait se faire plus gros que le bÅ“uf. Mais il n’en fait rien, reste avec son timbre clair et ne cherche pas les effets véristes. On ne retrouve pas là une interprétation déchirée et dramatique comme pouvaient nous en proposer des Vickers ou Domingo… mais avec ses moyens, Calleja propose un chant superbement tenu, où les nuances donnent de l’épaisseur au personnage, moins brute et plus en souffrance. Cavalleria Rusticana est déjà plus lyrique et les adieux à sa mère de Turridu sont assez confortables pour Calleja. Alternant légèreté et douleur, sur une ligne parfaite, sans sanglots inutiles, ce Turridu semble presque trop noble pour être vrai… mais quelle beauté de chant ! Avec La Gioconda, on retrouve le chanteur dans ce qu’il a de meilleur… cette évocation poétique et rêveuse met en lumière la beauté de la voix, la délicatesse du phrasé et l’art des nuances. Cet air est totalement incompatible avec un chant en force et ce que propose Calleja est magistral, mettant au profit sa technique pour alléger ou gonfler une note quelque soit sa hauteur. Le noble Enzo est ici présenté sous son meilleur jour : si le rôle est peut-être un peu tendu pour le chanteur, l’air isolé lui convient avec une évidence telle qu’on se prend à rêver à ce que pourrait donner Calleja dans l’intégralité du rôle. Il en est de même pour l’extrait de Fedora où la passion de Loris est mise en relief par un chant généreux et plein de jeunesse. Mais la pièce qui retient peut-être le plus l’attention est Turandot. Le fameux « Nessun dorma » a été la signature de Pavarotti, chanté par les plus grands aux formats les plus divers. Élégiaque et lumineux, il demande une vaillance que ne possède pas encore Calleja. Et pourtant, le ténor semble se trouver fort à l’aise dans cet air qu’il pare d’une poésie qu’on entend trop rarement dans ce moment de repos entre les deux accès de cruautés de la princesse de glace. La voix s’élève lumineuse et fraiche, telle la lune sur le tapis orchestral et choral, culminant sur un « Vincero » grandiose. Effet du studio me direz-vous… le récital donné il y a peu au Théâtre des Champs-Élysées à Paris démontre qu’il n’en est rien : son chant était tout aussi libre et facile qu’en studio dans cet air !

calleja-lanza3Seule pièce du répertoire français qu’il affectionne tant, l’air de Don José de Carmen présente immédiatement un souci. Le ténor maltais tente de prononcer les R de manière naturelle… mais sans en avoir la totale maitrise. Il en résulte des ruptures dans la ligne à certains moments, et une hétérogénéité dans la prononciation puisque certains sont chantés à l’italienne malgré tout. Si on peut saluer le travail effectué, il aurait mieux valu s’abstenir pour le moment et attendre une plus grande fluidité sur ces fameux R. Une fois ceci dit, il faut bien admettre que ce n’est qu’un détail face au reste de la diction, mais aussi au chant… Alors que Don José est trop souvent chanté par des voix dramatiques, Calleja en propose une vision très lyrique et délicate, plus en accord avec le style de l’opéra-comique français. Aucun choc dans la ligne ici, même les aigus conservent de la douceur sans jamais être chantés avec trop de force. Ce travail augure en tout cas de bien belles choses dans le répertoire français où l’on a si peu entendu Joseph Calleja.

Face à ce ténor, ou plutôt pour l’accompagner, le chef doit maîtriser bien des styles différents, depuis la mélodie napolitaine jusqu’au vérisme italien en passant par la chanson américaine. Et Steven Mercurio, à la tête du BBC Concert Orchestra fait un très beau travail. On pourrait chercher bien sûr une direction moins traditionnelle, plus inventive… mais avec un tel chanteur, c’est irrémédiablement la voix qui attire toute l’attention : l’orchestre passe au second plan.

Fidèle à lui même Joseph Calleja nous propose donc un récital encore une fois « à l’ancienne ». A l’image de ce que pouvait chanter Mario Lanza, il juxtapose des airs aux styles extrêmement différents. La voix n’a pas changée, toujours aussi belle et facile, avec ce vibratello caractéristique et cette technique d’une solidité à toute épreuve. La présence de tant de chansons populaires reste légèrement frustrante, mais l’art du chant qui leur donne vie fait vite oublier une certaine facilité de composition pour nous emporter dans un monde légèrement daté mais si beau et agréable. La partie opéra reste un modèle du genre tant le chanteur ne triche pas et réussit à donner vie à des airs qu’on aurait pourtant dit incompatibles avec sa voix. Peut-être moins parfait que son dernier récital qui était un véritable sans faute, cet Hommage à Mario Lanza n’en reste pas moins une très belle réussite.

  • Nicolas Brodszky (1905-1958), Be My Love, Because You’re Mine
  • Agustin Lara (1897-1970), Granada
  • Renato Rascel (1912-1991), Arrivederci Roma
  • Juventino Rosas (1868-1894), The Loveliest Night of the Year
  • Gioachino Rossini (1792-1868), La Danza
  • Sigmund Romberg (1887-1951), Serenade
  • Ruggero Leoncavallo (1857-1919), I Pagliacci : Vesti la giubba
  • Pietro Mascagni (1863-1945), Cavalleria Rusticana : Addio alla madre
  • Paolo Tosti (1846-1916), A Vucchella, Marechiare
  • Cesare Andrea Bixio (1896-1978), Parlami d’amore Mariu
  • Amilcare Ponchielli (1834-1886), La Gioconda : Cielo e mar
  • Umberto Giordano (1867-1948), Fedora : Amor ti vieta
  • Georges Bizet (1838-1875) : Carmen : La Fleur que tu m’avais jetée
  • Giacomo Puccini (1858-1924), Turandot : Nessun dorma
  • Richard Rodgers (1902-1979), You’ll Never Walk Alone
  • Guy d’Hardelot (1858-1936), Because
  • Joseph Calleja, ténor
  • BBC Concert Orchestra
  • New London Singers
  • Steven Mercurio, direction musicale
  • 1cd DECCA, 478 3531. Enregistré en 2012.

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